Chapitre 19

Une sorte de halo humide et glacial nous entoura doucement, comme une épaisse brume palpable et lorsque les flammes nous atteignirent, nous ne sentîmes rien. Les chutes de bois mort et de braises rebondissaient sur l’espèce de bulle qui nous enveloppait. Elle nous protégeait de la chaleur du brasier au milieu duquel nous aurions péri, sans l’extraordinaire pouvoir de l’arbre. Bientôt, nous fûmes ensevelis sous une épaisse couche de cendres qui  nous plongea dans l’obscurité.

 

Le vacarme du flot infernal dura un moment interminable, lancinant, entêtant, puis diminua lentement. Nous entendîmes encore longtemps des crépitements sinistres et des bruits de flamèches qui reprennaient vie et continuaient leur destruction. Nous n’avions aucune difficulté à respirer malgré la chaleur et les gaz délétères à l’extérieur de la bulle, la vapeur froide qui nous entourait les absorbait et filtrait l’air.

 

Quand le calme revint, nous réussîmes enfin à parler, la sidération de la scène que nous avions vécue et les bruits atroces au dehors nous avaient rendus muets. Nous avions approché la mort de si près que nous avions la sensation d’être passés dans un autre monde, alors que nous étions les rescapés d’un miracle de la magie. Vincent alluma la torche de son téléphone. La lueur blafarde éclaira par en dessous nos visages hébétés, nos traits étaient déformés par le clair obscur et nous ressemblions à des morts vivants, nous faisions peur à voir.

  

-- Que s’est-il passé ? demanda Jerem, j’avoue que j’ai fermé les yeux, j’ai pensé mourir à chaque seconde. En fait, je suis peut être mort ?

-- Attends, je te pince un peu le bras, répondit Alma en ajoutant le geste à la parole, tu vois, nous ne sommes pas morts, l’arbre nous a sauvés.

-- Aïe ! s’écria Jerem en sursautant, ça fait mal !

-- Depuis hier nous sommes sous la protection des pouvoirs de l’arbre ! dit Vincent avec fougue, d’abord il a donné la vision panoramique à Hazel pour nous avertir du danger, et puis il a été capable de nous protéger des flammes. Et il avait créé la forêt que Jahangir vient de détruire.

-- C’est la prophétie de Clotaire qui est en train de se produire, ajouta Jerem très ému.

-- Je vous l’avais dit, insista Alma, nous pouvons compter sur lui, il va nous aider à vaincre le monstre. Il nous a protégés contre ses maléfices en nous gardant en vie.

-- C’est vrai, poursuivis-je, sans lui nous ne serions plus rien.  

-- Qu’allons-nous faire maintenant que nous sommes démasqués par Jahangir ? questionna Astrid.

-- Réfléchissons, reprit Vincent. Nous devons forcément attendre que la température extérieure redescende pour sortir de la bulle. Et repartir de nuit peut-être, pour ne pas nous faire voir. 

-- Tu crois que l’obscurité nous protège de Jahangir ? fit Jerem, j’ai l’impression que rien ne pourrait nous dissimuler à sa surveillance.

-- Sans doute, répondis-je, mais après le passage de la rivière de feu qu’il a envoyée sur nous, il doit être certain que nous sommes morts et qu’il n’a plus besoin de s’intéresser à nous. Enfin il le croira tant que nous ne nous serons pas à nouveau manifestés. Ca nous donne un peu de temps pour nous déplacer relativement discrètement vers le volcan dès que nous pourrons bouger. 

-- Comment nous a-t-il repérés ? demanda Astrid

-- Aucune idée, depuis le début peut être, quand nous avons accosté sur la plage avec Lamar. Ou alors les drones nous ont vus quand nous marchions, ou bien la naissance de la forêt sur la terre brûlée l’a alerté sur la présence d’étrangers, hasarda Vincent.

-- Serait-il possible qu’il ne nous ait pas repérés du tout ? répondit Jerem. 

-- Il aurait envoyé la langue de feu sans raison ? La forêt ne peut pas avoir jailli du sol spontanément ! fit Astrid en riant. Non, il a voulu anéantir ceux qui l’ont provoqué jusque sur son île.

-- L’île est sous l’influence de la magie, protesta Jerem, alors pourquoi pas ? un sort raté ...

-- Mais comment savoir ? repris-je, Jahangir seul pourrait dire ce qui a déclenché sa colère. Désolée si c’est moi qui l’ai provoquée en plantant les graines.

-- C’est sans importance, conclut Astrid.

-- Depuis que nous sommes sur l’île, les pouvoirs de l’arbre ont été révélés, dit Alma avec force, sa ferveur était étonnante pour une enfant si jeune. Maintenant nous en savons beaucoup plus sur eux ! mais nous ne savons pas encore tout. Toute ma vie désormais je vénérerai les arbres en souvenir de cet instant, je le promets. 

-- Hazel est le fruit d’un arbre ! s’écria soudain Astrid en se tournant vers moi comme si elle avait une révélation, c’est pourquoi l’arbre t’a choisie pour être sa messagère, quand il a confié son pouvoir.

-- Parce que je m’appelle Hazel ? dis-je avec étonnement.

-- Réfléchis, fit-elle, ce n’est pas absurde. 

-- Je ne sais pas, répondis-je avec un sourire. Je ne suis qu’une pauvre noisette.

-- Arrêtez vos bêtises, coupa Alma, vous dites n’importe quoi. Mais c’est peut-être vrai ...

-- Attendons la nuit, ajouta Vincent pour couper court à la discussion, nous ne la verrons pas tomber sous la couche de cendres, mais je peux lire l’heure sur mon téléphone. Nous sortirons de la bulle de froid et nous repartirons vers le volcan. La nuit rafraîchira l’atmosphère.

 

Nous nous assîmes sur le sol et profitâmes de ce moment de pause pour partager nos provisions. Tandis que nous attendions la tombée du soir, le vent se leva au dehors et chassa une partie des cendres agglutinées sur la bulle. La lumière pénétra enfin dans notre habitacle et nous vîmes petit à petit apparaître le chaos laissé par l’onde de feu, comme une vision de l’apocalypse. Le vent forcit et des tourbillons d’escarbilles volèrent autour de nous, mêlées de poussières et de détritus, formant des vapeurs chargées de poudre de plus en plus épaisses.    

 

Malgré l’opacité qui nous entourait, nous vîmes arriver depuis la mer d’énormes nuages noirs, le ciel s’assombrit tout à coup, et une pluie diluvienne se mit à tomber. L’orage avançait, poussé par des bourrasques violentes. Quand il passa au dessus de nous, il étouffa ce qui restait du feu latent. 

 

-- Lamar ! s’exclama Jerem, il a fini d’éteindre l’incendie.

-- Il est avec nous ! répondit Astrid, il a vu la coulée de feu et il a envoyé un ouragan pour nous aider. 

-- Il ne sait pas si nous sommes toujours en vie, ajouta Vincent.

-- Et le coquillage ne fonctionne pas ici, pour le joindre il faut être près de la mer, poursuivit Jerem.

-- Il faudrait lui envoyer un signe, dit Alma.

-- Si nous plantions un arbre sur la zone immonde, il le verrait, il comprendrait, fis-je.

-- Oui, mais comment y arriver ? questionna Vincent.

 

Le déluge avait cessé, le ciel se dégageait mais la nuit commençait à descendre. A l’abri sous notre bulle, nous assistions à tous les transformations de la nature qui nous entourait, sans pouvoir encore bouger. La pluie violente avait noyé la terre brûlée, et des ruisseaux de boue tournoyaient autour de la bulle, charriant les branches et les troncs carbonisés qui étaient emportés au loin, le long de la pente, vers la mer. 

 

-- Impossible de sortir dans ces conditions, dit Vincent, l’orage provoqué par Lamar est violent. C’est encore trop dangereux. 

 

Au bout d’une heure la puissance des torrents de boue faiblit, il n’y eut bientôt plus que des ruisselets qui serpentaient sur le sol, et une brise de mer vint assécher les alentours. La nuit était presque tombée. Nous passâmes à travers la bulle et nous retrouvâmes à l’air libre. Malgré la pénombre qui se déployait, nous vîmes que l’héliport avait été anéanti, le cabanon n’existait plus, la route avait été arrachée et n’était plus praticable. Sans les arbres, la vue s’étendait devant nous jusqu’aux contreforts du volcan et sur la droite descendait en pente douce vers l’océan que nous apercevions au loin. Houang Ti qui s’était mis à l’abri pendant le chaos tomba soudain du ciel et vint directement se poser sur mon épaule, ses plumes blanches étaient magnifiques et ses yeux jaunes nous regardaient avec fixité. Je caressai son bec quand une idée me traversa.

 

-- J’ai trouvé comment envoyer un signe à Lamar ! Si Houang Ti peut lancer des graines sur la zone immonde, les arbres y pousseront, Lamar saura que nous sommes toujours en vie. Je ne sais pas si c’est possible, mais il faut essayer, insistai-je.

 

Mes compagnons me regardaient sans conviction, mais après les événements incroyables que nous avions vécus, aucun d’entre nous ne s’étonnait plus de rien. Malgré ma nervosité, je parvins à accrocher une graine à la patte de Houang Ti, à l’aide du petit mouchoir de batiste que nous avions trouvé sur lui à Phaïssans que j’avais précieusement gardé. Je parlai doucement à l’oiseau, lui expliquant ce que j’attendais de lui. Je n’étais pas certaine qu’il me comprenne, mais j’avais confiance en son intelligence. Je le tins quelques instants à bout de bras puis le lançai en l’air. Houang Ti prit son essor et s’envola comme une flèche, il ne fut bientôt plus qu’un point dans le ciel sombre, puis il disparut. 

 

Après un court moment, alors qu’Alma s’impatientait et voulait planter au pied de la bulle quelques graines pour que la forêt se mette à croître autour de nous, nous vîmes soudain dans la lumière du soleil couchant sur la mer, une bande verte apparaître au loin et  s’avancer vers nous en grossissant.    

 

-- La forêt monte depuis la zone immonde ! s’écria Astrid, Houang Ti a réussi ! 

-- Je vis un rêve éveillé, dit Vincent, les yeux écarquillés devant ce nouveau sortilège. 

 

Et nous regardions les arbres sortir de terre et se mettre à grandir, les uns après les autres, couvrant bientôt le sol d’un tapis vert épais qui s’approchait inexorablement. Quand ils arrivèrent à notre hauteur, nous fûmes absorbés par la ramure et nous retrouvâmes au coeur de la jungle. Des animaux couraient déjà au milieu d’une profusion de branches, de feuilles et de hampes, singes, tapirs, cochons de rivière et autres rongeurs, ils s’éparpillaient autour de nous, alors que des myriades d’oiseaux pépiaient et caquetaient. Dans l’ombre protectrice de la nuit désormais tombée, après la chaleur du brasier, la fraîcheur de la forêt nous enveloppa. A nos pieds un tapis de feuilles recouvrit la terre nue, le chant d’un ruisseau tout proche nous parvint. La bulle avait disparu. 

 

-- C’est comme si le cauchemar n’avait jamais eu lieu, dit Jerem, comme si nous l’avions inventé. Quelle étrange contrée, on a beau savoir que nous sommes au royaume de la magie, c’est difficile à croire !

-- Ne perdons plus de temps, dis-je, Jahangir doit être furieux que la forêt ait repoussé si vite, nous ne devons pas rester ici à contempler le paysage, bougeons.

-- On reprend la direction du volcan ? demanda Vincent

-- Je vais essayer de voir si cela mène quelque part, et sans plus attendre je m’élevai à nouveau vers le faîte des arbres.    

 

Mon regard flottait au dessus de la canopée, et se déplaçait de cîme en cîme à la vitesse du vent. La jungle masquait désormais la piste qu’avait suivie la jeep. A cette hauteur, je ne pouvais pas distinguer le trajet qu’avaient emprunté Magnus et les voyageurs pour rejoindre Jahangir. Je me glissai sous le couvert des arbres, naviguant de branche en branche, allant jusqu’au bout des feuilles, et explorai les alentours rapidement. Je ne tardais pas à retrouver les vestiges de la route non goudronnée, désormais détruite par des racines sorties de terre, ou dissimulée sous des fûts qui s’étaient implantés dessus. Suivant le tracé jusqu’au volcan, je tombai soudain sur une paroi rocheuse nue, et plus rien, pas même trace de la jeep, pas de porte, aucune preuve de l’existence d’un accès. Jahangir savait que des étrangers étaient sur l’île, il avait masqué et bloqué l’entrée de son repaire. Je devais trouver un autre moyen d’atteindre son refuge, une autre issue qu’il n’aurait pas dissimulée. Je remontai au niveau des cimes. 

 

Je suivais la forêt qui poursuivait sa progression et commençait à s’élever sur les pentes du volcan, formant une couronne au pied du géant de pierre. Je regardais tout autour en contournant par l’ouest, cherchant une route, un sentier, une ouverture. En vain. Au nord, le volcan surplombait l’océan et ses parois vertigineuses plongeaient directement dans les flots. Impossible d’aller plus loin. Revenant à mon point de départ, je tentais l’approche par l’est, moins abrupt. Je survolais d’abord l’ancienne zone immonde désormais disparue sous la jungle, il restait dans la roche des cavités qui continuaient à déverser leurs flots de déchets qui s’écoulaient au milieu des arbres gigantesques comme des fleuves de l’enfer. Bientôt, d’une manière ou d’une autre, nous mettrions fin à ce gâchis inutile. 

 

Au loin je vis de hautes falaises se profiler, l’accès semblait difficile de ce côté-là aussi. La forêt au dessus s’avançait presque jusqu’au bord du précipice, et tout en bas, des récifs pointus et menaçants brisaient les vagues, l’écume montait à l’assaut du mur de roches, se fracassait et retombait en pluie continuellement. Mon regard restait à distance pour examiner l’escarpement et détecter une faille, une grotte. Rien. Soudain j’aperçus Houang Ti qui volait devant la paroi. Dans la lumière du jour finissant qui reflétait ses derniers rayons sur la pierre, je voyais son petit corps blanc voleter devant une saillie sur l’à-pic, avait-il trouvé une fissure ou une grotte derrière ce pan de rocher ? Houang Ti envoyait un signe, il y avait forcément quelque chose. Sans aucune autre alternative, je décidai d’approcher par le haut. Je m’élançai à nouveau et cette fois bifurquai pour survoler la forêt qui dominait la falaise. Je m’arrêtai au dessus de l’endroit où Houang Ti s’était enfin posé, petite tache blanche sur la roche sombre. Je le voyais à peine car désormais la nuit était tout à fait tombée. Progressant doucement sur quelques branches d’arbustes qui poussaient dans les fissures de la roche, je descendis vers l’oiseau, et soudain je vis une ouverture un peu plus bas, exactement derrière la saillie, qui la masquait aux regards depuis la forêt, c’était l’entrée d’une grotte. 

 

Je retournais aussitôt vers mes compagnons pour partager ma découverte avec eux. Ils avaient commencé à avancer en direction du volcan. Je me vis marcher au milieu d’eux en silence, tête baissée. Je regagnais mon corps et me mis à parler. J’expliquai le résultat de mon expédition tandis que nous continuions à progresser. Les rayons de lune qui passaient faiblement à travers le feuillage, éclairaient suffisamment les contours pour que nous nous faufilions dans la jungle, bien qu’il fasse nuit noire. Prenant la tête de la file indienne, j’orientai notre marche en direction des falaises. 

 

-- Nous ne pourrons pas descendre de nuit, murmurai-je, c’est beaucoup trop dangereux. Car si on dévisse, on se fracasse sur les rochers en bas. Demain matin, à la lumière du jour, il faudra voir par où passer, trouver des prises, s’accrocher, assurer chaque mouvement.

-- Ce sera comme de l’escalade ? demanda Alma

-- Oui, répondis-je, mais au lieu de monter, là on ira vers le bas de la paroi. 

-- Heureusement que je n’ai pas le vertige, reprit Alma d’un air assuré, et nous comprîmes tous qu’elle voulait dire exactement l’inverse.

 

Il serait bien temps de paniquer quand nous serions sur place. Pour l’instant nous écartions les hampes et les fougères qui nous empêchaient d’avancer, et enfin au bout de deux heures de marche nous arrivâmes au bord du précipice. Houang Ti n’avait pas changé de position, et j’avais guidé mes compagnons en restant au dessus de la ramure pour ne pas dévier de la bonne direction.        

 

-- La grotte est là-dessous, dis-je. Il y a un dénivelé d’au moins cinquante mètres pour atteindre l’entrée, sur la saillie. Ce sera une opération très risquée, mais je n’ai vu aucune autre possibilité d’entrer dans le volcan, puisque Jahangir a fait disparaître l’entrée par magie. Son repaire est devenu une forteresse imprenable. L’escalade du volcan pour entrer par le cratère n’est même pas envisageable.

-- On pourra essayer de faire du rappel, ajouta Jerem qui estimait la faisabilité de la course, j’ai emporté des cordes, ce sera peut-être jouable quand il y aura de la visibilité. Mais je ne vous le cache pas, ce sera très périlleux.

-- J’ai peur, avoua Alma en se penchant au dessus du vide.

 

Vincent la retint et la tira vers l’arrière.

 

-- Mauvaise idée, repris-je en voyant l’inquiétude de mes compagnons. Je ne me rendais pas compte de la dangerosité, je vous ai fait venir ici inutilement. On ne peut pas y aller par là.

-- Il y aurait une possibilité en partant plus bas et en longeant  la paroi ? demanda Jerem.

-- Non, c’est totalement inaccessible, répondis-je.

-- Ca explique pourquoi Jahangir ne s’est pas donné la peine de condamner cette entrée, ajouta Vincent.

-- Est-ce qu’on est certains que cette grotte peut nous mener à Jahangir ? hasarda Astrid.

-- On n’est sûrs de rien, fis-je, mais Houang Ti a indiqué cette entrée, il a dû visiter la grotte, il doit y avoir un passage. 

-- Comment faire ? soupira Astrid.

--  Regardez la mer, s’écria Alma, c’est Lamar là-bas, vous le voyez avec son trident qui étincelle ?

-- Lamar ! s’écria Jerem les yeux soudain brillants, je dois pouvoir lui parler avec le coquillage.

 

Joignant le geste à la parole, il sortit la petite conque de sous sa chemise et parla au roi des mers dans le coquillage. De là où nous étions, Lamar semblait minuscule, maîtrisant son attelage de dauphins, debout sur sa conque et tenant son emblème, mais sa vue souleva en nous un espoir immense. Il allait trouver une solution.

 

-- Salut à toi, roi Lamar, dit Jerem, peux-tu nous aider ? Nous avons bien avancé vers le volcan, mais nous sommes coincés sur la falaise, impossible de descendre en sécurité pour entrer dans la grotte qui se trouve au dessous de nous. C’est trop raide. Et c’est la seule entrée possible dans le repaire de Jahangir.

--  Je me doutais que vous étiez en difficulté, répondit Lamar, je ne vous ai pas abandonnés, je suis resté dans les parages pour venir à votre rescousse si je le peux. De loin, j’ai vu la coulée de feu lancée par ce fourbe de Jahangir, c’est pourquoi j’ai envoyé un ouragan pour l’éteindre. Je suis très satisfait du travail de l’oiseau, il a anéanti la zone immonde ! Depuis que la forêt a repris ses droits, mes sujets nettoient les plages, s’occupent des morts et redonnent ses droits à la nature. Cette île va bientôt ressembler à ce qu’elle était jadis, une merveille précieuse au coeur de l’océan. Mais d’abord il faut vaincre Jahangir, j’ai toute confiance en vous, rappelez-vous !

-- L’arbre nous a sauvé la vie, expliqua Vincent, il nous a protégé du feu de l’enfer. Nous te remercions d’avoir envoyé le vent et la pluie pour noyer le brasier et préparer le sol pour faire repousser la jungle. Nous te sommes redevables de tout.

-- Non, nous agissons ensemble dans le même but, vous ne me devez rien, et je viens d’avoir une idée. Restez sagement sur votre falaise, je viens vous chercher et je vous déposerai à l’entrée de la grotte. 

 

La mer au pied de la falaise se retira soudain à grande vitesse, dévoilant les rochers et les fonds marins au pied de la falaise, se creusa profondément, puis se souleva en une haute lame gigantesque au sommet de laquelle dansait la conque de Lamar. La vague  avança doucement jusqu'au bord du précipice où nous nous trouvions, et resta en l’air quelques instants. Lamar en profita pour approcher son char, et nous fit sauter à bord prestement. La lame recula à nouveau, le quadrige était perché sur la crête en équilibre alors qu’elle descendait vertigineusement, les dauphins s’agitaient comme des fous, Alma hurlait, Lamar riait à gorge déployée. Puis la vague se ramassa sur elle-même et remonta une seconde fois contre la paroi rocheuse. Mais cette fois elle s’arrêta à la hauteur de la grotte, se tint en équilibre et Lamar avança la conque pour nous déposer sur le rebord rocheux, avant de repartir avec le recul de l’onde. A peine la vague eût-elle retrouvé son niveau normal qu’il lança son char sur les flots, nous le vîmes bondir au dessus de l’écume, évitant une nouvelle lame de fond, et s’éloigner très vite comme à son habitude, son trident refléta un instant un rayon de lune et jeta un éclair d’argent sur les flots sombres. Au pied de la falaise, la mer très agitée après ces extravagances se ruait furieusement contre les rochers et les embruns nous éclaboussaient copieusement. Mais rien ne pouvait ternir notre satisfaction, car nous étions enfin arrivés à l’entrée du repaire de Jahangir. 

 

-- Merci Lamar, nous sommes sains et sauf, hurla Jerem dans le coquillage pour couvrir le bruit de l’océan.

 

Malgré le vacarme et l’écho, la voix du roi des mers nous parvint haute et claire, comme s’il était à côté de nous. Il était content de lui, il avait trouvé une idée excentrique mais efficace pour nous amener jusqu’à la grotte. Il attendait maintenant que nous remplissions notre mission au plus vite.

 

-- A propos, ajouta-t-il avant de partir, j’ai quelques messages pour vous de la part de Clotaire, il me les a transmis par son coquillage. Les amis de Jerem ont réussi à semer vos poursuivants dans la montagne et ceux-ci sont repartis bredouilles. Vos compagnons sont maîtres dans l’art du camouflage et ils ont soudain disparu sans laisser de traces et en trompant les drones. Vous pouvez imaginer la colère des pisteurs perdus, cela nous a beaucoup amusés Clotaire et moi ! Clotaire a également envoyé des compagnons sur le troisième site où se trouvait la pimpiostrelle, il n’y a plus aucune fleur là-bas, il ne reste que de la roche nue, tout a été arraché et massacré par Jahangir et ses séides.

-- La pimpiostrelle a donc totalement disparu, fit Alma.   

-- Hélas, ajouta Jerem avec un pincement au coeur, ce n’est pas une bonne nouvelle, l’espèce s’est éteinte définitivement.

-- Il ne faut pas perdre espoir, reprit Alma avec une petite grimace, il y a toujours des solutions. Il en reste quelques brins sur l’île des Gondebaud.

-- Et maintenant foncez, dit Lamar, il est temps de mettre fin aux agissements de Jahangir. 

 

Obéissant à son injonction et trempés par les paquets de mer qui nous inondaient à chaque vague, nous nous engouffrâmes dans le boyau sombre et humide qui s’ouvrait devant nous. Avant que je pénètre à la suite des autres, Houang Ti descendit du ciel et vint se poser sur mon épaule.

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