Chapitre 15

Par !Brune!

Des trois savants mis dans la confidence, Kant et Donald furent les plus enthousiastes. Leur première réaction fut d’embrasser la fillette en poussant des cris de joie. Marguerite, prudente, les invita à la retenue afin de ne pas réveiller les autres membres de la troupe.

— Mais vous avez entendu ! s’exclama le géologue en baissant le ton. Il y a de l’eau ! On n’est plus contraint de s’exiler à l’autre bout du continent. Si Owen trouve une source ici, la colonie peut migrer en quelques jours.

— N’allons pas trop vite, répondit vivement le médecin. Ces réserves sont éphémères et puis elles restent ardemment défendues par les autochtones.

— Eyan est avec nous, Mag ! intervint la timide Kant. Cette fillette est un don du ciel ! Ne voyez-vous pas quel atout elle représente pour la mission ?

— C’est vrai ! Non seulement elle connaît le terrain, mais elle a aussi l’habitude de commercer avec les clans. Elle pourrait nous servir d’intermédiaire.

— Eyan n’est qu’une enfant Donald ! Avez-vous oublié ce qui est arrivé à sa famille ?

La réaction indignée de leur consœur refroidit l’exaltation des deux scientifiques qui échangèrent un regard embarrassé par-dessus leurs lunettes.

— Nous sommes désolés, murmura Kant en s’adressant à Eyan. Donald et moi avons été maladroits. En aucun cas, nous n’avions l’intention de te faire de la peine.

Puis, serrant avec chaleur les mains de la petite, elle ajouta :

— Tu es une fille sensible et courageuse. Malgré ton chagrin, tu n’as pas hésité à nous venir en aide. Sans toi, Milo serait peut-être mort. Je sais que nous ne pourrons jamais remplacer les tiens, mais je voulais te dire que nous sommes tous heureux que tu sois là.

Quelques instants plus tard et malgré ses protestations, Marguerite renvoya la fillette dans ses appartements afin de discuter librement avec les autres de la suite à donner aux événements. Comme les adolescents, elle répugnait à dévoiler le pacte avec les barbares ; que ferait Charcot s’il apprenait la duplicité dont s’était rendue coupable la tribu ? 

— Vous avez raison ! Il n’hésitera pas à l’abandonner, cette fois ! déclara Milo, d’une voix préoccupée.

— Ou bien il la gardera prisonnière pour éviter qu’elle rejoigne les Féroces, avança Donald Alberti, essuyant avec préciosité ses verres à double foyer.

— Mouais… Qu’il la retienne ou qu’il l’expulse, la gamine représentera toujours une menace à ses yeux,  soupira Marguerite en regardant l’assemblée avec inquiétude.

— Et ? demanda Owen qui ne comprenait pas l’allusion.

— J’ai peur que notre commandant ne choisisse une solution plus radicale.

— Vous y allez un peu fort, Mag ! J’admets que l’homme est inflexible, parfois même tyrannique, mais de là à imaginer le pire !

— C’est avant tout un officier, mon cher Donald ! En tant que tel, il a le devoir de nous protéger ! Or, si la petite tombe aux mains des guerriers, ses révélations pourraient être fatales à la colonie !

— Elle est muette ! Ils n’arriveront jamais à la faire parler !

— Tu y es bien parvenu, Milo, et pourtant tu ne lui voulais aucun mal.

Marguerite se tut quelques instants avant de déclarer d’une voix sombre :

— Charcot fera le même constat que moi. Voilà pourquoi nous ne devons rien dire. C’est la seule façon de protéger Eyan.

— Et s’il découvre que nous avons menti ? interrogea Owen.

— J’espère pour elle que cela n’arrivera pas… murmura la docteure.

Le jeune sourcier ne parvint pas à réprimer un frisson. Les uns après les autres, il dévisagea ses compagnons, se demandant s’ils croyaient le commandant capable d’une telle cruauté. Lui, malgré son désarroi, pensait le contraire ; sous son masque de meneur revêche, Charcot lui était toujours apparu d’une grande intégrité ; qu’il ôte la vie à une innocente, même pour préserver celle de ses semblables, lui paraissait impossible !

— Je crois que vous vous trompez, docteure. Le commandant ne lui fera aucun mal.

— Pourquoi en es-tu si sûr ?

— Parce que Charcot est un honnête homme. Et puis, ces aveux pourraient s’avérer plus utiles qu’on le pense.

— Explique-toi, demanda Leïla qui s’impatientait.

— Les connaissances d’Eyan nous éviteraient beaucoup de dangers. Notamment ceux liés aux tribus. Or, de qui devons-nous le plus nous méfier ?

— Des Féroces.

— Et qui a été régulièrement en contact avec eux ?

— Les Badawiin !

— Exact ! Je ne vois pas le commandant détruire une source d’informations aussi précieuse !

Un large sourire fendit le visage d’Estelas :

— Tu es convaincant, mon garçon !

— À la bonne heure ! retentit une voix derrière elle. J’espère que les autres pensent comme vous, docteure !

Toutes les têtes se tournèrent vers la silhouette massive qui se tenait, raide, dans l’encadrement de la porte. Campé sur ses deux jambes, les mains derrière le dos, Charcot observait avec mépris les comploteurs réunis dans la cuisine. La lune qui brillait haut dans le ciel éclairait son visage d’une lumière blafarde, le faisant ressembler à un spectre malveillant. Devant la funeste apparition, l’assemblée se pétrifia autour de la table où elle débattait activement quelques minutes plus tôt. Avec une lenteur calculée, le commandant se dirigea vers Marguerite, posa ses deux poings sur l’angle du plateau et le buste en avant, siffla entre ses lèvres pâles :

— Ainsi, je suis un monstre capable de tuer une enfant !

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, répondit Estelas avec embarras.

— Vraiment ?

La grande femme soutint le regard accusateur de Charcot malgré le feu qui lui brûlait les joues.

— Je comprends que mes propos vous heurtent, mais dans une telle situation, il est normal d’envisager toutes les possibilités.

— Comme celle que je l’exécute ?!

Marguerite laissa passer quelques secondes avant de répondre :

— Je l’admets, Jean, j’ai douté de vous. Nous savons tous ici avec quelle abnégation vous conduisez cette mission. J’ai eu peur, un moment, que la décision du militaire emporte celle de l’homme.

Les autres, toujours figés sur leurs sièges, retenaient leur souffle tandis que le commandant se redressait, fixant Estelas avec acuité ; à cet instant, Eyan surgit à ses côtés et vint lover sa petite main dans la sienne.

— Que fais-tu là ?  s’exclama Milo en rejoignant la fillette.

Celle-ci lâcha le bras du militaire et commença à signer.

— Je n’arrivais pas à dormir, alors je suis revenue ! traduisit le jeune homme. Comme j’avais peur que vous me renvoyiez, je suis restée derrière la porte. Quand j’ai vu le commandant approcher, je me suis cachée sous l’escalier. J’ai tout entendu.

L’enfant observa calmement les visages étonnés des membres de l’équipe, puis levant la tête vers Charcot elle ajouta d’un air grave :

— Moi, je suis sûre que vous me ferez aucun mal !

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Carole38
Posté le 01/09/2023
"A cet instant, Eyan surgit à ses côtés et vint lover sa petite main dans la sienne."
On a des coeurs à la place des yeux en lisant cette scène. Et oui, les gestes comptent dans la narration tout comme les regards ou les aliments échangés.
Bravo.
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