Chapitre 14

Après cette longue journée, je suis rentrée à la maison et me suis enfermée dans ma chambre. Je ne pouvais pas avoir une autre conversation, je souhaitais juste me laver et me savonner aussi fort que possible. Lorsque je suis sous la douche, je prends à plusieurs reprises des grosses doses de savon. J’ai l’impression qu’une couche d’ondes négatives m’entourent et je n’apprécie pas ça. Je me lave les cheveux et en profite pour me toucher le crâne pour vérifier que je n’ai aucune bosse. Une fois séchée et avec mes cheveux enroulée dans une serviette. Je m’écrase sur mon lit et m’endors en faisant tomber mon téléphone et mon écoute de mes cours sur le côté. 

Pendant la nuit, le froid et des courants d’air inconfortables me réveillent à plusieurs reprises mais la fatigue m’empêche de bouger et me fait replonger une nouvelle fois dans les bras de Morphée, ce n’est que mon réveil qui arrive à me sortir de ce cycle. Dès que je l’entends, je me lève en m’étirant puis je suis ma routine et entame ma journée comme si de rien n'était. 

Je sais que je devrais suivre les 48 heures de convalescence mais les études ne vont pas attendre ni même mes concurrents comme me l'a rappelé, si gentiment Alex. J’entends un grattement et me retourne, un chat se trouve derrière ma fenêtre. Je me dépêche de lui ouvrir et de l’inviter dans ma chambre.

- Coucou Pépère. Comment ça va ?

Je tends ma main pour lui faire sentir et observe sa réaction. J’ai toujours aimé les animaux et je tente de ne jamais les brusquer ni les déranger. Il ne semble pas s’offusquer de ma présence, à l’inverse après avoir reniflé ma main il colle son front et se met à ronronner. Je lui gratte le dessus de la tête en utilisant ma voix la plus gaga. 

- Tu es trop mignon toi. Qu’est-ce que tu fais dans les parages ?

Bien entendu, il va forcément me répondre. Il saute à l’intérieur de ma chambre et commence à faire sa petite inspection. Pendant ce temps-là, je me dirige vers mon espace de travail et tente de me concentrer. Mon moment calme s’arrête aussi vite qu’il a commencé avec Seb qui toque à la porte de ma chambre. Il n’attend pas ma réponse et ouvre ma porte doucement, pensant que je dors encore. C’est alors qu'il me vois assise à mon bureau en train de lire mes fiches, je note sa déprabobation au regard noir qu’il me jette.

- Est-ce que tu es simple d’esprit, Mat ? Dans ces conditions, tu révises ? Interdiction de te lever sans mon autorisation jusqu’à nouvel ordre ! 

- Même si je dois aller faire pipi ou prendre un mouchoir ou boire un verre d’eau ?

- Ne joue pas à être plus intelligente que ce que tu es. 

- Mais je ne suis pas fatiguée et je viens de vérifier tous mes symptômes. Il n’y a rien à craindre, je suis médecin je pense que je le saurai si je n'allais pas bien. 

- Tout d’abord, tu es en formation de médecine et non un médecin. Une fois que tu auras ton diplôme en poche, nous pourrons en reparler. En attendant, tu dois écouter ton grand frère, il sait mieux que toi. Donc maintenant au lit, je te borde, je vérifie ta température et tu te reposes…

- Ce n’est pas nécessaire de vérifier ma température, ça n’a rien à voir avec un traumatisme crânien. 

- On se tait, c’est l’heure du marchand de sable.

- Monsieur l’avocat qui sait mieux que moi, ne connaît pas ce simple détail…

- Oui ça fait longtemps que je n'ai pas fait de Trivial Poursuite avec toi donc je n’ai pas toutes les connaissances… Cependant, aujourd'hui c'est moi qui te surveille, j'ai pris un jour de congé donc je vais surveiller ma petite sœur et la cajoler. Au menu aujourd'hui, je te lis des histoires pendant que tu essaies de t'endormir, du repos pour tes jolis petits yeux et ta petite frimousse et je te prépare ton plat préféré…

- A la place d’une histoire, cela peut-il être le dernier TP dont je viens de terminer la fiche ? Je ne vais pas rester dans le top 5 de ma promo en m'allongeant et en essayant de dormir en écoutant mon grand frère me lire une histoire…

- Non, tant pis pour toi parce que tu n'as pas le choix. C’est parti, petite marmotte c’est l’heure de Geronimo Stilton. 

Je soupire mais je le suis, il est vrai qu’une petite sieste ne me ferait pas du mal. Avec tout ça, il a fait fuir Pépère, je ne l’ai même pas vu partir. Ça fait des années que je n'ai pas pris de vacances, ni même un jour de repos. Même pendant les fêtes comme Noël, le jour de l'an, mon anniversaire je trouve toujours un moyen de m'éclipser pour aller réviser ou faire des fiches. Mon organisation et mon sérieux ne sont plus à démontrer dans cette famille, ils savent d’ailleurs que je ne ferais jamais semblant d'être malade, à l'inverse je serai semblant d'aller bien pour pouvoir aller travailler et à l'école. 

Ce confinement de deux jours a été plus difficile que prévu je n'en pouvais plus. Je tourne en rond, je ne fais rien de mes journées et mon stress s’est amplifié. C'est un plaisir de pouvoir travailler de nouveau.

Avec ce lundi, recommence ma vie d’étudiante. Arrivée en avance comme à mon habitude, je me retrouve seule dans l'amphithéâtre. Cette solitude dans cette pièce immense remplie de sièges me donne des frissons. Je me sens à ma place et prise par un plaisir immense. Je prends une profonde inspiration et regarde mes notes pour essayer d'assimiler au mieux les deux jours de révisions que j'ai manqué.

J'avais déjà pris du retard avec les 2h que j'ai passé à préparer mon programme et mon PowerPoint pour interroger Alex. Mais ici, c'est catastrophique, je ne sais pas comment je vais faire pour rattraper tout cela. Je pousse un soupir en me grattant la tête, si je continue comme ça je vais finir par me scalper le crâne, puis je regarde mon emploi du temps. Aujourd'hui je n'ai pas beaucoup de cours, l’activité principale de ma journée est autour de ma réquisition en tant qu'interne à l'hôpital.

Ce qui est positif c’est que plus j’avance dans mes études et plus on me confie des tâches importantes. Les premières années consistent surtout au nettoyage et à l’observation, même si ce ne sont pas des tâches plaisantes, j’ai toujours trouvé ça intéressant. J’adore apprendre sur le terrain et côtoyer des futurs collègues et des médecins plus expérimentés. Ces échanges me permettent de comprendre tout leur génie et la passion qu’ils essaient de nous transmettre. C'est d'ailleurs très amusant de voir le fonctionnement de leur cerveau et comment ils interagissent avec leurs patients puis avec les élèves.

Mes notes sont toujours les plus détaillées et sont de bons supports pour le médecin que j’assiste. De temps à autre, je donne mon avis sur des diagnostics et mes explications sont de plus en plus écoutées. D’ailleurs le docteur Shepard semble être ravi de ma progression, de mon écoute attentive des patients et de ces conseils.

Ma priorité du jour est d’éviter Christine. Je l’adore mais je ne veux pas lui parler de ce qu’il s’est passé à l'hôpital. Il n'y a eu aucune apparition ou phénomène étrange depuis mon arrivée à la maison. Mon côté rationnel et mes connaissances me font penser que c’était le choc. De plus, avec mon rythme d’études je suis très fatiguée et mon cerveau a dû comprendre que le seul moyen qu'il avait pour se reposer était de me faire peur et de forcer mes frères à me faire reposer. 

Comme si elle avait entendu ma demande, Christine ne vient pas en amphithéâtre. Je ne devrais pas être étonnée, ce n’est pas son cours et ça ne l’avait jamais dérangé de suivre mes cours plutôt que les siens. Pendant les trois prochaines heures, je suis concentrée, efficace. Mon stylo à encre liquide glisse sur le papier avec un bruit délicat et libère une odeur que j’adore. Les mots s'enchaînent à une vitesse apaisante.

Mon esprit se libère mais la réalité revient trop vite en place lorsque je regarde la place à côté de mon sac vide. Je me suis habituée à sa présence et rien que passer quelques heures sans elle, cela me paraît surréaliste. J’ai l’impression qu’une partie de moi manque à l’appel. Ce n’est pas un trou béant mais j’ai l’impression d’avoir une fuite en énergie, je veux voir mon amie et en même temps l’éviter.

En parlant de personnes que j’évite, passons à mes frères et au sermon monumental dont j’ai eu le droit durant l’assemblée générale créé d’urgence. Bien entendu, mes parents n’étaient pas présents. Je ne suis même pas certaine  qu’ils soient au courant de mon hospitalisation, je ne les ai même pas vu pendant ces deux jours. Est-ce qu’ils sont rentrés d’ailleurs ? Pendant plus de deux heures, je n’ai pas prononcé un mot mis à part : “je suis désolée”, “cela ne se reproduira plus”. Une lutte face à eux tous, merci mais non merci. C’est comme lutter lorsqu’un ouragan arrive, on ferme les volets, on met tout en place pour lutter mais on ne peut pas le détourner. Ici, la meilleure solution est de dire oui à toi, de retenir quelques règles qu’ils imposent et de les tenir pendant quelques semaines. J’ai tenté une seule fois de profiter de cette assemblée pour qu’on m’explique ma surprotection et mon accident d’enfance. Ce fut un non-catégorique après un bref aparté, quelques voix étaient en ma faveur soulignant que j’étais assez grande pour comprendre mais Tristan a réussi à les convaincre de l’inverse. Il allait falloir que je tente ma chance une autre fois.