Chapitre 20 : Le carnet

Par Cherry
Notes de l’auteur : bientôt les vacances, bientôt le temps de ne rien faire !

Kabenzi était un petit village des plus ordinaires, niché au cœur d’un désert étouffant. À l’écart du monde, cette oasis se dressait telle une faille dans l’espace. Privés des nouvelles technologies, les habitants ne se laissaient pas décourager et préféraient encore travailler à la main. Leur rapport avec la nature, autrefois si tumultueux, s’était transformé en une délicieuse histoire d’amour. La terre était devenue la promesse d’une vie confortable, et non plus leur tombeau. 

— Ils sont courageux, commenta May Gocy en observant des villageois courbés en avant, les vêtements tachés par la terre.

Mo Mi acquiesça. Ayant grandie à la campagne pendant quelques années, elle avait participé aux tâches agricoles et enduré le labeur des agriculteurs. Elle savait ce qui en coûtait pour croquer ne serait-ce qu’une pomme.

Afin de préparer au mieux leur voyage, ils s’arrêtèrent dans l’unique boutique de Kabenzi et achetèrent des vêtements, des chaussures de marche, des gourdes et des vivres ainsi que des sacs-à-dos. Leur fuite improvisée de la Cité Fleurie ne leur avait pas laissé le temps d’emporter le nécessaire pour leur voyage.  

Lorsqu’ils sortirent, le soleil était haut dans le ciel, étouffant l’atmosphère avec ses rayons brûlants.  

— La serveuse m’a dit qu’il y avait un bureau de poste, on doit pouvoir obtenir des informations, reprit Mo Mi. Avant de débarquer à Balandjar, nous devons nous renseigner sur l’état politique actuel.  

— Ce ne serait pas cette petite cabane, là ? fit Cheng en pointant de son bras métallique une bicoque sombre.

May Gocy, Mo Mi et Cheng se dirigèrent ensemble vers ce bureau de poste. Plus ils se rapprochaient, plus ils leur semblaient que l’établissement devenait petit et miteux. 

Cheng poussa la porte et tous trois pénétrèrent dans un minuscule espace, où un homme trapu se tenait derrière un comptoir disparaissant sous des piles de journaux et de lettres. La chaleur régnait en maître dans cet enclos à peine plus vaste qu’un cabinet. Derrière le comptoir, un poste radio en bois crachotait des informations entrecoupées par des échos.

— Que puis-je pour vous mesdames et monsieur ?

— Je voudrais acheter des enveloppes et de quoi écrire, fit Mo Mi avec un rire faux.

— Tout de suite, madame.

Le postier disparu dans la réserve en un éclair. Pendant ce temps, Cheng tira sur la manche de sa sœur et la tresse de Mo Mi pour attirer leur attention.

— Regardez, fit-il d’une voix blanche.

Collée au dos de la porte d’entrée, l’affiche exhibait en lettres rouge sang : « LES SERVITEURS DE L’AUBE ONT BESOIN DE VOUS. REJOIGNEZ NOS RANGS POUR UN MONDE MEILLEUR. » 

— Cette affiche est d’une laideur ! s’offusqua May Gocy en portant une main à son cœur. 

— Y a même une adresse pour les rejoindre, remarqua Cheng. 

— Êtes-vous là pour combattre à leur côté ?

Tous les trois sursautèrent. Le postier les observait dans l’encadrement de la porte, un sourire aux lèvres. 

— Nous ne sommes que de passage, déclara Mo Mi. Nous allons aussi vous prendre un journal. 

Tandis que Mo Mi payait et récupérait ses achats, May Gocy posa la question qui lui brûlait les lèvres.

— Vous les soutenez ? murmura May Gocy.

Le postier se retourna, une lueur brillant dans les yeux.

— Tout le village les acclame ! Vous devriez les voir le jour de la fête des Serviteurs de l’Aube, nous trinquons en leur honneur et nous encourageons nos enfants à les rejoindre. 

— Mais pourquoi ? s’écria May Gocy. Ils ont tué des innocents et répandu la guerre à travers tout le continent ! 

Un sourire triste orna le visage ridé du postier.  

— Ils nous ont sauvé quand personne ne nous regardait. Le village commençait à dépérir et nous avons demandé de l’aide auprès de l’émir Odan. Mais à ses yeux, nous n’étions que des paysans sans aucune importance. Heureusement, un des Serviteurs de l’Aube nous a entendu et ils sont tous venus nous aider, sans réclamer la moindre chose en échange. C’était il y a six ans. 

Ne sachant quoi répondre, May Gocy se mura dans le silence. Cheng la tira vers la sortie et tous trois quittèrent le minuscule bureau de poste. Ils se posèrent dans un petit jardin en hauteur, dissimulé par des buissons d’aubépines. Cheng s’allongea sur l’herbe, laissant Zaza se promener et chasser des insectes sous l’œil dégoûté de May Gocy. Assise en tailleur, Mo Mi feuilleta en quelques secondes le journal avant de le refermer d’un claquement.

— Formidable. En plus d’être recherchés par les Serviteurs de l’Aube, la République de Salao réclame nos têtes et donnera une prime à ceux qui parviendront à nous capturer vivant. Oh, et nous faisons l’objet d’un mandat d’arrêt international. 

Dans un même mouvement, May Gocy et Cheng lui arrachèrent le journal des mains, le parcourant des yeux en quelques secondes. 

— Pire, le shaman royal a démissionné du CSI, continua Cheng en trouant la page avec ses doigts métalliques. Ma main à couper que Salao y est pour quelque chose.  

— Il te manque déjà un bras, ricana sournoisement Mo Mi. 

Cheng, scandalisé, lui asséna un coup de journal sur la tête tandis que la jeune épéiste éclatait de rire. Seule May Gocy semblait perdue dans ses pensées, recroquevillée sur elle-même.

— Êtes-vous sûrs que nous serons en sécurité à Balandjar ? murmura la princesse en jouant avec une mèche de ses cheveux. Nous venons de perdre le shaman royal, notre dernier allié… Nous n’avons nulle part où aller.

Sa voix peinée attira Cheng qui devint aussitôt sérieux. 

— May, où que nous allions, nous aurons toujours des alliés sur qui compter. 

— Et des ennemis à combattre, rappela-t-elle avec froideur.  

Elle enfouit sa tête dans ses bras telle une enfant punie, ses cheveux tombant en rideau sur ses jambes et son dos. Maladroitement, Mo Mi s’approcha de sa cousine. Elle tendit la main avant de se rétracter, mais sous les yeux encourageants de Cheng, Mo Mi se décida à poser délicatement sa main sur la chevelure soyeuse de May Gocy. 

— Je ne sais pas si cela peut te rassurer, mais les Zaj ont toujours eu du bol pour s’en sortir. Regarde ton frère : il a tenu tête au terrible Sagi, l’un des meilleurs Serviteurs de l’Aube. Pourtant, rien ne prédestinait Cheng à survivre face à la plus fine lame du continent. 

May Gocy se redressa et observa les doigts de Mo Mi qui étaient toujours sur sa chevelure. Quand Mo Mi suivit son regard, elle s’arrêta immédiatement et détourna le regard, gênée.

— Bon, j’imagine que nous n’avons pas le choix, déclara May Gocy. Allons à Balandjar comme prévu. 

— Entendu. Et maintenant, rentrons à l’auberge pour ranger nos achats, conseilla Cheng. 

Tous les trois se levèrent et s’apprêtèrent à partir quand des cris retentirent. Ils se figèrent, redoutant le pire. 

— C’était la voix de Pa Di ! blêmit Mo Mi.

Elle voulut porter la main à son épée, mais elle se rappela l’avoir laissée dans la chambre. Avec un juron, la jeune fille courut à travers les jardins, cherchant partout la silhouette frêle de Pa Di. Elle courut avec agilité sur les escaliers en pierres et traversa des serres en quelques secondes, fendant l’air comme un aigle. 

Se jetant dans un rideau de lierre, elle ressortit de l’autre côté pour trouver Pa Di et Fen baigner dans une fontaine, se disputant sans se rendre compte de la présence de Mo Mi.

— C’est ta faute ! Regarde mon carnet maintenant ! Il est fichu !

— Ma faute ? Mais c’est de la tienne pardi ! Tu n’avais qu’à pas me coller autant, rétorqua Fen en retirant le nénuphar collé au bout de sa tête. 

Pa Di voulut répondre mais elle se ravisa en découvrant Mo Mi, pliée de rire. 

— Ce n’est pas drôle.

Cheng et May Gocy apparurent, traînant derrière eux leurs courses, rouges et haletants. Ils se figèrent dès qu’ils aperçurent Pa Di et Fen s’extirper de la fontaine, les vêtements mouillés et les cheveux gouttant. 

— Mais… Pa Di ? Tu n’étais pas censée te reposer dans la chambre ? s’interrogea May Gocy en lâchant le sac qu’elle tenait dans ses mains. 

— Je voulais visiter les jardins avant que l’on ne parte. Mais comme tu peux le voir, il y a eu un imprévu…

— Ne t’en fais pas, avec cette chaleur nous serons sèches en un rien de temps, répondit Fen qui se délectait de la situation. D’ailleurs, quand partons-nous ? Il faudra que je me prépare pour cette traversée du désert.

— Dans trois jours, décida Cheng.  

Avec un soupir, Pa Di ramassa son carnet flottant à la surface de la fontaine. Il commençait à se transformer en une bouillie de fibres blanchâtre. Ce carnet était un cadeau de ses parents qui le lui avaient offert pour ses dix ans. À cette occasion, l’Arlequin y avait apposé sa signature ainsi qu’une petite esquisse. Pa Di avait cru sentir des ailes pousser dans son dos tant elle était heureuse et excitée. Ce n’était pas tous les jours que le roi acceptait qu’un étranger entre dans la Cité Fleurie.     

Désormais, ce carnet ne lui serait plus d’aucune utilité.   

Le cœur déchirant, Pa Di le ramena jusqu’à l’auberge avant de le jeter au feu. 


 

*


 

— Ce n’est qu’un carnet, il y en a pleins à Balandjar, fit May Gocy en portant une tasse à ses lèvres. 

Toute morose, Pa Di avala avec dépit sa salade. Depuis qu’elle avait perdu son carnet hier à cause de Fen, son cœur était brisé en mille petits éclats tranchants. Ce petit objet lui était plus précieux que ses pinceaux. Elle y avait couché son âme et son talent dedans. Le perdre de manière si stupide lui déchirait la conscience. 

— Je t’en offrirai un dès que nous serons à Balandjar, promit Mo Mi avec douceur. 

— Mais mon carnet était unique, souffla Pa Di entre ses dents. 

Pourquoi s’inquiétait-elle autant pour quelques pages en papier ? Après tout, des choses bien plus graves lui étaient arrivées. Dans ce contexte grave, les futilités lui tenaient tant à cœur que Pa Di se sentit ridicule. Elle ne pouvait pas se permettre de se morfondre pour un objet alors que sa vie était en constant danger. 

Mo Mi et May Gocy sortirent de table pour discuter, laissant Pa Di en tête à tête avec Cheng. Ce dernier, échappant à la vigilance de sa sœur, avait sorti discrètement Zaza de sa poche et lui tendait des morceaux de viande en espérant que sa « fille » soit rassasiée. 

— Pa Di ? 

— Qu’y a-t-il ? 

Cheng se tripota les doigts dans un crissement métallique avant de la regarder droit dans les yeux. 

— Tu penses que je suis faible ?

Pa Di reposa sa fourchette et considéra son cousin d’un air intrigué.

— Non, évidemment, non. Tu as été à l’armée, tu as combattu les Serviteurs de l’Aube, tu nous as sauvé à la gare, tu as affronté les Zonkir et tu ne t’es pas plaint une seule fois dans le désert, fit la petite princesse en comptant sur ses doigts le nombre de fois où Cheng avait été courageux. Regarde, ça fait déjà pas mal de fois où tu as été très fort.

Les sourcils froncés, Cheng prit une feuille de salade de son assiette et l’émietta comme il aurait retiré les pétales d’une rose. 

— Mais tu ne trouves pas que les choses auraient été différentes si… si par exemple j’avais réussi à faire quelque chose avant qu’on ne s’enfuit de la Cité Fleurie ? On n’en serait pas arrivé là si j’avais été plus fort. Salao aurait pu être jeté en prison. Et les choses auraient été mieux pour nous. 

Sa voix devint inaudible.  

— Ce ne sont que des hypothèses. Je préfère ne pas y penser. 

Se perdre dans des conjectures ne leur apporterait rien, si ce n’était du regret. Et ce n’était pas avec des regrets qu’ils allaient survivre. Il leur fallait de la détermination et de la rage pour avancer. Pa Di se pencha pour avaler sa salade, quand quelque chose attira son regard. Des cicatrices rouges avec des croûtes sombres formaient des sillons sur le bras gauche de Cheng. Elle lâcha sa fourchette et se pencha en avant pour mieux voir. 

— C’est quoi, ça ?

Cheng suivit son regard et tira sur sa manche. 

— Ne t’en fais pas, ce sont des traces de mon combat avec les Zonkir.  

Avec un hochement de tête, Pa Di planta sa fourchette sur une feuille de salade quand un carnet atterrit dans son assiette. 

— C’est le seul que j’aie pu trouver pour l’instant.

Fen avait poussé Cheng sans se soucier de son air indigné pour s'asseoir face à Pa Di. Les coudes sur la table et les genoux sur le banc, elle s’agitait comme une enfant surexcitée. Mais Pa Di, qui n’avait pas envie de revoir Fen, crispa ses doigts autour de la fourchette.

— Je connais un autre endroit encore plus merveilleux qu’hier, poursuivit Fen. Je pourrais t’y emmener, juste toi et moi. 

— Je ne sais pas, fit Pa Di en nettoyant le carnet avec sa serviette. On devrait plutôt se préparer pour le voyage.

— Nos affaires sont déjà prêtes, fit Cheng alors que Zaza escaladait son bras métallique. Tu peux y aller avec Fen et nous laisser nous débrouiller tranquillement.  

Pa Di baissa les yeux. Au fond, elle ne voulait plus revoir cette femme et désirait être à des milliers de kilomètres d’elle. Mais elle allait devoir voyager avec Fen pendant un bon moment et si elle voulait partir sur de bonnes bases, Pa Di devait mettre de côté sa rancœur. 

Son corps formant un pont suspendu au-dessus de la table, Fen se rapprocha d’elle si soudainement que Pa Di recula, surprise de voir les yeux de son interlocutrice presque collés à ses lunettes. 

— Je m’excuse pour hier, je ne voulais pas te blesser. J’ai agi comme une idiote puérile sans manière ni distinction. Tu sais, tes dessins sont magnifiques et pour me faire pardonner, je voudrais te montrer le plus bel endroit au monde et on flânera ensemble dans les jardins, comme deux vieilles copines. 

Copines ? Pa Di n’avait jamais eu de copines. May Gocy et Mo Mi ne comptaient pas puisqu’elles faisaient partie de sa famille. Pa Di avait longtemps cru qu’il lui serait impossible de nouer des amitiés sincères grâce à son statut de princesse. L’une de ses plus grandes craintes était de n’attirer que des opportunistes en quête de faveurs mais là, sous une autre identité et dans un contexte différent, il lui était possible de créer de véritables relations amicales ne reposant pas sur l’avarice ni l’égoïsme. 

S’il y avait une chose que ce voyage en dehors de la Cité Fleurie pouvait lui apporter, ce serait d’apprendre à interagir avec autrui. Ce ne pouvait être qu’une autre opportunité à saisir après avoir vécu toute sa vie entre les murailles de la cité royale. 

La jeune princesse détendit sa prise sur la fourchette et redressa le pont de ses lunettes sur son nez. Une étincelle clignotait dans ses prunelles. 

— Avec plaisir. 


 

*


 

Cette fois-ci, elles marchèrent plus longtemps et prirent de la hauteur. Fen lui avait assurée que la vue en vaudrait le coup, quand bien même le chemin deviendrait capricieux. Elles s’étaient tant éloignées que l’auberge n’était qu’un petit point minuscule derrière elles tandis que les jardins avaient l’air d’être moins bien entretenus. Les habitants se faisaient plus rares et certains regardaient Fen et Pa Di avec étonnement. Les escaliers en pierres traversant les jardins, si peu utilisés, étaient recouverts de terre poussiéreuse qui s’accrochait à leurs vêtements. 

— On est bientôt arrivés ? haleta la princesse en prenant appui sur ses genoux, son carnet sous l’aisselle.

Fen ne se tourna pas pour lui répondre, repoussant de la main une branche qui barrait son passage. Sa chaîne cliquetait contre ses hanches, tintant dans les oreilles de Pa Di. 

— Oui, oui, bientôt.

— Nous sommes vraiment loin, on devrait peut-être faire demi-tour…

— Puisque je te dis que nous sommes bientôt arrivées.

Pa Di reconnut de l’agacement de sa voix et préféra ne plus poser de questions. Mais quelque chose lui semblait suspect. 

Elles se dirigeaient vers le nord, droit vers le désert qui menait au royaume San Miao. 

— J’ai un peu mal aux pieds alors je préfère économiser mes forces et rentrer…

— Il est trop tard.

Pa Di arrêta de marcher. Les battements de son cœur s’accélèrent tandis que la chaîne de Fen était immobile, le soleil se reflétant dessus. Un papillon blanc voltigea autour de Fen ; celle-ci le laissa se poser sur son doigt tendu tel un oiseau sur son perchoir.  

— Tu sais, j’ai vraiment besoin d’argent. 

— Je ne suis pas sûre de comprendre, murmura Pa Di. 

Le papillon voulut s’envoler mais Fen le retint par le bout des ailes. 

— Dis-moi, quel est le nom de la cérémonie que vous pratiquez chaque matin avant de manger en Telkéyi ?

Pa Di se figea.

— Le tanaï, répondit-elle après un court silence. Nous buvons du thé noir avant chaque petit déjeuner. 

Fen tourna la tête à demi, un sourire déformant son visage en un millier de plis effrayant. 

— Mauvaise réponse. 

— Les cérémonies sont différentes selon les régions, affirma Pa Di en tâchant de garder son assurance. Et puis notre famille est pauvre alors nous ne pouvions boire autre chose que du thé noire…

— Le thé noir est beaucoup trop cher pour des paysans. En général, les pauvres se contentent d’eau chaude et de feuilles de menthe.

Pa Di se mordit la joue pour s’empêcher de dire d’autres bêtises. Les joues brûlantes, elle regarda Fen écraser le papillon blanc entre ses doigts. Elle vit les ailes blanches être réduites en bouillie tandis que des morceaux de l’insecte tombaient au sol en une pluie noire. 

— Tu mens vraiment très mal, mais j’aime ce petit côté naïf. Il sied si bien avec ton visage de poupée innocente. Mais ça ne marche pas avec moi, princesse Pa Di. 

La seconde d’après, la chaîne de Fen enserrait sa gorge, l’empêchant de respirer. Le métal dur et froid broyait son cou dans une poigne violente. Des larmes de douleur glissèrent sur ses joues tandis que Pa Di laissait tomber son carnet au sol en même temps que ses genoux.  

— Cesse de te débattre. Plus tu bougeras, plus ma chaîne resserra son étau.   

À quatre pattes sur le sol, Pa Di essaya de se calmer pour trouver une solution. 

Ses griffes ! Seraient-elles suffisamment tranchantes pour briser ce métal magique ? Alors que des écailles recouvraient ses poignets, Fen la plaqua violemment au sol. D’une main de fer, elle retourna Pa Di afin de lui faire face. 

— Inutile de te transformer en dragon… De toute façon, tes griffes ne valent pas mieux que celles d’un chaton. 

La rage au cœur, Pa Di contempla Fen qui était tranquillement assise à cheval sur elle, pesant de tout son poids et comprimant ses bras et ses jambes. Des larmes amères gouttèrent au sol pendant que la chaîne pénétrait sa peau.  

— Tu es étonnée que j’aie découvert ton identité ? Ma foi, ce n’était pas bien compliqué, se vanta Fen en rejetant ses cheveux en arrière. Je n’avais jamais vu de paysans sachant lire et écrire, encore moins des paysans qui possèdent du matériel de qualité pour dessiner. La signature de l’Arlequin dans ton carnet a confirmé mes doutes… Tu es bel et bien la princesse Pa Di qui a fui avec ses deux cousines et le roi déchu. Les indices étaient juste sous mon nez, je n’ai fait qu’enfoncer une porte déjà ouverte. 

Sous le choc, Pa Di ne su quoi faire à part pleurer. Fen les avait démasqués par sa faute ! Maintenant, sa famille allait se retrouver dans les grilles de Salao ou des Serviteurs de l’Aube. Tout ceci à cause de ce misérable petit carnet… 

— Économise tes larmes, ma cocotte. Nous avons un long chemin à parcourir avant d’atteindre la République. Je ne te cache pas que le voyage sera long et éprouv…

— Espèce de sale menteuse !

Fen écarquilla ses yeux. 

Le cou de Pa Di était recouvert d’écailles vertes et la chaîne pendait sur son cou, aussi inutile qu’un collier en paille.

Maintenant capable de parler, Pa Di utilisait pleinement sa voix comme si elle se servait d’elle pour la première fois. Toussotante et haletante, elle soutint le regard de Fen. Sa vue n’était pas très nette puisque ses verres avaient été salies par les larmes et la terre. Le visage de Fen n’était qu’une tache floue et sombre, où deux flammes incrustées brillaient de jubilation.   

— Tu n’es qu’une opportuniste et une manipulatrice… Attends de voir Mo Mi et…

— Inutile. Ils ne viendront pas. 

Fen jeta un coup d'œil à sa montre puis releva la tête, un sourire de chat aux lèvres. 

— À cette heure-ci, ils sont déjà en train de croupir derrière les barreaux.

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