Chapitre 16

Par Cerise

Le bon côté des choses fut qu’elle tint jusque chez elle. Pas de cheville foulée à déplorer, pas de larmes gênantes au vu et au su de tous, pas d’esclandre en public. Pour ce que cela comptait !

La porte claquée, elle envoya valdinguer ses talons, jeta son sac au sol, suivi de ses clefs, et glissa le dos le long de sa porte d’entrée avant d’exploser en lourds sanglots.

Elle se sentait sale de l’intérieur, moche. Elle n’était qu’une balourde balance, indigne de confiance. Une poivrote jacasseuse écervelée. Sylvestre était un type bien. Enfin, un dhampire bien. Elle aimait comment ses bons côtés à lui, sa droiture, son intégrité, rejaillissaient sur elle, lui donnant l’impression d’être un peu plus qu’une spécialiste ratée. Et pour une stupide histoire, elle avait tout foutu en l’air.

Elle ne se faisait aucune illusion sur la suite : il avait déjà probablement supprimé son numéro. Ou plutôt, l’avait fait glisser sur sa liste noire. Elle n’entendrait plus jamais parler de lui, sauf dans les articles des concurrents, quand il résoudrait enfin cette pelote de nœuds. Enfin, si on le laissait aller au bout : elle ne savait pas à quel point il était sur la sellette. Elle priait — cela devenait une habitude — pour que sous la pression, son supérieur ne se sente pas obligé de le transformer en exemple en le mettant au placard. Voire pire.

Ses larmes un peu taries, elle parvint à se redresser, et migra tout habillée jusqu’à son lit. Son smartphone dans la paume de sa main, elle alimenta son désespoir sans fond en lisant tous les articles relayant les prédictions de la désormais célèbre Elora.

Amalia ! Sa tristesse se mua en colère. Elle n’essaya même pas de l’appeler : aucune chance qu’elle ne décroche. Non, à tout prendre, elle préférait un face to face.

À nouveau, elle dormit mal, et à nouveau, le réveil la trouva la tête pâteuse et la bouche en coton. À moins que ce ne fût l’inverse, elle ne savait plus.

Le mardi et le mercredi s’écoulèrent sous tension. Elle redoutait comme elle l’espérait un appel de Sylvestre, guettant en parallèle toute percée de l’enquête révélée chez un concurrent. Mais rien ne filtra. Ses recherches pour trouver la traîtresse demeurèrent vaines, elle connaissait désormais le nom de son furet de compagnie, de son cabinet d’esthétique, et même le numéro de son abonnement de sport, mais pas son adresse. Au milieu de tout cela, elle parvint à écrire deux articles et lancer des recherches pour un troisième, mais Clémentine ne daigna pas accuser réception de ses mails.

Elle cauchemarda à nouveau dans la nuit de mercredi, et se réveilla aux aurores, hébétée et en sueur. Elle resta longtemps au creux des draps, chassant sa rancœur contre Amalia comme contre elle même à coup de jeux sucrés et de vidéos de chatons.

Elle ne se pressa pas pour se préparer, elle jouait encore à domicile ce jeudi, et en était à élaborer sa journée lorsqu’un appel la fit sursauter. Miss Acid !

– Allô ? fit-elle prudemment.

– Dans mon bureau. Tout de suite !

– Euh, Clémentine, je suis chez moi aujou…

– M’en fout ! Tout de suite !

Merde, merde et re-merde… Cette fois-ci, c’était la bonne. Elle déverrouilla son écran de veille par acquit de conscience, mais non, pas de nouveaux scoops. Alors quoi ?

Mieux valait agir. Elle ne pouvait pas se permettre de faire plus de vagues. Elle comptait à son actif déjà un ouragan et un tsunami... Elle s’habilla à la va-vite, se brûla en avalant son café, et au dernier moment empocha à tout hasard un cabas en plastique qu’elle plia dans son sac à main. Pas sûr que sa cheffe lui ferait l’aumône d’un carton pour ses affaires.

Elle prit plusieurs grandes respirations à l’approche de son travail. À l’approche du porche, elle releva la tête, et traversa l’open-space d’un air décidé. Quelques collègues levèrent un sourcil curieux, mais l’ambiance s’avérait plutôt studieuse, focalisée. Combative. Avec ces révélations, ils avaient perdu une bataille face à TDM28. Probable que tout le monde s’ingéniait à le pas perdre la guerre.

Elle hésita, puis toqua. Trois coups bien secs, bien nets.

– Entrez !

Les yeux de Clémentine, zigzaguant de l’un à l’autre de ses deux écrans, cessèrent leur danse à la minute où Mila avança d’un pas. Sa cheffe ne se redressa pas pourtant, la reporter n’eut pas droit à une mise en scène ce jour, pas de grands gestes ou d’intimidation. Mais la lenteur avec laquelle Clémentine se tourna, la crispation de sa mâchoire, lui firent prendre conscience que ce qu’elle avait vu lundi n’était qu’un rôle, une représentation de sa pièce de grande-rédactrice-un-peu-fâchée-parce-qu’elle-s’est-faite-doubler. Aujourd’hui, c’était différent. Aujourd’hui, elle ne jouait pas. Aujourd’hui, elle était vraiment en colère.

Mila s’assit prudemment. Clémentine se tourna totalement face à elle, et sa question claqua, inattendue :

– Mila, sais-tu qui est Wassim Debarre ?

Elle nia brièvement.

– Je m’en doute. Tu sais sans doute par contre qui est Ève Tancourt ?

– La rédactrice en chef de TDM28 ?

– Absolument. Wassim Debarre est son neveu, par alliance. Or ce même Wassim Debarre est le fiancé de ma petite cousine. Petite cousine qui est aussi ma filleule, et à qui j’ai offert pour ses vingt-cinq ans une fête à tout casser. Fête à qui s’est rendue…

– Eve Tancourt…

Clémentine laissa planer une ou deux secondes, avant que Clémentine n’enchaîne :

– Nous avons un certain… respect mutuel l’une pour l’autre. Je me suis fendue ce matin d’un petit coup de fil. Ève m’a donc raconté comment lundi, à la première heure, une petite brune s’est présentée directement dans ses locaux afin de lui proposer quelques informations contre une gratification. Sauf qu’Ève n’est pas née de la dernière pluie. Cette Elora par contre, si. Afin qu’Ève la croie, elle a trahi la première des règles : elle a nommé sa source. Toi.

Mila ne put s’empêcher de fermer les yeux. Les paroles de lundi lui revinrent en tête : « Si j’apprends que tu as quoi que ce soit à voir là-dedans... »

Clémentine reprit, jugulant sa colère sous les rênes du mépris :

– Donc je sais désormais avec qui tu as couché...

– Mais…

– Et si ce n’est pas le cas, je te conseille de t’y mettre. Je te laisse le choix : soit tu nous ramènes un scoop surpassant celui que tu n’as pas daigné révéler à ta propre maison…

– Clémen…

– … par exemple le nom de celui qui a assassiné Cadaral…

– Je ne…

– … soit tu peux aller voir si TDM28 t’accepte dans ses rangs. Avec la — PUTAIN — de — RÉPUTATION — que je vais te faire si tu déclines mon offre Mila, je te conseille d’être — TRÈS — convaincante !

Cette dernière tressaillit sous la perte momentanée de contrôle de sa cheffe. Ce n’était pas le moment de lui faire remarquer qu’après cette débâcle, il n’y avait aucune chance que Sylvestre lui dise quoi que ce soit. Il ne lui dirait même pas bonjour s’il la croisait, alors lui accorder le nom du meurtrier...

Elle se contenta de hocher brièvement la tête. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre ce job, pas comme ça, pas avec rien en vue et une réputation désastreuse enchaînée à sa cheville si Clémentine s’en mêlait. Elle la fixa encore quelques secondes. Mila parvint à garder la tête haute, sans ciller, jusqu’à ce que sa cheffe lui désigne sans un mot la porte. Elle ne se fit pas prier pour sortir.


 

– Allô ?

– Salut Esté, c’est Mila. Je ne te dérange pas longtemps, j’ai juste quelque chose à…

Mila s’interrompit. Elle venait encore quémander un service, et fonçait droit au but sans considération aucune. Elle ralentit volontairement son pas, se forçant à calmer sa respiration à la limite du chihuahua. Plus lentement, elle reprit :

– Désolée… Je ne te dérange pas ? Tu bosses aujourd’hui ?

Son emploi du temps par nature instable lui échappait toujours. Pompier raté, mais ambulancier plus ou moins réussi, elle s’était toujours demandé comment il parvenait à prendre ses gardes du matin sans ronchonner alors que lors de ses jours de congé, le lever avant midi tenait du prodige.

– Je reprends à 20 h. Et non, tu ne me réveilles pas, si c’est ce que tu pensais ! Ça va, pas trop de remous de ton côté ? Clémentine tire pas trop la tronche ? C’est Amalia qui a tout balancé lundi, hein ?

En d’autres circonstances, elle se serait perdue en récriminations contre sa cheffe, contre les faux amis, contre la terre entière, mais le simple fait qu’Esteban passe ainsi l’éponge et se soucie d’elle malgré tout la toucha plus qu’elle ne voulait l’admettre. Même s’il restait bien, bien en dessous de la réalité. Elle éluda :

– Dis Esté, tu la connais, toi, l’adresse d’Amalia ?

– Son adresse ?

– Pas son mail, son adresse postale, là où elle habite ?

Il laissa filer une ou deux secondes avant de répondre, soupçonneux :

– Tu vas faire quoi, si tu la trouves ?

La balancer par la fenêtre sans élastique, trampoline ou parapente. Lui coller la tête dans les toilettes et tirer la chasse jusqu’à épuisement des réserves d’eau de la planète. M’en servir comme bouclier humain avant d’aller dire à Clémentine d’aller se faire foutre.

Elle serra les dents, et se força à compter jusqu’à deux. Elle ne pouvait pas faire mieux.

– Juste discuter Esté. T’inquiètes, juste discuter.

Elle l’entendit distinctement souffler au téléphone.

– Nous aussi, il faut qu’on discute Mila. Tu perds les pédales. Je te retrouve chez toi.

– Mais…

– Et en fonction, je te donnerai, ou pas, l’adresse d’Amalia.

Elle faillit en pleurer de rage ! Elle voulait une adresse, pas une psychanalyse de comptoir ! C’était si difficile que ça à concevoir ! Avoir une chance de faire comprendre à cette écervelée égocentrique à quel point sa bêtise menaçait l’existence d’autres personnes !

–… un quart d’heure.

– Hein ?

– Je suis chez toi dans un quart d’heure !

– J’y serai pas.

– Si, tu y seras. Sinon, pas d’adresse.

– Je sors du boulot Esté. J’en ai au moins pour une demi-heure à rentrer !

– Et ben je t’attendrai chez toi !

Elle renonça à argumenter par téléphone, et reprit le chemin du métro. Elle pestait et jurait mais, elle l’admettait à demi, elle était soulagée qu’Esté se range à sa manière à ses côtés.

Quelque trente-cinq minutes plus tard, elle remontait sa rue d’un pas ferme. À cette heure-ci, elle enchaînait les dépassements des mamies en treggings trottinant au ralenti vers le supermarché du quartier. Le même SDF que depuis deux semaines roupillait sous sa carapace en carton dans un recoin d’entrée de parking, et un peu plus loin un groupe de trois ados d’âge, de sexe et d’occupation indéterminés confondaient dossier et assise sur le banc en face de la pizzeria. Ils étaient en avance : elle n’était pas encore ouverte.

Son regard glissa machinalement sur le côté de la devanture à la recherche des horaires, et son sang se figea dans ses veines : là, adossé dans un recoin, se tenait un homme à moitié caché dans l’ombre. À moitié seulement : la moitié au soleil lui suffisait pour qu’elle identifie le berserk.

Il guettait l’entrée de son immeuble à une quinzaine de mètres. Il n’avait pas son allure de bête, malgré tout elle le reconnaissait sans peine. Elle se força à reprendre son pas, à la même allure, mais au lieu de poursuivre tout droit au risque d’entrer enfin dans son champ de vision elle traversa la rue. Maintenant du même côté que lui, elle se trouvait cachée par les façades. Elle ne le voyait plus.

Elle s’arrêta, le cœur battant trop fort, observant elle aussi son entrée. Encore quelques mètres de marche décidée et il l’aurait vu. Elle ne voulait pas penser à ce qu’il aurait fait. Elle ne le voulait pas, mais malgré elle sa panique de leur dernière rencontre remonta jusqu’à elle, menaçant de l’étouffer. Sylvestre n’avait donc toujours pas mis la main sur lui. Et certainement pas non plus sur le djinn, ou quoi que ce fût qu’il soit.

Elle cala son dos contre le froid du mur derrière elle, se glissant dans une encoignure de porte. Esté devait être arrivé, probablement déjà entré. Il était son +1, le boîtier d’identification de son immeuble connaissait son ADN. Elle chercha son numéro, la main tremblante, et lorsqu’il décrocha elle demanda d’une voix étranglée :

– Esté, tu es chez moi ?

– Mila ? Qu’est-ce que tu dis ?

Elle dut se forcer à parler plus fort, elle avait peur que le berserk ne l’entende, même si c’était absurde, il était trop loin :

– Esté, je suis en bas de chez moi, je peux pas rentrer.

– Qu’est ce que tu racontes ?

– Va à la fenêtre, discrètement s’il te plaît, et regarde à côté de la pizzeria en face.

– Mila, c’est quoi cette histoire, qu’est ce qui se passe ? Tu es où ?

Elle n’osait plus parler, encore moins regarder si le berserk s’était déplacé. Si cela faisait longtemps qu’il patientait, il devait probablement changer de place de temps à autre, que ferait-elle s’il tombait nez à nez avec elle ? Il lui coupait la route pour rentrer chez elle, et jamais Esté ne descendrait à temps pour l’empêcher de tenter quoi que ce soit s’il la surprenait.

Elle aperçut le rideau de son salon bouger légèrement, et entrevit une silhouette jeter un œil au dehors. C’est Esté qui reprit, l’air moins assuré :

– Il y a un mec qui fait le planton à côté. Il regarde son téléphone, ah non, il regarde aussi ton entrée d’immeuble.

Mila chuchota, paniquée :

– Je sais, je l’ai aperçu en arrivant, mais il ne m’a pas vu. C’est lui, c’est le berserk ! Je fais quoi Esté ?

Mila se sentait incapable de prendre une décision. Elle serait restée terrée là toute la journée sans hésiter si cela lui avait garanti qu’il finirait par partir. C’était peu probable.

– C’est lui le mec que recherche ton Sylvestre ? Il a pas l’air terrible…

– Il est pas transformé Esté, c’est un berserk, mets le en colère et c’est le sosie de Hulk ! Tu veux pas descendre, si on est deux il y a moins de chance qu’il tente quoi que ce soit ?

– Je sais pas, t’es sûre que c’est la meilleure solution ?

Il hésitait. Peut-être se remémorait-il le récit de son agression ? Pas certain que même à deux contre un ils fassent le poids. Il reprit :

– Tu ne crois pas que tu devrais appeler Sylvestre ?

Elle y pensait déjà depuis une minute ou deux. En vrai, elle n’était pas certaine de vouloir savoir si, oui ou non, elle avait vraiment été transférée dans les indésirables. Et en plus, si c’était le cas, quel recours lui resterait-il ? Attendre que le berserk entende quelque chose et vienne la cueillir derrière ce coin de porte ?

– Esté, je t’envoie son numéro. Appelle-le, toi, moi je ne suis pas sûre qu’il décroche. Explique-lui, demande-lui ce qu’on doit faire !

– OK, balance, je te rappelle. Entre temps, je descends, je me mets vers les boîtes aux lettres. S’il se passe quoi que ce soit, eh ben il devra s’occuper de nous deux. Ça sera moins discret.

– Merci Esté.

Le cœur tambourinant toujours dans la poitrine, Mila envoya le numéro du commandant à Esté. Et attendit, espérant de toute ses forces que Sylvestre réponde à un inconnu, lui adressant mentalement des « s’il te plaît Sylvestre, décroche, s’il te plaît ».

Elle se força à sortir de sa litanie intérieure pour prendre le pouls de son environnement. Une mamie doublée un peu plus tôt lui envoya un regard intrigué, et elle grimaça un sourire crispé tout en pianotant mécaniquement sur son téléphone. Ainsi coincée devant cette porte, elle semblait suspecte, tandis que le berserk paraissait attendre l’ouverture de la pizzeria, comme les trois ados.

Elle cherchait des yeux une autre cachette plus propice lorsqu’une vibration, plus sonore qu’un cor de chasse, la fit sursauter. Elle ne put empêcher un sourire de lui écarteler les joues tandis que ses yeux se mirent à briller. C’était Sylvestre :

– Mila, ton ami m’a tout expliqué. Tu es absolument certaine que c’est lui ?

Elle entendait en toile de fond un bruit de voiture qu’on démarre, et soudainement en superposition une sirène toute proche. Elle se retint de ne pas élever la voix pour couvrir le bruit, et du pouce baissa le volume de son propre téléphone de quelques crans.

– Certaine.

– Très bien. Écoute, on ne sait pas quelles sont ses intentions. Tu ne vas rien tenter de stupide n’est-ce pas ?

– Tu veux dire qu’on ne sait pas s’il est armé ? Il a pas besoin d’arme, ses gros poings velus suffisent, mon bras s’en souvient encore.

– Raison de plus. Décris-moi très précisément ta rue, qui est là et où.

Elle s’exécuta, parlant juste assez fort pour que Sylvestre l’entende, gardant un masque le plus neutre possible face aux rares passants malgré ses paumes moites faisant glisser son téléphone.

À la suite de son bref exposé, Sylvestre ne prit même pas le temps de réfléchir avant de répondre :

– Écoute-moi bien. Voici ce que tu vas faire…


 

Plus tard, Mila ne pourrait s’empêcher de comparer ce qui s’ensuivit à un mauvais film policier. Peu après l’appel de Sylvestre, Esté sortit négligemment de sa planque, téléphone à l’oreille, pour éloigner les trois ados sous un prétexte quelconque ; pizzeria fermée, attaque terroriste, peu importait, ils s’éloignèrent. Il continua son chemin dans sa direction, s’approchant de sa cachette. Le regard qu’ils échangèrent la regonfla un peu et la soutint dans sa prochaine manœuvre, ses jambes, elles, l’ayant déserté depuis longtemps. Elle s’avança vers l’entrée de son immeuble, les oreilles bourdonnantes, espérant de toutes ses forces que Sylvestre, cette fois-ci comme les autres, soit ponctuel.

À ce moment apparurent dans une synchronisation parfaite deux voitures banalisées de chaque côté de la rue. Tout se passa très vite : le berserk, sorti de l’ombre à sa vue, se figea une ou deux secondes à la vue des véhicules semblables roulant à deux de front dans cette rue tranquille et bloquant tout échappatoire. Une ou deux secondes de trop, suffisantes à Mila pour rejoindre la sécurité de l’immeuble derrière sa porte à identification ADN. Une ou deux secondes suffisantes à quelques uniformes pour mettre en joue son agresseur. Une ou deux secondes suffisantes à Sylvestre pour prendre l’avantage et, accompagné de deux officiers modèles malabars impassibles, s’avancer prudemment vers le berserk. La suite, par contre, elle ne l’avait vu dans aucun film.

Le berserk se transforma au moment où les trois hommes, certainement un peu trop confiants à la vue du gringalet recherché depuis plusieurs jours déjà, avaient parcouru la moitié du chemin. Rugissant, il se jeta tous poils dehors sur l’un des costauds aux côtés du commandant, bousculant l’autre qu’il envoya au goudron d’un coup d’épaule. Sylvestre s’était écarté avec une vivacité surhumaine tandis que l’homme aux prises avec le Hulk poilu pliait sous le coup d’une clef malhabile, mais visiblement douloureuse. De sa main libre, le berserk tenta d’atteindre le commandant avec l’énergie du désespoir — énergie décuplée par sa force incroyable. Il retenait l’officier encore conscient comme une gamine boudeuse sa poupée mannequin : par le cou, sans cérémonie. Mila vit s’élancer des hommes en renfort : c’était sans compter le commandant. Le berserk ne parvint pas à l’atteindre, et en quelques gestes éclair, Sylvestre mit en joue l’assaillant.

Mila relâcha l’air qui lui comprimait la poitrine. Elle se trouvait trop loin pour lire sur ses lèvres les quelques mots qu’il prononça au berserk, sans parler de les entendre. L’effet fut immédiat : ce dernier desserra sa prise, levant mollement les bras tandis que sa tête fléchissait. Il perdit quelques dizaines de centimètres, recouvrant une constitution plus usuelle et une pilosité moins débridée. L’officier agressé le menotta sans ménagement et Sylvestre ajouta lui même une seconde paire de menottes à la première.

Mila n’y tint plus et se précipita vers la porte. Ce n’est que lorsqu’elle croisa le regard de Sylvestre qu’elle ralentit.

D’un geste, il lui intima de ne pas bouger. Esté sorti à son tour de sa cachette et, contournant largement l’agglomérat partiellement humain au centre de la rue, s’arrêta à côté d’elle et croisa les bras. Il se pencha à peine pour lui murmurer :

– Il va t’en devoir une belle, là. Tu as toutes tes cartes en mains pour un rabibochage en règle. Mais tu le sais déjà, non ?

Elle grimaça en réponse, mais ne put s’empêcher de sourire. Oui, il lui en devait une belle.

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Fannie
Posté le 07/10/2020
Le sort est trop clément avec Mila : avec son comportement, elle ne devrait pas avoir un bon karma. C’est quand même un peu gonflé de prétendre que Sylvestre « en doit une belle » à Mila. Elle l’a fait appeler parce qu’elle était en danger. Esteban n’avait pas l’air trop rassuré à l’idée d’intervenir lui-même. On voit qu’Esté et Sylvestre sont des gens bien, que le second est également très professionnel, parce qu’ils n’hésitent pas à lui venir en aide malgré le fait qu’ils soient brouillés avec elle.
Au premier abord, j’ai été impressionnée par la longueur du chapitre, mais avec ce rythme et cette tension, on ne se rend même pas compte qu’il est plus long que les autres.
Coquilles et remarques :
Elle aimait comment ses bons côtés à lui, sa droiture, son intégrité, rejaillissaient sur elle [Elle aimait comme ses bons côtés (…), Elle aimait la manière dont ; voir ici : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/DNP0916]
— Non, à tout prendre, elle préférait un face to face [un face-à-face ; c’est plus facile à dire, non?]
— Elle redoutait comme elle l’espérait un appel de Sylvestre [Elle redoutait autant qu’elle espérait un appel]
— mais Clémentine ne daigna pas accuser réception de ses mails [ses courriels, ses messages]
— chassant sa rancœur contre Amalia comme contre elle même à coup de jeux sucrés [elle-même / à coups de]
– M’en fout ! Tout de suite ! [M’en fous ! (c’est je m’en fous)]
Elle prit plusieurs grandes respirations à l’approche de son travail. À l’approche du porche, elle releva la tête, et traversa l’open-space d’un air décidé. [Je propose : « Elle prit plusieurs grandes respirations à l’approche de son lieu de travail. Sous le porche, elle releva la tête, puis elle traversa l’open-space d’un air décidé. »]
— Probable que tout le monde s’ingéniait à le pas perdre la guerre [à ne pas]
— une représentation de sa pièce de grande-rédactrice-un-peu-fâchée-parce-qu’elle-s’est-faite-doubler [s’est fait doubler ; quand il est directement suivi d’un infinitif, le participe passé « fait » est invariable / je ne vois pas l’intérêt des tirets]
– Je m’en doute. Tu sais sans doute par contre qui est Ève Tancourt ? [D’accord, c’est du langage parlé ; mais cette réplique est particulièrement mal tournée. Je propose : « Je m’en doute. Par contre, tu sais certainement qui est Ève Tancourt ? »]
— Or ce même Wassim Debarre est le fiancé de ma petite cousine. Petite cousine qui est aussi ma filleule [petite-cousine (les deux fois) ; sauf si c’est une cousine qui est petite]
— Clémentine laissa planer une ou deux secondes, avant que Clémentine n’enchaîne [Clémentine laissa planer une ou deux secondes avant d’enchaîner]
— Nous avons un certain… respect mutuel l’une pour l’autre. [Pléonasme : il faut choisir entre « mutuel » et « l’une pour l’autre ».]
— Avec la — PUTAIN — de — RÉPUTATION — que je vais te faire si tu déclines mon offre Mila, je te conseille d’être — TRÈS — convaincante ! [Virgule avant « Mila ». / Les majuscules suffisent amplement pour exprimer la colère de Clémentine. Ces tirets n’ajoutent rien et ils sont rebutants.]
— Il ne lui dirait même pas bonjour s’il la croisait, alors lui accorder le nom du meurtrier… [lui donner, lui offrir, lui révéler… (accorder un nom est bizarre)]
— Elle ne pouvait pas se permettre de perdre ce job, pas comme ça, pas avec rien en vue et une réputation désastreuse [perdre ce poste, perdre ce travail / sans rien en vue]
— jusqu’à ce que sa cheffe lui désigne sans un mot la porte [lui désigne la porte sans un mot]
— Elle venait encore quémander un service, et fonçait droit au but sans considération aucune. [Pas de virgule avant « et ».]
— Tu bosses aujourd’hui ? [Virgule avant « aujourd’hui ».]
— Pompier raté, mais ambulancier plus ou moins réussi, elle s’était toujours demandé comment il parvenait à prendre ses gardes [Cette rupture de syntaxe n’est pas souhaitable.]
— Juste discuter Esté. T’inquiètes, juste discuter. [Virgule avant « Esté ». / « T’inquiète ».]
— Je sors du boulot Esté. [Virgule avant « Esté ».]
— Et ben je t’attendrai chez toi ! [Eh ben]
— Elle renonça à argumenter par téléphone, et reprit le chemin du métro. [Pas de virgule avant « et ».]
— Le même SDF que depuis deux semaines roupillait [qui]
— dans un recoin d’entrée de parking, et un peu plus loin un groupe de trois ados [Pas de virgule avant « et ». / Placer « un peu plus loin » entre deux virgules.]
— Encore quelques mètres de marche décidée et il l’aurait vu [vue]
— Et certainement pas non plus sur le djinn, ou quoi que ce fût qu’il soit. [ (?!) « quoi qu’il soit » ou « quelque créature qu’il soit »]
— Elle dut se forcer à parler plus fort, elle avait peur que le berserk ne l’entende, même si c’était absurde, il était trop loin [Il faudrait des signes de ponctuation plus forts après « plus fort » et après « absurde ».]
— Qu’est ce que tu racontes ? [Qu’est-ce]
— il devait probablement changer de place de temps à autre, que ferait-elle s’il tombait nez à nez avec elle ? [Point après « à autre ».]
— que ferait-elle s’il tombait nez à nez avec elle ? Il lui coupait la route [couperait]
— Elle aperçut le rideau de son salon bouger légèrement, et entrevit une silhouette jeter un œil au dehors. C’est Esté qui reprit, l’air moins assuré [Pas de virgule avant « et » / jeter un coup d’œil / au-dehors / C’était Esté]
— Je sais, je l’ai aperçu en arrivant, mais il ne m’a pas vu. C’est lui, c’est le berserk ! Je fais quoi Esté ? [vue / virgule avant « Esté ».]
— Il est pas transformé Esté, c’est un berserk, mets le en colère et c’est le sosie de Hulk ! [mets-le / Ponctuation : « Il est pas transformé, Esté. C’est un berserk : mets-le en colère et c’est le sosie de Hulk ! »]
— Entre temps, je descends, je me mets vers les boîtes aux lettres. [Entre-temps]
– Merci Esté. [Virgule avant « Esté ».]
— Et attendit, espérant de toute ses forces [toutes]
— Elle ne put empêcher un sourire de lui écarteler les joues tandis que ses yeux se mirent à briller [se mettaient]
— Elle entendait en toile de fond un bruit de voiture qu’on démarre [qui démarre ; « démarrer est intransitif », saut quand il signifie détacher les amarres d’un bateau]
— Elle se retint de ne pas élever la voix pour couvrir le bruit [« Elle se retint d’élever al voix » ou « Elle s’efforça de ne pas élever la voix »]
— ses jambes, elles, l’ayant déserté depuis longtemps [désertée]
— roulant à deux de front dans cette rue tranquille et bloquant tout échappatoire [toute]
— La suite, par contre, elle ne l’avait vu dans aucun film [vue]
— Le berserk ne parvint pas à l’atteindre, et en quelques gestes éclair, Sylvestre mit en joue l’assaillant. [Pas de virgule avant « et ». / Placer « en quelques gestes éclair » entre deux virgules.]
— Sylvestre ajouta lui même une seconde paire de menottes [lui-même]
— Esté sorti à son tour de sa cachette [sortit]
AudreyLys
Posté le 23/09/2019
Très bon chapitre ! Ça pose des enjeux, y a bon rythme, bref chapeau !
Bon par contre je suis pas d'accord XD c'est Mila qui en doit une à Sylvestre parce qu'il l'a sortie d'un mauvais coup. Et même si tu considères que c'est normal puisqu'il fait son boulot, Sylvestre n'en doit toujours pas une à Mila puisqu'elle a pas fait exprès de se retrouver face à son agresseur, et l'a juste appelé parce que tout le monde ferait ça à sa place. Bref, c'est un petit aspect qui m'a dérangée.
Les coquilles :
Clémentine laissa planer une ou deux secondes, avant que Clémentine n’enchaîne : -> répétition
Le même SDF que depuis deux semaines roupillait -> qui

Valou, bisous
Tac
Posté le 16/09/2019
Ah ce chapitre ! C'est jouissif ! belle gestion du rythme, j'étais accrochée, bouh ça fait du bien après les chapitres où je traînais un peu de la savatte en me tapant la tête contre les murs face aux bêtises de Mila !
En plus tu tapes dans mon péché mignon : des personnages qui viennent aider leur ami même s'ils se sont brouillés. En tout cas tu as bien contourné le problème d'absence de communication entre Sylvestre et Mila, puisqu'au vu des circonstances, ne serait-ce que pour écrire les rapports et prendre sa déposition, ils seront bien obligé de se parler !
Bref. je vais lire la suite !
Cerise
Posté le 18/09/2019
Esté est trop gentil pour elle... C'est pas un garçon capable de faire la tête longtemps. Et sur ta remarque sur la fin de ce chapitre (que tu as posté au chapitre suivant...) je te répond au chapitre suivant!
Aliceetlescrayons
Posté le 07/09/2019
Aaaaaaaah! Enfin la roue tourne! Mila va pouvoir sortir la tête de l'eau ^^
Bon, moi je trouve quand même que c'est elle qui en doit une belle à Sylvestre parce que sans lui, elle rentrait plus chez elle :o
Cerise
Posté le 08/09/2019
Oui, enfin, elle avait toujours l'option de demander du renfort à Esté. Il n'aurai pas été ravi mais le bererk ne serait probablement pas intervenu. Par contre, il se serait évanoui dans la nature, et Sylvestre n'aurait pas eu l'occasion de le cueillir ainsi. Donc bon, il ne s'en sort pas trop mal quand même!
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