Chapitre 2 - Vieux pépé

Lorsque je reprends conscience de moi-même, je me sens tout drôle, très… je ne sais pas trop comment dire ? Pas très bien et plutôt mal à l’aise.

J’essaye de faire le point sur mon état : je suis au fond de l’eau, je nage lentement, j’ai les yeux ouverts et la bouche entrouverte. Je ne me sens absolument pas « grand prédateur des mers et des océans ». Loin de là. Je me sens seul. Vraiment très seul.

J’essaye de ne pas paniquer pour ne pas influencer mon requin, mais intérieurement, ça ne va pas. Que se passe-t-il ?  Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Je ne suis pas dans un grand requin blanc ou quoi ? C’est comme si j’étais bien dans un requin, mais un requin en peluche, enfin, pas féroce quoi je veux dire.

Oh là là ! Oh là là ! Et si tonton s’était trompé et qu’un simple dessin ne marchait pas pour utiliser les casques magiques ?

Mes yeux ne m’aident pas beaucoup, je ne vois pas très bien et il n’y a pas un chat aux alentours. Enfin, pas un poisson. Mais en plus… il n’avance pas mon hôte[1] ou quoi ? Il nage, mais sans avancer ? C’est quoi cette embrouille ?

Est-ce que j’ai atterri dans un requin vieux pépé qui ne sait même plus nager correctement ? Si c’est vraiment ça, j’aurais dû choisir un requin du Groenland ! Je sais bien que les requins sont plus anciens que les dinosaures, mais tout de même, il me semble qu’il y a quelque chose qui cloche sérieusement avec le mien.

— Solène ? T’es là ?

J’ai peur, mais au moins, je ne pense pas que ma voix télépathique ait tremblé.

— Hélios ? Chouette ! On peut quand même communiquer par télépathie !

La vague de soulagement qui m’envahit me ferait presque pleurer si j’étais un humain. Ah ah. N’empêche, je suis content d’avoir entendu la voix de Solène. Mais pourquoi elle a dit « quand même » ?

— Solène, t’es où ? Tu sais, il a l’air amorphe mon grand requin, j’ai l’impression d’être dans une carcasse vide, je n’aime pas ça du tout. Brrr… ça me rassure de savoir que tu n’es pas loin.

Le silence dure juste assez longtemps pour me faire à nouveau peur.

— Alors ça, je ne sais pas si tu es dans les parages ou pas, mais en tous les cas je ne te vois pas. Et puis… il y a peu de chances qu’on soit au même endroit.

— … c’est vrai que les grands requins blancs sont généralement solitaires, j’avais oublié.

— Et en plus je ne suis pas un grand requin blanc.

Le ton naturel avec lequel Solène m’annonce cette nouvelle me laisse bouche bée (oui bon, d’accord, il avait déjà la bouche ouverte mon requin) avant que je ne réagisse.

— HEIN ?! Qu’est-ce que tu as fait encore Solène ! Tu as pensé à autre chose ? J’espère que tu n’es pas un petit poisson ou un phoque, je ne veux pas te manger moi !

— Ah ah ! Pas trop de risques, je suis un requin-baleine, je suis plus gros que toi !

Alors que j’essaye de me souvenir si les grands requins blancs attaquent parfois les requins-baleines, je repense subitement aux taches que Solène a dessinées sur son requin avant que l’on utilise le casque magique. Mais ? Non !? Elle a choisi d’aller dans un requin-baleine délibérément[2] ? Je suis brusquement très en colère.

— Mais pourquoi tu as fait ça ? C’est nul ! Pour une fois qu’on pouvait être de grands prédateurs !

Et en plus, tu ne vas pas pouvoir m’expliquer si tu ressens la même solitude que moi, je pense tristement (heureusement que Solène ne peut entendre que les paroles que je projette et pas les autres).

— Justement, me répond-elle, moi ça ne me plaisait pas d’être un grand prédateur.

— Mouais, tu ne disais pas la même chose la dernière fois. Et puis quand même, les requins-baleines, ils mangent du plancton, c’est vraiment trop nul, je grommelle, mécontent.

— Et alors ? J’ai le droit de changer d’avis non ? Et puis je m’en fiche, je n’avais pas envie de manger de phoques, un point c’est tout.

Je ne vois pas pourquoi, on a bien mangé des vers de terres, alors des phoques, ce n’est pas si terrible en comparaison ?

— Dis Solène, pourquoi est-ce que je me sens si seul ?

Ah zut, c’est sorti tout seul alors que je ne voulais pas lui en parler.

 

*** Informations documentaires ***

Aussi surprenant que celui puisse paraître, il est exact que les requins sont plus vieux que les dinosaures ! En tant qu’espèce bien sûr, pas en tant qu’individus (un grand requin blanc peut vivre entre 30 et 70 ans). Les requins existaient il y a 420 millions d’années alors que les dinosaures sont apparus il y a « seulement » 240 millions d’années. Et ont disparu depuis, alors que les requins, eux, sont toujours là !

En plus, il y a plein de preuves de cette existence antérieure, vu que les requins ont cinq à sept rangées de dents (chaque rangée à une centaine de dents) qui se renouvellent régulièrement tout au long de leur vie. Dès qu’une est cassée, une autre prend sa place. Ce qui signifie qu’ils en perdent des milliers, voire parfois des dizaines de milliers au cours de leur vie !

Du coup, trouver une dent de requin qui date de millions d’années, ce n’est pas si rare. D’autant que leurs dents sont la partie la plus solide de leur corps, vu que les requins sont formés de cartilage.

 

Hélios parle du requin du Groenland, car celui-ci est connu pour vivre vraiment très longtemps, jusqu’à 400 ans et peut-être même plus longtemps.

Cela est dû à son évolution et rythme de vie ralenti par les eaux très froides dans lesquelles il vit car c'est un requin à sang froid (contrairement au grand requin blanc qui est à sang chaud).

 

Le requin-baleine est entièrement tacheté, c’est comme s’il y avait des reflets d’eau sur lui, c’est très beau et un bon camouflage.

Et c’est en effet l’un des rares requins à se nourrir de plancton et d’animaux microscopiques. Pas du tout le genre de requin qui ira manger un phoque ! Ils ne peuvent pas mordre, car leurs dents sont toutes petites, de seulement six à huit millimètres (en comparaison, les dents des grands requins blancs font jusqu’à 7 centimètres).

 

 

[1] Hôte = Personne qui reçoit quelqu’un. Donc ici, l’animal dans lequel se trouve Hélios.

[2] Délibérément = Volontairement. Solène a fait exprès d’aller dans un requin-baleine.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez