Chapitre 18

Raphaël attendait son frère en compagnie de la jeune chienne qui ne cessait de tirer sur la laisse. Posté devant la porte d'entrée, il vérifia l'heure sur son portable. Cela faisait déjà 5 minutes qu'il poireautait. Il soupira quand il vit apparaître une énième notification qu'il rejeta. Mais qu'est-ce qu'il fait... Il s'apprêtait à appeler Gabriel jusqu'à ce qu'il le voit descendre les escaliers vêtu d'une casquette et de lunettes de soleil. La capuche de son sweat sur sa tête rajouta une touche de pessimisme à ce look atypique :

 

- Maman ne m'avait pas dit que t'étais recherché par Interpol.

- Ha ha. Très drôle.

 

En plus de cet accoutrement ridicule, il rajouta une écharpe à son attirail. Son grand-frère l'observa faire, complètement ébahi. Quand le plus jeune passa devant lui, il le retint par le poignet et lui retira son écharpe d'une main.

 

- Il est interdit de se couvrir complètement le visage, ajouta-t-il pour expliquer son geste.

- Depuis quand tu te soucies de la loi ?

- Depuis 10 secondes. Maintenant, on peut y aller.

 

Raphaël lui refila la laisse du chien pour l'empêcher de se défiler puis ferma derrière eux. Leur mère lui avait raconté cette première et dernière promenade catastrophique. Il ferait tout pour que ce scénario ne se reproduise pas.

Il enfila ses propres lunettes de soleil et marcha aux côtés de son frère. Du coin de l'œil, il surveilla le moindre signe de panique chez ce dernier. Pour le distraire de l'environnement qu'il considérait comme dangereux, il débuta une conversation qui ne manqua pas de faire rougir son cadet :

 

- Au fait, qui sont ces jolies filles qui te draguent ?

- Personne. Elles ne me draguent pas d'ailleurs.

- Tu peux m'en parler sans pression alors. J'aime beaucoup la photo de cette fille en maillot de bain...

 

Gabriel fronça les sourcils face à cette remarque. Il se demandait de quoi son frère pouvait bien parler. Celui-ci pianota un instant sur son écran avant de lui montrer la photo en question. Une jolie brune souriait à l'objectif. Ce qui attira le regard du garçon fut la longueur de ses jambes. Raphaël sourit en voyant sa pomme d'Adam s'agiter. Son petit frère était complètement mordu.

 

- Tu me la présentes ?

- Quoi ? De quoi ?!

 

Le commentaire de l'aîné lui fit immédiatement relever la tête de l'écran. Un sourire enjôleur avait déjà pris possession de ses lèvres. L'expression qu'il arborait était loin d'être une bonne chose.

 

- Arrange-moi le coup. T'es mon petit frère, souligna-t-il avec un clin d'œil.

- Justement. Je suis ton petit frère, pas un entremetteur, répondit Gabriel en faisant une grimace sur le dernier mot.

 

Pour éviter cette conversation plus qu’embarrassante, le balafré se concentra sur la jeune chienne. Il n’y connaissait rien en relation amoureuse. Et il ne voulait pas y être mêlé, surtout quand il était question de son frère et de ses conquêtes.

 

- Tu pourrais l’inviter à ma soirée.

 

Il roula des yeux devant la demande implicite. Raphaël n’avait vraiment aucune gêne ! Le plus jeune fronça des sourcils quand il le vit dégainer son smartphone. Derrière ses verres teintés, il ne se priva pas de suivre attentivement le comportement suspect de l’aîné. Il le vit ouvrir l’application bleue. Un sentiment d'anxiété le prit à la gorge.

 

- Qu’est-ce que tu fais ?

- Je pirate le gouvernement.

 

Gabriel souffla devant sa réponse. Ils s’arrêtèrent un instant quand Pikachu adapta une position compromettante. Pour fuir cette vision peu ragoûtante, le jeune homme releva la tête et croisa le regard d’un groupe de prépubères qui revenait probablement de l’école. Il vit l’un d’entre eux le montrait du doigt. Il baissa les yeux et, dans un geste machinal, il pressa l’animal à finir son affaire rapidement. Il ne voulait pas s’éterniser en ces lieux. D’ailleurs, maintenant qu’il y pensait, ils étaient plutôt loin de la maison.

Le gringalet observa les alentours sans parvenir à se repérer. Il prit une profonde inspiration pour essayer de se calmer. Heureusement pour lui, Raphaël n’avait rien capté de son manège. Il tira sur la laisse tout en faisant demi-tour. Pikachu protesta moyennement et ils refirent le sens inverse plus rapidement. 

Quand ils franchirent la porte d’entrée, Gabriel respira à nouveau. L’assurance des murs familiers autour de lui diffusa une certaine chaleur à son corps. Il se sentait enfin en sécurité. Il libéra la chienne de son harnais avant de le ranger dans le tiroir.

L’adolescent remit ses lunettes de vue et se débarrassa de sa casquette. Il finit par s’affaler bruyamment sur le canapé, les mains posées sur son ventre. Il commençait à avoir faim.

 

- Qu’est-ce qu’on mange ce midi ?

- A toi de me le dire.

 

La tête plongée dans son téléphone, Raphaël engageait la conversation avec une belle brune. Il voulait en savoir plus sur les liens qui unissaient son frère à cette jolie gazelle. Il ne cherchait pas à la draguer (ou peut-être un peu ?). En réalité, il voulait surtout connaître ses intentions. Bien qu’il soit en perpétuel conflit avec son petit frère, il restait tout de même l’une des personnes les plus importantes de sa vie.

En attendant sa réponse concernant sa soirée, il envoya un premier message à une certaine “Charlotte”. Elle possédait le même nom de famille que sa magnifique interlocutrice. Il décida de l’inviter au nom de Gabriel. Ce dernier n’oserait jamais faire les démarches ! Il souffla : qu’est-ce que le morveux ferait sans lui ?

 

- Je ne sais pas cuisiner, Raph, ajouta le plus jeune, complètement blasé.

 

Il avait faim !

 

- On commande alors.

- Avec quel argent ?

- Maman a laissé de l’argent de poche.

 

Le balafré laissa la sale besogne à son frère. Il cherchait les mots justes pour aborder le problème qui le titillait : comment aborder quelqu'un qu’on a ignoré pendant des jours ? Il ne le savait pas. Les relations humaines étaient si compliquées ! 

L’adolescent observa son frère du coin de l'œil : lui n’avait aucun problème à aborder les autres ! Il hésitait à lui quémander de l’aide parce qu’il savait que s’il demandait un quelconque conseil, il en entendrait parler jusqu’à la fin de sa vie. Le choix était vite fait.

 

***

 

Quand le repas arriva, les deux garçons posèrent leur victuaille sur la table basse afin de manger devant la télévision. Gabriel mangea son hamburger avec appétit, lui qui n’avait pas l’habitude de consommer du fast-food. Sa mère avait toujours insisté pour qu’il mange de la nourriture saine comme il ne pratiquait aucun sport. Il soupira de bien-être en sentant la nourriture grasse sous son palais. A cet instant, il primait la malbouffe à un restaurant étoilé.

 

- La vie n’a pas été tendre avec toi, le morveux, commenta l’aîné en lui offrant une tape dans le dos.

 

La bouche pleine, il ne répondit rien d’autre qu’un grognement. C’était si bon ! Il pourrait en manger tous les jours, pensa t-il en ingurgitant sa boisson fraîche. Son frère, qui vivait en colocation avec l’un de ses amis, devait en profiter fréquemment. Ce qu’il donnerait pour être à sa place !

Son aîné était encore en train de mâcher son hamburger. Il vérifiait de temps en temps l’écran de son téléphone, ignorant quelque peu la présence de Gabriel. Le plus jeune se tournait les pouces. Il n’avait personne à qui parler à part lui. Il réfléchissait à un sujet de conversation.

 

- Alors, tu as une copine en ce moment ?

 

Le balafré pensait avoir visé juste en abordant le sujet des filles. Raphaël avait toujours quelqu’un à son bras. Mais cette fois-ci, le concerné n’eut pas la réaction escomptée. Le beau brun se renfrogna avant d’adresser un regard noir au gringalet. Nerveux, il détourna ses yeux sur les paquets d’emballages. Il avait fait fausse route. Et maintenant, il ne savait pas comment revenir en arrière. Pourquoi est-ce qu’il avait ouvert la bouche ?

 

- Laisse tomber.

 

Il se leva pour jeter papiers et cartons, puis se réfugia dans sa chambre. Enfermé dans son petit cocon, il ne risquait pas de brusquer quelqu’un. Le jeune homme alluma sa console et lança une partie. Il n’avait pas vraiment envie d’y jouer mais il ne possédait rien d’autre que ses jeux pour se distraire de la solitude. Il s’en était rendu compte après avoir manqué les cours. Quitter les murs de sa maison avait été assez agréable. D’autant plus que la compagnie de Charlotte lui manquait. Elle avait été la seule à se soucier de lui et pas du “garçon à la cicatrice”. Il avait été plus que l’image brisée qu’il renvoyait.

En voyant son personnage se faire tuer par un autre joueur, il abandonna sa manette sur son lit pour reprendre son smartphone. Il allait lui envoyer un message !

 

“Salut.”

 

Il attendit donc les nerfs à vif, une réponse de la part de la rouquine. Quand, au bout de cinq minutes, Gabriel ne reçut aucune notification, il verrouilla une dernière fois son téléphone après avoir regardé l’heure. Elle était en cours. Elle n’allait pas lui répondre. Il se traita d’idiot. Il le méritait.

Le jeune homme s’ennuyait. Sa console ne parvenait plus à le distraire. Ses jeux de stratégies et de guerre n’effaçaient plus sa solitude. Là, assis dans sa chambre, il était bel et bien seul.

Ses pensées revenaient sans cesse sur le message qu’il avait envoyé plus tôt. Charlotte ne lui répondait pas. Et ne lui répondrait probablement plus. Elle avait sûrement passé l’éponge. Il était trop bizarre avec elle, avec tout le monde d’ailleurs.

Comme pour remuer le couteau dans la plaie, il alluma l’écran de son téléphone. Seule l’image de Pikachu lui fut rendue. Il soupira. Si son appareil avait sonné, il l’aurait entendu. Et cela le mit en colère parce qu’il attendait un signe de vie de son amie. Sa première amie depuis l’incident. Le gringalet serra les dents. Il n’avait pas le droit de se mettre en colère, cela serait complètement hypocrite de sa part après le silence qu’il lui avait lui-même imposé. Tout était de sa faute, et il s’en mordait les doigts.

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