Chapitre 16.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Chapitre 16

 

“... on les a donc suivis, narrait Sibéal devant l’assemblée, et ça nous a menés jusqu’à un centre scientifique.

-Ca veut dire qu’ils ont pu prendre le morceau manquant qu’il nous faut ! réalisa Oriag.

-Très certainement.

-Ils pillaient le site, assura Apollo.

-Ces enflures, grinça Yakta, les scientifiques ont restreint l'accès sur les terres sauvages de l’île sous prétexte de protéger des oiseaux, mais c’était en réalité pour garder toutes les antiquités pour eux. Pourquoi ça ne m’étonne pas ?”

 

Dans un coin du carré du Mod, Yakta bouillonnait sur place. Assise sur la banquette, Anak échangea un regard avec Chad. Ils avaient eu leur lot de mauvaises expériences auprès de la sphère scientifique. Si Yakta avait monté son équipage et s’était lancée dans les quêtes aux divers trésors, c’était en partie parce qu’elle était une passionnée d’histoire et de cultures. Elle était tout particulièrement intéressée par les leurs, l’histoire et la culture sioux, mais celle du monde tout entier la captivait. S’il y avait bien une règle à laquelle ils n’avaient jamais cédé, c’était de remettre, contre un prix toujours respectable quant à leurs efforts, les pièces historiques et culturelles à des musées où chacun pourrait aller les découvrir. Et bien des scientifiques, et autres chercheurs, leur avaient mis des bâtons dans les roues et pas toujours pour les raisons les plus nobles. Sans parler des riches dignitaires et autres figures du grand gratin qui cultivaient des lubies toujours plus grotesque… une fois, ils avaient été engagé par un notable pour aller récupérer des momies, et ils avaient fini par comprendre qu’il comptait en faire du petit bois pour alimenter une barbec-party. 

Le monde regorgeait de gens avec trop de temps et d’argent à leur disposition, et il fallait même se méfier de ceux qui se drapaient dans les beaux costumes des plus nobles causes. 

 

“Va donc falloir qu’on s’infiltre dans ce centre,” trancha Murdock.

 

Le regard de Yakta se porta aussitôt sur lui, un sourire s’imprimait sur ses lèvres et Anak n’en aima pas l’éclat… ça ne lui disait rien qui vaille. Tout en se penchant en avant, elle racla la gorge pour s’attirer l’attention des deux capitaines, et elle se permit un commentaire : 

 

“Mais… c’est un peu dangereux, non ?

-Oh, Nak, rit Yakta avec dérision, on a fait bien pire !”

 

Et ce n’était pas que des bons souvenirs, se remémora Anak d’une grimace. Cette rétrospective fut rapidement interrompu par la voix goguenarde de Murdock : 

 

“Où est passé ton sens de l’aventure, gamine ? C’est pas toi qui est venue nous sauver de la tempête en volant le bateau de ta capitaine ?

-J’ai… pas vraiment réfléchi, avoua-t-elle, j’ai juste… fait.

-C’est une chance, alors ! rebondit Yakta. On ne te demande pas de réfléchir mais de faire, Anak.”

 

Devant l’air exagérément jovial de leur capitaine, Anak força un sourire alors que Chad s’allumait une cigarette dans un soupir, à sa droite. Quant Yakta était prise dans les filets de son ambition, il n’y avait pas grand-chose à faire. Et ça n’avait pas l’air d’aller en s’arrangeant maintenant qu’elle faisait équipe avec Murdock, qui ne semblait pas en reste d’ambition non plus de son côté. Auparavant, au moins, Yakta écoutait leur réserve. Mais désormais qu’elle avait trouvé en la personne de Murdock un camarade de plan foireux, leurs équipages pouvaient faire leurs adieux à la diplomatie…

 

“Avec Murdock, nous allons nous charger du plan, pas vrai ? lança Yakta à celui-ci.

-Ca me semble bien !”

 

Capitulant, Anak se radossa au dossier de la banquette. A sa droite, Chad rejetait des nuages de tabac dans la pièce. De l’autre côté de la pièce, Apollo, Oriag et Sibéal discutaient à voix basses. Mais tout ce qui comptait, c’étaient Murdock et Yakta qui se félicitaient déjà de leur prochain triomphe.

 

OoOoOo

 

Anak rebondissait, ses talons nus dans le sable, tandis que de l’autre côté de la ligne tracée dans le sable, Chad enchaînait les feintes. Ils jouaient à la balle au prisonnier pour la troisième partie consécutives, et Anak était la dernière joueuse de leur équipe. Ce qui changeait des deux autres parties où elle s’était faite éliminer assez tôt, mais là elle comptait bien gagner pour Sib et Moh qui lui criaient des encouragements. 

Soudainement, Chad se figea et ouvrit de grands yeux en s’exclamant : 

 

“C’est Valérian là-bas ? A moitié à poil, en plus… 

-Où ?” fit-elle.

 

Le regard d’Anak exécuta un tour de ronde le long de la plage avant qu’une balle vienne percuter en pleine face au niveau de la tempe. Geignant de douleur, elle porta sa main à sa tête alors que Chad, tout fier de sa stratégie, se tourna vers Oriag et Apollo, ses deux coéquipiers, pour recevoir les lauriers de sa victoire. Dans un mélange de compassion et d’amusement, Moh et Sib allèrent à elle pour la rassurer que ce n’était pas grave et qu’elle avait quand même bien jouer.

 

“Mais c’était amateur, ça, Nanak ! lui reprocha Nialh. C’était nul ! Vous auriez dû les LAMINER !”

 

Avec humeur, elle tourna son attention vers le convalescent qui avait tout sauf l’air d’être souffrant, si on oubliait son bras en écharpe. Il était assis sur une serviette là où Wanda, qui bronzait juste à côté, l’avait sommé de rester, lui interdisant de participer au jeu. 

 

“Chad a triché ! se défendit-elle.

-Alors, ça me coûte de prendre son parti mais… c’est pas contre les règles… en plus, réfléchis deux secondes, qu’est-ce que Valérian ferait nu sur la plage ? Et d’abord, pourquoi tu voudrais le voir ?”

 

Alors que Chad ricanait avec diabolisme, Anak leva le menton bien haut sur la défensive. De un, ils ne le savaient peut-être pas, mais Valérian était plus exhibtioniste qu’il n’en avait l’air. Et de deux… bon, c’était tout. Voilà. Anak nourrissait comme la suspicion que Nialh faisait exprès de ne pas comprendre !

 

“Wanda ! appela-t-elle, revancharde, la médecin. Ton patient dit n’importe quoi, je me demande s’il a pas une insolation !

-Bah laisse-le avoir une insolation, répondit Wanda sans bouger un orteil de sa position de bronzage, j’aurais la paix.”

 

Mécontent de la remarque, Nialh leva un poing furibond en la direction de sa tyran mais alertée par le mouvement, Wanda ouvrit les yeux vers lui en relevant ses grosses lunettes de soleil pour mieux l’inspecter. Et la colère de Nialh fondit en une flaque d’hypocrisie apeurée qui s’allongea dans un large sourire de faillot. Satisfaite, Wanda se recoucha. La menace disparue, Nialh reporta son regard vengeur sur Anak, s’ensuivit un duel visuel qui fit beaucoup rire Sibéal et Moh.

 

“Allez ! décida Sib. Et si on allait se baigner après tous ces efforts ?

-Bonne idée ! approuva Moh en attrapant le bras de sa grande sœur, ça te fera du bien, Nanak !”

 

Nialh fit mine de se lever pour les suivre mais Wanda claqua un “Pas bouger !” qui vissa son fessier à la plage, et Anak adressa au prisonnier une salutation moqueuse. 

 

Heureusement qu’il y avait encore un peu de justice dans ce monde. Non mais.

 

OoOoOo

 

“J’espère juste que le centre scientifique n’est pas trop surveillé…

-Tous les endroits comme ça le sont un minimum,” répondit Sibéal à Moh.

 

Celui-ci dirigea un regard un peu inquiet en direction de sa grande sœur qui était pleinement concentrée dans sa tâche actuelle ; gonfler une énorme bouée, type transat, où l’on pouvait tenir à deux et même poser des gobelets. Elle l’avait achetée sur l’Île aux Papillons mais n’avait pas encore eu la détermination nécessaire pour la mettre à flot. Désormais, alors qu’ils avaient l’après-midi de repos pendant que leurs capitaines dressaient le plan, c’était le moment idéal. Ils étaient quand même retournés le matin au temple pour vérifier que la clé n'avait pas été laissée par les pilleurs sur le site, mais ils étaient revenus bredouilles. 

L’eau autour d’eux était tiède et douce, et le sable qui s’infiltrait entre les orteils d’Anak l’était tout autant. Une fois que la bouée serait prête, elle comptait bien passer toute l’après-midi à flotter dessus !

 

“Tu feras attention, hein ?” lui lança Moh. 

 

Ne pouvant se permettre de relâcher sa mission actuelle, Anak se contenta d’opiner du menton, la bouche collée à l’embout. Il y avait en effet de grandes chances que si Yakta ait à choisir un membre de l’équipage pour y aller, ce serait elle. Elle était un peu sa seconde, pas en termes de hiérarchie, mais c’était souvent à elle qu’elle confiait les missions un peu particulières.

 

“Ne t’inquiète pas, Mohvo, le rassura Sibéal, je ne connais pas assez Yakta -même si elle me parait très pro et raisonnable-, mais concernant Murdock, je peux te dire qu’il fera en sorte qu’il n’arrive rien à Anak. Tu peux lui faire confiance.”

 

Ayant besoin d’une pause, Anak libéra sa bouche dans un sourire pour Sibéal.

 

“Vous êtes vraiment chous, tous les deux !”

 

Sibéal fronça les sourcils en se tournant vers Moh, pensant que la remarque les concernait, et Anak rit en corrigeant : 

 

“Ah non, je veux dire Murdock et toi ! Vous formez un couple si mignon, ça se voit que vous êtes hyper complices et que vous vous faites à cent pour cent confiance.”

 

Il n’en fallut pas plus pour que Sibéal ne s’empourpre et pas seulement les joues, tout le visage. Interloquée, Anak pencha la tête sur le côté. Qu’est-ce qu’elle avait dit ?

 

“Mais on n’est pas en couple…

-Hein ?

-Murdock est juste mon capitaine ! expliqua Sib en usant de gestes de mains en grande profusion. J’ai un copain mais il n’est pas là, il s’appelle Gauvain.

-Gauvain ?”

 

Anak fit la moue. Quel drôle de nom. Mais pourquoi pas, qui était-elle pour juger ? Elle était juste assez étonnée, avec toutes les attentions que Murdock avait pour Sib, toutes les fois où elle les avait vu danser ensemble et les mots toujours admiratifs que la brune en face d’elle avait pour son capitaine… bon, manifestement, elle s’était plantée. 

 

“Ah bon ! accepta-t-elle en souriant. En tout cas, vous avez une belle relation !

-Mer-merci… je vais hum voir mon frère un moment, il me fait de grands gestes, je reviens.

-D’accord !”

 

Anak la regarda partir tout en retournant à son gonflage, sa bouée atteignant sa taille adulte devant elle. La main sur la bouche, Moh ne put cacher plus longtemps son rire en baissant son regard pétillant sur sa sœur.

 

“Je crois que tu viens de la traumatiser, Nanak.”

 

Une arrivée brusque vint secouer leur coin de la mer alors que Chad débarquait vers eux et il vint se jucher sur la bouée sans plus de façon tandis qu’Anak se précipita dans la complexe tâche de reboucher l’embout pour éviter que toute sa tâche ne soit complètement ruinée par l’invasion.

 

“CHAD ! protesta-t-elle. J’ai pas fini encore !

-Mais si, c’est bien, la complimenta-t-il.

-Et c’est pour Moh et moi !

-Comment c’était l’autre soir avec la jolie fille de la fête ? l’interrogea Moh en s’accoudant à la bouée pour se rapprocher de Chad.

-Pas mal.

-Pff, allez, descends,” grommela Anak en lui frappant la cuisse. 

 

Chad ne fit que mieux s’installer en croisant les jambes et plaçant ses bras sous sa tête pour faire office d’oreiller. 

 

“Et avec Apollo ? lui demanda Moh.

-Pas mal.”

 

Anak le frappa à la cuisse plus fort, ce qui eut le don de le redresser sur sa bouée volée avec une mine courroucée. 

 

“C’est quoi “pas mal” exactement ? s’enquit-elle en haussant un sourcil inquisiteur.

-Ca veut dire que c’est pas le moment de se prendre la tête, explicita-t-il, et j’suis sûr qu’on peut tenir à trois sur ta bouée.

-Pour ça, faut que je finisse de la gonfler donc POUSSE-TOI !”

 

Avec l’aide salutaire de Moh, ils l’éjectèrent de la bouée et Chad tomba tout entier dans l’eau dans un gros PLOUF. Quand il en émergea avec sa tête furieuse et ses cheveux s’aplatissant sur son front tel un rideau, le frère et la sœur Freeman s’esclaffèrent sans réserve. 

 

“Ca vous fait marrer, les Freeman ?”

 

Anak haussa les épaules avant de lui répondre : 

 

“Pas mal.”

 

OoOoOo

 

Une lampe frontale à la tête, Anak lisait un livre sur une fiction spatiale. Allongée sur le ventre dans les filets, une couverture sur le dos, elle s’imaginait à bord du vaisseau qui fonçait à la vitesse de la lumière d’une galaxie à une autre. Et entre chaque chapitre, elle levait les yeux au ciel étoilé en se demandant si, de là-haut, un alien la regardait et prenait sa lampe frontale pour une étoile.

 

Le filet sous elle bougea et elle tourna la tête pour voir Valérian qui approchait. Il leva la main pour s’abriter les yeux de la lampe qui se retrouva si brutalement braquée sur lui, et Anak l’éteignit aussitôt en s’asseyant en tailleur. 

 

“Ça t'arrive souvent de passer tes nuits ici ?”

 

Anak comprit qu’il faisait allusion à la nuit où elle était tombée, à moitié ivre, du catamaran à l’eau après avoir voulu admirer les étoiles et qu’il avait dû lui porter secours. Cette nuit où tout avait commencé. Qu’est-ce qui avait commencé exactement ? Elle ne savait pas exactement. Une sorte de relation étrange entre eux, un tissu de secrets et de mensonges qui les liait l’un à l’autre. La méfiance qu’elle avait éprouvée pour lui s’était volatilisée lors de leur plongée, et d’autres sentiments étaient venu prendre le relai. La fascination, l’admiration, cette envie d’en connaître toujours plus, d’en découvrir encore plus… et peut-être même une sorte d’attachement qu’elle reconnaissait bien. 

Anak n’était pas la dernière pour tomber amoureuse. Des coups de cœur, elle en avait connus beaucoup, des coups au cœur, aussi. Quand elle le regardait, elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander quels genres de coups il serait. En dépit des réponses jamais très réjouissantes que lui soufflaient sa tête, ça ne changeait rien au résultat. 

Et lorsque Valérian vint s’asseoir près d’elle, ses cheveux blonds tenus dans une queue de cheval lâche qui laissait quelques mèches lui caresser son si beau visage et ses yeux étincelant à la lueur de la pleine lune, Anak savait qu’il était trop tard pour elle. Le bateau avait accosté au port et elle avait embarqué, et maintenant, elle était en mer et il n’était plus question de revenir sur quai. 

 

“J’aime bien la nuit, répondit-elle.

-Vraiment ? fit-il d’un sourire. Moi aussi.”

 

Les yeux d’Anak tombèrent sur ses lèvres et y restèrent longtemps alors qu’il se penchait vers elle pour lire le titre du livre qu’elle tenait encore dans ses mains. Il sentait bon aussi mais ça, elle l’avait déjà remarqué. 

 

“Volons jusqu’au bout du ciel et au-delà, énonça-t-il le titre.

-C’est sur un équipage qui recherche un trésor dans l’espace.

-Tu es vraiment une exploratrice, commenta-t-il, même dans le choix de tes livres.”

 

Elle ne répondit pas et resta un long moment silencieuse à l’étudier sous toutes les coutures. Que faisait-il ? Essayait-il de lancer une conversation à partir de rien ? S’apprêtait-il à parler de la pluie et du beau temps, ou à décrire l'œuvre magnifique de la lune sur les vagues ? Elle connaissait ces stratagèmes. Si elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi les hommes ne voulaient jamais d’elle très longtemps, elle savait tout de même reconnaître les signes. Elle pouvait paraitre naïve et même un peu stupide -au fond, elle l’était sûrement- mais elle n’était pas née de la dernière pluie. 

Face à l’intensité avec laquelle Anak l’observait, Valérian parut un peu mal à l’aise et il se sentit obligé de demander : 

 

“Est-ce que j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? 

-Tu veux m’emmener pour une autre plongée ?”

 

Valérian eut un rire étonné tandis qu’Anak restait encore un peu pensive, un peu hésitante. Devrait-elle se poser les bonnes questions ? Ces dizaines de pourquoi ? Ces douzaines de comment ? Mais elle n’en avait pas véritablement envie, en toute honnêteté. Les “pas mal” de Chad lui revenaient, ceux qui signifiaient que ce n’était pas le moment de se prendre la tête, et après tout, entre un coup de cœur et un coup au cœur, quelle différence ? 

Après tout, quelle importance ?

 

“Tu veux ?” lâcha Valérian.

 

Elle lâcha son livre et le laissa sur ses genoux pour poser ses deux mains sur le visage de Valérian et plaquer ses lèvres sur les siennes. Elles étaient froides et lisses, douces, l’imagination d’Anak ne s’était pas trompée, elles étaient telles qu’elles paraissaient. Le baiser ne dura que quelques secondes avant qu’elle ne se recule et se replonge dans ses yeux qui savaient si bien l’hypnotiser. 

 

“Oui, je veux,” furent les mots qui s’échappèrent d’elle.

 

Un battement de cil plus tard, rien qu’un souffle, l’une des mains de Valérian se glissa à son cou tandis que de l’autre, il débarrassait son front de sa lampe, avant de l’emporter dans un nouveau baiser qui n’avait rien à envier au premier. 

 

Sous l’éclat de la lune et des étoiles, le titre du livre abandonné brillait dans des lettres argentées. 

 

Volons jusqu’au bout du ciel et au-delà

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