Chapitre 14 - Les olympiades

Erden, en territoire Kalokas

 

            Appelée par sa quête de justice ou bien par son besoin de reconnaissance, Endza but les paroles de Garnel. Face, aux vingt-cinq participants choisis par Paskhal, le ministre tout de noir vêtu annonça les règles de son jeu. Sa main droite frottait le cuir tendu de sa paume gauche trahissant l’importance de chacun des mots de son discours.

_En vous montrant prévoyants, raisonnés et tactiques, mettez-vous deux par deux. Affrontez ensemble les différentes épreuves jusqu’à ce que vous ne soyez plus que quatre. Ce n’est qu’à cette ultime étape que vous continuerez seul.  L’épée ne reviendra pas au plus fort ou au plus intelligent, mais au plus méritant. À vous de nous montrer ce que vous comprenez par mérite ! expliqua Garnel avec un sourire railleur.

À cette annonce, un brouhaha se forma au centre de l’arène. Chacun des candidats courrait dans tous les sens à la recherche de la personne qui les amènerait le plus loin. Choix tactique ou questions d’affinité, chacun avait sa façon de voir les choses. Dans la cohue, Endza attrapa doucement la main de Nazar pour lui faire comprendre son choix.

_Oui, tu as raison, nous avons l’habitude de combattre ensemble, acquiesça le blondinet sans se poser plus de questions face aux yeux émeraude de sa jeune amie.

_Oui, mais surtout nous sommes complémentaires. J’ai un pouvoir physique et toi psychique, selon les épreuves nous aurons chacun nos atouts. Si besoin, ton don nous aidera à maitriser les autres participants sans que j’aie besoin de m’essouffler à les retenir. Prévoyants, raisonnés et tactiques, insista Endza sans lâcher la main de son binôme.

Les duos se formèrent en quelques minutes, laissant inéluctablement l’un des participants seul face à son destin. Les yeux ronds qu’on décochait à Colas, n’aidait pas le jeune homme à y voir plus clair.

 

_Ministre Asage, nous sommes vingt-cinq candidats, nous ne pouvons pas nous mettre deux par deux sans désavantager l’un des nôtres, balbutia le laisser pour contre.

_Je sais bien mon enfant ! lui répondit Garnel en se levant de son fauteuil. Face à son silence, le ministre reprit la parole avec amusement. Il fallait vous montrer prévoyant et tactique. Seul, vous ne pouvez pas participer à la course. Vous êtes donc le premier éliminé.

_Mais monsieur le ministre, ce n’est pas juste !

_La guerre n’est pas juste. Les règles étaient claires. Ne fais pas perdre plus de temps à tes camarades, salue l’assemblée et trouve-toi une place dans les gradins ! le railla Loris en tapant du poing sur l’accoudoir de sa chaise.

_Très bien, que les festivités commencent ! Lançons la première épreuve, les coupa Paskhal habitué à la fourberie de ses frères ainés.

 

Sous le regard abattu du premier éliminé, on fit rentrer un immense objet dissimulé sous de grands draps jaunes. Au même moment, le chapiteau qui recouvrait la grande place doubla sa hauteur face à l’action de poulie dissimulée dans les voilages et actionnée par des Kalokas chargés de la préparation de la cérémonie. Au centre de l’arène, les deux préparateurs dévoilèrent une immense pièce métallique constituée de deux murs lisses de quatre mètres de hauteur et d’une plateforme qui les surplombait.

 

_La suite est simple, vous devez rejoindre le haut de l’édifice. Votre temps est compté, quand le jury estimera que vous avez eu assez de temps pour l’épreuve, tous ceux qui n’auront pas atteint la plateforme seront éliminés. Par la Déesse, soyez méritants ! reprit Garnel avec amusement en faisant craquer les doigts de sa main gantée.

 

L’obstacle était censé éliminer tous les binômes de psychés qui n’avaient pas d’habileté physique pour grimper. Par prudence, Endza décida de laisser passer quelques adversaires avant de s’y frotter à son tour. À sa grande surprise, aucun piège n’attendait les grimpeurs. Les murs lisses et la hauteur suffisaient à rendre la tâche éliminatoire. Refaisant sa tresse minutieusement pendant sa réflexion, elle regarda les uns prendre de l’élan pour atteindre le haut à toute vitesse, puis ceux qui sautaient et grimpaient sur les autres pour y arriver, laissant des blessés sur le côté.

 

À l’écart, elle observa également certaines psychés se servir de leur don pour convaincre les autres de les aider. Un don de manipulation mentale, tel qu’il soit, servait toujours dans ce genre de compétition. Face à elle, des super agiles se hissaient comme ils le pouvaient jusqu’au sommet, non sans difficulté, oubliant presque leur binôme derrière eux.

 

_Accroche-toi, murmura-t-elle à Nazar qui attendait son signal en lui donnant toujours la main comme si sa vie en dépendait.

D’un coup brusque, elle attrapa le haut de la plateforme grâce à son bras élastique et s’y cramponna de toutes ses forces. Elle élança ensuite son corps pour qu’il rejoigne la main agrippée en haut du mur. En quelques secondes, elle atteignit seule le plateau. Puis, elle ramena près d’elle sa main que tenait toujours Nazar. Avec aisance mais non sans difficulté, elle le souleva du sol et évita les adversaires qui tentaient de s’accrocher à lui pour le ramener à côté d’elle. Fière, elle lança un regard à son père qui lui rendit un sourire franc. Elle était prête à s’éloigner du bord, quand elle se ravisa pour aider, au hasard, un duo resté en bas.

_Ne croyez pas en un acte de compassion, vous nous êtes redevables ! insista Endza en posant les deux Kalokas qu’elle avait choisis au hasard parmi ceux qui ne réussissaient pas l’épreuve.

Liant l’acte à la parole, Nazar les accueillit à bras ouvert et en profita pour les imprégner d’un sentiment d’extrême reconnaissance et d’amitié dévouée.

 

Sur les vingt-quatre participants, seuls huit binômes avaient réussi à grimper quand Garnel annonça la fin de l’épreuve. En bas des murs, il restait des Kakolas aux dons de super forces qui n’avaient pas eu assez d’endurance pour réussir, une intangible, pouvant traverser les objets solides, qui n’avaient rien pu faire, et tous les psychés qui n’avaient pas un don pouvant manipuler les autres concurrents.

 

_Je vous avais prévenus, il fallait bien choisir ses alliés dès le départ. La complémentarité est une aide à la force ou à la réflexion. Vous vous en rappellerez à l’avenir. La suite se passe au-dessus de vos têtes. Des acrobates vont se donner en spectacle. Trapézistes, voltigeurs, funambules, et équilibristes détiennent la solution pour passer à la suite. Bonne chance ! s’exclama encore une fois Garnel sous les applaudissements amusés de la foule.

 

Au-dessus d’eux les artistes, venus des terres neutres, rentrèrent en scène au rythme des tambours de guerre. Leurs muscles se tendaient à chaque percussion dans des acrobaties précises, sous le regard perdu des seize jeunes encore en lices. Le bruit du froissement des tissus pailletés s’effaçait face aux rebonds des trapézistes dans un balai répétitif.

La plupart des participants restèrent quoi face à de telles fantaisies. Ils ne comprenaient pas ce qu’on pouvait attendre d’eux dans cette épreuve. Les plus hâtifs s’élancèrent eux dans une course pour rattraper les voltigeurs manquant presque de les faire tomber au passage. Prudente, Endza rattrapa le bras de Nazar avant qu’il tente de se lancer à son tour.

 

_Tant que nous n’avons pas compris quoi faire, ne gaspillons pas nos forces. Il en va de même pour vous ! commanda Endza avec fermeté à l’intention du binôme qui la suivait comme son ombre.

L’adolescente était déterminée à gagner la partie, à poser ses mains sur l’épée mythique, et à rendre fier son père. Attentivement, elle étudia alors les mouvements des artistes qui se donnaient en spectacle. Elle remarqua les tenues différentes que chacun portait.

Ils doivent venir de différentes troupes, pensa-t-elle.

Elle s’attarda sur les détails des costumes, leur couleur et leur apparat. Les trapézites étaient tous habillés de mousselines violettes tandis que les funambules étaient parés d’un vert émeraude. Le détail des tissus lui rappela inexorablement sa sœur ainée. Solenne aurait adoré concevoir de telles tenues. Malgré le temps qui défilait, Endza ne pût s’empêcher de l’imaginer en train de prendre les mesures de chacun et d’inventer une tenue adaptée à leur mouvement. Comme eux, elle aurait attribué une couleur à chaque numéro.

Elle aurait surement choisi du jaune plutôt que de l’orange pour les voltigeurs pendus à de longs tissus, songea-telle avec émotion. Surtout, elle n’aurait jamais assimilé toutes ces couleurs à un bleu si présent…

Soudain Endza repéra que tous les groupes avaient des accessoires de cette couleur. Tissu, balle, projectiles, cape, tout était d’un bleu qui n’allait pas avec le reste.

_Le bleu, souffla-t-elle à l’oreille de Nazar. Aidez-moi à attraper tous ces éléments. Soit par la force, soit en vous montrant convaincant, ajout-a-telle à l’intention du binôme qu’ils avaient recueillie.

 

Agile, Endza s’élança en première dans cette course aux objets. Elle s’agrippa avec aisance au premier tissu qu’elle avait remarqué. La danseuse se figea à son arrivée, la laissant inspecter le moindre indice. Juste au-dessous du corps de la voltigeuse, à des dizaines de mettre du sol, Endza crut repérer un symbole. Cramponnée au tissu d’une main, elle élança son bras vers la femme qui se laissa faire. En tâtonnant à l’aveugle, Endza décrocha alors ce qui ressemblait à une lettre juste au-dessous des pieds de la danseuse.

 

_Un A, constata-telle en le ramenant à sa hauteur.

 

Nazar suivit ses conseils et aida l’autre binôme à atteindre les trapézites grâce aux échelles qui pendaient dans le vide. Il garda également un œil sur eux afin qu’ils ne gardent pas les indices pour eux.

 

Aless qui pouvait voir l’avenir de toutes personnes, s’évertua à lire en chacun en s’accrochant uniquement aux détails de la cérémonie. Sous l’œil de Nazar, elle décrocha la cape d’un des trapézites et libéra le F qui s’y trouvait caché.  L’adolescent l’imita alors en faisant signe à Rouanne de le faire de même. Soupe au lait, ce dernier grimpa comme il le pouvait. Sa super force lui aurait été plus utile s’il avait aussi su faire preuve d’agilité. Sans aucune grâce, il attrapa au vol un trapéziste qui venait de s’élancer dans les airs. Secoué, l’homme se débattu sans conviction. Fermement, Rouanne se calla alors sur son trapèze tout en le maintenant contre lui.

_Donne-moi ta lettre ! gronda-t-il excédé.

Abasourdi par si peu de délicatesse, l’Oripeau se laissa pourtant faire. Tout en s’exécutant promptement, il se dégagea de la main qui le tenait.

_Et voilà un E cria-t-il en lui jetant l’indice au visage avant de sauter dans le vide, vers un autre trapèze vide.

Au grand dam d’Endza, avec cette scène, tous les concurrents se mirent à les imiter. Endza se dépêcha cependant pour ramasser le plus d’indices possibles. Malgré sa dextérité, elle ne trouva qu’un seul objet en plus de sa lettre. Heureusement avec Nazar et le binôme allié, ils avaient pu regrouper cinq indices. Le reste ayant été trouvé par la concurrence. Quand dix lettres et un objet furent découvert par les participants, Garnel se leva pour congédier le cirque qui se donnait en spectacle. Et quelques instants plus tard, le chapiteau reprenait sa hauteur précédente et toutes traces de cordes, de filin, ou de balançoires disparurent.

 

_Tous ceux qui n’ont pas réussi à trouver au moins un indice par binôme sont exhortés à sortir de l’arène. Vous êtes éliminés. Le reste, continuez, annonça Garnel en se félicitant de cette avancée.

 

Devant l’impitoyable ministre Garnel, six personnes quittèrent l’olympiade laissant derrière eux les cinq derniers binômes en lisse sous l’applaudissement d’une foule Kalokas. Les dix soldats encore en course se retrouvèrent alors de nouveau seule face à eux-mêmes, ne comprenant pas ce qu’ils devaient faire des indices récoltés. Endza était la seule à détenir un objet cylindrique fait d’un métal poli qui ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait déjà vu. Au centre se trouvait dix rondelles juxtaposées et maintenues les unes contres les autres par l’armature de cuivre. Elle avait beau retourner l’objet dans tous les sens, elle n’arrivait pas à percevoir ce qu’il y avait dedans pourtant, elle entendait qu’il renfermait quelque chose en son sein. En l’examinant avec Nazar, la rouquine repéra les lettres de l’alphabet peintes sur chacune des rondelles.

_Il y a un mot de dix lettres à former pour l’ouvrir, lui chuchota-t-elle.

Avec son binôme allié, ils en avaient déjà quatre mais ce n’était pas suffisant pour ouvrir ce casse-tête.

_Il nous faut les autres pour former un mot ! constata Nazar en épiant ses adversaires.

_Oui, à nous de réfléchir comment les obtenir. N’oubliant pas que celui qui gagne, sera le plus méritant.

 

Il faut juste savoir ce que le ministre entend par mérite dans ce cas, songea la cadette en observant la tribune des jurés.

Le ministre Asage voulait-il un ambassadeur qui rassemblerait et serait accepté de tous ou quelqu’un qui les dirigerait par une main de fer ? Endza avait peur de la réponse qui tonnait en elle. Nazar lui, attendait patiemment qu’elle prenne une décision. Après tout, ils détenaient déjà quatre lettres plus le casse-tête qui permettait d’aller plus loin. Selon lui, ils étaient donc maitres du destin des autres. Comme celui de leur binôme allié.

 

_Nazar, protège-moi de tous ceux qui s’approcheront pour nous voler. Ils ont un choix à faire pour aller plus loin. Certains accepteront ce que je vais dire, d’autres non mais il est hors de question que la suite se fasse sans nous, déclara-t-elle avec fierté et détermination.

 

 Qu’allait elle choisir ? Le rassemblement ou l’affrontement. Si Endza ne savait pas ce que Garnel attendait vraiment, elle savait quelle dirigeante elle voulait être. Elle mériterait cette épée car elle fera tout pour l’avoir. Tout mais dans le respect de ses règles à elle. C’est comme ça qu’elle voyait son mérite.

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