Chapitre 2

Notes de l’auteur : Avertissement : ce chapitre contient de la violence
Merci d'avoir ouvert mon livre, j'espère que ce chapitre vous plaira.
Merci également à Taranee pour sa relecture attentive.
Bonne lecture !

Mon père est un type bien. Il a toujours fait en sorte que les condamnés qui se tenaient devant lui ne souffrent pas. Et pour ça, il est vraiment doué. En quinze ans, je l’ai jamais vu se louper. C’est toujours net, rapide et en un seul essai. Puis, le soir, avant de se coucher, il réalise une prière pour celui à qui il a ôté d’un même coup à la fois la tête et la vie.

Être bourreau c’est pas un métier. C’est une destinée. Les familles de bourreau c’est des familles bien à part, des cercles marginaux presque impénétrables. Seulement, ceux qui en font partie n’ont pas vraiment choisi d’y entrer. En tant qu’aîné et seul garçon de sa fratrie, c’est à mon père qu’est revenu le malheur de suivre les traces de ses ancêtres et de reprendre le flambeau – enfin, plutôt l’épée.

Je repense à tout ça, dissimulée à l’angle d’une ruelle, et scrutant les passants. C’est pour lui que je fais tout ça. Bien qu’il ne soit pas mon vrai père, il est ma seule famille et je suis prête à tout pour qu’il n’ait plus besoin de faire ce travail qui le détruit mentalement à petit feu. Talon a fini par céder à mes demandes insistantes et m’a confié une commande : une filature. C’est mission de base, toutefois, c’est parfait pour lui prouver mes compétences.

Pour être plus discrète, je me suis résolue à laisser mon arbalète et j’ai à la place pris une fine dague de très bonne qualité que j’ai réussi à obtenir pour deux pièces d’argent au lieu de sept. Habillée en garçonne vendeuse de journaux à la criée je passe totalement inaperçue au milieu des passants, ce qui me change de d’habitude.

J’ai peu d’informations sur ma cible. C’est une personne âgée d’une vingtaine d’années, rousse, qui doit se rendre dans la journée dans les bas quartiers de Montplat pour ce qui semblerait être une affaire dangereuse. Il y a beaucoup de personne ayant vingt ans à Montplat, beaucoup également qui sont rousses et rares sont les gens qui ne viennent pas dans les bas-fonds de la ville pour des affaires dangereuses. Autrement dit, cette affaire s’annonce plus compliquée que prévue.

Je décide de me placer au niveau du marché. C’est un endroit très passants où j’aurais plus de chances de croiser la personne que je cherche. Mais c’est à double tranchant car j’ai également moins de chance de l’apercevoir dans la masse.

Plusieurs fois dans la journée j’aperçois de potentiel suspects. Je les suis alors, espérant être sur la bonne voie, mais aucun d’eux ne s’avère être ma cible et la journée finit par défiler sans que je trouve cette-dernière.

Le soleil tombe petit à petit. Fatigué de mes nombreuses tentatives toutes soldées par un échec, je m’apprête à rentrer chez moi lorsque je repère tout à coup une femme, dissimulée sous sa cape d’où s’échappe quelques mèches flamboyantes. Elle est accompagnée d’une seconde personne : un mastodonte de deux mètres, couverts de cicatrices armé d’une hache et de nombreux couteaux. Ceux-ci parcourent le marché, s’arrêtent de temps à autre devant une étals, mais reprennent vite leur chemin. Étrangement, malgré le fait qu’ils sortent particulièrement du lot, personne ne fait attention à eux. Presque comme si les gens n’avaient pas conscience de leur présence… Un mauvais pressentiment m’envahit et, par instinct de survie, je ne peux m’empêcher de porter ma main à la dague que j’ai amené avec moi, placée contre ma cuisse. Toutefois, loin de me décourager, cet effroi me pousse à avancer. Ces gens ont attisé ma curiosité et rebrousser chemin maintenant ne ferait que mettre de l’huile sur ce feu déjà grandissant.

Je les suis depuis les toits, escaladant les murs et les tuiles, et même parfois sautant au dessus du vide. Je prends bien soin de ne pas me faire repérer par l’homme qui scrute régulièrement les alentours. Après un dédale de ruelle, ils s’arrêtent devant une porte d’arrière cour. La femme, toujours dissimulée par sa cape, toque. Après quelques instants, la porte s’ouvre et un homme en sort. Je le reconnais aussitôt : Bob Clocker, un des anciens habitués du Rat-sans-Queue, un voleurs qui s’est fait exclure de la Taverne après avoir fait des avances très peu correctes à Rosie. Première règle du Rat-sans-Queue : on touche pas à Rosie. Aussitôt dehors il referme la porte derrière lui. Il est prit d’un mouvement de recul lorsqu’il remarque le compagnon de la femme mais prends tout de même la parole non sans avoir préalablement dégluti :

« Je n’ai pas trouvé ce que vous m’avez demandé… Comme vous l’aviez prédit, l’homme était mort. Mais je suis arrivé trop tard, des gens étaient déjà passé et avaient tout pris. Il n’y avait plus rien.

— Il n’y avait vraiment plus rien ? As tu bien regardé sous les dalles ou bien cherché dans les murs ?

— J’ai essayé de soulever toutes les dalles et j’ai tâter tout les murs, il n’y avait aucune cache dissimulée. »

Elle soupire.

« C’est embêtant…

— Eh, vous là ! »

Les trois personnages se tournent d’un même mouvement vers les deux gardes qui viennent de les interpeller. Ces derniers commencent à s’avancer vers eux, mains sur leurs épées.

« Qu’est-ce que vous faites ? Déclinez vos identités ! »

Les imbéciles ! Ne comprennent t-ils donc pas à qui ils ont à faire ? Alors qu’ils marchent vers le trio, la femme fait un léger signe de tête à son compagnon. Je suis à nouveau prise d’un sentiment d’effroi, mais différent que celui que j’ai ressentit tout à l’heure. Alors que le premier était un réflexe primitif me mettant en garde contre le danger proche, celui-ci est plus subtil, plus écœurant et m’est bien plus familier. C’est le celui qui me prends toujours à la gorge avant une mise à mort.

Le mastodonte prend sa hache dans son dos, la soulève au-dessus de sa tête et l’abat dans celle du premier garde d’un coup d’une brutalité horrifiante. Son adversaire n’a pas le temps de faire le moindre geste, ni de crier. L’arme s’enfonce dans son crane jusqu’à ses lèvres. Un gargouillis de sang et de salive en sort et il s’écroule au sol, inerte. Le second observe, choqué, son camarade étendu par terre. Il fait un pas en arrière, tente de prendre la fuite. Mais l’homme a déjà sorti un couteau et lui tranche vivement la gorge. Un jet de sang vient repeindre les murs et le sol pavé de la rue. Le garde met sa main sur la plaie transversale qui barre maintenant son cou, comme pour essayer d’endiguer l’hémorragie, mais ce geste est bien inutile et le sang continue de couler à flot. Il s’effondre à son tour au côté de son ancien camarade. Tout est allé si vite que je peine moi même à croire ce que je vois.

Bob, plaqué contre le mur, fixe avec horreur les deux corps.

« Comme je le disais, c’est embêtant…

— Je… je vous en supplie, je peux vous rembourser la somme que vous m’avez offerte en échange de mes services… Même plus s’il faut ! »

Alors qu’il fond en larmes et tombe au sol, elle ne lui jette pas le moindre regard et retire lentement ses gants, laissant apparaître des mains d’une blancheur contrastant avec tout le sang autour d’elle.

— L’argent n’est pas le problème. Le problème est que je l’ai donné à un incapable comme toi. Tu m’as fait perdre mon temps et je déteste ça. Je suis même étonnée que tu aies osé te présenté devant moi les mains vides.

Elle fait un mouvement gracieux du poignet et referme la main dans le vide. Je retiens ma respiration comprenant enfin qui elle est, ou plutôt, ce qu’elle est : une sorcière. Bob arrête soudainement de geindre et après quelques secondes silencieuses, il est prit de spasmes intenses. Un liquide noir se met à couler de son nez et de sa bouche. Il suffoque. Maintenant totalement couché contre les pavés de la rue, son corps soubresaute et il essaie désespérément d’atteindre la jambe de celle qui est en train de le tuer. Elle le rejette d’un simple coup de pied, comme un vulgaire caillox sur son chemin. Cette lutte invisible dure encore un peu avant que Bob Clocker ne finisse par mourir, noyé par la magie.

La sorcière remet ses gants et pousse un soupir d’ennui. Elle contemple les trois cadavres avec lassitude puis lève les yeux vers le ciel. Vers moi.

Je me plaque précipitamment contre la toiture depuis laquelle j’observais la scène. J’attends de longues minutes, n’osant pas me relever. Au bout d’un certain temps, n’entendant plus rien au alentours, je jette prudemment un coup d’œil en bas. Il n’y a plus personne, à part bien évidemment les trois morts qui jonchent le sol. Je décide tout de même d’attendre encore, au cas où ils reviendraient pour je ne sais quelles raisons. Les nuages défilent dans le ciel tandis que je compte les secondes. Lorsque j’atteins cinq-cents, je me décide à redescendre de mon perchoir. J’entame la désescalade à l’aide d’une gouttière et m’accrochant aux irrégularités des murs. Une fois en bas, je m’approche de ce carnage d’où se dégage maintenant l’infâme odeur des corps en putréfaction. Quelques mouches volettent déjà joyeusement autour des corps des gardes, mais aucunes ne s’approche de celui de Bob Clocker, sans doute par peur de la flaque noir qui l’entoure. Je m’accroupis pour observer ce liquide étrange. Des sortes de vapes âcres s’élèvent au dessus et viennent me chatouiller la gorge.

Je me met à fouiller le cadavre, dans le but de trouver une explication à tout ça. Pourquoi Bob Clocker était-il en contact avec une sorcière ? Qui était-elle ? Que lui avait-elle demandé ? Je ne trouve malheureusement que quelques piécettes et une vieille flasque d’alcool, rien qui ne m’éclaire. Je m’apprête à me relever lorsque j’aperçois un léger scintillement à son bras. Je soulève la manche de sa veste qui me révèle une montre en argent, de très bonne qualité et fonctionnant parfaitement. Je suis prise d’un instant d’hésitation mais, après tout, il n’en a plus besoin… Je détache la montre de son bras tout en évitant de toucher le liquide noir et la fourre dans ma poche.

J’entends au loin des gens approchant dans ma direction, m’indiquant qu’il est l’heure de déguerpir. Je file vers l’autre bout de la rue et m’engage vers le chemin du Rat-sans-Queue pour aller faire mon rapport à Talon.

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