Chapitre 18 : Elena (18 ans)

Par Zoju
Notes de l’auteur : Bonne lecture :-)

Il m’a fallu une semaine de repos forcé pour récupérer de mes blessures et retrouver un semblant de forme. Vincent m’aurait bien gardée davantage, mais il a compris que c’était sans espoir. J’ai encore le corps tout courbaturé par les privations et les coups. Mes bandages au ventre me bloquent ma mobilité. Pour ne rien arranger, mon esprit reste relativement fatigué. Vincent m’a gavé de somnifères pour être sûr que je récupère. Je me regarde dans le miroir, j’ai une tête à faire peur. Mes cheveux sont collés tellement ils sont gras et des poches noires se sont développées sous mes yeux. Ma lèvre inférieure est encore légèrement gonflée et des croutes se sont formées sur plusieurs parties de mon visage. Le subordonné du maréchal n’y a pas été de main morte. J’attrape mon sac qui se trouve sur mon lit et quitte ma chambre. Mon médecin attitré m’attend dans le couloir. Je le suis jusqu’à son cabinet. Je m’installe face à lui pendant qu’il sort des boites hors de son tiroir.

- Voici, les médicaments que tu dois prendre encore une semaine, me dit-il en désignant les différentes boites. Je te donne également un antalgique et un somnifère au cas où tes blessures te lanceraient. 

- Merci, dis-je pour la forme en empoignant une boite au hasard.

Les comprimés sont ronds, blancs et bourrés de trucs non identifiables infects. Cela me répugne, rien que d’y penser. Vincent continue :

- Si tu fais la moindre rechute, tu viens me voir immédiatement. Inutile d’empirer ton cas.

- Ce sera fait.

En m’apercevant qu’il a fini, je me lève pour le laisser à ses occupations. Il me raccompagne à la porte. Je le salue et m’en vais. Je passe à côté de soldats blessés plus ou moins gravement. Certains ont le bras en écharpe, d’autres compressent des plaies au niveau de la tête. Ils attendent d’être soignés. Je reconnais quelques visages. Luna m’a informée que la dernière mission pour repousser les rebelles a été un véritable fiasco. Un groupe de chez nous s’est retrouvé pris en embuscade et la moitié a été tuée ou fait prisonnier. J’accélère le pas pour m’éloigner le plus rapidement possible de cet endroit. Je veux le fuir. Il pue le sang et les malheurs. J’ai déjà assez de problèmes, inutile de me préoccuper de celui des autres. Cette mentalité est cruelle, mais on l’est encore plus avec moi. Je me dépêche de rejoindre ma chambre, mon seul lieu de quiétude. Dès que j’ai claqué la porte, je me colle contre celle-ci et me laisse glisser au sol. À partir de maintenant, je vais devoir jouer un rôle qui m’écœure. L’ancienne Elena va disparaitre pendant un certain temps. Je me déshabille et ôte mes vêtements, les uns après les autres. Une fois nue, je me relève pour me tenir face à mon miroir. C’est le seul élément qui me reste de l’extérieur. J’enlève mes bandages. Vincent désapprouverait, mais c’est mon corps et c’est moi qui décide de ce que j’en fais. Mes plaies aux mains sont encore fraiches tandis que celles au ventre ne sont presque plus visibles. J’attrape mes cheveux et dégage ma nuque. J’observe ce corps meurtri et je le trouve laid. J’ai maigri depuis la dernière fois. Plusieurs cicatrices traversent mon dos. Voilà le résultat de mes nombreuses oppositions. Je frissonne, il a beau faire chaud à l’extérieur, l’air dans ma chambre est glacial. Je me réfugie sous ma douche et fais jaillir l’eau brulante du pommeau. La douleur aux mains se réveille au contact de la chaleur. Mes blessures protestent, mais je ne les écoute plus. Je me savonne pour enlever la couche de pommades dont les infirmiers m’ont enduite. Je frotte tellement que ma peau devient rouge vif. J’en profite pour me laver les cheveux. À contrecœur, je coupe l’eau. Je dégouline de partout et mouille toute la salle de bain. Je tords mes mèches et les essuie. Je me sens mieux. J’enfile mon uniforme et bande mes mains. Je prends mon temps. Je n’ai aucune envie de me retrouver face aux autres soldats. Ils me détestent, car je ne respecte aucune des règles de la base. Après avoir coiffé mes cheveux en chignon, j’ouvre la porte et tombe nez à nez avec le colonel Tellin. Son poing en l’air prouve qu’il allait frapper. Qu’est-ce qu’il me veut encore lui ? S’il y a bien une personne que je souhaite à tout prix éviter, c’est lui. Depuis que j’ai repoussé ses avances lors d’un entrainement, il devient de plus en plus intrusif, trop même. Mon cœur se serre à cette pensée. Je voudrais tant retrouver l’homme qui m’a aidé à faire mes premiers pas dans ce lieu, mais je ne peux que constater, amère, que cette personne en qui j’avais donné ma confiance n’existe plus.  

- Que désirez-vous, mon colonel ? m’enquiers-je un peu brusquement.

- Moi, rien, mais le maréchal si. Il t’attend dans son bureau immédiatement.

J’enfonce mes ongles dans ma paume. Cette rencontre arrive beaucoup trop tôt. Je ne suis pas encore prête à le regarder. Mais je n’ai pas le choix. Ce n’est pas un hasard si c’est Tellin qui soit venu me chercher. Mon père sait que je ne lui échapperai pas. Je reprends :

- Dans ce cas, je vous suis, mon colonel.

Un coin de sa lèvre se relève.

- Je vois que tu as retenu la leçon pour une fois. Tâche de continuer.

- Inutile d’en rajouter, grommelé-je.

- Qu’as-tu dit ? fait-il mine de s’étonner.

Je souris innocemment.

- Rien d’important.

D’un mouvement sec, je suis dos au mur. Tellin pose une main à côté de ma tête et l’autre sur ses hanches. Il a beau n’avoir que quatre ans de plus que moi, il aime montrer que de nous deux, il est le plus puissant. Il ramène une de mes mèches brunes derrière mon oreille et un sourire se forme sur ses lèvres.

- Tu sais, Elena, je vais te donner un conseil, un conseil d’ami. Ne joue pas à ce jeu avec moi et encore moins avec ton père. Je suis relativement tolérant, mais pas lui. Fais attention à tes moindres gestes, à tes moindres mots et à tes moindres regards. Il est beaucoup trop facile de te cerner.

J’avale péniblement ma salive, car sa voix ressemblait à une lame bien aiguisée. Il recule et me lance comme si rien ne s’était passé :

- Le maréchal n’aime pas attendre. Ne nous attardons pas.

- À vos… à vos ordres, mon colonel.

Il s’élance dans le couloir, je me mets à sa suite. Nous arrivons trop vite à mon goût devant le bureau de mon père. Tellin frappe à la porte et rentre à l’intérieur de la pièce tout de suite après. Je fais de même. Le lieu est faiblement éclairé. Le maréchal est plongé dans la lecture d’un rapport. Nous restons debout, le temps qu’il termine. Il fait durer son plaisir. Il jette les feuilles sur sa table et me demande de m’asseoir. J’obéis aussitôt. Je remarque la lueur de satisfaction briller dans le regard de notre dirigeant. Il tourne la tête vers le colonel.

- Charles, donne-moi le dossier du lieutenant Darkan.

Le colonel Tellin s’exécute et tend une farde transparente à notre chef. Je ne vois pas où il veut en venir. Luna est capitaine et non lieutenant. Il consulte les pages tout en me questionnant :

- Comment va votre santé, Darkan ?

- On ne peut mieux, sire.

Il sourit.

- Parfait ! Darkan, je vous ai convoqué aujourd’hui pour vous dire que vous montez en grade. Félicitation, lieutenant !

J’ai une folle envie de lui demander « Et en quel honneur ? », mais je m’abstiens. Les paroles du colonel Tellin résonnent dans mon esprit. Au lieu de ça, j’essaye de demeurer impassible et le remercie. Je reste tout de même sur mes gardes. Cette montée en grade n’est pas normale. Je ne mérite pas cette promotion et il le sait aussi bien que moi.

- Ce n’est pas tout, vous allez devoir accomplir une mission pour moi. Il faudra garder le silence sur le contenu de celle-ci. J’ai votre parole, lieutenant ?

Il insiste sur le dernier mot.

- Il va de soi. Puis-je savoir en quoi elle consiste ?

- Bien entendu, Charles vous le dira en temps voulu.

Je remarque qu’il a esquivé ma question, mais je ne peux pas me permettre de le souligner. Il souhaite sans doute vérifier jusqu’où j’ai retenu la leçon. Je n’entre pas dans son jeu et lui réponds simplement :

- Ce sera fait, mon maréchal.

- Sur ce, je vous libère, lieutenant.

- À vos ordres.

Je quitte la pièce presque soulagée. Il ne m’a pas sanctionnée et c’est tout ce qui compte pour le moment. Malheureusement pour moi, le cauchemar vient de commencer, mais l’apaisement m’a empêché de le percevoir.  

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annececile
Posté le 27/04/2020
Quelques apercus de la guerre mysterieuse dans ce chapitre, avec l'armee d'un cote et les rebelles de l'autre, que semble vivre aussi Elena jusque dans son corps. Fascinant... Petits details : "ne t'attardons pas", plutot "ne nous attardons pas"? QU'est-ce qu'une "farde"? Synonyme de dossier? Elena s'etonne de "toute cette gentillesse", ce qui parait exagere compte tenu du dialogue froid qu'elle a avec son pere. Le tout dernier paragraphe est a l'imparfait et ca fait bizarre, avec tout le reste au present. J'ai l'impression que tu pourrais tout laisser au present. Bon courage!
Zoju
Posté le 27/04/2020
Pour te répondre en ce qui concerne la farde, il s'agit d'un belgicisme. Il se peut d'ailleurs qu'il en ait dans les autres chapitres. (Je l'utilise depuis toujours que c'est une évidence pour moi) C'est une sorte de classeur. Pour le dernier paragraphe, pour moi cela ne m'avait pas sauté aux yeux, mais maintenant que tu me fais la remarque, c'est vrai que cela peut paraître étrange puisque toute l'histoire est au présent. Je vais y réfléchir. En tout cas merci pour tes commentaires, cela me fais plaisir que tu continues à lire. :-)
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