Chapitre 17 — Rey

Notes de l’auteur : tw : alcool

Quand Ben m'avait proposé de le retrouver chez lui en compagnie de Trilla pour trouver une échappatoire à sa situation, un bref sursaut m'avait pris. Le genre de peur qui m'avait presque poussée à rester sous ma couverture.

Même si j'avais récemment compris que Trilla n'était pas mon ennemie, j'avais encore quelques appréhensions quant à la rencontrer dans un contexte plus privé. Après tout, aucun de nos rapports n'avait été réellement cordial.

Alors, j'avais refusé la proposition de Ben pour m'accompagner chez lui. J'avais besoin d'un temps de pause, un moment où je me retrouverais avec moi-même.

Dans le trajet du taxi, des tas de scénarios m'étaient venus à l'esprit. En particulier les pires. Parmi ceux-ci, il y en avait de nombreux où Trilla essaierait de m'évincer pour récupérer Ben, quand bien même je n'avais jamais eu l'impression qu'elle soit attirée par lui.

C'était dans cet état d'esprit assez tendu que je franchis le seuil de la maison de Ben. J'avais terriblement envie de le prendre dans mes bras, mais en apercevant Trilla au fond du salon, sur le canapé, je me retins de tout geste un peu trop intime.

Silencieusement, je vins m'installer en face d'elle. Alors que je m'attendais au pire regard assassin de sa part, elle m'adressa un sourire – assez retenu, mais un sourire quand même.

— Il semblerait que tu aies une solution pour nous aider, alors j'ai hâte de voir de quoi il en ressort.

Il n'y avait aucune animosité dans sa voix. Elle était vraiment sincère, mais pourquoi en doutais-je à ce point ? En même temps, cette situation était très bancale depuis quelque temps.

— On est d'accord que toute votre entreprise repose sur les données que vous avez récoltées au cours des dernières années ?

Ma question était rhétorique, mais ils hochèrent tous la tête, en particulier Trilla. Ils avaient beau avoir des personnes et des machines intelligentes, il fallait une base pour s'y appuyer.

— Je suppose que vous avez déjà pensé à supprimer ces données et que je ne vous apprends rien à ce sujet.

De nouveau, ils acquiescèrent silencieusement. Au moins, nous étions sur la même longueur d'onde.

— Où veux-tu en venir ? me demanda un peu brusquement Trilla en se penchant vers moi.

— On peut corrompre les données via un ransomware.

Trilla laissa échapper un petit rire puis reprit son sérieux.

— Jamais ça ne passera.

— Parce que vous n'avez pas un système vieillissant qui était à l'origine d'une vague de ransomware dans le genre, mais il y a probablement quelqu'un dans l'entreprise qui n'est pas aussi doué que les autres. Une personne qui cliquerait sur un mauvais fichier.

— Tu proposes de faire porter le chapeau à quelqu'un d'innocent dans l'entreprise ? me demanda Trilla d'un ton acerbe.

— Non. On ne saura jamais d'où vient la faille.

Trilla s'affala sur le canapé, le temps de considérer cette option, tandis que Ben me regardait, l'air sceptique. En même temps, je n'avais pas expliqué tous les détails de mon plan – ou du moins, les prémices de mon plan.

— Coder un ransomware n'a rien de compliqué. Mais j'ai également trouvé divers services sur le darknet qui peut nous créer un ransomware en un claquement de doigts et on peut le façonner comme on le veut. On peut proposer une somme exorbitante. Tellement exorbitante que même le plus gros investisseur ne voudra pas prendre ce risque.

Trilla leva son index un instant, prête à me contredire, mais elle se retint et mordit sa lèvre inférieure, se perdant dans une longue réflexion interne.

— Nos investisseurs sont extrêmement riches, m'informa Ben. Et on n'a pas que des personnes comme ton grand-père. On a des institutions comme la police, des services secrets... Ils ont autant d'argent qu'il le faut pour ce genre de services.

— Mais si toi et Trilla abandonniez cette entreprise, ils seraient prêts à reprendre votre entreprise, peu importe le prix ?

Ben et Trilla échangèrent un bref regard, assez sceptique.

— Si jamais ça tourne mal, ça retombera dans notre gueule, rétorqua Ben, l'air grave. On a participé à cette entreprise. Et même si n'importe qui peut récolter toutes les données d'un réseau avec quelques connaissances en programmation, on en a récolté trop. On les a trop liés à tout et rien. On a utilisé des tas d'algorithmes pour en sortir quelque chose. On a participé à cette entreprise, on est complices.

— Tu as parlé de la police, de services secrets... Je suis sûre qu'ils pourraient vous couvrir si vous abandonnez ça. Ils ont bien de la protection des témoins pour des tas d'affaires, alors pourquoi n'aideraient-ils pas des personnes qui en ont fait de même avec eux ?

De nouveau, Ben et Trilla échangèrent un regard. Mais un regard bien plus complice, comme si je leur avais proposé un semblant de solution miracle.

— Et ton grand-père ? s'enquit Ben. Il s'agit quand même d'un de nos plus gros investisseurs, il peut nous bloquer le chemin.

— Il commettra forcément une erreur. Il veut me contacter, pour je ne sais quelle raison, alors il suffit que je m'y prépare et lui tendre un piège. Il s'attend probablement à ce que je sois une orpheline sans défense, une fille qui ne connaît rien à ce milieu... Mais il me sous-estime, comme tout le monde, et il va en payer le prix cher.

Un sourire en coin se dessina sur le visage de Trilla. Elle se pencha légèrement, comme si je venais d'éveiller sa curiosité. En même temps, ils avaient tellement la tête plongée dans leurs affaires qu'il leur était compliqué d'y voir clair par moment.

— Ça peut totalement se tenter, lança Trilla. Je programme des rendez-vous, je leur parle de vendre ce service, sans trop montrer notre désespoir, comme ça ils ne se doutent de rien et en même temps, on se fait un peu d'argent au passage.

— Tu crois vraiment que ça va passer ? s'enquit Ben, inquiet.

— Pour une fois, j'ai de l'espoir moi aussi...

Ils échangèrent un sourire et je me sentis rassurée. J'avais toujours eu de l'espoir que Ben s'en sorte, mais cette fois-ci, c'était bien plus concret.

— Est-ce que tu aurais une autre idée pour la soirée ?

Le ton de Trilla était incroyablement doux. Jamais je ne l'avais entendue avec une telle intonation de voix. Mais j'appréciais qu'elle baisse sa garde et me fasse enfin confiance.

— Je ne crois pas... Du moins, pour le moment.

— Parfait ! On peut donc passer à la deuxième partie de la soirée !

Elle se leva d'un bond et se dirigea vers la cuisine. Ben la suivit de près et j'en fis de même.

Trilla étala plusieurs bouteilles sur le comptoir de la cuisine. Que des bouteilles alcoolisées. Elle se tourna vers nous deux, un grand sourire sur les lèvres.

— Alors, on se tourne vers quoi ce soir ?

— Il y a beaucoup d'alcool fort, ce serait dommage que ce soit aussi aussi violent dès le début de la soirée, lui fit remarquer Ben.

— Dommage, c'est ce que je préfère.

Elle se servit un verre de rhum ambré tout en nous laissant choisir. Au final, je fis le même choix qu'elle, sauf que je ne cherchai pas à le déguster et le bus d'une traite sans même faire attention à ce que Ben venait de prendre.

— Ok... Tu es encore plus rapide que moi, constata Trilla.

Pour arranger ça, elle but son verre cul sec. En nous voyant ainsi, Ben en fit de même. Il se servit un fond de verre qu'il but d'un coup.

— Par contre, je vais prendre quelque chose de plus léger par la suite, annonçai-je maladroitement. Genre quelque chose comme un peu de rhum avec un jus quelconque... Ça n'a rien à voir avec les habituels rendez-vous au bar, mais on fera avec.

Je me tournai vers Ben, un air languide sur le visage, et je me rendis alors compte qu'il me dévorait du regard. Mon cœur sauta un battement et je me mordis la lèvre inférieure.

— Au pire, j'ai de la bière pour faire comme si, m'annonça-t-il en approchant légèrement son visage du mien.

J'avais terriblement envie de l'embrasser, de goûter ses lèvres humides, mais il y avait Trilla juste en face. J'ignorais si je la gênerais ou pas, alors dans le doute, je préférais m'abstenir.

— Très bien... De la bière, ça m'ira, lâchai-je dans un soupir.

Son regard me fixait pendant un long moment, presque malaisant. Puis il s'éloigna de moi pour s'emparer d'un pack de bières qui traînait dans la cuisine et ma respiration revint alors à la normale.

— Je crois que je vais céder aussi à l'appel de la bière, rétorqua Trilla en posant son verre sur le comptoir.

 

*

 

Peut-être qu'on avait enchaîné un peu trop de bières... Peut-être pas.

En tout cas, Trilla m'avait proposé de la suivre pour observer les étoiles dans le ciel. Malheureusement, nous n'étions pas dans les meilleures conditions pour se faire, mais rien que la suivre avait un côté excitant.

— Je peux te poser une question un peu gênante ? lui demandai-je dans un moment de silence. Tu as bien évidemment le droit de refuser de répondre...

— Vas-y, je te le dirai si c'est trop gênant...

J'avalai ma salive une énième fois avant de poser la fameuse question. J'avais pu la formuler dans tous les sens, au vu de mon taux d'alcool dans le sang, j'avais préféré être direct :

— T'as déjà couché avec Ben ?

Un grand rire la prit. Un rire nerveux. Puis elle reprit son sérieux, un grand sourire sur les lèvres :

— Non. Jamais. Et ce n'est pas près d'arriver.

— Vraiment ?

— Ne t'en fais pas. Je ne suis pas du tout intéressée par lui sexuellement ni amoureusement.

Elle prit une longue inspiration et j'eus l'impression que quelque chose se brisa en elle. Puis elle se tourna vers moi. Son regard plongea intensément dans le mien et je vis à quel point elle était perdue. Je connaissais ce regard, j'avais pu avoir le même par moment.

— Y a très peu de chances que je sois attirée par Ben... Notamment parce que je suis asexuelle.

— Asexuelle ? Je crois avoir déjà vu ça quelque part... mais je ne suis pas sûre.

— Je n'ai pas d'attirance sexuelle. C'est très variable en fonction des gens, mais dans mon cas, le sexe ne m'intéresse pas, voire ça me révulse.

— C'est peut-être con... Mais j'ai eu ça avec l'amour, je crois. Je n'avais vraiment pas envie d'être en couple... Et je crois que je voulais faire comme tout le monde pour qu'on me foute la paix...

Elle arqua un sourcil puis baissa son regard. De nouveau, j'y vais de la peine et un brin de compassion.

— Désolée, je ne voulais pas te blesser, ajoutai-je aussitôt.

Putain, je disais vraiment n'importe quoi avec l'alcool.

— Non, tu ne m'as pas blessée... Mais je me demandais si t'as déjà fouillé sur l'aromantisme.

— Non... Je ne connais même pas ce mot.

— Ça ressemble beaucoup à ce que tu viens de me décrire.

Aussitôt, je m'emparai de mon téléphone pour taper ce mot sur Google. Réflexe classique, mais au moins, j'en aurais une trace le lendemain.

— T'as déjà eu des crush ? me demanda-t-elle, presque inquiète.

— Non... J'ai pu être attirée par quelques personnes, que ce soit physiquement ou par leur personnalité. Mais j'ai l'impression que ça a juste été avec Ben, avec le temps... J'ai jamais aimé quelqu'un comme Ben.

Elle hocha timidement la tête et, après quelques secondes de silence, elle reprit :

— Bien évidemment, c'est pas à moi de te dire si tu l'es ou pas... Peut-être que tu t'en fiches totalement.

— Pas tant que ça... À la base, j'ai proposé de faire un faux couple à Ben parce qu'on me foutait la pression sur un potentiel petit-copain. Et j'en avais aucune envie ! J'étais très bien célibataire, mais ça ne convenait pas à tout mon entourage ! Ils pensaient tous que j'étais bizarre...

Elle m'écoutait attentivement, sans m'interrompre. Peut-être que je me confiais sur le coup de l'alcool, mais aucune de mes paroles n'était exagérée. Au contraire.

— Le pire, c'est que j'ai juste dix-neuf ans. C'est pas grave de ne pas trouver l'amour de sa vie à dix-neuf ans, de n'être pas sorti avec des tas de gens... Mais pour tout le monde autour de moi, ça l'était. J'ai commencé à croire que j'étais repoussante, dégueulasse, que j'avais des tas de problèmes... Mais en même temps, on me sortait que j'étais trop belle, trop intelligente pour rester célibataire... Alors, je comprenais pas.

Je sentis des larmes monter et je détournai mon regard pour ne pas me mettre à verser un torrent de larmes. Même si j'appréciais cet échange avec elle, je ne me sentais pas totalement à l'aise sur le fait de pleurer à ce point devant elle.

— Je sais que je n'ai jamais eu une famille modèle, ni des parents... J'ai aucune représentation de ce qu'est vraiment un "bon couple", mais c'est pas comme si c'était représenté partout dans la culture. Dans toutes les séries, tous les films, on croise des couples... Et moi, je commençais à me sentir mal à cause de ça... Je me sentais juste à l'écart de tout ça...

— J'ai ressenti la même chose, dit-elle d'un air déterminé. Je voyais tout le monde qui ne pensait qu'au sexe, alors que moi, ça ne m'intéressait pas. Ça ne me gênait même pas de rester vierge toute ma vie... Mais pour certains, c'était une honte.

Étrangement, nos expériences étaient à la fois complètement différentes et semblables. Nous avions subi les mêmes pressions, les mêmes jugements, et pourtant, c'était si différent...

— Un jour, j'ai trouvé quelqu'un qui a accepté ça, qui ne m'a pas jugé. Quelqu'un d'extrêmement d'adorable... Mais je l'ai perdu en même temps que Ben t'a perdu.

— Je ne pense pas que tu l'aies perdu...

— Je me suis comportée comme une salope avec lui. Quand j'ai vu dans quelle merde j'étais, je l'ai violemment repoussé...

— Comme Ben avec moi, et pourtant, je suis toujours là.

Elle mordit sa lèvre inférieure, un brin sceptique. Puis elle fixa le ciel un long moment. Pendant ce temps, je peinais à tenir debout et je pris appui contre le mur. Mon regard se dirigea vers la fenêtre. Ben était légèrement assoupi dans le canapé et j'avais terriblement envie de le prendre dans mes bras.

— J'ai du mal à y croire...

— Trilla. Ne perds jamais espoir, jamais.

Je posai ma main sur son bras et ce fut comme un choc pour elle. Son regard se plongea dans le mien. D'habitude, son regard était menaçant, dubitatif, mais cette fois-ci, je vis de l'inquiétude. Et je sentais qu'elle me croyait. Désormais, je n'étais plus une ennemie à ses yeux, au contraire.

Instinctivement, elle me prit dans ses bras et elle empoigna fermement mes omoplates. J'avais comme l'impression de l'avoir sauvé d'une situation délicate alors que je n'avais fait que l'écouter. Après tout, écouter était toujours quelque chose d'extrêmement salvateur...

— Je comprends tellement pourquoi Ben n'a pas pu te lâcher... Et puis, tu lui ressembles un peu, à Cal. Vous êtes tous les deux à voir du bon là où il n'y a plus d'espoir.

Comme je ne savais pas trop quoi lui répondre, je lui adressai un simple sourire. Puis elle me proposa de retourner auprès de Ben, dans le salon.

Ben ne réagit pas à notre entrée, encore bien endormi. Je ne pus m'empêcher de glisser quelques doigts dans ses doux cheveux. Même si ça ne faisait que quelques semaines, je voyais bien que ceux-ci avaient poussé – à mon plus grand plaisir. Après tout, il avait toujours eu un côté rebelle avec ses cheveux mi-longs.

Il finit par ouvrir les yeux, ce qui nous amusa Trilla et moi.

— Il est quelle heure ? demanda-t-il dans un murmure.

— Suffisamment tôt pour qu'on reprenne un verre, lança-t-elle en se penchant vers lui.

Il lui leva son pouce comme simple affirmation et je ris à cet échange.

Trilla s'éloigna de nous un instant pour chercher quelques bières et j'en profitai pour m'asseoir à ses côtés alors qu'il se redressait. Immédiatement, nos lèvres se rejoignirent un bref moment, juste pour un doux échange.

— T'as l'air bien crevé, lui dis-je remarquer.

— Certes... Mais ça en vaut la peine.

— Tu es sûr que tu ne veux pas aller dormir ? Je peux passer le reste de la soirée avec Trilla, ce n'est pas un problème.

— Je suis impressionné que tu t'entendes aussi bien avec elle.

— Pourquoi ne le ferais-je pas ?

J'arquai un sourcil et un sourire se dessina sur son visage. À ma simple remarque, il semblait avoir compris que Trilla et moi ne serions jamais des ennemis. Pour le moment, nos intérêts étaient communs et j'espérais vraiment qu'ils le resteraient au vu de notre dernière discussion...

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Jess Swann
Posté le 18/03/2021
Oh.... Zut moi j'imaginais une fin plus délurée à ce chapitre mdrrr ^^
J'aime beaucoup le fait que Rey et Trilla se rapprochent un peu
J'espère que leur plan va marcher
MissRedInHell
Posté le 18/05/2021
Haha pas toujours, même si c'était tentant XD
Les petites soirées alcoolisées, ça aide pas mal :')
Ca pourrait bien être le bordel comme j'aime bien le faire c:
ManonSeguin
Posté le 13/02/2021
Peut-on aimer ce chapitre comme je l'aime ? Il est simple et aborde certaines choses qui font plaisir à voir car habituellement mises de côté ou jamais mentionner (merci).
Et puis la relation naissante entre Rey et Trilla est toute prometteuse (à chaque mention de Cal mon petit coeur se serre T.T Où est-il ? Que fait-il ? Tant de questions...)
MissRedInHell
Posté le 18/05/2021
Ow ;-;
J'avais beaucoup de doutes sur ce chapitre, du coup, ça me fait grave plaisir :3

Il va bien finir par arriver hehe c:
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