👑 CHAPITRE 14 👑

Je l’ai sentie. La main me poussant du haut des escaliers menant à la bibliothèque royale. Je l’ai sentie et malgré ça, je n’ai rien pu voir. Pas même une ombre. Qui était-ce alors ? Un domestique ? Un noble ? Un visiteur ? Je n’en sais rien. La liste des gens ayant comme souhait ma mort n’en finit pas tandis que celle de mes potentiels alliés, elle, s’amoindrit. A force, je finis par croire qu’un beau jour l’un d’eux réussira son coup et peut-être même qu’il ou elle en sera récompensée(e) comme un chasseur que l’on félicite d’avoir abattue sa proie. Bien des pièges demeurent encore dans le palais et je peine de plus en plus à me battre contre chacun d’eux. Je présume que ceci sert comme avertissement au cas où j’aurai envie de poursuivre l’aventure. Malheureusement pour le ou la malheureuse ayant tenté sa chance, je suis plus coriace que je ne laisse le croire.

Revenant alors à moi, je ne peux que constater avec stupéfaction le désordre régnant autour de mon lit : tout un attirail d’appareils médicaux. C’est peut-être la première fois que j’en vois autant dans ma chambre.

- Vous savez, habituellement les êtres humains ne volent pas. Ils courent tout au mieux.

Je reconnais cette voix.

- Que voulez-vous ? Je ne cesse de me surpasser !

- Et cela vous fait rire ?

- N’est-ce pas Son Excellence qui a commencé ?

Près de la fenêtre se tient une silhouette aux manches retroussées jusqu’aux coudes et aux mains croisées dans le dos comme au garde à vous tandis que cette dernière ne se retourne qu’uniquement pour me fusiller du regard, me jugeant probablement coupable d’un crime qui n’est pas le mien. J’ai l’habitude. Je connais ce regard, je ne l’ai vu que trop de fois posé sur moi.

- Avec tout le respect que j’ai pour Son Altesse, je ne suis guère d’humeur propice à la plaisanterie, dit-il sèchement.

- Puis-je savoir ce qui vous a ainsi contrarié ?

- Je doute fortement au vu de vos grandes capacités intellectuelles, que vous ayez besoin que je vous fasse un dessin. Je veux dire... regardez autour de vous.

Quand bien même, j’avoue avoir grande peine à saisir le lien entre mon état et son apparente colère. Ce n’est pas comme si j’avais pour première passion de chuter volontairement dans les escaliers en espérant me rompre le cou ou m’ouvrir le crâne. A vrai dire, je préférerais même éviter ce genre de scénario étant donné que ces derniers sont recouverts par un tapis aux motifs que j’apprécie particulièrement et le tâcher me désolerait.

- Ce genre d’incident est... plutôt fréquent, rajouté-je

- Dites-vous cela dans l’espoir de me voir rassurer ?

- Non.

Pour être tout à fait honnête, je ne sais même pas pourquoi je lui ai dit ça. Peut-être pour attirer sa sympathie et encore, je n’en ai que faire. Peut-être pour le prévenir, lui qui semblait si certain qu’il n’y aurait rien à craindre. La preuve que non.

Le duc se détache enfin de son point d’observation pour faire les cent pas devant le lit, grimaçant, marmonnant je ne sais quel propos tout en rongeant l’ongle de son pouce tel un enfant agité. C’est bien la première fois que je le vois se mettre dans un tel état.

- Cela ne vous rends-t-il pas furieuse ? me demande-t-il en s’arrêtant brusquement devant moi.

- Furieuse ? répété-je en plongeant mon regard dans le sien perdu dans ses propos. Duc, savez-vous que petite aucune nourrice ou domestique ne prenait soin de moi ? Quand j’étais malade on osait à peine s’approcher et on préférait envoyer une bonne sœur au cas où mon âme vienne à quitter mon corps. Elle n’était là que pour prier et rien d’autre. Plus je grandissais et plus les jeunes filles se mettaient en groupe pour me faire face et ainsi se moquer de moi, me pousser, m’humilier lors des soirées ou des journées festives. Plus d’une fois on m’a poussé dans les escaliers. Et vous savez ce que j’ai fait à chaque fois ?

- Non...

- Je suis tombée. Je suis tombée et ainsi j’ai appris à me relever.

- Ce monde me révolte. Je suis navré si je me suis emporté, ce n’est pas contre vous, mais quand la nouvelle s’est répandu, tout le monde s’est regardé, certains ont même haussé des épaules en disant “Et ?” et cela ne semblait choquer personne. Personne ne s’est précipité alors que si cela avait été les autres membres de la famille alors, je suis persuadé... Et malgré ma présence au palais, rien ne change. Je vous ai promis que je ferais de mon mieux pour vous venir en aide et pourtant, j’ai juste l’impression d’avoir aggravé bien malgré moi, votre situation. Votre Altesse, je suis...

- Désolé ? soufflé-je en souriant. 

Je lui fait signe de venir s’asseoir à mes côtés, me décalant légèrement pour lui accorder une place.

- Je présume que sans vous, je n’aurai pas eu le droit à un tel traitement alors... ne vous excusez pas. Et puis, ce n’est pas de votre faute. Les seuls responsables sont ceux qui se cachent dans l’ombre de cette haine maladive qui les ronge chaque jour un peu plus. Je ne les crains pas. Ni eux, ni ceux qui sont derrière eux. 

A quand remonte la fois où j’ai compris que je ne peux que compter sur moi-même ? Quel âge avais-je ?

- A vous voir, je ne saurais dire si vous êtes courageuse ou téméraire. Je vous savais maline, mais plus j’apprends à vous connaître et plus je dois admettre que vous m’étonnez.

- Et dire que vous n’avez encore rien vu. Mais vous savez, ceci n’a rien à voir avec le courage. C’est juste...

Juste une envie de vivre. J’ai envie de quitter cet endroit et de voir le monde. J’ai envie de voir par-delà les murs de la capital. Voir tout ce qu’il y a à voir ici et là. Je veux voyager. Je veux m’émerveiller. M’arrêter sur des paysages bluffants. Goûter aux différentes saveurs. Rencontrer, discuter et échanger avec tous ceux que je pourrais trouver sur mon chemin.

- Quelque part, je m’en fiche de gagner, le trône ne m’intéresse guère et je ne me vois pas reine pour un sous. Je ne suis qu’une enfant se déguisant en Princesse et voulant être vu comme une adulte durant le jour tandis que la nuit elle se blottie dans ses draps en pleurant silencieusement. Néanmoins, gagner le Ruler Game me permettra de dire à tous ces imbéciles “Hé ! Regardez-moi ! C’est moi que vous avez osé pointer du doigt ! C’est de moi dont vous vous êtes moqué ces dernières années”. C’est peut-être stupide comme raison, mais...

- Non, nullement. Ce n’est pas stupide. Je ne peux pas vous dire que je vous comprends car alors je mentirais. Contrairement à vous, j’ai eu une vie pleine et heureuse, pratiquement vécue à l’écart de la cour. J’ai grandi pour être l’héritier de mon père et prendre ainsi son titre à sa mort ... toutes choses en dehors de cela n’avait guère d’importance. Néanmoins, maintenant que je vous vois, que je vois contre quoi vous vous battez, je me sens quelque peu... frustré. Maintenant, je me rends compte à quel point je suis né avec une cuillère dorée dans la bouche. Un vrai fils à papa !

Sous cette description, je ne peux que l’imaginer plus petit, avec une sucette en or dans la bouche et une cuillère dans la main, rendant complètement fou l’ensemble du personnel domestique de la demeure. Alors je souris et retrouve l’exacte même description dans sa version adulte.

- Vous n’avez pas beaucoup changé depuis, soufflé-je en pouffant.

- Certes. Je me convaincs dans le fait d’avoir grandis, mais parfois j’en doute.

Un silence s’installe alors entre nous tandis que nous nous retrouvons assis l’un à côté de l’autre, dans une chambre perdant de sa luminosité au fil du temps qui passe. La nuit approche et le duc ne semble pas d’humeur à quitter mes appartements.

- Demain, deux de mes hommes seront postés devant votre chambre et un autre vous suivra, dit-il d’un ton plus ferme.

- Ce n’est pas nécessaire.

- Si, ça l’est. Avec tout le respect que je vous dois Votre Altesse, votre vie est en danger entre ces murs et je ne serais malheureusement pas toujours à vos côtés. Ceci s’appelle une mesure de sécurité.

- Son Excellence se lassera de moi bien assez vite, je n’en doute pas. Nous nous apprêtons après tout à passer trois mois ensemble.

- Et je ne doute en rien qu’ils seront probablement les plus mémorables et les plus exquis de ma vie.

- Vous vous flatter.

- Non, je vous flatte vous.

Un rire complice s’en vient rapidement balayer le silence précédent, chassant pour le moment tous les doutes et les appréhensions concernant The Ruler Game.

Je sais à quoi m’attendre et pourtant... une part de moi meurt d’envie d’y aller. Je présume que c’est ce que l’on appelle “l’excitation”.