Chapitre 2 - Le feu de l'histoire

Au fur et à mesure qu'Ellune dévalait la grande colline, de nombreux oiseaux, chevaux, rongeurs vinrent l'accompagner. Ce n'étaient pas n'importe lesquels, ils flamboyaient de mille feux dans la nuit noire. Leur vue vint lui arracher un sourire espiègle. Sa mère n'avait décidément pas fait les choses à moitié : elle avait engagé ses voisins Âmes pour donner vie à des oiseaux luminescents. Cela promettait d'être une grande fête. La musique qu'elle entendait au loin combinait plusieurs instruments : tambours, flûtes, haut-bois, violoncelles... malgré cette cacophonie organique, le son qui en ressortait était mélodieux. « Des Psychés » pensa-t-elle directement, cette famille accueillait des êtres aux capacités de discernement surnaturelles, de nature très apathique, ils étaient pourtant très passionnés et extrêmement sensibles à la musique et pouvaient être de grands virtuoses.

Ellune vit au loin deux silhouettes courant droit vers elle. Elle découvrit sa mère et une de ses amies, Ann, hors d'haleine.

- Les arbres ont soufflé à ton père que tu étais sur le chemin, et aussi parce qu'on te voit à des kilomètres à la ronde avec toutes ces paillettes ! Nous ne pouvions pas te laisser comme ça pour ton entrée au village ! haleta Griselda.

- Ce ne sont pas des paillettes, d'abord ! bouda sa fille, il ne fallait surtout pas la vexer, elle avait tant attendu ses pouvoirs qu'elle ne voulait pas qu'on les diminue.

- Oui ça ne l'est pas, arrête de prendre la mouche comme un lapin matinal ! souffla sa mère en levant les yeux au ciel.

- Mais tu es toi-même une lapine ! lui répondit-elle avec de grands yeux ronds, effarée par la mauvaise foi de sa mère. Pour parler de sa susceptibilité, il fallait d'abord qu'elle se regarde dans un miroir.

- Sinon, moi, je t'ai concocté quelque chose de grandiose ! Ne t'en fais pas, c'est assez chaud pour cette nuit d'hiver, rajouta l'amie de sa mère essayant de faire distraction.

De ses doigts frétillants, une fine lumière lavande jaillit soudain. Ses yeux se revêtirent d'un violet plus intense, voilant complètement sa pupille et son iris habituels. Un filet de lumière vaporeux s'enroula doucement autour d'Ellune. Elle s'illumina encore plus que ce qu'elle était déjà « comme si ce n'était pas assez, je vais surpasser le soleil si ça continue » rit-elle intérieurement. Ann faisait partie du clan des Âmes, son pouvoir spécial était celui d'Engendreuse. Elle travaillait comme réparatrice au village. Elle menait toutes sortes de créations utiles : elle soignait les cauchemars des gens, elle créait des pierres capables de protéger leurs propriétaires, cela se rapprochait de litothérapeute mais d'une manière différente que l'Animiste auquel son père avait acheté les Grains Constellés. Elle réparait les objets inanimés en tout genre en les remplaçant. Ses créations sortaient de son esprit et se matérialiseaient dans la réalité. 

Quand la lumière violette disparut, Ellune put admirer le résultat grâce au miroir qu'Ann venait de matérialiser devant elles. C'était toute une œuvre d'art. Ses cheveux qui luisaient, mais habituellement d'un châtain clair, était parsemés de petites violettes, ses fleurs préférées. Ann lui avait créé une robe blanche qui lui descendait jusqu'aux genoux. Le blanc symbolisant la naissance. Ellune était comme née aujourd'hui, elle existait enfin aux yeux de la société. Sa fine nuque était affublée d'un col roulé en dentelle qui laissait une légère transparence. Ann avait utilisé cette même dentelle, sur le tissu opaque et nacré de la robe, qui descendait jusqu'à la petite poitrine naissante de la jeune fille, puis jusqu'à son nombril, mais également sur les manches longues de la robe qui laissait apercevoir les différents grains de beauté de ses bras. La touche finale était une magnifique cape, Ann lui en avait confectionné une bleu nuit recouverte d'étoiles, de constellations et d'étoiles filantes animées.

- Te voilà parfaite maintenant ! Et je suis un véritable génie.

- Merci Ann, elle est vraiment magnifique. Sûrement plus que ça, la remercia chaleureusement Ellune.

- Qu'attendons-nous ? Nous sommes déjà en retard ! Qu'est-ce que tu faisais toute la journée sur la colline d'ailleurs ? s'impatienta sa mère, qui adorait les fêtes.

Ellune les dépassa, en se retournant vers les deux femmes, elle montra un sourire qui découvrit toutes ses dents. Ses yeux noisette étaient éclairés d'une nouvelle lueur : l'aventure. Elle n'avait jamais été aussi heureuse, ce soir était à elle seule.

- Tu ne le sauras pas ! nargua-t-elle sa mère en tirant la langue. Sa mère pouvait se montrer parfois très intrusive dans les affaires de sa fille, non en fait dans celles de toute sa famille, réflexion faite.

Lors de leur descente, le scintillement d'Ellune s'arrêta. Les dix heures de luminescence étaient arrivées à leur fin. À la place, au milieu de son front, s'était formé comme une perle qui étincelait d'un blanc bleuté pur, comme une pierre de lune. 

La goutte fit son apparition. 

L'arrêt brutal du scintillement lui permit d'observer les collants qui lui ornaient les jambes (et le mot orner n'était qu'un euphémisme), ils étaient recouverts de minuscules et délicats flocons de neige qui chatoyaient.

- Ah enfin, ce n'est pas trop tôt ! Tu commençais à nous piquer les yeux ! ironisa sa mère.

C'est dans un esprit léger et un étouffement de fou rire qu'elles arrivèrent toutes les trois au village. 

Ses parents en avaient beaucoup trop fait. Mais elle devina aisément qu'ils ne leur avaient fallu pas grand chose pour entraîner et motiver leurs voisins, toujours prêt à festoyer. Le village avait été décoré de centaines de lampions qui diffusaient une lumière blanche tamisée par la nuit épaisse de l'hiver. 

Dépassant à peine la lisière de la forêt bordant le bourg, Ellune fut acclamée et applaudie par ces visages familiers. Des petites larmes de joie et de fierté se coincèrent au coin de ses yeux. Elle aussi avait eu droit à sa fête. Une file se forma devant elle, ses voisins et amis venaient tous pour lui embrasser la perle qu'elle avait au front. Signe de chance. 

Après d'interminables baisers, Ellune put rejoindre Lalwendï, un an de moins qu'elle, et une amie proche. Elle avait eu ses premiers scintillements auparavant, une fête avait été donnée en son honneur, Ellune en avait ressenti une pointe de jalousie.

Elles iraient tracer leur chemin à Elrond, ensemble. 

- Alors comme ça on file se cacher toute la journée et je l'apprends en même temps que les autres ? J'ai failli être vexée, mais comme je sais que je suis la meilleure je vais oublier ta traîtrise, sale lâche de hyène.

- Je vois que ton ego reste toujours le même. C'est rassurant de voir que certaines choses ne changent pas. Et fais gaffe à toi, je ne suis pas une hyène !

Les deux fillettes explosèrent de rire. Lalwendï lui prit le bras et l'entraina dans les festivités. La mère d'Ellune les dépassa en courant, fit un bond, une lumière verte émeraude embrasa son corps, ce n'était pas sa forme humaine que l'on vit atterrir sur le sol, mais de ses longues oreilles blanches et du frou-frou de sa queue, Griselda frétillait partout, une faible lueur verte sur sa fourrure. Elle s'était transformée en son animal spirituel de lapine, voulant profiter de la fête sous sa forme où elle était le plus à l'aise. 

La place d'Ulmo avait laissé place à un colossal banquet « D'accord... je vois que mon père a dévalisé la ville voisine ! » pouffa Ellune dans tête. Sur les tables alignées, étaient présentées de nombreuses tartes au citron, aux pommes, aux oranges... Elle ne pouvait énumérer le nombre de tartes salées aux tomates, de gratins aux morilles, de choux-fleurs, de quiches aux poireaux, de soupes aux cressons, aux panais, de salades aux endives, oeufs, patates, mâche... Il y avait même des boissons au kiwi et au pamplemousse pour les enfants. Évidemment les adultes s'étaient gardé une tablée entière pour la profusion de bières locales, de vins rouges et blancs. C'était un beau village de végétariens ... et de poivrots.

Des psychés jouaient leur concert tout autour du festin. Au centre, des villageois déjà un peu éméchés essayaient de danser. Chopes de bière à la main, certains chantaient, ou plutôt hurlaient, des chansons campagnardes : 

- ... À LA RÉCOLTE DE NOS MOISSONS, NOUS FERONS UN SACRÉ GUEULETON !

À PROFUSION, NOUS MANGERONS ! 

Les deux amies n'eurent pas le temps de profiter du repas qu'une bande d'enfants les agrippèrent. Ils voulaient tous voir la perle d'Ellune.

- Racontez-nous l'histoire d'Elrond ! les supplièrent les enfants.

Elrond était le nom de l'école de magie d'Aranrùth, la capitale du continent des Quatre. C'était l'histoire qu'Ellune et Lalwendï aimaient le plus écouter et conter depuis leur enfance. Ce conte faisait fantasmer tous les gamins de la campagne. Ils s'assirent tous autour du feu. Ellune demanda à Ann de faire les projections, ils appréciaient d'autant plus quand l'histoire était animée. L'Âme accepta, ses yeux reprirent la même lueur violette lorsque les deux adolescentes commencèrent leur récit.

- Il y a bien longtemps... commença Ellune d'une voix basse et mystérieuse qui faisait rire les enfants. Le feu se projetait sur leurs visages impatients, le crépitement des flammes faisant danser des ombres grouillantes tout autour d'eux.

- ... Les Quatre ont été généreux et ont pourvu leurs premiers descendants de leurs pouvoirs familiaux, poursuivit Lalwendï d'un geste solennel. Toutes deux connaissaient le conte par coeur.

- Cependant, la plus grande des soeurs, Isil, savaient lire dans le coeur des Hommes. Elle savait, par avance, qu'il était corrompu, murmura secrètement Ellune.

La projection d'Ann montra des hommes brandissant des armes, détruisant tout sur leur passage. Les visages des Quatre se déformèrent sous la rage et la peine de voir leurs descendants se détruire pour le pouvoir. Les enfants étaient hypnotisés par ces fantômes astraux.

- Ne voulant pas gâter l'égo de ces êtres, elle et le reste de sa famille décidèrent de léguer seulement une partie de chaque pouvoir familial pour chaque humain, l'index pointé vers les enfants, Lalwendï prit une expression sévère, comme s'ils avaient fait une bêtise.

- Ainsi, une Âme ne peut en être une dans sa totalité, et il en va ainsi pour chaque famille, dit Elllune sur le ton d'une punition.

Les Quatre avaient puni leurs descendants.

Un murmure commença à s'infiltrer parmi les enfants « Elrond, Elrond... », leurs yeux brillaient, ils voulaient entendre la suite, mais surtout qu'on leur parle de leur future école.

- Mais les Hommes ne sont pas seulement pervertis, ils sont aussi ignorants. Les Quatre prirent la décision de leur inculquer la connaissance et la maîtrise de leurs pouvoirs ... Lalwendï suspendit sa phrase.

Le rêve projeté montrait un conseil divin, quatre grandes silhouettes vaporeuses étaient réunies, Calahan, Tristan, Isil et Neus. Leurs regards étaient braqués en bas, sur les Hommes.

- Dans une seconde tentative de punir la folie des hommes, Calahan, de toute sa force, souleva la plus immense montagne de la contrée de Valar. Aidé par son frère Tristan qui contrôlait la nature, ils retournèrent l'énorme masse terrestre, Ellune brandit ses bras vers le ciel dans un geste théâtral.

- On raconte que le soulèvement fût si brutal, qu'Aurora toute entière trembla. Les animaux prirent peur, tous les oiseaux de la planète s'envolèrent, et ceux qui devaient rester sur la terre s'affolèrent, Lalwendï mima la peur.

Ann profita de ce moment du récit pour donner vie aux animaux qu'elle projetait : une centaine d'oiseaux leur tournèrent autour, des lapins couraient rejoindre des terriers lumineux qui n'existaient pas, toute sorte de rongeurs se réfugiaient dans les arbres imaginaires.

- Pendant le retournement, un énorme éclair jaillit des profondeurs de l'atmosphère causant la rage du ciel. Il plut sept longs jours. Les océans se déchaînèrent aussi, provoquant leur fureur meurtrière sur les territoires immobiles. Tout fut submergé. Les Quatre montrèrent aux hommes qu'Aurora ne leur appartenait pas, que rien ne leur était acquis. Que la connaissance avait un prix, le ton d'Ellune se fit plus insistant, plus grondant.

- C'est seulement au septième jour que tout s'apaisa. Les survivants purent admirer l'oeuvre de Calahan et de Tristan. La montagne qu'ils avaient retournée était suspendue dans les airs. La pointe qui était normalement le sommet sur la terre, était suspendue dans les nuages dans le ciel. Ceci était l'oeuvre de Neus : Elrond, l'école des cieux, annonça Lalwendï qui prit une expression impérieuse et un ton affecté.

- La première des sœurs, et la plus avisée, participa aussi à cette création. Isil forma les plus grands mages pour instruire tous les descendants. Elle donna vie à l'éducation, termina Ellune d'un ton cérémonieux.

Les deux comédiennes avaient fini leur conte. 

Les dernières images projetées montraient l'école de la capitale, Elrond suspendue dans les airs. Des ponts en bois, des marches de pierre incommensurables reliaient l'école à Aranrùth. Les entrées terrestres étaient gardées par des Astéracés, descendants de Calahan, ils faisaient régner l'ordre et protégeaient Elrond. Les gardes étaient parés d'une armure et d'un heaume sur lesquels le soleil se réfléchissait dessus. La croix solaire en or venait rehausser le plastron de la cuirasse, elle était le symbole du pouvoir familial de Callahan « roue de la vie, progrès, changement et évolution », emblème soulignant le courage, la bravoure et l'hardiesse des Astéracés.

- Je veux être comme eux plus tard !

- Je veux devenir Astéracé et combattre les méchants !

- Je les terrasserai tous !

Les enfants surexcités par l'histoire, brandissaient des épées imaginaires. Ann leur en confectionna en bois, ce qui provoqua des exclamations de ravissement parmi les enfants. Il ne leur manquait plus qu'imaginer et de se diviser en deux clans de guerriers pour que bientôt des cris de guerriers amateurs montèrent et se propagèrent dans tout le village. Ainsi se termina la fête jusqu'à l'aube. 

Deux semaines plus tard, Calion arriva à Ulmo pour ses grandes vacances. Ellune ne profita de lui qu'une journée, il lui montra les progrès de son pouvoir, arrivant après trois ans à stabiliser complètement sa métamorphose. Il avait hérité du pouvoir de sa mère, et se changeait en renard. Calion désirait devenir soigneur comme Griselda. Il avait pour ambition de travailler à ses côtés et de reprendre l'affaire familiale une fois sa mère partie à la retraite. 

Le lendemain Ellune se réveilla tôt avant de se mettre en route avec son père pour Aranrùth, la cérémonie de la forêt d'Eden commençant deux jours plus tard.

- On se revoit bientôt à Elrond ! J'ai hâte de voir dans quelle famille ta tête de fouine va atterrir ! lui lança avec un clin d'oeil son grand frère du haut de leur maison perchée. Ellune vérifiait une dernière fois l'attelage avec son père. Sa mère se tenait à leurs côtés, soucieuse.

- Tu feras bien attention, tu me le promets ?

- Mais oui maman, qu'est-ce que tu veux qu'il m'arrive ? L'école est sûrement le lieu le plus protégé de tout le continent !

- Je sais... murmura-t-elle en jetant un coup d'oeil à Atanatar qui paraissait lui aussi affolé.

En y repensant, Ellune revoyait le visage d'Ann qui était venue ce matin prendre le petit-déjeuner avec eux. Elle aussi semblait inquiète. Elle avait eu une discussion avec son père dans le salon, trop basse pour qu'elle puisse entendre ce qu'ils se disaient. Sa mère n'avait cessé de jeter des coups d'oeil dans leur direction tout en discutant discrètement avec ses enfants. Pourquoi avaient-ils l'air de s'alarmer autant pour elle ?

- Vous vous inquiétez beaucoup trop tous les deux ! Vous n'avez pas fait ça pour Calion, ce n'est pas parce que je suis une fille que je suis plus faible que lui ! Bande de sexistes, leur lâcha-t-elle, mimant d'être vexée.

- C'est vrai que tu es notre petite guerrière lionne à nous, lui répondit son père en lui déposant un baiser sur le front.

C'est avec ses questions en suspens qu'Ellune partit pour la première fois, elle se retourna pour Ulmo, qu'elle ne reverrait pendant longtemps. Elle allait voyager vers son destin. 

 

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Hippy Wild Fox
Posté le 06/08/2020
Une merveille, rien à redire comme d'habitude tu nous plonges vraiment dans ton monde, très magique, très léger, je suis curieuse de savoir comment va se passer la suite pour Ellune et son entrée dans l'école *.*
SolarLouve
Posté le 06/08/2020
Merci énormément pour ton soutien !
katicey
Posté le 05/08/2020
Oh nooon le chapitre finit sur un cliffhanger... Je veux savoir ce qui inquiète tant sa famille, moi ! :(
Plus sérieusement, ce chapitre confirme ce que je pensais déjà : j'adore l'univers. J'avoue avoir du mal avec tout les noms (comme d'habitude...), mais ça va finir par rentrer, avec un peu de chance.
Bref, j'attends la suite :)
SolarLouve
Posté le 05/08/2020
Héhéhé !
Un grand merci à toi ! Haha oui ça va finir par rentrer, comme toujours (je suis pareille que toi, je te comprends bien) :)
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