Chapitre 18:

Notes de l’auteur : Allez les choses deviennent sérieuses !

Chapitre 18 :


 

Une semaine entière s’était passée depuis la journée au Pavillon des Etangs. Une semaine longue et difficile. 

Depuis son lit d'hôpital, Gabrielle avait regardé par la fenêtre presque tout le long, quand elle ne sombrait pas dans un sommeil profond entrecoupé de douleurs et du passage des médecins et infirmières. On lui avait demandé de se reposer, c’est ce qu’elle avait fait. On lui avait beaucoup parlé, et elle avait écouté. Mais elle n’avait pas dit un mot de la semaine. Tout le monde semblait avoir beaucoup trop de choses à lui dire. 

A son arrivée, on l’avait admise sans tarder. Pierre était resté, c’est du moins ce qu’on lui avait dit. Puis il n’était pas revenu. Du tout. La suite des événements était floue: elle se souvenait très bien du regard inquiet des médecins, puis des commentaires à voix basse. Quelques mots parvenaient jusqu’à elle, des mots qu'elle ne connaissait que trop bien. Elle faisait une nouvelle crise, une nouvelle poussée de psoriasis accompagnée de douleurs. La dernière fois que s'était arrivé, elle avait du partir six mois pour Marseille, ne pouvant même plus marcher...

Mais cette fois, elle avait eu plus de chance. En peu de temps, la douleur avait diminué, lui laissant l'occasion de dormir. Et une semaine s'était écoulée. Comme d'habitude, elle reçu la visite de plusieurs médecins, intéressés par sa maladie. Elle n'en tenait plus rigueur à qui que ce soit. Mais, l'un d'entre eux lui posa une question très simple, qui d'ordinaire n'aurait rien voulu dire... Il lui demanda de quand dataient ses dernières menstruations. Elle réalisa avec stupeur qu'elle n'en avait aucune idée. En temps normal, son cycle était chaotique, et elle n'avait pas pour habitude de s'alarmer au moindre retard. Mais là... Elle comprit que quelque chose n'allait pas. On lui fit donc passer de nouveaux examens, des prises de sang, des auscultations, on lui fit même passer une radiographie. Il n'y avait rien de visible, rien de spécial. Mais le médecin lui expliqua que tant qu'elle ne serait pas menstruée, elle resterait infertile. Et pire, que si cette situation venait à durer, il était possible qu'elle le soit totalement.

Gabrielle ne comprit pas totalement pourquoi cette découverte créa de la surprise en elle. Elle l'avait toujours su, aucun médecin ne lui avait caché que ses traitements pourraient la rendre stérile, ou que sa condition serait trop fragile pour porter un enfant. Mais le fait de ne plus être réglée lui semblait être comme une amputation, comme si on venait de la priver d'une partie d'elle-même, de sa féminité.

Pour autant, ce ne fut pas le pire dans cette histoire. Le pire, c'est qu'on expliqua tout cela à Pierre. Lui apprenant que sa toute nouvelle épouse ne pouvait lui donner d'héritier...


 

***


 

Quelques heures avant sa sortie de l’hôpital, Marguerite était venue voir Gabrielle, et très vite, celle ci comprit que la jeune femme se sentait très mal à l’aise dans l’enceinte de l’établissement. Ce n’était pas compliqué de le voir, elle était blanche comme un linge et ne parlait presque pas. Gabrielle ne se moquait pas, au contraire, mais elle trouvait cela adorable de voir quelqu'un terrifié par les hôpitaux, quand elle, y avait passé un temps non négligeable... Cela lui fit penser à autre chose durant un temps. Car maintenant, elle savait bien qu'elle devrait affronter Pierre. Pierre qui savait. Pierre qui se voyait refuser tout ce qui aurait du être à lui... L'argent, le renommée et maintenant un héritier. Gabrielle avait du mal à expliquer et s'expliquer pourquoi elle se sentait en danger à ce point. Pierre était un être spécial, avec ses défauts, mais malgré tout : elle savait que quelque chose n'allait pas, qu'il cachait une noirceur au fond de lui... Quelque chose qui pourrait être réveillé, et typiquement par ce genre d'évènement.

Marguerite n'était pas seulement venue pour l'aider à se préparer pour la sortie. Non, elle était également porteuse d'un message. Et pas n'importe lequel.

Pierre viendrait la chercher et il lui fallait être doublement prête, car durant la nuit, la police avait attrapé le tueur en série et des journalistes seraient là à les attendre.

Gabrielle senti son cœur s'emballer.

Enfin.


 

***


 

Les journalistes étaient au moins une dizaine, parlant tous en même temps, se bousculant pour approcher Gabrielle et Pierre. Ils voulaient tous recueillir les premiers mots, les impressions du professionnel en charge de l’affaire et de la victime collatérale qui avait vu son oncle tué, du pain béni. Gabrielle s’accrochait au bras de Pierre, elle ne disait rien, ne prononçait pas le moindre mot, pas même un “pardon” pour se frayer un chemin jusqu’à la voiture. Les consignes avant de sortir ont été très claires, pas de commentaires, pas de déclarations, et surtout pas de malaise.

Maintenant qu'elle voyait tous ces journalistes, elle comprenait pourquoi Pierre avait été si ferme sur l’attitude à adopter. Se comporter naturellement devant autant de journalistes était quasiment impossible. Gabrielle avait tendance à se replier sur elle—même, se crisper, être aussi pressée de répondre, voir des personnes aussi insistantes physiquement et oralement était oppressant. Marcher lui était encore difficile et elle avait peur de tomber, de trébucher, ou même juste d'une bousculade. Elle n'était pas en état de subir tout ça, alors ne rien avoir à dire l'arrangeait grandement. 

Montant dans l'automobile de Pierre, elle put enfin se détendre quand ils s'éloignèrent rapidement de la foule déçue. 


 

« Nous rentrons à la maison, je vais te déposer pour que tu ailles te reposer et je vais rejoindre la prison, ne m’attends pas, je ne rentrerai surement pas ce soir. 

Gabrielle regardait les maisons défiler. 

— C’est hors de question, je veux venir avec toi

— Comment cela?

— Je veux t’accompagner, je veux le voir. 

Pierre la regarda à deux fois. Il dû comprendre ce que Gabrielle voulait dire et ce qu'elle avait en tête car il ne lui répondit rien, ne lui disant pas non, mais pas oui non plus. 

— Ne me fais pas te ramasser à la petite cuillère, imposa t-il. 

— Comme si tu m’avais déjà ramassée, rétorqua-t-elle immédiatement. 

S’il avait regardé vers elle, Gabrielle aurait bravé son regard. 

— Fais bien ce que tu veux, de toute façon c’est ce que tu as l’habitude de faire. 

— Tout comme toi. Alors, nous voici sur un pied d’égalité. 

— Si j'étais toi Gabrielle, je ne jouerais pas trop non plus… Tu penses que je suis agréable car j’ai pitié de toi. 

— Je n’ai que faire de ta pitié, Pierre, et je n’ai que faire de ton avis. 

Gabrielle regardait droit devant elle, ne sachant quelle force et quelle audace l’habitait. 

— Cela suffit. Tu outrepasses ta condition, se fâcha Pierre. 

— Et toi, tu es aveugle. Ne vois-tu pas une personne qui n’a rien à perdre quand tu en vois une ? Je ne peux t'offrir d'enfant. Je suis ruinée et criblée de dettes, mon nom a été traîné dans la boue. Nous devions faire un mariage arrangé qui nous aurait apporté à tous deux une vie agréable et confortable, mais le destin se joue de nous. Je sais que tu ne peux demander le divorce ou même l’annulation de notre mariage.

Un incroyable silence se fit entre les deux époux, seulement brisé par le bruit épuisant du moteur qui faisait avancer la voiture de Pierre. 

— Comment es-tu au courant pour les dettes? demanda t-il. 

— Je t'ai entendu discuter avec Armand. 

Pierre dodelina de la tête. il ne semblait plus en avoir rien à faire. Gabrielle inspira doucement, pour prendre son temps dans ce qu'elle avait à dire, pour ne pas voir sa langue fourcher au mauvais moment. Dans son esprit, elle avait répété ces phrases pendant toute sa semaine d'hospitalisation. 

— J’ai quelque chose à te proposer. A partir de ce jour, je te donne l’autorisation d’aller voir toutes les femmes que tu veux, de coucher où tu l'entendras. Mais la question d’un enfant n’étant plus d’actualité, je ne saurais souffrir que tu me touches à nouveau. Je n’exige que ta discrétion.

Gabrielle serrait ses mains l’une contre l’autre, fixant la route qui défilait, puis elle continua:

— Tu ne m’aime pas et je ne t’aime pas, pourquoi continuer à faire semblant quand je suis presque sûre qu’une femme sans le sous, sans nom et sans réputation t’attends chez elle chaque jour que Dieu fait. Ou peut-être deux? Je n’en ai cure, ajouta Gabrielle. Mais je serais là à toutes tes soirées, à tes galas et dîners. Tu as besoin de moi pour paraître plus sérieux, plus sympathique. Et je serais là; tant que notre accord sera valable.» 


 

Tout d’abord, il y eut un nouveau silence. Gabrielle ne sentait que son cœur qui tambourinait dans sa poitrine à toute vitesse, la chaleur de la peur et la honte qui montait en elle. Ces demandes, elle les avait réfléchit pendant les jours qu’elle avait passés à l'hôpital. Elle avait pensé chaque mot, chaque détail. Cela ne faisait que quelques mois qu’elle connaissait Pierre, mais pourtant, elle était certaine de savoir comment lui parler et quoi lui demander. Ce qu’il s'était passé, semblait s’être déroulé comme dans un rêve, un mauvais rêve. Tout était déjà passé et c’est comme si ce n’était jamais arrivé.


 

« Soit, fit Pierre, les yeux sur la route. 

Puis il inspira, semblant lui aussi avoir bien réfléchi à la proposition. L’automobile ralentissait, et Gabrielle comprit qu’ils étaient arrivés.

— Mais que les choses soient bien claires: cet accord n’est valable qu’en l’état. En aucun cas je ne te rendrais la pareille.» 


 

Pierre éteignit le moteur de sa voiture, fuyant toujours le regard de Gabrielle. Celle-ci tenta de réprimer un rictus de colère et de déception. C’était bien plus qu’une victoire en demi-teinte. Pierre avait trouvé le moyen de retourner la situation à son avantage. Gabrielle n’avait pas réellement anticipé cette réaction-ci … Il refusait et se retrouvait encore une fois gagnant de leur échange. Gabrielle ne se sentait malgré tout pas réellement lésée. Elle se disait que les choses pourraient sûrement changer avec le temps. Aujourd’hui, Pierre refusait qu'elle aussi puisse avoir un amant, mais dans quelques années, quand il serait devenu un homme politique reconnu, qu’il aurait multiplié les maîtresses et les amantes, et n’aurait sûrement plus que de l'indifférence à l'égard de Gabrielle, à ce moment elle pourrait sûrement renégocier les termes du contrat. Ou même encore donner simplement un coup de canif dedans… C’est tout du moins ce qu'elle imaginait, peut-être à tort? Mais son esprit ne pouvait se complaire dans le malheur et ne voir que du négatif jusqu’à la fin de ses jours. Et puis, il n’était pas non plus forcé de tout savoir… 

Mais surtout, il ne la toucherait plus.


 

Soudain, un bruit fort la sortit de ses pensées, Gabrielle n’était même pas encore descendue de la voiture, elle avait besoin de l’aide de Pierre. C’était le bruit des appareils photos, puis celui de la clameur de la rue qui se faisait de plus en plus présente dans son esprit, la faisant redescendre sur terre. 

Ils étaient devant l’endroit où était détenu le tueur, et ce n’était nullement une prison, ou un hôtel de police, mais une propriété privée. Une bâtisse très commune de l’extérieur, se situant à quelques rues du Palais Garnier. Gabrielle su tout de suite que quelque chose n’allait pas, car un attroupement s’était formé devant la maison. Des journalistes, mais également des badauds, et surtout, surtout, une foule en colère.

Comment tous ces gens avaient-ils pu avoir l’information? Elle imaginait déjà l’ambiance à l’intérieur de l'hôtel, la police devait être sur les nerfs, à la recherche de celui ou celle qui aurait vendu l’information à la presse. Bien sûr tout le monde était à l'affût de la moindre nouveauté pour faire sensation, pour vendre, pour être le premier sur l’affaire. Gabrielle savait qu’elle allait devoir faire profil bas pour pouvoir rester là et surtout arriver à ses fins. Pierre lui prit le bras pour l'entraîner jusqu’à la porte, serrant Gabrielle contre lui pour ne pas se faire bousculer par la foule et de l’autre main, garder la valise de Gabrielle avec lui, ne pouvant laisser ses affaires dans la voiture. A vrai dire, cela ne plaisait pas du tout à la jeune femme, cette cohue lui faisait peur pour de multiples raisons: son instinct lui disait qu’à chaque minute cela pourrait déraper, qu’on l’aurait attrapée ou poussée. Mais Pierre était un homme avec une force et une silhouette suffisamment imposante pour qu’on les laisse passer: non sans tenter de leur poser des questions, ainsi que prendre des photos. 


 

« Madame Loiseau! Une réaction? On a attrapé le tueur de votre famille, êtes vous soulagée?

— Madame Loiseau!

— Madame, allez vous tout faire pour obtenir justice?

— Etes-vous pour la peine de mort pour cette personne?

— Madame Loiseau, une déclaration?» 


 

Gabrielle ne répondit à aucune de ces questions, sentant que Pierre la pressait d’avancer et de se mettre à l’abri à l’intérieur. Aucune question n’avait été posée à Pierre, comment cela était-il possible? C’était elle que les journalistes voulaient entendre suite à cette arrestation ? Une partie de Gabrielle se dit que Pierre était déjà sûrement passé avant elle, avec son flot de questions et de photographies. 

Une fois la porte refermée derrière eux, Gabrielle souffla. Pierre l’avait serrée si fort que cela avait ravivé ses douleurs. A peine entrés, ils furent accueillis par deux hommes en uniforme, toujours armés et visiblement tendus, leurs visages pâles et leurs yeux cernés en disaient long sur l’ambiance qui régnait ici. Une domestique fut sonnée et vint débarrasser Gabrielle de sa veste et son sac à main, puis Pierre de son chapeau, sa veste et la valise. 


 

« Tu restes près de moi, tu ne parles que si l'on t’invite à le faire et surtout: garde ton sang froid. Si jamais, si jamais... insista-t-il à voix basse. Tu te donnes en spectacle comme la dernière fois… » 


 

Il ne prit pas la peine de terminer sa phrase et Gabrielle de lui répondre. 

Le contraire l’aurait étonnée. 


 

Pierre l’entraîna vers une pièce adjacente, la reprenant par le bras. Ici, pas question de décoration ou encore de mobilier. Il n’y avait qu’une table posée en plein milieu de la salle, couverte de documents, tout autour, trois hommes sans uniformes discutaient, l’un assis et les autres debout. Gabrielle reconnu tout de suite le préfet Lépine, mais ignorait l’identité des deux autres hommes. Personne ne la présenta, et aucun d’entre eux ne s'introduisit auprès d’elle. 

Mais soudainement la porte s’ouvrit de nouveau sur Daniel Taylor et Armand. 


 

« Ah Pierre! Gabrielle, bienvenue. C’est une bonne journée. Vous êtes venue pour le voir? Vous n’allez pas être déçue, commença tout de suite Daniel. 

— Bonjour Daniel, oui, je voulais venir.

Alors qu’elle parlait, Armand s’avança silencieusement et attendit qu'elle finisse sa phrase pour la saluer correctement. Elle sut immédiatement que quelque chose n’allait pas, car il fuyait son regard. Ce n’était nullement dans ses habitudes. 

Daniel s’en alla vers les trois autres hommes. 

— C’est qu’il est coriace l’animal… Les hommes ont dû aller chercher des pierres et des briques qui trainaient dans la cour pour les cimenter devant la porte parce qu’il allait la traverser… Nous ne sommes même pas certains que cela va suffire à le garder très longtemps à l’intérieur. 

— Gardez les torches allumées et continuez de le menacer au moindre accès de colère… insista un homme qui entra à son tour dans la pièce. 

Gabrielle fut plus que surprise de voir le Docteur Eugène Courtois ici. Du coin de l'œil, elle regarda vers Armand, se souvenant de cet ordre de mutation et des documents que Pierre avait trouvé sur son bureau signé de sa main. Et d'autre chose... mais quoi ?

Pierre avait commencé à aller voir les documents, mais semblait essayer de se soustraire rapidement à son envie de travailler pour accompagner Gabrielle et surtout la garder à l'œil. 

— Je ne comprends pas… Comment peut-il posséder une force pareille? Comment va le Sergent Gautier? demanda le préfet. 

— Une grosse commotion, expliqua le médecin. Il a bien failli lui briser le crâne... 

— Le sortir d’ici va être compliqué, vu le mal que cela nous a prit de l’y faire entrer. 

— Combien de policiers sont morts? demanda Pierre, sombre. 

— Sept… souffla le préfet, contrit. 

Gabrielle serra ses mains entre elles, sentant son cœur s’emballer. 

— Seigneur… Cette arrestation ne m’apporte que peu de réconfort, commenta Pierre. 

— Et la presse qui s’est agglutinée devant la maison… Si je n’avais pas besoin d’autant de bras, j’aurais renvoyé tous les hommes que je pouvais pour limiter, au mieux, les fuites. Mais je crains que le mal ne soit déjà fait. 

— Gabrielle, je voudrais te ramener à la maison. Ce n’est pas un endroit pour une femme. Et je crois que ce n’est pas le moment non plus. 

La jeune femme sursauta en entendant son prénom et regarda Pierre. Il semblait étrangement sincère.. 

— Non, je veux le voir. Je veux le regarder dans les yeux et lui demander pourquoi il a fait ça. » s'empressa-t-elle de répondre.

 

Autour d’elle, les hommes se mirent à rire, se moquant ouvertement. Leurs regards lui fit monter un flot de colère et de honte. Oui, elle avait peut-être l’air d’une innocente, d’une idiote avec ses idées. Mais elle devait le voir. L’idée d’y trouver un fou, une bête, avait fait son chemin et imaginer que son oncle n’avait été qu’un accident de parcours, un hasard lui apporterait un certain réconfort, mais en même temps une profonde colère et injustice. Le voir, et confronter son regard pouvait peut-être lui apporter des réponses.

« Je n’en aurais pas pour longtemps et je vous promets que je repartirai juste après. Je ne souhaite pas vous gêner dans votre travail. 

— C’est déjà le cas, marmonna un des deux hommes dont elle ignorait le nom

— Viens, Gabrielle. Dépêchons-nous. intervint Pierre en l’attrapant par le bras pour l'entraîner vers le couloir. 

Armand les arrêta avant qu’ils ne prennent la porte qui menait à la cave. 

— Pierre, je vais rentrer, j’ai des affaires urgentes qui m’appellent. 

— Très bien. Moi je vais rester ici, et sûrement aller à mon bureau après. 

— Je te souhaite bon courage.»


 

Pierre lui mit une tape sur l’épaule avant de descendre avec Gabrielle. Armand ne chercha pas à la retenir, ni à lui dire au revoir, ni même croiser son regard. Tant mieux, voilà qu’il lui facilitait les choses. 


 

Les escaliers étaient raides et escarpés, pas du tout adaptés pour une femme en robe et en talons… Gabrielle se tenait au mur, descendant derrière Pierre. Son cœur battait si fort qu’il résonnait dans ses tempes, elle avait les mains moites… 

Un cri monta vers eux, la glaçant. Un cri d’animal. Elle s'immobilisa quelques secondes, hésitant soudainement. Il était là. Si près. 

Respirant fortement pour se donner du courage, elle reprit sa descente. 


 

Une fois en bas, il devait y avoir, au bas mot, une vingtaine de policiers avec ou sans uniforme, certains étaient sales de ciment, de sang, de terre. 

C’était un sous-sol immense, sûrement une ancienne geôle car il y avait une dizaine de cellules, avec un plafond assez bas. Gabrielle supposa que cet endroit devait appartenir à la police depuis fort longtemps, il n'y avait plus que de la poussière et une odeur de moisis. En venant ici, la police avait sûrement tout fait pour se cacher et tenter de camoufler l’intervention. L’idée n’était pas idiote, mais, elle supposait que le dispositif déployé avait dû être trop voyant, trop bruyant pour passer inaperçu.

Au milieu de la pièce, une seule cellule était surveillée. La porte avait effectivement été scellée au ciment, avec des pierres, des briques, sur une épaisseur ridicule. Gabrielle trouva que cela ressemblait à ces constructions faites par les enfants... Dans la porte, il ne restait qu’une fente, à peine assez large pour laisser passer un bras. Éclairés aux lampes à pétrole, les hommes jouaient aux cartes d’un côté, se reposant un peu, et l’autre, ils étaient sur le qui-vive: des torches flamboyantes à la main. Et très rapidement, Gabrielle comprit quelle était leur utilité. Un bras sorti du trou de la cellule, rapide et attrapa l’un des policiers qui s’était un peu trop approché, discutant à côté avec un collègue. Un branlebas de combat se mit en route, plusieurs hommes attrapèrent la victime pour le retenir, mais c’était déjà trop tard, le tueur avait secoué le corps du pauvre bougre telle une poupée de chiffon, l’attirant vers lui à plusieurs reprise, le faisant heurter encore et encore les pierres cimentées. Les hommes aux flambeaux se précipitèrent pour les brandir vers le bras du tueur, le brûlant sans hésiter, écrasant la mèche embrasée sur sa peau comme une cigarette dans un cendrier. Un nouveau cri immonde se fit entendre, et le bras retourna dans son trou lâchant le policier assommé, la tête couverte de son propre sang. 


 

« Appelez le Docteur Courtois! Dites-lui qu’il en a encore attrapé un !! hurla un des hommes. 

— C’est pas possible, écartez-vous de cette putain de cellule ! Si j’en vois encore un s’approcher, c’est moi qui vous jette avec lui!» 


 

L’inspecteur Taylor, furieux, était arrivé en même temps, sûrement alerté par les cris. Gabrielle s’était agrippée au bras de Pierre. Tout compte fait, une partie d’elle—même n’était plus tout à fait sûre de vouloir s’approcher. 


 

« Le feu c’est la seule chose que cette chose semble craindre… expliqua Daniel.

En même temps, on ramenait le corps inerte du policier de leur côté pendant que le docteur Courtois préparait ses affaires, venant de descendre.

— Il ne craint rien… ni les balles, ni les coups, ni les couteaux... ajouta-t-il. 

Un homme à côté d’eux prit la parole. 

— Je lui ai tiré dans la tête. J’en suis sûr, j’étais presque à bout portant. Je lui ai tiré là. il accompagna sa parole d’un geste, montrant son front, juste au-dessus de son œil. La balle est rentrée, il a saigné, puis doucement elle est ressortie, et le trou s’est refermé… Sans qu’il reste une trace. 

Gabrielle était glacée, immobile. 

— Pas humain, fit Eugène, en regardant Gabrielle. Comme je vous l'avais dit. Quand on le blesse à l’aide d’un couteau, la blessure se referme en quelques secondes, voire quelques minutes selon la profondeur. Les balles rentrent mais ne causent aucun dommage. Il saigne, mais ça ne dure pas. Impossible de l'assommer. les hommes ont dû lui briser le nez et les bras plusieurs fois, tout reprend sa place, les os se ressoudent très rapidement. 

Pierre ne disait rien lui non plus, ne semblant pas étonné. On avait déjà dû lui expliquer tout cela, ou avait-il dû y assister. Mais Gabrielle, elle, n’en croyait qu’à peine ses oreilles. Cela devait être un mauvais rêve. Elle devait être encore à l'hôpital, sous anti douleur puissant pour délirer de cette façon.

— Il n’y a donc que le feu. La brûlure lui est insupportable, sa peau met un temps bien plus long pour cicatriser, certaines plaies sont toujours à vif depuis plusieurs heures.

Gabrielle ne savait plus quoi faire, quoi répondre. Il ne lui venait absolument plus rien. 

— Allez viens, tu le regardes, de loin. Et on y va. 

— Gabrielle, les interrompit Eugène. Personne n’aurait pu s’en sortir. Pour ce qu’il s’est passé chez vous… personne. Je ne sais pas si cela pourrait vous être d’un quelconque réconfort. Mais c’était impossible.» 


 

Ne répondant rien, elle avança vers la cellule. Ses jambes comme dans du coton. doucement, elle se retrouva face à l’ouverture dans la porte de la cellule. Pierre ne l’avait pas lâchée. 

Il y faisait très sombre, et sur le moment, Gabrielle ne vit rien. Pas un mouvement, pas une ombre. Puis doucement, deux mains se posèrent sur le bord de la brèche, puis une tête apparut, et enfin deux yeux. 

Bleus. Injectés de rouge. Les pupilles dilatées. 


 

« Oh... voilà la renarde… » Fit la voix, douce, venant du cachot. 


 

Ce fut comme si l’intérieur de son corps se liquéfia, une sensation affreuse la prenant, montant dans sa poitrine pour envahir ses bras et ses jambes, remplaçant toute sa chaleur par une glaçante douleur. La paralysant littéralement sur place. 

Livide, Gabrielle le fixa. 


 

« Cache-toi bien. Il ne pourra plus te garder plus longtemps pour lui… » souffla-t-il en souriant. 


 

Sa bouche. Ses dents… non, ses crocs. Ses lèvres pâles comme la mort. Il parlait avec des mots qui semblaient suaves à son oreille, mais qui n’instillaient que du poison dans son esprit. 

Autour d’elle, le silence s’était fait et les regards alternaient entre Gabrielle et la cellule du prisonnier. L'incompréhension se lisait sur tous les visages, de même que l’inquiétude.  


 

« Il parle.. » souffla l’un d’entre eux.

 

Pierre n’attendit pas qu’il ne se passe quoique ce soit d’autre et attira Gabrielle vers le fond de la pièce, loin du tueur. Il se planta devant elle, prenant son visage entre ses mains. 


 

« Gabrielle!»


 

La jeune femme chercha une seconde, puis s’ancra dans les yeux de Pierre. Bleus aussi.


 

« Gabrielle est-ce que ça va? Tu es toute blanche. Tu veux t’asseoir?

Eugène s’approcha d’elle pour s'enquérir de son état. 

— Je veux rentrer. Maintenant, finit-elle par dire, d’une voix blanche. 

— Non, pas tout de suite, nous allons retourner à l’étage mais je ne vous laisse pas repartir dans cet état.» la coupa le médecin, prenant son pouls.


 

Pierre ne chercha pas et emmena Gabrielle vers l’escalier. Tout autour d’eux, les policiers ne les avaient pas lâchés du regard, insistants, perçant. Le silence lui vrillait les tympans et elle avait besoin d’air, de lumière. Sortir de cette cave serait un premier pas. 

Une fois arrivé au rez-de-chaussée, le Docteur Courtois les emmena dans une pièce adjacente de ce qui semblait être un quartier général. Ici, il y avait deux hommes allongés à même le plancher, semblant se reposer. Le premier avait une blessure à la tête, et l’autre en apparence ne présentait aucune lésion. On fit asseoir Gabrielle sur une chaise et lui ramena de l’eau, pendant ce temps-là, elle était auscultée sous toutes les coutures.


 

« Qu’est-ce que c’est? demanda Gabrielle, d’une voix mesurée. Qu'est-ce qu'il est ?

Le docteur Courtois soupira, jetant un coup d'œil vers Pierre. 

— N'importe quel humain serait mort bien des fois sous les balles des policiers. Et même en imaginant une seconde qu’il ait été bien portant et encore sous le coup de la peur... Il aurait supporté une balle. Pas une volée. Nous avons tout tenté pour écarter ce qui est rationnel, pour confronter toutes les hypothèses, Eugène replaça ses cheveux, reprenant sa respiration. J’ai pris le temps de l’étudier depuis qu’ils l’ont attrapé. Cela correspond en tout point à mes hypothèses durant mes recherches, même si celles-ci ont été mises sur pause durant un temps… 

— Je vous pensais muté sur Poitiers… rebondit Gabrielle. 

— Seulement quelques semaines, suite à notre rencontre et des déclarations sous serment que j'avais faites. Le Préfet Lépine n’a jamais voulu me laisser repartir, l’idée avait germé dans son esprit et il ne pouvait s’empêcher de penser que j’avais peut-être raison. Et ce fut hélas le cas…

— J’aurais tant aimé que cela soit un animal. Je me demande comment les jurés, la cour, les avocats et le juge vont pouvoir faire pour classer cette affaire. S’il n’est pas humain, mérite-t-il un procès, il ne rentre dans aucune catégorie définie par la loi? Comment obtenir réparation de cette bête? intervint Pierre, parlant presque pour lui-même, visiblement perdu. 

— Cela est sans précédent. J’ai bien peur que nous ne découvrions quelque chose de bien plus grand que nous. Est-il seul? Est-ce une maladie? Cela se transmet-il? Était-il humain avant? Car son anatomie correspond en tout point à celle d’un humain. Quelques détails diffèrent, mais semblent facile à camoufler?

Gabrielle le regardait parler, serrant dans ses mains son verre vide. 

— Son corps est froid, à peine plus chaud qu’un cadavre… Son cœur bat, mais à un rythme auquel personne ne pourrait survivre. Je n’ai qu’à peine eu le temps de le toucher, je ne sais si c’était temporaire ou non. Et ces crocs… C’était avec eux qu’il pouvait transpercer la peau des victimes, pour se nourrir de leur sang. Il l’a fait devant nous. Il a attrapé un homme, avec une poigne incroyable, puis il a mordu son cou et il a bu. Il n’est rien de plus qu’un animal affamé perdu dans une grande ville, que nous avons traqué. Comme un sanglier qui se serait égaré hors de la forêt. 

Sans se voir faire, Gabrielle passa sa main sur sa nuque. 

— Il se déplace également à une vitesse à peine croyable, la seule raison qui a permis aux équipes de l’attraper, c’est qu’il s’est retrouvé dans un endroit fermé en pleine journée. 

— Où l’ont-ils retrouvé?

— Dans une cave, il dormait derrière des sacs de pommes de terre à même le sol. 

— Pour vous il est donc inconcevable qu’il soit humain? demanda Pierre. 

Le médecin soupira, balançant sa tête de gauche à droite.

— Je ne sais pas. De nombreuses hypothèses me viennent en tête. Mais pour être très honnête et en ne suivant que mon avis: non. Un être humain saigne, meurt quand on lui tire une balle en pleine tête. Un humain ne boit pas de sang de ses congénères pour survivre. Même dans le règne animal on ne voit pas cela… Si.. il fit la moue. Peut-être ces chauves-souris hématophages que l’on trouve en Amérique du sud, qui boivent le sang d’autres mammifères, ou oiseaux… Un humain hématophage? Non, on arrive sur des questions presque philosophiques: qu'est-ce qui définit notre humanité? Et lui, en fait-il partie?

— Je n’aime pas du tout la tournure que prennent les choses, le coupa Pierre, semblant anxieux. Je suis désolé Docteur Courtois si jusque là je vous ai pris pour un fou, mais vos idées me semblaient surréalistes, je ne pouvais y croire. Mais maintenant que j’ai la vérité devant mes yeux, cela me terrifie. 

Les deux hommes se regardèrent, l’air entendu. 

— Nous sommes bien d’accord, hélas. J’ai encore beaucoup de travail …

— Nous en avons tous.» Conclut Pierre. 


 

Gabrielle elle aussi était perturbée par ces découvertes, par cette confrontation. Toutes ces informations qui arrivaient jusqu’à elle étaient bien trop étranges, bien trop effrayantes. Comme l’avaient dit les deux hommes, les possibles découvertes à venir pouvaient potentiellement changer l’Histoire. 

Pierre aida Gabrielle à se lever, voyant que son état ne nécessitait aucune urgence; il était temps de rentrer. On fit appeler un domestique et deux policiers pour les aider à remettre les bagages sur la voiture et les aider à quitter la maison sans être bousculés. Gabrielle se referma comme une huître à peine la porte passée, la foule était toujours plus compacte, oppressante et menaçante. La seule pensée qui lui vint à l’esprit fut presque aussi difficile à accepter que la possible existence d’une race d’humain différent, ou de maladie, de malédiction: cette nouvelle ne resterait pas secrète. Dans aucun monde, l’information ne pourrait être dissimulée à une foule aussi aguichée par la presse; et leur réaction pouvait potentiellement être … dévastatrice. La peur faisait faire des choses irrationnelles… 


 

« Est-ce que tu te sens mieux? demanda Pierre, la sortant de ses pensées.

Le moteur de la voiture avait démarré, et déjà le couple s’éloignait rapidement de la maison. 

— Je ne sais pas…

— Tu m’as fait peur… J’ai cru que tu allais te mettre à pleurer, ou à crier… Tu es devenue livide et tu serrais si fort mon bras que tu me faisais mal.

Gabrielle ne sut quoi répondre à ce que Pierre lui racontait. 

— Il me cherchait, murmura-t-elle. 

— Et maintenant, il est enfermé ici. tu ne crains plus rien. Il a beau te menacer, il est impuissant maintenant, insista Pierre. 

— Qu’est-ce que je lui ai fait pour que…

— Pour qu’il t’en veuille à ce point? A tout bien réfléchi, je pense que … tu m’avais dit la vérité, cette fois-là à Montmartre. Je pense que tu l’as bien vu, et que lui t’as vu également. C’est pour cette raison qu’il a fait cela à ton oncle. Tu devais être une des seules personnes à pouvoir l’identifier, il a dû rentrer dans la maison pour te trouver, en vain, ou alors pour te menacer.  

Gabrielle tourna la tête vers Pierre, écartant ses cheveux qui voletaient dans son visage. 

— J’y ai beaucoup pensé après ce qui est arrivé chez toi. Je suis presque sûr que c’est ce qui s’est passé. C’est un aliéné, il ne doit pas y avoir une grande logique dans ses réflexions. Mais ça… ça me semble tenir la route. 

— En me tenant éloignée de l’affaire tu m’as sauvée, constata Gabrielle. Si j’avais témoigné, si je m’étais plus montrée, plus exposée. Il m’aurait tuée. Et toi avec sûrement. 

— Je ne sais plus très bien si je dois m’excuser à présent, sourit Pierre. 

Un spasme prit Gabrielle, secouant sa poitrine. Un rire. 

— Oui… » 


 

Dans le vent tiède de la fin du mois d'août, Gabrielle sentit très clairement que quelque chose venait de s’achever, qu’une page venait de se tourner. Pas seulement l’été, qui tout doucement laissait sa place à l’automne. Mais aussi une période qui, malgré ses malheurs, lui avait semblé bénie, car ce qui était à venir s’annonçait plus sombre que tout ce qu’on lui avait conté…


A suivre...

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AlodieCreations
Posté le 29/08/2023
Coucouuuuu !

XD ça va devenir mon running gag le "naaa mais la situation peut pas empirer en fait". Ah bah si, go lire les premiers paragraphes pour apprendre que les menstruations se sont arrêtées et qu'il y a de l'infertilité dans l'air. Et le vilain Pierre qui n'a pas daigné venir lui rendre visite... èé

Bon en un sens, si ça lui permet de jeter Pierre hors de son lit, on va dire que c'est un mal pour un bien....

eh wow, effectivement c'est une page qui se tourne on dirait ! Le chapitre était très prenant et effectivement, ça se sent que ce n'est pas terminé... Y'a des trucs pas nets autour de notre Gabrielle préférée.... Entre la copine d'Armand qui avait eu une réaction en voyant Gabrielle et maintenant ce vampire qui lui sort du "la renarde"... En tout cas, c'est toujours aussi prenant !
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