CHAPITRE 15

Par Taranee

PRESENT : JAKE

 

La flamme lécha son avant-bras et Jake retint un cri de douleur. Abigail et Ethan avaient bien fait leur boulot. Un peu trop bien, même. Le feu se propageait rapidement à chaque étage. Il ne tarderait pas à envahir le laboratoire tout entier. Mais ça ne faisait rien. Il touchait à son but. L’endroit où il voulait aller n’était plus qu’à vingt mètres. Dix-neuf. Dix-huit. Il esquiva une autre flamme d’un bond agile.

Seize mètres, quinze, quatorze.

Le bâtiment commençait à s’effondrer sous la chaleur. Jake entendait le sol et le plafond craquer. Il devait faire attention. Il jeta un regard derrière lui. Personne ne le poursuivait. Il avait perdu du temps, tout à l’heure, lorsqu’un surveillant baraqué s’était mis en tête de lui barrer la route. Il avait dû le combattre à mains nues, il n’avait pas encore récupéré après avoir utilisé son pouvoir, tout à l’heure.

Neuf mètres, huit mètres.

Allez, encore un effort. Il était là, il l’attendait derrière cette porte. Jake en était certain.

Il s’arrêta devant la porte. Le verrou était cassé, elle était déjà entrouverte. La vitre opaque qui portait jadis une inscription avait volé en éclats avec la pression. Jake donna un coup de pied dans le panneau de bois qui s’ouvrit avec un grincement capricieux. Il inspecta la pièce. Les meubles commençaient à prendre feu. Comment l’incendie avait-il pu atteindre cet endroit ? Peu importait. Il balaya encore l’endroit du regard. Personne. Du moins, en apparence.

- Je sais que tu es là. dit Jake d’un air nonchalant : Parce que t’es trop stupide pour abandonner ce que tu as volé, ce royaume sur lequel tu règnes.

Pas de réponse.

- Allez, tu ne vas pas continuer à te cacher devant moi, cela blesserait ton égo.

- Tu as raison. C’est puéril.

Une ombre se détacha, dans le fond, et s’avança vers le milieu de la pièce. Jake lui rendit un sourire badin.

- Oh, mais tu daignes enfin m’accorder ta compagnie, papa ?

Un rire lui répondit.

- Bonjour, fils. Tu n’as pas gagné en maturité, j’ai l’impression.

L’homme s’approcha et Jake put enfin voir ses yeux gris perçants, tout comme les siens, son nez droit, ses sourcils froncés, ses cheveux grisonnants, ses jeunes rides, et son corps robuste. Il n’était plus question de s’amuser, mais Jake ne pouvait s’en empêcher.

- Hélas, c’est bien quelque chose que vous n’avez pas réussi à changer : mon caractère.

- Je pensais que tu viendrais me voir plus tôt. Dis-moi, Jake. Ces… Perturbations : C’est ton œuvre ?

Jake poussa un rire joyeux.

- Ha ha, qui sait ?

- Tu avais donc prévu ces évènements.

Le jeune homme serra les dents. Où son père voulait-il en venir ?

- Assez discuté, Jake. Pourquoi es-tu venu me trouver ?

- Ah. Nous y voilà.

Il dégaina son arme et pointa le canon sur le directeur du LERM sans aucune hésitation. Le directeur eut un instant de surprise, puis un sourire s’agrandit sur ses lèvres. Le même sourire arrogant qu’arborait parfois son fils.

- Tu comptes me tuer ?

- Il est temps d’en finir avec ces histoires à la con. Demande-moi pardon.

- Pardon ? Mais pourquoi est-ce que je te demanderais pardon ?!

Jake serra les dents. Il sentait le revolver glisser dans ses mains poisseuses de sueur. Il le provoquait. Il provoquait sa colère exprès pour qu’il utilise son pouvoir. Mais ce n’était pas comme ça que ça devait se terminer. Il sentait sa respiration devenir plus forte.

- Arrête de faire semblant d’ignorer ce que tu as fait ! Toi, tu as tué un mage pour me transformer en monstre ! Tu as volé une vie par égoïsme !

- Je ne pensais pas que tu me ferais des reproches, comme un gamin capricieux. Tu devrais me remercier. Ce que je t’ai donné, c’est inestimable. Je t’’ai donné le pouvoir, et toi, tu t’en es servi pour braver mon autorité.

- Je ne suis pas sous tes ordres.

- Vraiment ?

L’homme fit un pas en avant et Jake désactiva la sécurité de son arme.

- Ne t’approche pas !

- Tu as peur ?

Il fit un autre pas. Jake tira sa première balle. Il rata sa cible de peu. Le directeur du LERM parut surpris sur le coup, mais il cacha son sentiment derrière un sourire suffisant.

- Tu n’as pas hésité à tirer. Tu n’es plus le garçon peureux qui fut mon fils.

- On change, quand on se retrouve à la tête d’une rébellion.

Flash. Eclair de douleur. Jake ferma les yeux.

 

PASSE :

 

            Le hurlement résonna dans les couloirs déserts du troisième sous-sol. Déchirants. Empreints de haine et de douleur. Le garçon gesticulait, essayait par tous les moyens de se soustraire à cette torture qu’on lui infligeait, mais les quatre hommes avaient bien serré les sangles qui le maintenaient immobile, sur la table d’opération. Sa poitrine se soulevait et retombait à un rythme effréné. Le médecin arriva, seringue en main, prêt à lui administrer une nouvelle dose de ce liquide brillant. La magie faisait mal. Atrocement mal. Il tourna la tête, les larmes aux yeux, et vit son père qui le regardait, impassible, ou plutôt, satisfait de voir que son expérience était une réussite.

 

PRESENT :

 

            Jake se débarrassa du souvenir dans un grognement. Il tituba, reprit ses appuis. Sa tête… Sa tête lui faisait affreusement mal ! Il ouvrit un œil, pointait comme il le pouvait le canon de l’arme vers son géniteur, mais sa main tremblait. Il n’arrivait pas à viser. Et cet homme, Loan. Son père, le directeur du LERM, s’avançait, lentement, comme un prédateur. Il restait calme. Il semblait contrôler la situation alors même que tout échappait à Jake.

- Je te déteste ! cria le jeune homme : Tu m’entends ? J’ai dit que je te détestais !

- Quel dommage. Mais tu n’étais déjà plus rien pour moi à partir du moment où tu as réussi à t’enfuir. Tu n’es rien de plus que ma réussite scientifique.

- Pourquoi faut-il que tout le monde souffre à cause de toi ?! Pourquoi est-ce que tu as fait du mal à Elijah ? Pourquoi est-ce que tu retiens Nethan ?!

Il tira une nouvelle balle, rata encore sa cible. Quatre. Il lui restait quatre balles dans le revolver.

- C’est ça que tu veux savoir, Jake ? On ne construit pas un nouveau monde sans sacrifices. Je veux étendre mon territoire, j’ai besoin de gens qui sont capables de voyager à travers les faces. Je veux construire un portail. J’ai besoin d’une magie qui me permette de traverser la barrière qui sépare les deux faces de ce monde. Rassure-toi, tes amis me servent à quelque chose. Ils ne mourront pas en vain.

- Ordure !

La troisième balle fusa. Encore raté. Pourquoi il n’arrivait pas à viser ?! Loan rit à gorge déployée.

- C’est comme ça que tu comptes me tuer ? On dirait que tu n’as pas trop de motivat…

Pan. La balle le toucha en plein cœur. Ses yeux s’agrandirent de stupéfaction, son sourire disparut au profit d’une bouche entrouverte, ses jambes cédèrent. Il s’écroula. Jake se précipita vers lui. La respiration du directeur était sifflante. Avant de fermer les yeux, il parla avec difficulté, lentement, comme s’il donnait du poids à ses mots pour qu’ils soient plus percutants.

- Alors… même toi… tu as fini par… me trahir.

Il était mort. Jake renifla avec dédain, jeta son revolver quelque part, plus loin, et lui donna un coup de pied, puis deux, et toute une série. Et lorsqu’il eut terminé, il s’empara de la blouse du directeur qui était maculée de sang, la revêtit, et lui adressa un regard haineux et glacial.

- N’essaie même pas de me faire culpabiliser, sale pourriture.

Et il sortit du bureau, souriant, portant morbidement la veste de celui qu’il venait d’assassiner. Maintenant, il n’avait plus qu’à retrouver Elijah.

Il se mit en route vers le premier sous-sol.

 

PRESENT : ELIJAH

 

            Tout droit, à gauche, puis encore tout droit. Il tourna une dernière fois et trouva enfin les escaliers. Les flammes le poursuivaient. Cet étage était un nid à dangers. L’incendie, le bâtiment qui commençait à s’écrouler. Il s’inquiétait pour Jake, qui était resté en arrière après qu’ils se soient séparés, mais préférait ne pas trop y penser. Il avait dû trouver et emprunter l’escalier de secours car l’escalier principal s’était effondré à l’endroit où il reliait les étages un et deux. Il courait, mais il allait trop lentement ! Il ne retrouverait jamais Neth à ce rythme-là ! Et si… Il fallait essayer. Il alluma son communicateur.

- Jio !

- Oui ?

- Essaie de contacter Nethan avec ton pouvoir de communication ! Il faut que je sache où elle est !

- Mais il ne marche que…

- Je sais. Essaie !

- … D’accord. Ne quitte pas la ligne de communication.

Il y eut un silence, un bourdonnement indistinct. Elijah rata une marche, se rattrapa juste avant de perdre l’équilibre, continua sa course. Il était au premier étage. Il entendit un cri de joie, puis la voix de Jio déferla dans son esprit.

- Je l’ai ! J’ai réussi à la contacter ! Elle est à moitié droguée donc je n’ai pas pu l’avoir longtemps.

- Où est-elle ?

- Elle m’a dit qu’elle sentait qu’on la déplaçait, elle croit qu’elle est en train de monter des marches.

- Autre chose ?

- Non.

Ça ne suffisait pas ! Il remercia tout de même Jio et coupa la communication. Le mage d’ombres et Neth devaient avoir un lien particulier pour que le pouvoir de communication fonctionne alors qu’ils étaient sur la même face. Elijah secoua la tête. Se concentrer sur sa mission. Retrouver Nethan. Rejoindre Jake après. Tout se déroulait selon le plan, mis à part quelques imprévus qu’ils avaient réussi à gérer, mais Elijah avait l’impression de ne rien contrôler. Il faisait de son mieux pour garder son calme, mais comment garder son calme quand on revivait l’incident du LERM qui avait causé des dizaines et des dizaines de morts ? Rez-de-chaussée. Il sauta les dernières marches qui lui restaient à descendre, atterrit sur le sol plein de débris. L’incendie arrivait à sa gauche, par l’escalier principal. Il courut jusqu’au centre du hall d’accueil.

C’est là qu’il les vit. Une femme qui portait une fillette dans ses bras. Et un homme qui l’accompagnait, armé d’un fusil et d’un revolver. La fillette, c’était Nethan.

- Hé, vous ! hurla Elijah du plus fort qu’il le put.

Les deux adultes s’arrêtèrent, se retournèrent. Déjà, le mage de soins courait dans leur direction. Ils commencèrent à reculer.

- Arrêtez-vous ! Lâchez cette fille !

- Qu’est-ce que… commença l’homme.

Puis il plissa les yeux, détailla Elijah. Il murmura quelque chose, échangea un regard avec sa collègue. Ils hochèrent la tête.

- Gamin, qu’est-ce que tu fais là ? Où sont tes camarades ?

- Il y en a une juste dans vos bras, là ! Qu’est-ce que vous lui avez fait ?

- J’en étais sûr. Tu as réussi à t’écarter de ton groupe. Viens ici. C’est dangereux, là où tu es.

- Oh, mais avec plaisir !

Elijah avait ramassé une pierre assez grosse. Il se jeta sur l’homme qui lui parlait, son arme de fortune à la main. Le colosse ne bougea même pas, ne parut pas inquiet. Il se contenta d’attraper le bras d’Elijah avec force et de le tordre. Le jeune homme cria, lâcha la pierre. Son adversaire le tenait toujours. Il se débattit. Sans succès. Les deux adultes se lancèrent dans une conversation animée.

- Qu’est-ce qu’on fait ? fit l’homme : On le tue ?

- Tu as perdu la tête ? C’est un œil d’or ! On n’en retrouvera pas avant longtemps, des comme lui !

- Il a essayé de m’attaquer, il avait clairement l’intention de me tuer, il est dangereux !

- Il suffit de le mettre sous sédatifs et il sera aussi dangereux qu’un moucheron !

- Lâchez-moi ! s’exclama Elijah en donnant un coup de pied à l’homme qui ne bougea pas d’un pouce.

- Il est épuisé, il n’a plus de force. Ce n’est pas dans cet état qu’il pourra nous nuire. On l’emmène.

- Non !

L’homme approuva d’un signe de tête, passa une paire de menottes à Elijah, et le souleva comme s’il ne pesait rien. Et le mage de soins assistait à sa nouvelle capture, démuni. Il activa son communicateur, appela Jio en s’époumonnant.

- Il faut que tu viennes ! Nethan est en danger ! Je ne peux pas la sauver, je ne sais pas où on va ! Amène des renforts, avertissez l’équipe de rapatriement des mages !

Soudain, il sentit comme un choc à l’arrière de son crâne. Il tourna la tête, sonné, entrevit le visage impassible de l’homme qui le portait, et perdit connaissance. C’était fini. Tout était fini. Si Nethan était capturée, ils avaient fait ça pour rien.

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