Chapitre 20 Terminus, tout le monde descend.

Par Cathie

Du hall d’entrée, la voix du roi parvient soudain jusqu’aux deux hommes qui ralentissent le pas, de concert et finissent par s’arrêter complètement.

— J’ai bien réfléchi, déclare la voix grave du roi, cette alliance diplomatique était prometteuse mais je trouverai une solution avec le roi voisin. J’ai eu le bonheur de vivre un grand amour et je veux ce bonheur pour toi, ma fille chérie. Et si tu es sûre que c’est le chevalier…

— Je savais que vous comprendriez, s’écrie la princesse dans un froufrou de soie. Et je veux aller explorer le monde avec le chevalier, avant de penser à être reine ici ou ailleurs.

— Mais ce n’est pas tout, ajoute le roi au moment où le chevalier, mal à l’aise, se remet en marche.

C’est compter sans le majordome qui met un doigt sur ses lèvres et le retient d’un geste. La voix du roi leur parvient à nouveau :

— J’ai fait un rêve, cette nuit : ma femme adorée me disais que le royaume avait besoin d’une reine, car notre fille allait partir. Si j’écoutais mon cœur plutôt que ma tête, je réaliserais que celle qui pouvait combler les désirs et de mon cœur et de ma tête se tenait à mes côtés depuis longtemps déjà.

Les talons du roi claquent sur les dalles  :

— En me réveillant, j’ai compris qu’elle parlait de vous, chère belle-sœur, qui avez élevé la princesse, qui m’avez conseillé et soutenu à travers tant de difficultés sans rien demander en retour ! J’ai réalisé que je n’avais qu’une peur maintenant : que vous ne me laissiez tout seul dans mon château, pour aller vous occuper de votre école. Je n’ai rien contre l’école, et je suis prêt à vous assister dans votre entreprise, surtout si vous trouvez dans votre cœur assez d’amour pour vouloir rester à mes côtés, en tant que reine officielle ou ce que vous voudrez. Alors, je serais comblé.

— Majesté…

Le chevalier essaye d'imaginer l'expression de la marraine, n’y parvient pas et comme le silence s’éternise, il fait les gros yeux au majordome qui s’avance finalement dans le grand hall d’entrée, stratégiquement positionné pour masquer le chevalier.

D’une voix solennelle, le majordome annonce alors :

— Voici sa Majesté le Roi du Royaume Voisin en visite officielle. Il présente ce Cadeau-ci au Roi et à sa Belle-Soeur et ce Cadeau-là à la Princesse, si elle en veut, en gage de son amour éternel.

Puis, ayant fait un pas de côté, il pousse vigoureusement le chevalier vers le roi.

Si le jeune homme n’avait pas été aussi nerveux, il aurait eu bien du mal à garder son sérieux à la vue du roi et de la marraine qui le dévisage la bouche ouverte et les yeux ronds.

Le roi se reprend le premier :

— Chevalier ? Heu… soyez le bienvenu… Mais, il y a erreur, vous n’êtes pas celui que nous attendions.

Puis, le regard interrogateur, il se tourne vers le majordome qui tend sa main ouverte au chevalier. Celui-ci le regarde sans comprendre.

Un geste véhément de la princesse indiquant la bague à son doigt, sort le chevalier d’embarras : il tire de sa poche l’anneau cigillaire et le remet au majordome qui le présente au roi. Ce dernier l’examine, l’air de plus en plus perplexe.

Finalement, la princesse s’écrie :

— Père, ne comprenez-vous pas ? Au terme d’aventures dont je ne vous donnerais pas les détails, le chevalier hérite du trône de ce royaume voisin dont vous me bassinez les oreilles : c'est lui le prétendant !

Puis, dans un éclat de rire joyeux :

— Tout est légitime, mon cher père, j’épouse votre candidat et le mien qui ne font qu’un.

Le chevalier se prépare à balayer le sol de la plume de son chapeau quand le majordome l’informe à mi-voix :

— Entre rois, on se serre la main !

Ce que fait le chevalier, un peu timidement. Mais la poignée de main du roi est ferme et son sourire soulagé.

— Eh bien, Chev… je veux dire, Sire, en voilà une surprise ! Et vous ne vous doutez pas à quel point elle m’est agréable !

Si l’accueil du roi rassure le chevalier, toutes ses craintes resurgissent quand il jette un coup d’œil à la marraine : une ride perplexe lui barre le front et elle agite son éventail d’un air distrait comme si elle essayait de chasser d’invisibles moucherons : va-t-elle apprécier ses offrandes ? Sera-t-elle aussi facile à convaincre que le roi ?

Mais déjà, le majordome fait signe au chevalier de s’approcher des objets qui trônent devant l’escalier et il annonce :

— Les cadeaux !

La marraine demande :

— Ces objets viennent donc bien de vous, Chev… je veux dire, Sire ?

Puis, avec un mouvement particulièrement vigoureux de son éventail, elle ajoute :

—  Ça crépite de magie ici. Il n’y a que moi que ça dérange ?

Personne ne prend la peine de lui répondre car le chevalier a atteint le premier objet, une masse informe qui gît à ses pieds. Ça ne paie pas de mine et le jeune homme se demande si offrir cette queue sanglante hâtivement séparé du corps du dragon mort, était une bonne idée.

Mais à peine a-t-il fait signe aux serviteurs de l’extraire de ses couches protectrices, que l’appendice se met à convulser. Puis il se redresse avec un gracieux mouvement en spirale pour s’immobiliser enfin, transformé en une délicate sculpture de précieuses écailles bleues.

Bouche-bée comme le reste de l’assemblée, le chevalier regarde la merveille qui se dresse devant lui quand la marraine s’exclame :

— Eh bien, Chev… heu, Sire, voilà qui authentifie sans l’ombre d’un doute la qualité surnaturelle du monstre et certifie que vous êtes bien celui aux mains duquel il est tombé !

Puis, adressant un grand sourire au chevalier, elle s’approche du miroir encore empaqueté :

— Et ceci est pour la princesse ?

Tout en tirant sur la tenture qui recouvre le cadre du miroir, le chevalier réalise brusquement qu’il s’est trompé en offrant la queue à la marraine et le miroir à la princesse : c’est le contraire qu’il fallait faire ! Hélas, c’est trop tard et il bafouille :

— C’est un objet qui a eu un rôle important dans la réussite de notre entreprise. Il semble avoir des propriétés particulières… il m’a fait penser à la princesse mais votre expertise…

Brusquement, la couverture tombe et le miroir apparaît, brillant de mille feux.

La princesse se précipite auprès du jeune homme, se plante devant le meuble :

— Oh ! Chevalier, quelle merveille ! Et comme vous me connaissez bien pour avoir su que je l’aimerais !

Puis, en en caressant le cadre elle murmure :

— Je l’ai vu dans mes rêves ! Il est exactement comme je le souhaitait !

Figé dans l’anticipation de la catastrophe qui ne s’est pas produite, le chevalier sursaute quand la marraine déclare avec un sourire :

— Ma Chérie, vous venez de rencontrer votre objet magique ! Cependant…

Elle se met à tourner autour du meuble, en l’examinant sous toutes les coutures et en marmonnant des « extraordinaires » et des « en voilà une surprise » qui ne font qu’ajouter à la confusion du chevalier.

Finalement, elle se tourne vers le jeune homme :

— Où diable avez-vous déniché ceci ? Car, j’en ai la certitude maintenant, il s’agit d’une pièce tout à fait exceptionnelle, un artefact d’une valeur immense que l’on croyait perdu à tout jamais !

— Vous… vous connaissez cet objet ? bafouille le jeune homme.

— Tout me porte à croire, Chev… Sire, qu’il s’agit du miroir magique d’une reine d’antan, la mystérieuse mère d’une dénommée Blanche-Neige. On l’a dit morte à la naissance de sa fille et remplacée par une marâtre, mais il semblerait que cette femme, grande magicienne par ailleurs, ai disparue dans des circonstances non élucidées. Bref, sa lignée possédait un miroir magique… dont il est fait mention dans l’histoire de sa fille comme appartenant à la belle-mère ; ceci est d’ailleurs contredit par d’autres sources. Toujours est-il qu’on ne sait pas si son héritière légitime, Blanche-Neige, l’a jamais récupéré, car plus aucune mention n’est faite du miroir pendant et après la vie de cette reine dont on sait peu de chose, si ce n’est qu’elle fut une souveraine inspirée et…

— Et c’est vous, mon Bien Aimé, qui me l’offrez, coupe la princesse avec un sourire béant !

Ignorant l’interruption, la marraine poursuit :

— Ce miroir ne doit être utilisé que par sa gardienne légitime car elle seule peut en interpréter les images et préparer les quémandeurs. Sans son aide, les malheureux sont confrontés sans repère ni soutien à une vision de l’illusion inconsciente la plus destructrice qui préside à leur l’identité, autrement dit au mensonge qui motive leurs actes, une expérience traumatisante pour le commun des mortels.

— C’est ce qui a dû arriver au dragon, s’exclame le chevalier : il se voyait sans doute comme un spécimen d’une grande beauté, avec des capacités physiques et intellectuelles surdimensionnées…

— Et il n’a pas supporté d’être confronté à sa nature malveillante et destructrice, propose la princesse.

La marraine revient se poster devant le miroir, à côté de la jeune fille :

— Alors que, encadré par une magicienne bienveillante et compétente, le miroir dispense des informations essentielles aux intéressés. On raconte qu’il aurait remis sur le bon chemin un jeune prince venu le consulter en désespoir de cause, celui-là même qui délivra Blanche-Neige de la malédiction dont elle était prisonnière. Et aussi, qu’avec l’aide de la mystérieuse gardienne du miroir, la contrée entière atteignit la sagesse et la paix. Bien sûr, c’était il y a fort longtemps et il est difficile de faire la part du mythe et des…

La princesse l’interrompt à nouveau, trop impatiente pour écouter les détails :

— Marraine, si je suis la gardienne légitime de cette merveille, je vous en prie, laissez-moi l’essayer !

Puis se tournant vers le chevalier :

— Sur vous, mon Cœur ?

— Je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée, ma Chérie, s’interpose la marraine ; vous êtes une magicienne accomplie, je suis bien placée pour le savoir. Cependant, un artefact de cette valeur et de cette puissance demande un certain apprentissage.

— Mais vous êtes là pour me guider, n’est-ce pas ? lui répond la princesse sans quitter des yeux le chevalier. Et vous êtes d’accord, n’est-ce pas, mon Doux Ami ? Je suis sûre que vous brûlez d’envie de poser une question au miroir.

Elle plonge son regard dans le sien :

— Détendez-vous, mon Amour, et dites-moi ce qui vous tracasse, vraiment, au plus profond de vous.

Le jeune homme se noie dans les lacs bleus, et il sent son cœur fondre.

— Votre amour, ma Bien-Aimée, votre amour me comble, je n’ai plus de questions, je n’ai plus de doutes, ni de peurs ni d’angoisses…

— Faites un effort, Chevalier, s’impatiente la jeune fille. Vous avez entendu Marraine, il me faut une question, une petite interrogation, un point flou que vous désirez éclaircir !

— Alors, Mon Etoile, c’est de savoir comment vous servir au mieux, assurez votre bonheur…

— Je le savais, s’exclame la jeune fille en attrapant la main du chevalier pour l’attirer devant le miroir. Une prédiction sur le futur…

— Le miroir ne prédit pas le futur, ma chérie, interrompt la marraine. Il montre les désirs profonds, à quoi ces désirs peuvent ressembler dans le futur proche, les situations qui illustrent un potentiel… Ce sera au chevalier de matérialiser ce potentiel en faisant les choix qui le créeront petit à petit.

Le chevalier les regarde l’une après l’autre, ne sachant plus du tout que faire pendant que la princesse comme en transe, se concentre sur le miroir et murmure, émerveillée :

— Il me parle, il m’explique…

Sans bouger, d’une voix douce et monocorde que le chevalier trouve étrangement séduisante, elle poursuit :

— Malgré ce que vous pensez, Chevalier, vous n’êtes pas prêt à devenir le roi qu’on vous propose d’être. Vous en êtes le premier surpris, mais vous avez aimé voyager et vous avez pris la mesure de tout ce que l’on apprend quand on va de par le monde. Regardez !

Dans le miroir, le chevalier voit leur couple, traversant de vastes contrées, parlant et mangeant avec des gens, dans des châteaux et dans des masures, sur des marchés et dans des fêtes populaires ; ils traversent des déserts et des plateaux battus par les vents, ils passent des cols dans des montagnes enneigées.

La princesse continue :

— Nous parcourrons de nombreux royaumes, rencontrant leur peuple, partagent leur vie, leurs problèmes, leurs joies et leurs peines ; nous nous immergerons dans leur culture, leur langage, pour partager connaissances et savoir-faire. Tout en cherchant à améliorer leur quotidien, vous prendrez conscience de l’importance de leurs rêves, de leurs aspirations individuelles et collectives…

La princesse se tait. Le souffle régulier et profond comme si elle dormait, elle fixe le miroir avec une attention sans faille, une concentration absolue.

La marraine touche la manche du chevalier :

— Regardez-là, Chev… Sire : une vraie magicienne, en totale osmose avec son objet magique, transportée dans cet autre monde où vous ne pourrez jamais la rejoindre, mais d’où elle reviendra d’autant plus aimante et reconnaissante que vous l’aurez aidée à y accéder.

Un instant, elle contemple sa filleule et le chevalier croit discerner un peu de nostalgie dans ce regard par ailleurs aimant et fier. Mais déjà, elle reprend :

— Ce que décrit la princesse vous concerne sans doute, mais c’est vrai pour elle, surtout ; c’est sa mission plus encore que la vôtre qu’elle décrit, car sa question était si forte ! Elle apprendra à faire la part des choses et vous l’y aiderez. Mais pour l’instant, êtes-vous prêt à ce que cette mission devienne la vôtre ?

Le chevalier sourit :

— Je n’ai jamais eu d’autre mission qu’elle, MaDame, simplement, je ne l’avais pas compris !

— Et bien Chev… Sire, vous avez ma bénédiction ! Que vous ayez trouvé et apporté l’Objet Magique de la princesse balaie toutes mes hésitations quant à la légitimité de votre association.

Le chevalier n’a pas le temps d’exprimer sa reconnaissance, car la princesse, sortant de sa transe, saute au cou de la petite femme :

— Oh ! Marraine, quelle sensation extraordinaire, quel bonheur que de s’immerger dans cette vague, de suivre ce chemin sur lequel me guide la voix du miroir. Il m’a dit qu’il pouvait répondre à toutes sortes de questions… l’avez-vous entendu ?

— Tu seras la seule à l’entendre jamais, ma Chérie, mais, à travers ta voix, il parlera et apportera réconfort et sagesse à ceux qui viendront te voir.

Puis, lui prenant la main, elle l’éloigne du miroir :

— Il ne reste plus qu’à faire une ultime vérification pour que je puisse vous laisser partir tranquillement. Vous, ne bougez pas, Chev… Sire.

Vaguement inquiet, le chevalier reste devant le miroir magique qui lui renvoie maintenant l’image d’un jeune roi bien vêtu, grand, très mince, certes, mais bien proportionné, au regard franc, joyeux et grave en même temps.

— Parfait ! interrompt la marraine. Vous êtes accepté en tant que protecteur de sa gardienne et le miroir ne représente donc plus aucun danger pour vous.

Il sent alors la main de la princesse qui se glisse dans la sienne et elle apparait à côté de lui. La beauté éclatante de la jeune fille illumine la pièce, alors qu’elle s’appuie imperceptiblement sur le chevalier, qui, solide, l’accueille et la soutient. Mais c’est le reflet de l’autre que chacun contemple avec émerveillement.

— Tout est bien qui finit bien, n’est-ce pas ? murmure le jeune homme.

— Oui, nous nous marierons, nous aurons beaucoup d’enfants et nous vivrons heureux pendant très longtemps, ajoute la princesse avec un sourire. Mais pas maintenant… plus tard… un jour, peut-être ou peut-être pas…  Pour l’instant, partons pour de vrai, nous avons des mondes à explorer.

Le majordome apparait derrière eux :

— Je préfère vous prévenir, les enfants : tout est bien pour l’instant mais, d’une part, rien ne finit jamais et, d’autre part, s’il est tout à fait possible de vivre longtemps et heureux, le mariage, les voyages, les enfants, un ou deux royaumes à gérer, tout cela ne sera certainement pas de tout repos. Ceci dit, le roi vous attend dans la salle du trône, pour la présentation officielle.

Puis il emboîte le pas à la marraine qui s’éloigne déjà et le chevalier l’entend grommeler :

— Tout est bien qui finit bien ! Elle est bien bonne celle-là !

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