Chapitre 15: Le banquet

Guigues était d’excellente humeur. Il était encore, allongé dans son lit, sous des draps blancs et soyeux comme il n’en avait jamais vus. Il se trouvait dans une chambre du palais pontifical ou le cardinal Auguste (le démon Barbatos) possédait une aile entière à sa disposition. Le démon, très influent au sein du clergé, avait donné cette chambre à Guigues et avait mis plusieurs personnes à son service. Seulement une semaine avait passé depuis son arrivée à Bal mais celui-ci avait très vite prit goût à cette nouvelle vie.

On frappa à la porte et un domestique entra les bras chargés de deux grands plateau d’argent débordant de victuailles. Alors que le serviteur posait la nourriture sur son lit face à lui, Guigues ne put réprimer un sourire gourmand. Il avait devant les yeux, des pommes, des poires, des raisins, des pêches, des fromages de toute sorte, du pain encore chaud tout droit sortie du four mais aussi de la viande, du poisson, des gâteaux que Guigues n’avait jamais vu et dont il ne connaissait même pas le nom.

- Monsieur désires-t-il autre chose ? Demanda l’homme avec un regard interrogateur.

- Fiches moi le camp ! Ordonna Guigues qui prenait énormément de plaisir à se faire servir ainsi. Je t’appellerais si j’ai besoin.

L’homme resta impassible, s’inclina devant Guigues et sortit de la pièce en fermant la porte derrière lui.

Guigues s’empara d’un des plateaux et se mit à dévorer tout ce qui lui passait sous la main avec un soupir de satisfaction. Il passait ses journées dans sa chambre, et ne sortait presque jamais. Le cardinal Auguste lui avait interdit impérativement de sortir du palais et lui avait recommandé de ne pas se faire remarquer. Guigues avait donc tout son temps devant lui et il aimait traîner dans son lit jusqu’en milieu de journée.

Malgré tout, il trouvait le temps long et il attendait avec impatience la nuit tombé pendant lesquels se déroulaient ses entrevues avec le démon. Chaque soir, il sortait de sa chambre en catimini et se faufilait jusqu’au jardins du palais pontifical. Il aimait particulièrement les senteurs qui s’en dégageaient quand la chaleur de la journée retombait et il aurait aimé pouvoir les arpenter durant la journée, malheureusement cela lui était impossible. Le jardin était une véritable foret constituée de plantes, d’arbres et de fleurs exotiques que Guigues ne connaissait pas. Guigues longeait les bassins en regardant sans cesse autour de lui pour être sur de ne pas être suivi.

Quand il fut bien sur qu’il était seul, il se précipita vers un coin du jardin ou la végétation était plus luxuriante. Une fontaine avec une énorme statue représentant un ange se trouvait la. Guigues s’en approcha et tira sur une de ses ailes avec force. Tout doucement une partie de l’ange bougea et un escalier dérobé apparut au milieu de la statue.

Guigues descendit les marches tout en étant sur que le cardinal l’attendait déjà en bas pour leur entretien journalier. Malgré l’excitation qu’ils lui procuraient, il appréhendait toujours ces moments de tête à tête avec le démon Barbatos. Il n’avait pas oublié l’épisode du château de Grandbois et il était bien conscient que malgré les apparences, il était en danger de mort à chaque instant face au cardinal Auguste.

Il se retrouva dans une minuscule pièce mal éclairée et qui sentait le renfermé. Le cardinal était bien la, assis sur un tabouret, son corps longiligne si droit que cela en paraissait inhumain. Ses grands yeux bleues saisirent tout de suite Guigues et lui nouèrent la gorge dés qu’il les aperçut. Comme d’habitude, à son arrivée, le cardinal resta dans une immobilité inquiétante. Tout chez lui paraissait beaucoup trop figé, ses cheveux gris coupés courts, son visage froid et calculateur, mais Guigues sentait une force malsaine émanait de lui, en particulier de ses yeux qui semblaient transpercer la moindre de ses pensées. Il savait qu’un monstre dangereux était tapis la, juste derrière ce bleue couleur de glace.

Guigues prit place en face du cardinal et attendit. Il était toujours très prudent et ne voulait surtout pas dire un mot de travers. Néanmoins très vite le démon prit la parole :

- J’ai eu des nouvelles de tes chères amis, lança-t-il un rictus aux lèvres.

Depuis le début de leur collaboration, c’était bien la première fois que le cardinal faisait allusion à Jean et aux autres et Guigues en fut surpris. Il se reprit le plus vite possible mais son étonnement n’échappa pas au démon.

- Qu’est-ce que tu crois, je fais surveiller le moindre de leur faits et gestes, railla-t-il d’un ton glacial. Tu t’inquiètes pour eux ?

Encore une fois Guigues fut surpris par la question du cardinal, mais cette fois ci il n’en laissa rien paraître. Il savait que le démon examinait le moindre de ses mouvements, la moindre réaction :

- Je serais le plus heureux des hommes si vous m’annonciez leur morts, déclara Guigues sans la moindre émotion dans la voix. Je n’ai plus aucune attache avec eux, leur sorts m’est complètement égal.

Le cardinal sembla le jauger un moment avant de reprendre d’une voix froide :

- Ils sont bien vivant, ils sont au château de Grandbois, ce nom doit te rappeler quelque chose.

En effet, Guigues ne pourrais jamais oublier les événement du château et sa rencontre avec le cardinal mais qu’est-ce que les autres pouvez bien faire la bas ?

Comme si il avait lu dans des pensées, le démon répondit à sa question d’une voix doucereuse ;

- Ils ont libérés le château du siège des bêtes noires que j’avais créées avant de partir. Ils sont plus coriaces que je ne le pensais.

Durant leur voyage vers la capitale, le cardinal avait expliqué à Guigues qu’il avait laissé un petit cadeau au village de Derv pour Jean et les autres si ils passaient par la. Durant la messe qui avait eu lieu au château pour la cérémonie en son honneur, le cardinal avait « béni » un grand nombre de villageois en leur touchant la tête. En vérité, il leur avait à tous implanté la Rage noire par ce simple contact physique et avait déclenché leurs transformations à distance le lendemain quand ils étaient tous rentrés au village. La particularité de son pouvoir était que les personnes contaminées ne montraient aucune marques noires comme en avaient habituellement ceux atteint par la maladie et qu’il pouvait choisir le moment de la transformation.

- Vous pensez qu’ils peuvent faire le lien entre le village de Derv et vous ? Demanda Guigues d’une voix hésitante.

- Bien sur que non, coupa le démon. Personne n’est au courant de mon pouvoir à part ma sœur et toi. Il est tout simplement impossible qu’ils comprennent.

Le démon avait sans doute raison, mais Guigues ne pouvait s’empêcher de penser que Rafael pouvait faire le rapprochement. Il était extrêmement intelligent et Guigues avait déjà vu à l’œuvre son talent de déduction hors du commun.

- De toute façon, ils vont finir par arriver ici, marmonna Guigues. Ils ne lâcheront rien tant qu’ils ne vous auront pas débusqué.

- Nous serons bientôt prêt à les recevoir comme il se doit, annonça le cardinal Auguste d’un ton glacial. Encore quelques jours et tout les préparatifs seront finis.

Guigues ne comprit pas ou le démon voulait en venir mais il n’osa pas non plus lui demander des explications de peur de commettre une faute. Le cardinal reprit avant même que Guigues n’ai pu trouver quelque chose à répondre :

- Peu importe ! La raison pour laquelle je voulais te voir ce soir est un peu spécial. Je crois qu’il est temps que tu sortes un peu du palais.

Les yeux de Guigues s’agrandirent sous l’effet de la surprise et de l’excitation. Il avait tellement hâte de pouvoir explorer Bal, d’en voir les moindres recoins. Et puis à quoi bon être riche si on ne peut pas sortir pour dépenser son argent ?

- Quand ? Questionna Guigues pressé. Bientôt j’espère, je m’ennuie dans ma chambre à ne rien faire de la journée.

Le visage du cardinal se durcit et un rictus se forma sur ses lèvres minces comme si il était dégoûté d’avoir à faire à quelqu’un se comportant comme un enfant. Guigues comprit qu’il avait commit une faute, qu’il s’était laissé emporter par son excitation. Il devait à tout prix réfléchir avant de parler ou il pouvait y laisser la vie.

- Fais très attention, murmura le cardinal de sa voix doucereuse. Je te rappelle qu’il serait plus facile pour moi de t’ôter la vie sur le champ et que j’hésite encore à me décider sur ton sort.

Guigues devint livide et sentit tout ses muscles se crispés. Il sentit la peur s’immiscer dans chaque recoin de son corps et il attendit la suite, complètement paralysé.

- Dans quelques jours aura lieu une réception très importante, expliqua le démon en transperçant Guigues de ses yeux de glace. Tout le gratin de Bal y sera, dont ma chère sœur. Je dois me rendre à cette cérémonie et tu vas venir avec moi. Tu seras déguisé en serviteur et tu devras me suivre comme mon ombre. Nous allons rencontrer ma sœur car j’ai à lui parler. Je te préviens, si tu nous trahis, je te tue. Si tu fais un seul geste déplacé, je te tue. Si j’entends une seule fois le son de ta voix je te tue.

Guigues avala sa salive à grand peine, l’excitation qu’il avait ressentit à l’idée de cette sortie avait totalement disparue, laissant à place à une angoisse qui lui dévorait les entrailles. Il osa néanmoins poser une question qui lui brûlait la langue et ne pouvait retenir plus longtemps.

- Mais comment je pourrais reconnaître votre sœur ? Comment je saurais que nous sommes en sa présence ?

- Ho ne t’en fais pas pour ça, répondit la cardinal dans un souffle. Crois moi, quand tu la verras tu la reconnaîtra !

 

Guigues passa les jours suivants dans une excitation et une angoisse tel qu’il était souvent parcouru de tremblements. Le cardinal lui avait formellement interdit de quitter sa chambre avant la réception et il passait ses journées, assis dans son lit ou debout à arpenter la pièce de long en large comme un animal en cage. Les seules visites qu’il recevait était celle des domestiques qui semblaient prendre un malin plaisir à répondre à ses questions par des simple «  le cardinal ordonne que vous restiez ici » sans rien ajouter de plus.

Cela lui arrivait de penser à Jean et aux autres ce qui ajoutait à son impatience, de la colère et de la haine qu’il avait du mal à contenir. Plusieurs fois il envoya une chaise balader d’un coup de pied rageur avant de reprendre ses va et vient incontrôlés.

Le temps s’étira et il lui sembla que cela faisait des semaines entières qu’il était coincé dans sa cage dorée. Mais dans l’après midi du cinquième jour, plusieurs domestiques arrivèrent chargés de grandes bassines d’eau chaude ainsi que d’une baignoire en bois et de vêtements fraîchement lavés.

- Qu’est-ce que c’est que tout ce bazar ? Interrogea Guigues à bout de nerf.

- Monsieur le cardinal a insisté pour que vous soyez le plus présentable possible, expliqua l’un des serviteurs versant l’eau chaude dans la baignoire.

- Et il y a du travail, commenta l’un d’eux à à voix basse ce qui n’empêcha pas Guigues de l’entendre.

Il sentit ses joues devenir cramoisies et une fureur dévorante se diffusa dans tout son corps. Même maintenant, alors qu’il était sous l’aile d’une des personnes les plus influente du royaume, on se moquait de lui. Même ici, alors qu’il était prêt à devenir quelqu’un de riche et puissant, alors qu’il détenait des secrets inestimables aux yeux d’un démon capable de décimer l’humanité toute entière. Même par eux, ces vulgaires insectes qui étaient censés exécuter les moindre de ses désirs, même par eux, il se faisait humilier.

C’en était trop ! Il se promit qu’a partir d’aujourd’hui, plus personne ne lui manquerait de respect sans en payer le prix. Mort de honte, Guigues se mit nu comme les domestiques le lui demandait et il entra dans le bain brûlant. Il ressentit à peine la température de l’eau tellement son corps était en train de bouillir de haine tout entier. Il se fit violence pour ne rien laisser paraître et se laissa frotter et savonner en silence.

Durant tout le temps que les serviteurs s’occupèrent de sa toilette, lui coupèrent les ongles, les cheveux et lui revêtirent la tenue de domestique que lui avait choisi le cardinal, Guigues les épia. Il profita de chaque seconde pour mémoriser le visage de chacun d’entre eux pour s’assurer que le moment venu, ils reçoivent la punition qu’ils méritaient. Il s’imprégna de chaque détail, de chaque mimique, de chaque geste et s’efforça de les ancrer bien profondément dans sa tête ce qui aida à calmer sa colère.

Quand ils eurent fini leur travail, ils repartirent en emportant tout leur matériel et l’un d’eux lança à Guigues avant de franchir la porte :

- Quelqu’un vous conduira au cardinal Auguste dans peu de temps. Soyez prêt !

Quand Guigues se retrouva enfin seul, il s’allongea sur son lit défait et ferma les yeux. Il voyait clairement les visages de ces idiots de domestiques et il se jura de ne pas les oublier de si tôt. Son esprit apaisé vagabonda, il pensa à tout ceux qui l’avaient fait souffrir, allant de ses parents à ses frères ainsi qu’aux habitants du village d’Oulmes. Il pensa aussi à ceux avec qui il avait partagé des bons moments, ceux qui au final l’avait fait souffrir encore plus que les autres. La liste des personnes qu’il devait punir était longue, trop longue. Malgré tout un visage, en grande partie responsable de sa souffrance revenait sans cesse à la charge. Celui de Lucie.

 

Guigues s’était assoupi et quand il entendit frapper à la porte, il se réveilla en sursaut. Avant qu’il ne reprenne ses esprits, un vieux domestique qu’il n’avait encore jamais vu entra dans la pièce :

- Le cardinal vous demande !

Guigues se leva à la hâte et s’empressa de recoiffer ses longs cheveux blonds devant un miroir prés du lit. Il sentit son cœur battre la chamade quand il quitta la pièce à la suite du vieil homme qui déjà traversait le couloir à grande enjambés.

Ils quittèrent l’aile ouest du palais en parcourant un nombre infini de couloirs aux murs de pierres recouverts de portrait d’anciens papes ou de tableaux représentant des événement religieux que Guigues ne connaissait pas. A son arrivée au palais, Guigues et le cardinal Auguste avaient empruntés une porte dérobée et il aurait était bien incapable de retrouver le chemin qu’ils avaient pris ce jour la. Il n’avait presque rien vu de l’édifice mis à part les jardins ou il rejoignait le démon chaque soir et sa chambre.

Il se laissa donc guidé par le domestique à travers le dédale des couloirs et les innombrables escaliers. Ils débouchèrent sur un hall gigantesque ou plusieurs escaliers se rejoignaient au centre de la pièce. Guigues se sentit tout petit en regardant le plafond si haut qu’il avait du mal à voir les fresques de couleur qui y étaient représentés. De nombreux domestiques dévalaient ou grimpaient les marches en portant des plats, des vêtements et toute sortes de choses sur des plateaux d’argents. Guigues nota qu’il y avait aussi de jeunes clercs en robes blanches, des gardes en armure eux aussi drapés de blanc et que tous portaient le blason de l’ordre du feu. Le mouvement était devenu encore plus important que Jean ne le pensait ce qui dessina sur la figure de Guigues un sourire satisfait.

Une fois arrivé dans le gigantesque hall ou de nombreux soldats gardaient chaque escaliers, le domestique s’arrêta un bref instant et se pencha à l’oreille de Guigues :

- Le cardinal vous attends devant la porte du palais, murmura-t-il en pointant discrètement une direction du doigt. Marchez droit devant, ayez l’air sur de vous et tout ira bien !

A ces mots le vieil homme s’éloigna et emprunta une des nombreuse portes qui s’alignaient contre les murs, laissant Guigues seule au milieu de ce fourmillement incessant.

Pris au dépourvu, Guigues resta immobile quelques secondes, fixant les allées et venues de la foule autour de lui. Quand il se rendit compte que deux gardes tout proches lui lançaient un regard suspicieux, il se mit en marche s’en même se rendre compte et traversa la hall à grand pas. Il regarda droit devant lui en faisant bien attention à ne croiser le regard de personne.

Quand il dépassa la gigantesque porte de bois du palais, il s’arrêta net, le souffle coupé. Jamais il n’aurait imaginé un jour se retrouver devant un tel spectacle. Le palais surplombait la ville et Guigues pouvait voir les maisons, les églises, les échoppes, les fontaines, les jardins et les rues si nombreuses qu’il en avait le tournis. Bal était si démesurée qu’elle semblait sans limite, il ne voyait rien d’autre à perte de vue. Comment était il possible qu’une ville aussi grande existe ?

A ses pieds s’étendait un escalier de marbres aux proportions démesurées. Sur chaque marche se tenait deux soldats, chacun posté à droite et à gauche de l’escalier, immobiles et arborant le symbole de l’ordre du feu sur leur amure. En bas des marches se trouvait une place gigantesque ou Guigues apercevait un foule de gens grouiller en tout sens. Au centre de la place, une statue d’une blancheur immaculé et haute de plusieurs mètres se dressait fièrement. Elle semblait représenter un soldat ailé, une épée à la main dans une posture de combat. Émerveillé, Guigues ne remarqua même pas le cardinal Auguste dans sa longue robe rouge debout à quelques pas de lui.

- Pas le temps de rêvasser ! Lança-t-il d’une voix sèche. Suis moi et n’oublie surtout pas ce que je t’ai dit. Pas un regard, pas un geste, pas un mot.

Guigues fut brutalement ramené à la réalité et malgré son cœur battant à tout rompre il se rangea docilement à la suite du cardinal et entama la descente des innombrables marches. Il suivit le cardinal machinalement, trop absorbé par la vue magnifique qu’il avait de la ville en contrebas. Il s’imprégna de chaque détail, chaque odeur, tout ce dont il avait toujours rêvé se trouvait ici, dans cette ville, à portée de main.

Après de longues minutes de descente qui parurent à Guigues un seul instant magique, ils arrivèrent en bas de l’escalier ou un chariot aménagé les attendait. A la vue du cardinal le cocher se précipita pour lui ouvrir la porte et se courba bien bas à son passage.

- Mon père !

Celui-ci n’eut pas même un regard pour l’homme et monta dans le chariot, faisant signe à Guigues de le suivre. Une fois à l’intérieur, le cardinal ferma les rideaux de la cabine et ils se retrouvèrent tout les deux plongés dans une semi obscurité qui les coupa du monde extérieur à la grande désolation de Guigues. Le cardinal lui lança un regard pleins de mépris :

- Quel imbécile tu fais ! Toujours des enfantillages.

- Mais…. Balbutia Guigues qui ne comprenait pas ce qu’il avait fait de mal.

- Tu es censé vivre ici, pauvre idiot, siffla le cardinal. Et te voila qui regarde atour de toi avec des yeux ronds et l’air stupide. Pas très convainquant comme jeu d’acteur. J’attends beaucoup mieux de ta part pour ce soir, ta vie en dépend.

Guigues avala sa salive avec difficulté. Même si la découverte de Bal lui avait momentanément fait oublier sa situation, le ton glacial du cardinal et ses yeux froids lui firent retomber les pieds sur terre.

- Dé...Désolé, S’empressa de murmurer Guigues en baissant la tête. Je ne ferais plus d’erreur, promit-il avec conviction.

- C’est dans ton intérêt, le menaça le cardinal en sortant un petit miroir d’une poche de sa robe pour vérifier qu’il était bien coiffé.

Guigues l’observa en silence passer son visage au crible sous le miroir mais il ne put réprimer la question qui lui brûlait les lèvres depuis plusieurs jours.

- Ou va-t-on ?Demanda-t-il la voix tremblante d’excitation.

- A une cérémonie, répondit machinalement le cardinal qui ne prit même pas la peine de lever ses yeux vers Guigues. Ma sœur y sera elle aussi, c’est l’occasion parfaite pour nous rencontrer sans éveiller les soupçons.

- Quelle genre de cérémonie ? Questionna Guigues qui encore une fois se laissa emporter par sa curiosité.

Cette fois-ci le cardinal se figea dans le miroir et ses grands yeux bleues se tournèrent vers lui empli d’un mélange de dégoût et d’étonnement.

- La genre de cérémonie ou se trouveront tout les plus grand dignitaires de la ville. Nous allons à la cour célébrer l’anniversaire de la reine. Le roi a vu les choses en grand pour faire plaisir à sa dame, il a tout fait pour que la soirée soit inoubliable et je peux t’assurer qu’elle le sera.

- Nous…. Nous allons rencontrer le roi, marmonna Guigues plus pour lui même qu’autre chose mais cela n’échappa au cardinal.

- JE vais rencontrer le roi et la reine, dit le cardinal d’une voix doucereuse. Toi tu resteras bien à ta place dans mon ombre, invisible. La rencontre avec ma sœur est très importante, j’ai beaucoup de choses à lui dire. Si tu es à la hauteur et que tu tiens ton rôle à la perfection, je t’autoriserais à assister à notre entretien.

C’était inespéré et Guigues se promit de ne faire aucune erreur qui pourrait le priver de l’entrevue entre les deux démons.

 

Après de longues minutes ou seul le cahotement des roues de bois sur le pavé perturbait le silence pesant de la cabine, ils s’arrêtèrent enfin. Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit sur le visage du cocher. Le cardinal sortit en ignorant complètement son sourire mielleux et la main tendu qu’il lui proposait. Guigues sortit à son tour et fut ébloui par la lumière du soir qui avait des reflets roses et orangés. Mais plus que les couleurs magnifique du coucher du soleil c’est le bâtiment au pied duquel il se trouvait qui lui coupa le souffle. La bâtisse était immense, plus grand encore que le château de Grandbois. Une véritable forteresse se dressait devant lui, la, en plein milieu de la ville. Guigues ignorait complètement comment un tel bâtiment avait été construit à un tel endroit mais il resta bouche bée devant la taille des murs de pierres dont il ne voyait pas la fin.

Néanmoins il se reprit très vite, baissa la tête et se dirigea vers les portes de l’édifice en prenant bien soin de paraître le moins expressif possible. Un nombre impressionnant de gardes se trouvaient la, mais à la vue du cardinal, tous inclinèrent la tête et s’effacèrent à son passage. Ils pénétrèrent dans une immense cour ou de grands chapiteaux blanc avaient été montés et de très nombreuse tables dressées en dessous. Guigues se demanda combien il pouvait bien y avoir d’invités à cette fête mais au vu du nombres de chaises, cela devait se compter par centaines.

Alors que le cardinal Auguste contournait les tables sans y prêter la moindre attention, un grand homme brun habillé tout en noir et accompagné de deux gardes en armure s’avança vers eux avec énergie. L’homme tenait un parchemin sur lequel il griffonna quelque chose :

- Cardinal Auguste ! Quel plaisir de vous voir, le roi est ravi de votre présence ce soir, il sait que votre emploi du temps est des plus chargé.

- Un tel événement ne se manque pas, répondit celui-ci les mains dans le dos. Les invités se trouvent déjà dans le jardin ?

- Tout a fait, monseigneur ! Je vous laisse vous y rendre vous connaissez le chemin. Voulez vous que mes gardes vous escorte ?

- Merci monsieur l’intendant mais ce ne sera pas nécessaire, refusa le cardinal d’un geste de la main. Dieu est la seul protection dont j’ai besoin.

L’intendant eu un sourire poli et s’éloigna à grand pas dans la direction opposé. Au fur et à mesure que Guigues et le cardinal traversaient la cour, une mélodie se fit entendre et devint de plus en plus forte. Ils passèrent une grande porte de pierre dont la herse était levée et ils se retrouvèrent au beau milieux d’un jardin magnifique. Des arbres et des plantes que Guigues ne connaissaient pas, poussaient, grimpaient en tout sens dispersant leur couleurs exotiques sur les murs de pierres froids à leurs côtés. Des bassins et des fontaines se trouvaient partout et de nombreux invités s’asseyaient sur leur bord en discutant avec gaîté.

Un nombre impressionnant d’invités se trouvaient dans le jardin, toute la noblesse de la capitale et des environs avaient été convié à l’anniversaire de la reine. Guigues était émerveillé par les tenues plus extravagante les une que les autre que portaient les convives. Les hommes comme les femmes portaient des habits aux couleurs chaudes, tape à l’œil, au milieu de tout le vert du jardin et certains portaient même des bijoux d’or et d’argents serties de pierres précieuse de toute les couleurs. Tout ces gens n’avaient pas ménagé leur efforts pour se faire remarquer et chacun rivalisait de luxe et de dentelle avec son voisin.

Le cardinal s’assit sur le bord d’une fontaine un peu à l’écart de la foule et se contenta d’observer les invités de son habituelle regard froid. Guigues, debout à ses côtés, fit de son mieux pour rester immobile et paraître impassible.

Néanmoins, il remarqua quelque chose. Chaque fois qu’un groupe de nobles passaient devant eux, quand ils se rendaient compte de la présence du cardinal, tous sans exception s’inclinaient devant lui avant de presser le pas et de s’éloigner le plus vite possible. Le cardinal Auguste bien que personne à part Guigues ne fut au courant de sa vraie nature inspirait visiblement de la crainte à toutes ces personnes riches et influentes. En voyant les réactions qu’il provoquait, Guigues prit réellement conscience du pouvoir du cardinal. Si même à la cour du roi, les nobles et plus grand dignitaire évitaient soigneusement son chemin, qui donc pouvait encore avoir une emprise sur lui si ce n’est le roi lui même ?

Au bout d’une demi heure à rester droit comme une statue, Guigues sentit une douleur dans ses jambes. Il commençait à se dandiner sévèrement quand à son grand soulagement un son de trompette retentit. La foule devint silencieuse et un homme et une femme arrivèrent, resplendissants, main dans la main depuis la cour de la forteresse. A la vue du couple un tonnerre d’applaudissements et de hourra explosa dans le jardin et Guigues en profita pour changer de position alors que le cardinal se levait. Ils s’approchèrent de la foule qui s’était massé devant le couple dont Guigues n’avait aucun doute sur l’identité.

L’homme étincelait de mille feux comme si ses habits étaient cousus d’or et d’argent. Une couronne serties de rubis et d’émeraudes étaient posés sur ses longs cheveux blonds et coiffés en tresses très fines. Ses yeux vert et charmeurs, lançaient des regards entendus à la foule et son sourire enjôleur découvrait des dents parfaites et séduisantes. De grande stature, il dégageait quelque chose de bienveillant, de jovial et ne cessait de sourire à des convives à droite et à gauche.

La femme quant à elle était plus petite et plus frêle mais Guigues n’avait jamais vu une personne d’une telle beauté. Elle avait de long cheveux noirs de jet maintenu par une couronne d’argent aussi fine qu’un fil, ses yeux étaient d’un bleu profond et pur qui donnait à son visage quelque chose d’angélique, presque irréel. Elle souriait timidement à la foule, le teint légèrement rosé, les mains croisées devant elle sur sa longue robe blanche à dentelles.

Un héraut s’avança face à la foule et clama haut et fort :

- Sa majesté le roi est très heureux de vous recevoir pour cette occasion si spéciale. Il a veillé a ce que cette soirée soit la plus somptueuse possible pour l’anniversaire de sa majesté la reine.

Un murmure d’excitation parcourut la foule ce qui força le héraut à faire une pause. Après quelques secondes il reprit :

- Nobles dames, nobles seigneurs, je vous invite à vous diriger vers la cour et prendre place pour la banquet !

Cette fois-ci la foule accueillit l’invitation à grand renfort d’applaudissement et très vite les invités se dirigèrent en masse vers la cour du château. A l’inverse de la foule, le cardinal Auguste se dirigea droit vers le roi et la reine en grande discussion avec un petit groupe de nobles et Guigues le suivit en se faufilant entre les convives du mieux qu’il le pouvait. Quand le cardinal arriva aux côtés du couple il s’inclina très bas devant eux :

- Reine Alice , roi Boris c’est un honneur.

- Cardinal ! Je suis si content que vous ayez pu venir, j’imagine que sa sainteté le pape n’a pas pu faire le déplacement ? Demanda le roi avec un sourire désolé.

- Hélas non, son état de santé ne s’améliore pas, répondit le cardinal le visage dur. Il ne peut se permettre de sortir et le plus souvent, il est alité.

- Vous m’en voyez sincèrement affecté, déclara le roi dont le visage s’assombrit un peu plus. Si je peux faire quelque chose, surtout n’hésitez pas à me le faire savoir. Mes médecins se tiennent à votre entière disposition si besoin est !

- C’est affreux, se lamenta la reine les mains cachant son visage angélique. Qu’un homme si preux souffre autant cela ne devrait pas être permis !

- Ne vous inquiétez pas madame, il est entre de bonne mains, assura le cardinal d’un ton rassurant, presque cajoleur que Guigues ne lui connaissait pas.

- Accompagnez nous cardinal Auguste, proposa le roi. Je crois savoir que nos places sont à côtés, ajouta-t-il d’un air malicieux.

Tout trois s’en allèrent eux aussi en direction de la cour. Guigues, ne voulant pas attirer l’attention les suivit à bonne distance et même si il n’entendait plus leur conversation, il eu tout le loisir de les observer. Il avait du mal à croire qu’il se trouvait la à quelques pas du roi et de la reine du royaume, accompagné d’un démon qui se faisait passer pour un puissant homme d’église. Il avait parcouru du chemin depuis la grange du village d’Oulmes ou il allait se terrer pour ne pas croiser ses frères et ce chemin, il l’avait parcourut tout seul. Il n’avait eu besoin de personne, ni de sa famille d’abruti ni de ses prétendus amis. Non ! Il allait bientôt être couvert de richesse et couler des jours paisibles à Bal. Tout ça il le ne le devait qu’a lui même.

Il pénétra dans la cour ou les invités s’asseyaient sous les chapiteaux dans un brouhaha de chaises tirées, de rires cristallins et de tintements de couverts. Le roi, la reine et le cardinal prirent place à la table la plus prestigieuse qui faisaient face à toute les autres. La reine se plaça au milieu, le roi à sa gauche et le cardinal Auguste à sa droite. Quand ils furent tout trois assis, le roi demanda le silence en tapotant sa cuillère sur son gobelet d’argent :

- Je ne ferais pas de grand discours tant que vous avez le ventre vide ! Mangez et buvez à la santé de ma reine bien aimée !

Alors que la foule d’invités applaudi avec enthousiasme, Guigues en profita pour venir se placer debout à quelques mètres derrière le cardinal. De nombreux domestiques se pressèrent, les bras chargés de carafes de vins et de plats contenant des mets plus succulents les uns que les autres. Guigues observait ce balai incessant avec envie quand un domestique le bouscula légèrement dans le dos :

- Hé toi, chuchota-t-il d’un ton bourru. Ou est-ce que tu te crois pour rester planté la comme ça ?

- Mais, je ne suis pas un domestique de la cour, répondit Guigues à voix basse dont les joues chauffèrent instantanément. Je suis au service personnel du cardinal Auguste.

- Rien à faire de qui tu sers, grogna l’autre. Dépêche toi de venir nous aider, que vont penser les invités si ils voient un valet rester la à rien faire ? Allez bouge toi !

Avant même que Guigues n’ai le temps de répliquer, le domestique lui attrapa le bras et le tira en direction d’une porte d’où sortaient et rentraient les autres serviteurs à une cadence effrénée. L’homme ne lâcha Guigues qu’une fois entrés dans une immense pièce ou il régnait une chaleur horrible et un nombres d’odeurs innombrables qui lui attaquèrent le nez. Des domestiques s’activaient en tout sens, certains coupaient des légumes, d’autres remuaient le contenu d’énormes marmites, s’occupaient de four rougeoyants, remplissaient des plats avant de sortir les amener sur les tables.

- Dés que tu vois un plat de prêt, tu le prends et tu l’apporte dans la cour ! Beugla le domestique pour se faire entendre dans le vacarme assourdissant qui régnait autour d’eux. Allez dépêche toi !

Sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait, Guigues s’exécuta. Il s’empara d’un plateau rempli de fines lamelles de poissons à l’odeur succulente et sortit en prenant bien garde à ne pas trébucher. Guigues se pressa à la suite des autres et prit exemple sur eux, il déposa son plateau sur une table qui n’avait pas encore était servie en manquant de le lâcher puis repartit en direction de la cuisine au pas de course.

Guigues continua à servir les invités pendant un temps qui lui parut infini et quand enfin le calme revint dans les cuisines il faisait nuit depuis un bon moment. Guigues se saisit d’un plateau de fruit, le déposa devant une table de vieux bonhommes somnolent. Alors qu’il s’apprêtait à répéter l’opération, il se retourna et percuta de plein fouet une invité qui passait prés de lui. Il tomba à la renverse et reçu une bonne partie du verre de vin qu’elle tenait à la main, l’autre partie tachant la robe blanche de la dame.

Guigues cligna des paupières, essuyant la liqueur rouge qu’il avait dans les yeux, quand il reconnut la personne qu’il venait de percuter, il se décomposa. La reine se tenait devant lui, déconcertée, son verre de vin brisé à ses pieds. Guigues n’eut pas le temps de s’excuser que déjà deux gardes en armures l’empoignaient par les bras et le remettait debout.

- C’est mon domestique, siffla froidement le cardinal Auguste que Guigues n’avait pas vu approcher. Amenez le moi, je vais lui faire payer sa bêtise !

Guigues sentit son sang se glacer. Il avait commis l’erreur qu’il s’était juré d’éviter. Quel sort lui réservait Barbatos ? Il préférait ne pas y penser pour le moment.

Les gardes le portèrent plus qu’il ne le guidèrent à la suite du cardinal. Il traversèrent les cuisine et ce qui semblait être un grand salon dont le luxe dépassait tout les rêves les plus fou de Guigues. Ils franchirent une nouvelle porte et se retrouvèrent dans une tout petite pièce ou se trouvait quelques chaises et un pupitre sur lequel reposait une chandelle que le cardinal Auguste alluma.

- Laissez nous seul ! Ordonna-t-il au deux gardes qui sortirent sans poser de questions.

Le cardinal se regarda même pas Guigues qui tremblait comme une feuille. Il se dirigea vers une autre porte au fond de la pièce et frappa quatre coup bien distinct. La porte s’ouvrit depuis l’autre côté et la reine entra, un sourire aux lèvres. Guigues était complètement abasourdi, la reine avait changé de tenue, troquant sa robe blanche pour une tenue de soirée violette mais ce qui le choqua le plus était ses traits méconnaissables . Son air angélique s’était envolé, toute la douceur et la bienveillance que Guigues avait pu voir durant la soirée avaient disparus pour laisser place à un sourire moqueur. Elle semblait sur d’elle, arrogante et dégageait quelque chose de malsain que Guigues n’aurait su expliquer.

- Alors mon petit numéro à fonctionner on dirait, déclara-elle joyeusement.

- On dirait bien, répondit le cardinal d’un ton neutre. Tout le monde pense que tu es partie te changer.

- C’est parfait, roucoula la reine avec un sourire satisfait.

Guigues ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer. Pourquoi la reine était elle présente ? Que signifiait ce changement de comportement si soudain ? Il sentit la peur s’immiscer dans chaque recoin de son corps quand elle s’avança vers lui et posa un doigt sur sa tunique tachée de vin.

- C’est donc toi le fameux informateur de mon frère, souffla-elle avec intérêt. Je dois dire que ce soir tu m’as bien servi !

- M… Moi, mais je n’ai rien fait ! Clama Guigues complètement perdu !

- Ho que si ! Rétorqua la reine en partant d’un rire cristallin. C’est juste que tu ne le sais pas.

- Tu t’es occupé du roi ? Coupa le cardinal d’une voix dure et froide.

La reine garda ses grand yeux verts plongés dans ceux de Guigues mais répondit tout de même :

- Tout à fait, ils ne devrait pas tarder à découvrir ma petite surprise !

Un silence tomba après la phrase de la reine durant lequel Guigues essaya tant bien que mal de réfléchir à toute vitesse. Très vite, Guigues se rendit compte d’un bruit venant de l’extérieur. Le bruit se transforma en vacarme et le son d’un cor retentit à travers la forteresse. Guigues entendait des voix et des cris résonner, venant de toute part autour d’eux. Il se concentra pour entendre ce que les voix disaient et il finit par comprendre l’une d’entre elles :

- Le roi ! Le roi est mort ! Trouvez l’assassin.

Guigues failli tomber à la renverse quand il comprit. Il tourna les yeux vers la reine, un large sourire fendait son visage qui semblait dévoré par un plaisir bestiale. Il regarda tour à tour la reine et la tache de vin qu’il avait sur la poitrine avec des yeux ahuris. C’était elle ! C’était elle, le dernier démon !

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