Ayant quitté la tante et l’oncle de Rose, les trois boucaniers reprirent leur route (comme souvent, depuis quelques chapitres, il faut bien le dire…) et s’aventurèrent enfin vers leur dernière étape : la Pierre.
Au bout d’une demi-journée, ils entendirent un rugissement. Ils se rapprochaient alors d’un lac, le « Lac des Oubliés », qui n'était plus bien loin. Une source ruisselait en sa direction. Le rugissement retentit de nouveau. On aurait dit une plainte, quoiqu’elle fût très animale. Soudain, Pierre se massa le crâne, murmurant : « Ah… »
« Que se passe-il ? s’écria Rose, alarmée.
- J’ai mal au crâne… J’ai entendu… Comme un mot, un son... »
Un nouveau grondement se fit entendre, une seconde plainte, puissante… Ce devait être un très gros animal. Encore un glapissement perçant, un autre… Pierre affichait tous les signes d’une grande souffrance.
Aide-moi, toi qui…
« J’entends des voix dans ma tête ! Des appels à l’aide, des demandes de secours ! », tonna Pierre, ce qui lui provoqua dans le même temps de nouveaux lancements.
Rose observa longuement Pierre, puis une lueur frissonna dans ses yeux. Cependant, elle resta muette.
Ils se rapprochaient lentement du lieu d’où semblaient s’échapper comme des pleurs. Le cri était de plus en plus régulier, de plus en plus plaintif… À chaque mugissement, Pierre murmurait quelque chose : « Il nous supplie de l’aider ! », « Il faut le secourir ! »… Et d’autres exclamations déchirantes encore qui rendaient perplexe Gwendal seul.
« Pierre, je crois que tu es un Satinual.
- Pardon ? Qu’est-ce qu’un Satinual ? Il a besoin d’aide. Il a besoin d’aide !
- Pierre, un Satinual est un être capable de comprendre et de communiquer avec une espèce animale, une espèce en particulier.
- C’est la première fois que ça m’arrive, comment peux-tu l’expliquer étant donné que je connais beaucoup d’espèces…
- Oh… J’ai le grand bonheur de t'annoncer que j’ai aussi la réponse à cette question. Car « il », c’est lui. »
Ils étaient parvenus sur les rives du lac. Et Pierre comprit pourquoi ces beuglements étaient si puissants.
Car cet animal que Pierre pouvait comprendre, et qui était retenu par des cordes (personne ne savait pourquoi), c’était, Stanline l’apprit très vite, un Darfont. Comment décrire cette bête ? Un ventre comme une robe rouge bordeaux, la taille de trois arbres centenaires, des yeux plus larges que la tête d’un elfe, une pupille bleue comme la plus pure des mers, une bouche crachant de la glace (et non pas du feu, comme se l’imaginent les humains des dragons)… Le Darfont ne présentait que deux pattes qui lui permettaient de crapahuter. Il était capable de rester en équilibre sur l’une et d’utiliser la seconde pour agripper des objets (heureusement, les cirques n'existaient pas à Alaakrïpé, car les Darfonts auraient eu un rôle de taille à y jouer).
Libéré de ses chaînes de chanvre, le Darfont se mit à japer et à remuer ses cuissots autour de Pierre, comme s'il affectionnait déjà ceux qui l'avaient aidé.
Pierre restait intrigué par les cordelettes qu’il gardait dans ses mains, immobile…
Pouvoir cracher des glaces peut être aussi grave que cracher le feu.