Chapitre 16 : Elena (18 ans)

Par Zoju
Notes de l’auteur : J'espère que ce saut dans le passé vous plaira. Bonne lecture :-) Modifié le 06/11/2020

- Respect.

Le maréchal fait glisser son doigt sur le mur sans m’accorder la moindre attention.

- Devoir.

Il déambule d’un pas tranquille dans la pièce.

- Obéissance.

Ces mots, il me les scande depuis des heures, inlassablement. Il s’arrête.

- Tout te fait défaut.

Je l’ignore. Il continue :

- Je t’ai sorti du trou où tu croupissais. Je t’ai donné une éducation, un avenir dans ce monde et que fais-tu pour me remercier ?

Il porte enfin son attention sur moi.

- Rien, répond-il à ma place. Tu es décidément bien ingrate.  

Je le contemple le regard vide, sans réagir. Probablement las de mon mutisme, le maréchal hoche la tête. Un cri aigu traverse mes lèvres au moment où un jet d’eau glacé m’atteint. De manière incontrôlable, des spasmes ébranlent mon corps. Mes dents s’entrechoquent violemment l’une contre l’autre alors que je tente tant bien que mal de dénicher une source de chaleur. Malheureusement, mes membres étant entravés à une chaise, je ne peux que constater, impuissante, la situation pitoyable où je me trouve. C’est avec difficulté que je parviens à relever le menton pour croiser le regard de l’homme qui se tient en face de moi. Malgré mon triste état, je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire. Je n’ignorais pas qu’avec lui, ça allait être douloureux, mais je ne m’attendais pas à ce que cela le soit à ce point. D’habitude, ce sont ses larbins qui se chargent du sale boulot, mais cette fois-ci, il a décidé de le faire lui-même. Imperturbable, le maréchal se rapproche. Je sais ce qu’il va dire et comme toujours je resterai muette. La salle d’isolement est destinée aux fortes têtes qui refusent d’obéir aux ordres. J’y passe le plus clair de mon temps. Les officiers n’ont pas apprécié mon dernier manquement à la discipline. Ils ont attendu que je sois seule pour m’arrêter. Je leur ai résisté, mais ils m’ont assommée. Je n’ai jamais voulu faire l’armée. Mon père m’y a enrôlée de force. Je me révolte et cela ne lui plaît pas. Il veut m’imposer sa volonté. Je dois le suivre sans poser de questions. Le silence s’éternise avant qu’il ne reprenne enfin la parole :

- À qui appartiens-tu ? À qui obéis-tu ? 

Je l’ignore. Lentement, il se tourne vers son subordonné qui se trouve à sa droite.

- Vas-y, ordonne-t-il d’un ton calme.

L’instant d’après, la douleur irradie mon crâne et un goût métallique envahit mon palais. Ma tête bascule sur le côté alors que je reprends mes esprits. Je sens que je suis tirée vers l’arrière et mes yeux rencontrent une nouvelle fois le regard de celui qui est désormais mon supérieur et mon géniteur. Nouvelles questions. Je ricane et un mélange de sang et de bave coule au coin de ma lèvre. Un pli de dégoût apparait sur le visage du maréchal. Il opine du chef et d’un revers de main son sous-fifre tente de me faire ravaler ma fierté. Je réprime une plainte de douleur, je ne leur ferai pas ce plaisir. Jamais !

 

On me ramène dans ma cellule tout en me jetant un morceau de pain dur à la figure. Ce calvaire dure depuis deux semaines. Je me mords l’intérieur des joues jusqu’au sang pour m’empêcher de hurler ma faiblesse. On me nourrit peu, voire pas certain jour. Je passe ma langue sur mes lèvres gercées et frotte mes mains les unes contre les autres pour me réchauffer. Je n’ai presque plus la force de me tenir debout et ma détermination commence à flancher. Je roule sur le sol. Il est si froid que cela me brule la peau. Mon uniforme tombe en lambeau et pue. Je me sens si sale. J’ignore ce qui est pire ici. Je suis vraiment lamentable.

 

Une semaine plus tard, je suis de nouveau sur cette chaise. Le maréchal me repose ses questions :

- À qui appartiens-tu ?

Je serre mes lèvres les unes contre les autres. Les secondes s’écoulent. Aucun mot ne sort. Lentement, mon père lève son bras. Le soldat à ses côtés se rapproche. J’ignore pourquoi c’est à cet instant précis, mais quelque chose semble se briser en moi. Je n’en peux plus.

- À l’armée, dis-je d’une voix faible.

Je n’ai pas besoin de le regarder, je sais qu’il jubile. Moi au contraire, je bouillonne de rage. Pour enfoncer le clou, il continue sur sa lancée :

- À qui obéis-tu ?

- À vous.

- Tu as enfin compris. Personne ne peut s’opposer à moi. Attends-toi à être punie pour ce manque à la discipline.

- Oui, mon maréchal. Je tâcherai de ne plus commettre d’erreur.

- J’ose espérer que cela n’arrivera plus. N’est-ce pas, soldat ?

J’opine mollement de la tête. Notre chef glisse à son subordonné de me relâcher. Il détache mes liens et je m’effondre sur le sol. Je suis exténuée, mais soulagée à la fois. Cependant, je me rends compte que je me suis soumise à l’armée de mon plein gré et que ma vie ne m’appartient plus. Je me demande si j’ai fait le bon choix. Mon esprit me hurle que non alors que mon corps réagit à l’opposé. Le maréchal me donne un coup de pied à la tête et m’oblige à me lever. Je ne ressens presque plus la douleur. Dans un ultime effort, je m’exécute. Chacun de mes membres me fait mal, mais je lutte. Comme un dernier acte de résistance, je soutiens son regard sans flancher. Mon père me toise sans rien dire puis sort. Dès qu’il a disparu de mon champ de vision, je m’évanouis.

 

 À mon réveil, une sensation de bien-être m’envahit quand je me rends compte que je suis couchée dans un lit. J’ouvre à regret mes paupières. Un médecin ou un infirmier me soigne. Ses cheveux couleur blond caramel sont parfaitement plaqués sur son crâne. Il relève la tête et je lui découvre des yeux émeraude. En remarquant que je suis revenue à moi, il me sourit.

- Comment te sens-tu ? me demande-t-il.

- Où suis-je ? murmuré-je perdue.

- À l’hôpital. Un soldat t’a amenée ici. Je suis le docteur Vincent Kuntz et je m’occuperai de toi lors de ton séjour dans ces lieux.

Je le fixe, interdite, puis je me rappelle. Instantanément, les larmes me montent aux yeux et se mettent à couler.

- Alors, j’ai vraiment accepté.

L’interrogation apparait dans l’expression du médecin. Je me hâte d’essuyer mon visage, mais c’est peine perdue.

- Ce n’est rien. Ne vous inquiétez pas, tenté-je d’articuler avec difficulté.

L’homme en face de moi me couvre d’un regard compatissant avant de déclarer d’une voix douce :

- Tu n’as pas à te cacher. Je sais que tu viens de la salle d’isolement. Le soldat nous l’a dit.

Je réagis au quart de tour à la mention du lieu de mon tourment.

- Taisez-vous !

Je plaque mes mains sur mes oreilles. Rien que de penser à cette salle me donne la nausée. Vincent fait un geste vers moi et ouvre la bouche. Avant qu’il n’ait pu dire quoi que ce soit, je l’éloigne d’un revers de main.

- Taisez-vous ! crié-je.

Je sors du lit, toutefois à peine ai-je posé un pied au sol que je suis prise d’un vertige. Vincent me soutient et me force à me rasseoir. J’appose mes paumes sur mon visage pour me calmer. Mes larmes ne cessent pas de s’écouler. Je les avais retenues durant mon calvaire, mais là je n’arrive plus à les endiguer. Mon médecin se tient à côté de moi et ne dit rien. Soudain, la porte s’ouvre avec force et Luna rentre comme un ouragan. Je me dépêche d’essuyer mon visage. Pourquoi faut-il que ma sœur débarque à un moment pareil ?   

- Qu’ont-ils osé te faire, Elena ? me demande-t-elle sur un ton plein de reproches.

- Rien, rien du tout, la rassuré-je en m’efforçant de sourire, mais je doute d’être crédible.

- Menteuse, regarde dans quel état tu es !

Elle se tourne vers Vincent et le prie de sortir. Lorsque celui-ci a quitté la pièce, Luna revient à moi et recommence à me bombarder de questions.

- Tu as disparu pendant près d’un mois. Que te voulaient-ils cette fois ?

J’aimerais qu’elle parte, qu’elle me laisse seule, mais elle ne lâchera pas l’affaire avant d’avoir obtenu ce qu’elle réclame. Ce que je peux détester cette facette de sa personnalité ! Je serre la couverture de mon lit.

- Si tu savais comme j’ai honte, murmuré-je.

- Honte de quoi ?

- Je leur ai donné satisfaction. Je me suis soumise, articulé-je.

- On est tous passés par là. Toi, moi, lui.

- Je n’ai rien demandé. Je voulais juste… 

Elle m’empoigne le visage à deux mains et plante ses yeux perçants dans les miens.

- Ne continue pas ! Les regrets sont pour les faibles. Es-tu faible ?

Je détourne la tête m’arrachant à son contact.

- Je ne sais plus.

Elle m’oblige à lui refaire face.

- Elena, regarde-moi. Tu es quelqu’un de fort, ne l’oublies pas. La preuve, il leur a fallu plusieurs mois avant d’y arriver. C’est normal de craquer, tu es humaine après tout.

Si être humain cause tellement de souffrance, je ne veux pas en être un, pensé-je. Toutefois, je me contente de répondre :

- Peut-être, mais je ne me le pardonne pas.

- Je te comprends, malheureusement, pour le moment, nous devons tous obéir et l’accepter. Ils nous surpassent.

- Je ne peux pas.

- Si, tu le peux. Tu dois le faire pour retrouver cette liberté perdue.

Mes yeux sont définitivement secs. Elle a raison, je dois me ressaisir. Luna semble avoir perçu une lueur d’espoir briller dans mes pupilles. Elle me sourit. Puis une phrase du maréchal la balaye d’un coup Attends-toi à être punie pour ce manque à la discipline.  J’ai de nouveau le cœur au bord des lèvres. Que va-t-il m’arriver ? Je sens que je vais remettre.

- Luna… un seau vite, dis-je avec difficulté.

Luna attrape la poubelle à côté de mon lit. Je lui arrache des mains et vomis. C’est de la bile. Un goût amer m’envahit la bouche. Ma sœur appelle le médecin. Je remarque que j’ai craché un peu de sang. Vincent essaye de calmer tant bien que mal Luna. Celle-ci panique pour un rien. Je tourne la tête pour ne pas la voir dans cet état. Sa voix monte dans les aigus. À mon grand soulagement, Vincent finit par lui demander de partir sur un ton sans appel. J’ai besoin de beaucoup de repos. Je sens une main se poser sur mon épaule. Je me retourne et Luna me serre contre elle.

- Tu sais que je serai toujours là pour toi, petite sœur. Alors, rétablis-toi vite, chuchote-t-elle.

Elle s’écarte de moi et quitte la pièce. J’adore Luna, mais parfois, elle est trop oppressante. Vincent me tend un verre d’eau que je bois d’une traite. J’ai la gorge si sèche. Je me rends compte trop tard qu’il y a versé un somnifère, mais cela m’est bien égal. Je sombre dans un sommeil profond sans rêves.

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Sklaërenn
Posté le 14/01/2021
Bon la soeur elle est gentille, trop inquiète et en même temps, pas assez compatissante sur ce qu'elle a vécu. Même si je comprends bien pourquoi elle fait ça, ça donne un peu une double personnalité la concernant. Ce n'est pas quelque chose de mal hein, juste perturbant ahah.
Zoju
Posté le 14/01/2021
Merci pour tes commentaires ! Luna est sincèrement inquiète pour sa sœur et préfère la secouer plutôt que de la consoler.
Cléo
Posté le 23/05/2020
Avec des soeurs comme ça, pas besoin d'ennemis :p Je rigole, mais si jamais qui que ce soit faisait une chose pareille à ma soeur, que ça soit le système ou non, que ce soit notre père ou non, le mec passerait un sale quart d'heure.

Quelques coquilles que j'ai remarquées :
Au début tu as écris "bars" au lieu de "bras" quand le gars croise les bras.
"Qu'ont-ils osé de faire" -> qu'ont-ils osé te faire
"Nous devons nous y obéir" -> "nous devons tous y obéir"
Zoju
Posté le 23/05/2020
Ah les fameux bras qui deviennent bars. Quand j’écris j’ai toujours un problème avec ce mot. J’inverse toujours le A et le R. Je corrige ces coquilles. Merci pour la correction.
Cléo
Posté le 23/05/2020
De rien ^^ moi aussi j'ai des trucs de doigts qui reviennent souvent. Dyslexie du clavier, quand tu nous tiens ! (Also, désolée pour l’inondation de commentaires ! Quand je lis, je peux être bavarde ^^)
Zoju
Posté le 23/05/2020
Aucun problème, j’aime bien avoir un retour. Cela me permet d’avoir une distance avec mon histoire.
annececile
Posté le 25/04/2020
Bigre, pauvre Elena, il y a de quoi etre traumatise apres de tels moments. On a mal pour elle (ce qui montre que tu as bien fait ton boulot : on s'est attache a elle!)
Petits details en vrac : les brutalites subies semblent etre presque toutes des coups portes a la tete, a la tempe. Comme l'armee veut utiliser Elena comme arme de precision, c'est curieux qu'ils portent de tels coups qui peuvent laisser des sequelles, meme si ce n'est que par pur calcul.
Elena parle de s'etre soumise a l'armee "de son plein gre" (et Isis avait utilise la meme expression en laissant la petite Laly derriere elle) dans un contexte ou le plein gre, donc l'absence de contrainte, n'existe pas. Alors c'est peut-etre un contre-sens voulu, pour montrer qu'elle se sent responsable d'une decision qu'on l'a forcee a prendre. Sinon, peut-etre utiliser des mots differents tels que "en toute conscience"?
Quand Luna arrive, Elena essaie de cacher son etat en l'accueillant "un sourire aux levres". Etant donne ses levres gercees et son etat, ca fait bizarre qu'elle soit capable de sourire comme si de rien n'etait... "s'efforcant de sourire"?
Bon courage!
Zoju
Posté le 25/04/2020
Contente que tu t'attaches à Elena. Pour la partie sur le plain grès. Chapeau de te souvenir des phrases dans le chapitre 3. Ta réflexion est très intéressante. Pour Elena, elle vit le fait d'accepter d'obéir à son père comme un peu une trahison envers elle-même. Elle se considère un peu comme la seule fautive. C'est vrai que l'utilisation chez Isis et Elena de cette phrase est différente. Si elle est juste pour Isis , elle est plus complexe pour Elena. Je vais réfléchir à cette tournure. Pour le sourire, je reconnais que s'efforçant de sourire serait plus adapté à la situation. Même si Elena n'a aucune idée de comment elle est physique, elle ressent la douleur. J'aime beaucoup tes avis, car ils me permettent de bien réfléchir sur le choix des mots. Merci :-)
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