Chapitre 2 - Quotidien interrompu

Par Siocbo

Brrrrroooom

Les tremblements agitaient les quelques lustres qui illuminaient la salle de pierre. La douce lueur magique caressait les plans disposés en pagaille sur la table qui trônait au centre de la pièce. Autour de celle-ci, quatre chaises et un trône. Sur chacun des sièges se trouvait un personnage semblant rivaliser avec son voisin pour le trophée du plus sinistre.

Le monstre de muscles pourpre écoutait le rapport toujours trop similaire au précédent avec évasion. Ses yeux cristallins vissés sur ses officiers donnaient l’illusion de l’attention.

La folie des humains lui manqua un soupir. Voilà plusieurs décennies qu’une guerre se jouait aux lisières de leur territoire. La raison ? Les humains, ces simplets aveuglés par l’avarice, s’étaient enfin aperçus du phénomène de mana qui grandissait de l’autre côté du monde.

Depuis l’aube des temps, les deux formes de vie évoluées sur cette planète que l’on peut ranger dans deux camps, les humains et les démons, se font des mesquineries et prient en tout ce qu’ils croient pour l'annihilation de l’autre. Selon les époques, tel ou tel camp possédait plus ou moins des terres du monde.

Depuis plusieurs millénaires, s’il devait en croire les écrits qu’il avait lu, ses ancêtres avaient conquis le continent nord tandis que les humains régnaient sur le continent sud. Le continent nord était cependant bien moins confortable que celui des humains. Sa superficie lui était au moins deux fois inférieur, une chance que les démons étaient bien moins nombreux que tous les insectes qui composaient la race humaine. Une véritable fourmilière, si on lui demandait son avis.

Mais malgré leur infériorité numérique, le continent leur paraissait petit. Et ce, parce qu’ils le partageaient avec une absurdité de la nature. Toute forme de vie la fuyait. La faune, la flore, eux-mêmes. À vrai dire, il y avait peu d’écrits crédibles concernant ce qu’était réellement cette absurdité, ni même à quoi elle ressemblait. Tout ce qui était certain, que ce soit dans les écrits ou de sa propre expérience, c’est qu’une source gigantesque de mana provenait de cette zone. N’importe qui s’en approcherait trop sera intoxiqué par le mana ambient et mourra une fin trop terrible pour l’évoquer.

C’était particulièrement vrai pour eux, démons, des êtres presque entièrement composés de mana. Là où les humains sont des êtres de chair dont le mana fait parfois grâce de sa présence.

Si bien que seuls les gobelins, dont la main avait quelque peu été forcée, il devait l’admettre, osaient vivre aussi proche de ce qui était communément appelé le “point zéro”.

Mais dans les années récentes, cette aberration de la nature se mit à croître si brusquement que même les humains, de l’autre côté du globe, avaient ressenti sa présence. Et les humains sont naturellement vicieux. La majorité des races qui composaient leurs rangs ont une courte et misérable vie. Il a été suggéré de nombreuses fois par des penseurs que leur vice venait de là.

Leur insatiable avidité s’était ainsi déposée sur cette source catastrophique de mana. Même après plusieurs années passées en guerre, il était difficile de savoir si c’était l’envie ou la peur qui les motivaient cette fois-ci.

Pas une seule fois depuis le début des hostilités n’avait-il souhaité libérer le passage pour les humains. Les laisser s’aventurer d’eux-même vers leur fin aurait été un spectacle fort intéressant. Mais lui, Elmunneth, chef des armées démoniaques, ne pouvait se permettre de laisser des êtres aussi fourbes et pervers que les humains pénétrer la terre de ses frères, de ses sœurs et de ses ancêtres en toute impunité.

Si seulement il pouvait échanger les continents des deux races sans effusion de sang, ce serait pour le mieux.

 - ...Et pour finir mon rapport, il nous a été signalé que…

Le visage de son général devint blême, le sortant de ses réminiscences quasi-quotidiennes. Alors que tous les regards s’étaient tournés vers lui, il semblait plein de confusion. Malgré le caractère martial de la discussion qui se tenait, les dizaines d’années à tenir ce genre de réunions avaient terni l’urgence qui était censée l’accompagner. C’est pourquoi personne autour de la table ne pressa le général, patientant calmement qu’il poursuive son rapport.

 - C’est vrai… P-pour finir mon rapport ! Il nous a été signalé que la source de mana, nommée dans les légendes “point zéro”, avait cessé d'émettre du mana.

 Le teint de tous les membres de l’assemblée avait pâli de trois tons. Ils prirent un instant pour se concentrer sur le mana ambiant, prenant alors conscience que la source de mana des légendes, et d’ailleurs la raison pour laquelle ils étaient en guerre, avait disparu.

Comme le bruit statique qui vous bourdonne suffisamment longtemps dans les oreilles finit par s’estomper à votre conscience, son absence en devient plus tonitruante. Une profonde instabilité prit place dans le cœur de tous les membres de la pièce.

Des bruits de pas déchaînés dévalèrent le couloir en dehors de la pièce avant qu’un démon franchement maigrichon se permit d’ouvrir la porte de sa propre initiative. Les démons n’étaient pas aussi branchés sur l’étiquette que les humains, mais ils avaient un protocole tout de même ! Alors même que les sourcils d’Elmunneth se rejoignaient en un froncement, le messager s’exclama, le souffle coupé par sa course.

 - Seigneur, les humains s’en vont ! Ils ont sonné la retraite !

Le temps s’arrêta. Dans cette accalmie, le doute naquit dans le cœur du chef des armées. Pourquoi ces vicelards battent-ils en retraite maintenant ?! Les deux événements sont trop soudains pour ne pas être liés !

La tumulte le gagna mais ses nombreuses années de vie avoisinant la deuxième centaine lui permirent de réagir sans sombrer dans la panique. Se soulevant de son siège, l’air grave, il ordonna à trois de ses généraux de surveiller les côtes et le départ des humains pour s’assurer que ce ne soit pas un piège. Quant au dernier, celui qui l’avait informé de la disparition du “point zéro”, il lui ordonna de préparer une équipe d’expédition exceptionnelle afin d’aller investiguer le phénomène millénaire.

 - J’en prendrais la tête.

Ces quelques mots glacèrent le sang des cinq démons présents.

 

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