Chapitre 2: ille

C’était une nuit sans lune comme elle ne l’aimait pas.

     

            Un hurlement de bête sauvage le fit sursauter.

Le regard inquiet, ille*(pronom personnel neutre) s’approcha vers la limite de l’enclos. S’en agrippant, non sans appréhension, ille s’aida de ses bras chétifs pour se redresser.

Le visage arrondit de l’enfance, marqué par la crasse et les croutes épaisses de blessures mal soignées, l’esclave scruta les hauteurs qui lui faisaient face.

Malgré le manque de luminosité, ille connaissait très bien le paysage terne et hostile qu’étaient les chaînes Dromas. Ille y avait vécu toute sa vie. Et y mourrait certainement. Rien n’y poussait quasiment, mise à part de la mousse trigolite et des plants de plantes d’argeos. Mais ille avait déjà dévoré toutes les ressources à portée de main depuis des lunes…

À présent, seuls les petits animaux pouvaient constituer un repas convenable.

Le cri cessa enfin. Mais ses échos continuèrent à émettre pendant plusieurs battements de cœur.

Apeuré, l’esclave continua d’en chercher l’origine.

Habituellement, les cris ou les bruits de bataille venaient de l’autre côté de l’enclos, vers les royaumes des terres plates. Là où les sols étaient recouverts de verdures, où les rivières courbaient les vallées et où les forêts s’épanouissaient à perte de vues.

Soudain ému pour ce souvenir si féerique, ille ferma les yeux un instant, espérant que ses souvenirs reconstituent ce paysage. Puis le dernier écho le ramena à la réalité.

Un frisson parcouru son dos vouté.

Quel animal pouvait faire un bruit pareil ?

Non, ce ne pouvait être un animal. C’était un monstre !

Allait-il venir les dévorer ?

À cette idée, l’esclave fronça avec hésitation ses sourcils.

Quelle importance ? Ille ne pensait pas survivre très longtemps après tout…

Rassuré par son raisonnement, ille se laissa tomber de son perchoir et atterri habilement sur son repas.

Malgré le noir total, les petits bruits que faisaient les pattes du lézardien sur la roche, attirèrent son attention à temps.

Ille choppa le reptile d’une main assurée et lui arracha la tête d’un coup de dents.

Le son sec de la nuque brisée engendra de suite un bruissement inquiétant de l’autre côté de l’enclos.

Zut. Ille avait fait beaucoup trop de bruit.

Il fallait faire vite maintenant. Sans quoi ille perdrait son repas.

Sans perdre plus de temps, l’esclave croqua dans le corps encore parcouru de spasmes et y préleva le plus de chair possible.

Le bruissement, devant ille, devint de plus en plus proche.

Le cœur battant à tout rompre, ille engloutit tout rond la queue et jeta le reste vers le milieu de l’enclos.

Cependant, c’était beaucoup trop tard.

Attirés par la précieuse nourriture, les autres esclaves lui tombèrent dessus. Plusieurs mains l’agrippèrent violemment et le jetèrent au sol. L’infortuné n’était pas très costaud ni même très agile. Ille savait juste bien trouver les vivres. Et cela, les autres le savaient très bien.

Même s’ille avait lâché sa trouvaille, les autres allaient lui faire payer ses deux malheureuses bouchées.

Ille s’écrasa sur le sol dur et poussiéreux avec fracas, lui éraflant une bonne partie de son avant-bras. Sans chercher à se relever, ille se mit juste à temps en boule et sentit les coups de poings et de pieds de ses pairs lui marteler tout son petit corps frêle.

Toutes les nuits, c’était pareil.

Mis à part que celle-ci était totalement noire. Une aubaine pour ses bourreaux, car leur maître ne pouvait pas les voir par la fenêtre de sa demeure.

Soudain conscient de ce détail, l’esclave roué de coups serra un peu plus les dents.

C’était une nuit sans lune comme ille ne l’aimait pas.

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Benriya
Posté le 04/12/2020
Un chapitre qui fait froid dans le dos, et serre en même temps le coeur. On ne peut qu'avoir de l'empathie pour ille et l'existence si cruelle et pauvre de ces esclaves >>
Hunter_of_Shado
Posté le 28/11/2020
Violent une fois de plus, on sent toute la dureté et la cruauté de ton univers; Par contre une petite faute de style, je pense que l'on dit "Quasiment rien n'y poussait". A part ça on ne peut s'empêcher de compatir pour Ille. Très bon récit, à poursuivre :)
Mathilde.B
Posté le 30/11/2020
Merci pour cette précision, j'en prends note et modifierais le passage concerné ;)
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