Chapitre 16 — Ben

Aujourd'hui, il pleuvait et le tonnerre ne cessait de gronder.

A priori, rien de bien extraordinaire. Sauf quand on était en plein mois d'août et que celui-ci avait été particulièrement chaud ces dernières semaines. Enfin, peut-être que c'était son moyen de se défouler après autant de journées aussi chaudes.

Heureusement, j'avais pris mon parapluie cette fois-ci et arrivai à mon entreprise complètement sec. Quelques personnes avaient payé cet oubli et je le voyais aux nombreuses personnes que je croisai aux cheveux trempés dans les couloirs.

Armie m'intercepta entre deux couloirs, son téléphone en main.

— Armie, je n'ai pas le temps pour une quelconque image que tu aurais trouvé sur internet...

— C'est du travail, m'arrêta-t-il, presque amusé.

Je m'arrêtai dans ma démarche et croisai mes bras en attendant les détails.

— J'ai trouvé une faille assez importante dans notre système, je vais la faire remonter à l'équipe concernée, mais je me suis dit que ça pourrait t'intéresser.

— En effet... Envoie-moi tout ça dans un rapport dès que tu peux.

Je jetai un bref coup d'œil à son téléphone. Rey m'avait parlé d'une faille pour faire exploser le système, mais celle-ci avait peu de chance d'être intéressante à exploiter. Et puis, peut-être que beaucoup trop de monde était au courant pour réellement agir avec discrétion. Quoique... Si la liste des suspects était bien trop grande, peut-être que ça en ferait fuir certains.

— Je t'envoie ça dans la journée. Ça te va ?

J'acquiesçai, mais alors que j'étais sur le point de partir, il me retint. À son regard, je savais déjà qu'on avait quitté le domaine professionnel.

— T'es sûr que ça va dernièrement ? T'es assez distant ces derniers temps.

— J'ai juste beaucoup de travail.

— Ce n'est qu'une excuse ça...

Évidemment, ce n'était qu'une excuse. Personne ne pourrait se faire avoir aussi facilement. Néanmoins, je n'allais pas céder à ce moment-là, alors je repris une longue inspiration avant d'ajouter :

— Je suis vraiment désolé, mais je n'ai pas le temps.

Il n'insista pas davantage et je l'abandonnai pour me rendre à mon bureau où je pus y croiser Trilla. Elle m'attendait confortablement dans un fauteuil, le nez plongé sur son téléphone. Elle se leva d'un bond lorsqu'elle me vit arriver.

Comme d'habitude, elle me fit un récapitulatif des futures réunions et en avait déjà sélectionné quelques-unes qu'elle gérerait d'elle-même. La plupart du temps, nous agissions à deux, mais vu son tempérament bien plus calme, elle avait pris l'habitude de certains clients.

— Est-ce que tu as une idée pour cette entreprise ? finis-je par demander. Parce que Rey pourrait aussi être impliquée.

— Il ne vaut mieux pas qu'elle soit impliquée.

— Je sais très bien... Mais elle pourrait être d'une grande aide. Elle a probablement plus de connaissances que nous deux réunis.

Elle croisa ses bras et détourna son regard pendant un instant. Il était normal qu'elle doute de Rey, après tout, elles n'avaient jamais été proches toutes les deux. Mais ce sentiment allait bien vite disparaître dès qu'elles seraient en contact.

— Et son grand-père m'a contacté. Il est prêt à nous laisser tranquilles si je lui livre Rey... J'ai aucune idée de ce qu'il veut vraiment, de qui il est vraiment. Mais il connaissait mon grand-père.

— Ironique que vos grands-pères se rencontrent, lança-t-elle d'un air amusé.

— À croire que le monde est petit...

Un petit rire lui échappa, un rire tout de même retenu. Puis elle reprit son sérieux.

— Je me suis rendu compte qu'il s'agissait de notre plus grand investisseur. Snoke n'était rien comparé à lui.

— On était déjà dans la merde... Alors là, on est tout autant coincé. Comment on peut le jarter de l'équation ?

J'avais l'impression d'être face à une impasse, et ce, depuis bien trop longtemps. Dans le fond, comment on pouvait se sortir de tout ce bordel alors qu'à chaque fois, on découvrait un nouvel obstacle ? ou encore qu'à chaque fois, on se découvrait bien plus impuissant qu'avant ?

— Je pense qu'on va devoir avoir une petite discussion avec Rey... Elle a des idées qu'on n'aura peut-être pas, annonça mon acolyte.

Dire que ça serait leur première rencontre... Je m'attendais clairement au pire, mais je savais aussi que Trilla était capable d'enfiler un masque jusqu'à ce qu'il lui arrache la peau si on tentait de l'enlever. Peu importe ses sentiments envers Rey, elle serait probablement capable de les cacher à la perfection.

— Tu es libre ce soir ? lui demandai-je.

— Si ça me laisse le temps de préparer quelques dossiers, totalement. Je suppose donc qu'on se retrouvera chez toi.

— En effet...

*

Même si j'avais proposé à Rey de venir la chercher, elle avait poliment refusé. Alors, pendant un bon bout de temps, j'avais passé la soirée avant son arrivée avec Trilla. Celle-ci avait été tentée d'un apéro un peu alcoolisé, mais ça nous serait bien plus utile après élaboration d'un quelconque plan. À la place, elle s'était contentée de ramener quelques sodas et quelques biscuits salés.

Entre temps, elle avait également arrangé son maquillage. Alors qu'elle n'avait qu'un simple trait d'eyeliner, elle avait entouré ses yeux d'un épais trait de crayon noir et assez flou. Je l'avais déjà vu à quelques reprises avec ce genre de maquillage, mais jamais au travail.

— Ne serais-tu pas un peu tendue de rencontrer Rey ? osai-je lui demander.

Elle s'arrêta un instant et mordit sa lèvre inférieure. Puis elle posa ses mains sur sa taille.

— Peut-être bien un peu... En même temps, on ne s'est jamais vu dans un cadre plus...

— Amical ? En effet.

— Et je sais ce qui se passe entre vous deux, ajouta-t-elle.

— Ça te gêne tant que ça ?

Elle prit une longue inspiration puis une chaise pour s'y installer. Elle posa ses coudes sur ses genoux et se pencha vers moi alors que j'étais encore contre un comptoir de la cuisine.

— Je ne sais pas si c'est vraiment de la gêne que je ressens... Mais c'est bizarre. Peut-être que c'est un peu de la jalousie aussi... J'ai perdu Cal dans toute cette affaire.

— Je pense vraiment que tu ne l'as pas perdu pour toujours. Je suis persuadé qu'il pourra comprendre...

— Peut-être bien. Mais je préférerais qu'on soit libéré de toutes ces merdes avant de reprendre le contact avec lui. Je ne veux vraiment pas prendre le moindre risque pour le moment...

Elle baissa son regard un instant puis revint vers moi, l'air perturbé, pour ajouter :

— N'y vois aucune critique quant à Rey et toi...

— Ce n'était pas mon intention.

Elle sourit, du mieux qu'elle pouvait étant donné que sa douleur avait soudainement pris le dessus. En tout cas, il était évident que ça la soulageait un peu d'en parler, quand bien même elle ne voulait pas le reconnaître. En même temps, elle avait toujours été très réservée.

— Rey a l'air d'être vraiment quelqu'un de bien... Je pense que, même dans le pire contexte, jamais je n'aurais pu la détester... Je vois même pas comment quelqu'un pourrait la détester.

— Moi non plus... Mais je dois t'avouer que je suis complètement biaisé.

On échangea un simple rire. Un rire insouciant. Le genre d'échange qu'on avait rarement. En même temps, avec cette entreprise et toutes ces sales affaires, nous étions toujours sous tension.

Puis un long silence s'installa entre nous. Un silence presque lourd. Nous avions échangé des tas de fois, souvent à cœur ouvert. Mais cette fois-ci, il y avait quelque chose de plus. Rien à voir avec un quelconque sentiment amoureux. Au contraire, ce n'était qu'amical entre nous. Mais il y avait désormais l'espoir de pouvoir s'en sortir. Mais combien de temps cet espoir durera-t-il ?

— Elle en a pour combien de temps encore ? m'interrogea-t-elle comme pour détourner le sujet de la conversation.

Je jetai un bref coup d'œil à mon téléphone pour vérifier si je n'avais pas reçu de nouveaux messages entre temps. Rien de nouveau.

— Elle est en route... Elle ne devrait plus tarder.

— Je vais sortir mes dossiers alors...

Elle se leva puis cala quelques mèches de ses cheveux derrière ses oreilles. Elle prit quelques secondes pour reprendre ses esprits.

— Tu crois vraiment qu'on va se sortir de tout ça ?

— Je n'ai aucune certitude pour le moment. Juste de l'espoir.

D'habitude, j'aurais pensé que l'espoir ne nous aurait pas servi, mais désormais, je me rendais compte que c'était ce qui m'avait probablement manqué le plus jusqu'alors. Juste un peu d'espoir. Et je ne m'attendais pas à ce que ça vienne de la part de Rey...