Chapitre 19 : Halo

Edward Huntley avait revêtu une tenue de chantier qui traînait à l’arrière de la fourgonnette. Même habillé de la sorte, l’homme faisait un piètre électricien tant il ne parvenait pas à réfréner ses manières de gentleman. Heureusement, s’il se taisait, ses mains parleraient pour lui. Elles attestaient qu’il était un homme de terrain. Le professeur fouillait le sol à la recherche de fossiles depuis quarante ans et ses doigts étaient restés ses premiers outils. Il allait tout de même devoir faire un effort pour gagner en crédibilité et ne pas attirer l’attention des vigiles qui garderaient sûrement les lieux. 

— À ton tour !

Sur ces mots, il lança à Joey un fin paquet rectangulaire qu’elle rattrapa et déballa rapidement.

— Une salopette ?

— Un peu de graisse par-ci, par-là et le tour sera joué ! expliqua son oncle d’un air jovial.

Un peu sceptique, la fillette enfila l’habit par-dessus ses vêtements. Son oncle lui vissa aussitôt une casquette bleu pétrole sur la tête.

— Parfait ! se félicita Huntley, pas mécontent de son choix.

Joey s’observa dans la vitre arrière de la camionnette. Elle n’aurait sans doute pas choisi le même adjectif pour qualifier sa dégaine d’apprentie électricienne, mais cela devrait faire l’affaire.

Les deux complices ainsi déguisés regagnèrent leurs places à l’avant de la camionnette. 

Quand le professeur fit redémarrer sa fourgonnette, Joey remarqua que l’avenue avait enfin été déneigée. Une certaine agitation commençait à poindre : les portes du théâtre s’étaient ouvertes et des hommes se relayaient afin d’installer des barrières de sécurité devant l’entrée. Joey chercha du regard Meggie et Siméon dans le rétroviseur mais ne les vit pas. Une vague d’inquiétude lui enserra le cœur. 

Le professeur Huntley manœuvra la camionnette dans une petite impasse adjacente au théâtre et coupa le contact. Plusieurs camions étaient déjà stationnés dans la ruelle et leur conducteur coordonnait le déchargement de leur cargaison. Planté à gauche de l’issue de secours où convergeaient les livreurs, un homme plus trapu qu’un gorille surveillait les allées et venues des hommes qui s’affairaient. Quand le moteur cessa de vrombir, Edward Huntley sortit à nouveau la montre à gousset de sa poche : 

— Qu’attendons-nous ? demanda Joey.

— Tu vas voir...

Presque au même instant, des voix à l’unisson commencèrent à s’échauffer. Joey jeta un coup d’œil dans le rétroviseur et remarqua qu’une foule compacte, pancartes et banderoles en étendard, approchait de l’entrée du théâtre. Les cris de contestation s’élevaient, de plus en plus véhéments.

— Pile à l’heure ! annonça oncle Edward.

Tout à coup, un second vigile fit son apparition. Il glissa quelques mots à l’oreille du premier gorille qui, après avoir ratissé du regard la ruelle une dernière fois, suivit son collègue à l’intérieur du théâtre. 

— Tu as payé ces gens pour qu’ils manifestent devant l’entrée ! C’est du génie ! s’exclama Joey.

— Je n’ai pas trop eu à insister, certaines personnes sont vraiment hostiles au commerce des mikrosaures.

Joey n’en doutait pas. Elle en avait eu la confirmation le soir du débat télévisé. 

Le faux électricien et son apprentie descendirent du camion. Pour accentuer le réalisme de leur mission, Joey fut chargée par son oncle de porter un gros rouleau de câble tandis qu’il transporterait la caisse à outils. 

— Ma grande, c’est maintenant ou jamais. Tu te souviens du plan ? 

Joey se revoyait poser cette même question à Meggie avant qu’elle ne descende dans les entrailles du musée avec Siméon. Elle s’était promis de ne plus mettre ses amis en danger, mais voilà que son oncle avait jugé que leur aide leur serait précieuse. 

— On se sépare, résuma Joey, bonne élève. Le premier qui met la main sur Mary prévient l’autre à l’aide du talkie (Joey tapota sur un gonflement au niveau de sa ceinture). Si on m’attrape, je prétendrai t’avoir perdu dans les méandres de l’arrière-scène.

Son oncle posa sa main sur son épaule :

— Tout ira bien. Je suis certain que retrouver Mary ne sera qu’une formalité !

Le Pr Huntley et Joey profitèrent du bal des livraisons pour s'immiscer à l’intérieur. Si quelqu’un les interpellait, ils prétendraient avoir été appelés our réparer des projecteurs sur le pont des électriciens. Rapidement, Joey perdit de vue son oncle. Le couloir était si exigu qu’elle fut obligée de se ranger dos au mur à plusieurs reprises pour permettre aux livreurs de passer. Ils étaient tous très occupés, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’heure n’était pas à la courtoisie ! C’était tout à l’avantage de Joey : personne ne faisait attention à elle. Elle était une ouvrière comme une autre dans cette ruche bourdonnante. Tout en se frayant un chemin, la jeune fille gardait un œil sur les caisses qui défilaient sous ses yeux : l’une d’entre elles contenait peut-être Mary. Jusqu’à présent cependant, elle n’en avait pas vu suffisamment grande pour pouvoir protéger la prison de verre de la momie. Au bout de quelques mètres, la galerie se ramifia en deux autres branches : soit Joey tournait à gauche, et dans ce cas-là tout portait à croire qu’elle tomberait sur la scène et ses dégagements, puisque c’était là où la course folle des livreurs convergeait, soit elle choisissait d’aller à droite et visiterait vraisemblablement les salles où les décorateurs stockaient les accessoires. Comme il en avait été convenu avec son oncle, Joey choisit la seconde option, sans doute la moins risquée de deux.

Le couloir, dont les murs étaient tapissés d’une moquette bordeaux, était éclairé par la lumière tamisée d’une série de candélabres électriques. Plus elle avançait, plus les murs duveteux semblaient étouffer les beuglements des livreurs et des machinistes. Joey était maintenant seule au milieu du passage. Elle se demandait si elle n’était finalement pas plus en sécurité au milieu du vacarme. Ses épaules tressaillirent, réveillées par un courant d’air froid qui venait de lui fouetter la nuque. « Oncle Huntley compte sur moi », se répéta la fillette pour ne pas flancher. Joey colla son oreille à une première porte. Quand elle fut certaine que la pièce était vide, elle l'entrebâilla et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Rien. Pas de trace de Mary. Elle répéta l’opération à deux autres reprises et fit chou blanc à chaque fois. Elle n’avait poussé la porte que de vieux débarras déserts. Joey avait de plus en plus de mal à distinguer le fond du couloir à cause de deux candélabres défaillants. L’un clignotait péniblement et on avait oublié de changer l'ampoule du second. Plus elle avançait, plus l’obscurité s’épaississait. Tout en surveillant ses arrières, Joey longea le mur en se cramponnant à la rampe dorée qui filait le long de ce boyau lugubre. Elle avait peur d’être engloutie par les ténèbres si elle lâchait cette ligne de vie. Tout à coup, son talkie se mit en branle :

— Zzzz. Joey, tu me reçois ? Zzzz.

La fillette enfouit sa main dans sous le tablier de sa salopette pour en tirer le récepteur.

— Oui. Du nouveau ?

— Zzzz. Il y a un drôle d’oiseau en coulisse, mais aucune trace de Mary. Zzzz. Terminé. Zzzz.

— Hein ?

Joey n’avait rien trouvé de plus intelligent à répondre. L’espace d’une seconde, elle maudit son oncle et ses tournures de phrases ambiguës. 

Joey reconsidéra le fond du couloir et la probabilité d’y découvrir la momie. Pourquoi y aurait-on emmené le dracorex si elle était destinée à décorer la scène ? Joey était prête à faire demi-tour, mais, alors qu’elle tournait les talons, elle aperçut un halo bleu qui glissait sous le pas d’une porte quelques mètres plus loin. Elle respira un grand coup et continua sa progression, guidée par ce curieux appel lumineux. La lueur poudroyait maintenant sur le bout de ses baskets. Joey tendit l’oreille : aucune voix ni activité humaine n’étaient perceptibles. Seul un léger ronronnement dérangeait le silence.

Lorsque Joey ouvrit la porte, elle découvrit que les rayons bleutés qui fuyaient dans le couloir émanaient du dessous d’un voile brodé posé sur une étrange forme ovoïdale. Celle-ci était supportée par un pied en fer forgé se déployant en trois volutes comme l’étaient parfois les cages à oiseaux du siècle dernier. L’intensité de la source lumineuse rendait le tissu presque transparent. En s’approchant, Joey remarqua que le ronron qu’elle avait entendu de l’autre côté de la porte provenait lui aussi de cette mystérieuse silhouette. Il y avait fort à parier que cet objet n’avait absolument rien à voir avec Mary, aussi Joey aurait tout aussi bien pu tourner les talons sans se poser davantage de questions. Il n’en fut rien, évidemment. La fillette était subjuguée par cette forme luminescente sur son tripode. Elle s’autorisa à tendre le bras et, du bout des doigts, fit glisser le voilage. Celui-ci libéra toute l’ardeur des rayons bleutés. Quand ses pupilles s’habituèrent à cet embrasement, Joey comprit qu’elle ne se trouvait pas face à une cage, du moins pas tout à fait, mais à une couveuse. « Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ! », s’étonna-t-elle. C’était cette même lumière bleue qui l’avait guidée jusqu’aux incubateurs dans le laboratoire de Lord Neville.

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Arabella
Posté le 24/11/2019
Coucou Peneplop

Même habillé de la sorte, l’homme faisait un piètre électricien tant il ne parvenait pas à réfréner ses manières de gentleman. ⇒ j’adore cette phrase, super bien trouvée, on visualise très bien le gentleman à l’anglaise qui ne peut s’empêcher d’être un amour.

J’adore le rythme dans ce chapitre, encore plus que le précédent, il nous entraine, il est très vif. J’avais l’impression d’être comme dans les séries ou les films, quand ils préparent l’action (un peu en mode ocean 11 ou braquage à l’italienne héhé). On imagine la musique derrière et on y est !

L’évocation des manifestants contre les Mikrosaures est super bien trouvé, on imagine bien toutes les notions que cela questionne (notamment la cause du bien être animal et la dangerosité pour les enfants).

Les paragraphes qui montrent la recherche de Joey, je les découperais en plusieurs paragraphes pour rendre la lecture plus fluide, plus simple, notamment pour des enfants. Sinon c’est très clair et on suit parfaitement Joey dans ses recherches.

Tout à coup, son talkie se mit en branle :⇒ cette expression me semble un peu étrange, mais après c’est peut être moi. Est-ce qu’un talkie se met en branle ? J’aurais plutot dit un truc comme « s’éveilla » ou « résonna ».

Joey n’avait rien trouvé de plus intelligent à répondre. L’espace d’une seconde, elle maudit son oncle et ses tournures de phrases ambiguës.
⇒ encore une fois, j’adore, on l’imagine lever les yeux au ciel !

La scène finale sur le halo bleuté et la couveuse est magistrale, comme Joey j’avais la bouche ouverte, fascinée et terrorisée à l’idée qu’elle soit prise !

Je ne sais pas si tu as réécris ces passages, mais ils sont super, le suspens est super fort. Personnellement, j’étais persuadée que comme les autres enfants, elle se battrait pour avoir les Mikrosaures, mais au contraire, elle se bat toujours pour retrouver Mary et rétablir la justice. On s’attache beaucoup à elle !
peneplop
Posté le 25/11/2019
Coucou !
Je suis contente que tu aies apprécié ce chapitre. Merci de tes remarques. Je ne me rends pas compte que mes paragraphes sont parfois très longs. Tu as raison, je vais découper.
J'ai eu un gros doute mais le "se mets en branle" alors j'ai cherché. Et ouf, ça existe bien mais je peux comprendre que la sonorité soit pas hyper séduisante !
Merci encore :)
Anna Ferju
Posté le 23/05/2019
Hello !
J'ai enfin pris le temps de lire ce dernier chapitre publié. J'accroche toujours autant, et la description de l'éclosion m'a beaucoup plu <3 J'ai presque envie d'adopter un mikrosaure ! 
Hâte de savoir ce qu'il va se passer dans le chapitre suivant.
Quelques petites erreurs relevées par-ci par là:
Le professeur fouillait le sol à la recherche de fossiles depuis quarante ans et depuis toujours ses doigts restaient ses premiers outils. (petite répétition)
Joey rattrapa le projectile et le déballer rapidement  
Soudain, elle aperçut que la créature arborait une nuée d’écailles bleues au niveau du cou. Le fait qu'il y ait ce "soudain", on s'attend à quelque chose, une explication. Si tu enlèves le "soudain", je ne pense pas que cela enlève à l'étrangeté de la découverte.
peneplop
Posté le 21/10/2019
5 mois plus tard... Merci pour toutes tes remarques !
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