Chapitre 14

Galopant sur le sable humide des plages le long de l’océan, après un adieu prolongé à Rose et Olidon à l’entrée de l’isthme, Tizian et Amédée rejoignirent leurs compagnons qui les avaient devancés. La petite troupe reprit son allure au pas et ils avancèrent sans entrain, le coeur lourd de s’être séparés de leurs amis.

 

La bande de sable blanc se déroulait jusqu’à l’infini de l’horizon devant eux, bordée d’un côté par la frange d’écume des vagues, et de l’autre par des dunes couvertes d’ajoncs et d’oyats. En dehors de quelques rochers noirs sporadiques qui affleuraient au dessus des flots, aucun relief ne venait troubler la monotonie du paysage qu’ils parcouraient vers le sud.

 

Au bout de quelques heures, ils aperçurent au loin des formes étranges qui émergeaient des dunes. En approchant, ils découvrirent les ruines d’une ville ancienne et inhabitée, à moitié enterrée dans le sable. Tous les bâtiments et palais avait été renversés et détruits, et leurs vestiges se trouvaient éparpillés un peu partout, comme si un tremblement de terre avait anéanti la cité et l’avait ensuite engloutie. C’était à peine s’ils distinguaient le haut d’une tour d’un mur de pierres, ou une statue monumentale des piliers d’une arche tant les formes avaient perdu leurs caractéristiques d’origine. Le vent qui soufflait en rafales venues de la mer et les embruns salés avaient déjà rongé une bonne partie des restes encore visibles de l’antique cité.

 

Ils passèrent sans s’arrêter le long de la ville fantôme, où plus aucune végétation ni vie animale ne subsistait, à l’exception de quelques crabes intrépides qui s’étaient aventurés au milieu des décombres. La cité devait parfois être submergée par des grandes marées, car certains endroits étaient recouverts de coquillages vides, d’algues sèches et de morceaux de bois. Mais ce jour-là, la mer était basse, ils ne virent au loin que l’écume des vagues qui venaient mourir au pied de ce qui avait dû autrefois être un port et qui avait désormais disparu sous les eaux et le sable. 

 

  • C’est sinistre, dit Ombeline en regardant les vestiges avec une infinie tristesse, est-ce que les gens qui habitaient cette cité ont été emportés par la mer ou recouverts par le sable ?
  • Nul ne le sait, répondit Girolam qui était lui aussi touché par le silence et le sentiment d’abandon qui régnaient en ces lieux, tout est enseveli sous les dunes, il n’y a pas de traces montrant ce qu’il est advenu des habitants. D’après la carte, il s’agissait de la ville de Der-Shappah, c’était un port prospère du pays de Méson.
  • Je ne voudrais pas rester ici pendant la nuit, poursuivit Ombeline, j’ai l’impression que les morts de la ville reviennent visiter les ruines dans l’obscurité. Éloignons-nous de ce cimetière, j’ai des frissons rien que d’y penser et pourtant je ne suis pas peureuse, mais c’est trop malsain.
  • Je partage ton sentiment, dit Zeman qui parlait peu mais observait avidement. J’ai aussi un mauvais présage, je sens des ondes néfastes tout autour de nous, et même très près de nous.
  • Je ne suis jamais venu jusqu’ici, ajouta Clotaire, mais j’avais entendu parlé de Der-Shappah comme d’une cité très animée. C’est vrai qu’aujourd’hui quand je regarde ce qu’il en reste, j’en ai froid dans le dos. On ne sait pas quel drame s’est passé, mais rien ni personne n’a résisté au séisme, et les derniers survivants, si par miracle il y en a eu, ont déserté et ne reviendront jamais dans ce lieu maudit, et je les comprends.
  • C’est très probable, confirma Tizian, on peut imaginer que cette côte est malheureusement depuis quelques temps sujette aux tremblements de terre ou autres catastrophes et que nous n’avons pas intérêt à nous y attarder.
  • Tu penses que Jahangir y est pour quelque chose ? interrogea Zilia, songeuse.
  • Oui, j’en suis pratiquement certain, répondit Tizian.
  • Qui est ce Jahangir dont vous parlez tout le temps ? demanda Désie.
  • C’est un sorcier qui veut devenir maître de l’univers, dit Tizian, et nous sommes en route pour l’en empêcher.
  • Ah ! ce sont des choses trop compliquées pour moi, fit Désie.
  • Hum, ajouta Zeman en se râclant la gorge.
  • Jahangir est décidément un bien grand magicien s’il parvient à provoquer des séismes capables d’anéantir une ville entière, dit Girolam en hochant la tête.
  • Je crois qu’il expérimente des choses, et depuis longtemps à en juger l’état de décrépitude de Der-Shappah, répondit Tizian. Il est puissant certes, mais ne nous laissons pas impressionner, nous saurons le vaincre, j’ai confiance en nous.

 

Tous se turent à l’évocation des dangers qu’ils couraient en permanence. Mais ils étaient courageux et engagés, aucun d’entre eux n’était prêt à abandonner le voyage malgré la catastrophe de Der-Shappah et les pouvoirs destructeurs de Jahangir qu’ils devraient combattre. Ils continuèrent à chevaucher silencieusement sur la plage, plus personne n’avait envie de parler et ils puisaient au plus profond d’eux la force de résister au découragement.

    

Les ruines de Der-Shappah finirent par disparaître tout à fait tandis qu’ils poursuivaient leur morne chevauchée. Zeman appréciait peu cette contrée où la flore était si maigre et éparse qu’il ne pouvait pas cueillir de plantes pour fabriquer ses potions de guérison. Il fulminait un peu sur le dos de Berthe, exaspéré par la longueur du trajet, et était pressé de quitter ce pays inintéressant. Clotaire était plus philosophe, il se réjouissait d’être avec ses nouveaux amis et le paysage lui importait peu. Désie n’éprouvait aucun sentiment, elle attendait juste que le temps passe et que l’ennui la submerge, persuadée que le chemin qu’ils suivaient ne menait nulle part car elle ne savait pas lire une carte. Les autres membres de l’équipe ne se posaient plus de questions et ne se plaignaient pas, ils savaient qu’ils devaient traverser des contrées hostiles et qu’il y aurait d’autres pays inhospitaliers à parcourir avant d’arriver au terme de leur voyage. Ils n’avaient qu’une idée en tête, progresser vers leur but sans jamais faiblir.

 

  • Prochaine étape, le port d’Athaba, c’est là que nous devrons embarquer pour naviguer vers Odysseus, le continent de Jahangir, dit Tizian pour rompre la monotonie de leurs pensées et bousculer les idées moroses de ses compagnons..
  • On ne peut y aller que par bateau ? demanda Zilia que la perspective d’un voyage en mer n’enthousiasmait guère, elle préférait les souterrains obscurs aux grands espaces de l’océan.
  • Oui, dit Girolam, c’est un continent isolé qu’on ne peut atteindre qu’en naviguant. La carte en notre possession est désormais de moins en moins précise. Elle ne va bientôt plus nous servir du tout pour nous diriger. Sur Odysseus nous devrons nous guider autrement, avec les étoiles et le soleil. A partir de notre arrivée sur les terres de Jahangir, nous serons en territoire inconnu.
  • J’espère que le port auquel nous pensons n’est pas anéanti comme Der-Shappah, reprit Tizian qui commençait à s’inquiéter de ce qu’ils trouveraient en arrivant à la prochaine étape.
  • Athaba se trouve dans le pays de Méson, comme Der-Shappah, mais à l’extrême sud, c’est le port le plus avancé pour partir vers notre destination, expliqua Girolam qui étudiait la carte lors de leurs longues soirées autour du feu et la connaissait sur le bout des doigts. Peut-être aura-t-il été épargné, il est loin d’ici, à plusieurs jours de marche.
  • Nous verrons bien si ce port est toujours debout, coupa Zeman avec agacement, toujours aussi taiseux et même plutôt maussade. C’est à souhaiter, sinon ce sera compliqué.

 

La traversée de l’océan ne lui plaisait pas plus qu’à Zilia, il n’y avait pas de plantes pour satisfaire un herboriste pendant une traversée maritime et il en avait assez du bavardage inutile des deux frères. Et plusieurs petits détails désagréables le tourmentaient, sans qu’il soit capable de savoir pourquoi. 

 

  • Sinon il nous faudra réfléchir à une autre solution, et chercher un port plus à l’ouest, répondit Girolam, qui essayait d’être conciliant malgré la mauvaise humeur du guérisseur.
  • Espérons que nous aurons de la chance, conclut Tizian. Et si nous accélérions un peu l’allure pour dégourdir les jambes de nos chevaux ?

 

Ils éperonnèrent leurs montures et partirent au galop sur le sable mouillé, à la limite des vagues, heureux de sentir le vent de la vitesse caresser leurs visages et de mettre un peu de fantaisie dans l’uniformité de leur voyage. Berthe allait moins vite mais elle tenait l’allure, Joran, Borée et Breva étaient les plus rapides, ils semblaient voler au dessus du sol, et Aquilon tentait de les rattraper sans y parvenir car il portait double charge. Puis, revenant à la raison, ils reprirent après le moment d’euphorie le rythme de la marche pour ne pas épuiser les chevaux. 

 

L’humeur au sein du groupe était plutôt morose, la plage semblait s’étendre à l’infini et n’être plus que l’unique environnement qui existait. La monotonie du paysage jour après jour les lassait de plus en plus, sans que rien ne vienne en atténuer l’ennui. Les animaux ne trouvaient pas la nourriture qui leur convenait et ils avaient pratiquement épuisé le fourrage qu’ils transportaient.

 

  • Comme les voyages sont ennuyeux, disait Désie, et dire que je rêvais de voir la mer !
  • Pourquoi avoir quitté ton hameau ? c’est toi qui a choisi de venir, grommelait Zeman. Si ça ne te plait pas, tu pourras toujours t’arrêter en route.
  • Zeman ! disait Rose doucement pour amadouer le guérisseur grognon.

 

Après quelques jours qui parurent durer une éternité, alors qu’ils ne supportaient plus de dormir sur le sable autour d’un feu de bois flotté et de manger des crabes grillés ou des coquillages et rêvaient d”autres lieux, ils virent enfin un changement au loin, des formes qui s’élevaient. Elles ne furent d’abord que des minuscules points noirs sur l’horizon et se révélèrent au fur et à mesure qu’ils s’en approchaient des parois rocheuses abruptes. Lorsqu’ils furent suffisamment près, ils décidèrent d’abandonner la plage et de grimper sur les falaises pour longer la côte sur les hauteurs et changer de perspective. Au sommet de l’escarpement, ils découvrirent avec stupéfaction des vertes prairies, un bocage et au loin un paysage de champs cultivés, de prés et d’arbres.

 

Quittant le bord de mer, ils s’enfoncèrent dans les terres et arrivèrent bientôt en vue d’un village fortifié massé autour d’une haute tour de guet. Laissant Amédée et Eostrix à l’extérieur de la palissade pour ne pas effrayer les habitants, ils pénétrèrent dans le hameau dont les petites maisons de pierre et de torchis avaient des toits de paille. Les paysans, d’abord méfiants, devinrent accueillants quand ils virent qu’ils étaient d’inoffensifs voyageurs et qu’ils avaient les moyens de payer leurs achats. Ils se restaurèrent à l’auberge avec des poulets rôtis, des cochons de lait, des choux et des navets, des pommes et des poires et passèrent la nuit dans de vraies chambres. Les chevaux eurent des carottes fraîches et broutèrent l’herbe verte et grasse des pâturages.

 

Ne voulant pas s’attarder, ils firent provisions de nourriture et de boissons et repartirent le lendemain matin à l’aube. Ils regagnèrent les rivages de l’océan, et furent bientôt rejoints par le loup et l’oiseau qui avaient probablement passé la nuit à chasser.

 

Le sentier longeait l’extrémité de l’à-pic et ils avançaient tranquillement depuis plusieurs heures lorsqu’ils entendirent un grondement assourdissant qui venait de la mer. Aussitôt ils s’arrêtèrent et regardèrent l’horizon. Une gigantesque vague, haute comme une colline, avançait à grande vitesse en roulant, alors que la mer se creusait et reculait au pied de la falaise. La vague vint s’abattre brutalement sur la paroi abrupte, faisant trembler la terre sous les sabots des chevaux. Elle fut suivie d’autres vagues aussi violentes et destructrices qui se fracassaient les unes après les autres sur la côte rocheuse. Ils firent reculer les montures, préférant se replier pour se trouver en lieu sûr. Le vacarme était infernal, ils avaient l’impression que c’était le cataclysme qui annonçait la fin du monde. Ils regardaient les déferlantes se déchaîner avec sauvagerie, et se sentaient impuissants devant cette violence incontrôlable. 

 

Au bout d’un temps qui leur parut infini, la hauteur des vagues se mit à diminuer peu à peu, l’intensité des rouleaux se calma, les lames s’espacèrent, et petit à petit les flots retrouvèrent leur aspect habituel. Quand ils furent certains qu’il n’y avait plus de danger, ils s’approchèrent du bord de la falaise et constatèrent les dégâts en bas sur la plage.

 

Le soleil couchant éclairait le chaos fantastique d’une lumière rouge sang, rendant la scène à leurs pieds encore plus irréelle. Des cadavres de monstres marins, de poissons et de coquillages, des bateaux échoués, éventrés, des morceaux de bois, des rochers, des monceaux d’algues s’amoncelaient au pied de la paroi, tout était brisé, laminé, détruit, comme écrasé par une puissance supérieure. Campé sur ses pattes au bord de l’abîme, Amédée se mit à hurler à la mort, et son cri désespéré les fit frissonner d’effroi.

 

  • Amédée, n’aie plus peur, c’est fini, calme-toi, dit Zilia qui s’était agenouillée à côté du loup et caressait son épaisse fourrure dans le cou pour l’apaiser.
  • Passons la nuit ici, proposa Zeman qui retrouvait petit à petit ses facultés après la sidération de la scène apocalyptique, nous pourrons aller voir en bas de la falaise demain matin et peut être trouverons-nous quelques trésors à ramasser.
  • Tu veux dire des pièces d’or et des bijoux ? demanda Girolam qui recouvrait lui aussi ses esprits.
  • Oui, exactement, répondit Zeman, nous avons besoin d‘argent, il me semble, pour payer notre voyage en bateau.
  • C’est juste, tu as raison Zeman, dit Tizian. La providence nous vient en aide. Ce raz de marée a-t-il touché le pays du Volcan où sont allés Rose et Olidon, ou vient-il de là-bas ? le volcan aurait-il explosé ? et Rose et Olidon, que sont-ils devenus ?

 

Soudain mortellement inquiet, Tizian devint blanc comme un linge, il n’avait plus qu’une seule idée en tête, repartir vers le nord et aller secourir Rose malgré la longueur et la monotonie du voyage.

 

  • Si Rose et Olidon ont péri à cause du volcan ou s’ils ont été emportés par le raz de marée, nous ne pouvons rien faire pour eux, dit Zilia. Je peux envoyer Eostrix voler vers eux, s’ils s’en sont sortis et s’il les trouve, il nous rapportera de leurs nouvelles.
  • Oui, je veux bien. C’est peu probable qu’ils aient échappé au raz de marée, répondit Tizian la mort dans l’âme, mais je préfère savoir ce qu’il leur est arrivé, sinon leur sort m’obsédera jusqu’à mon dernier jour.   

 

Zilia murmura quelques paroles à l’oiseau qui s’envola à tire-d’ailes vers la direction d’où ils étaient venus. Sa silhouette noire se découpait sur le ciel encore orangé alors que l’obscurité descendait inexorablement maintenant que le soleil avait disparu

 

Ils installèrent le camp en haut de la falaise et se préparèrent pour la nuit. Ils mangèrent en silence, sans même faire de feu. Tous étaient préoccupés par des pensées violentes et des questions sans fin, la précarité de leur situation et leur avenir totalement inconnu les torturaient, ils étaient à la merci de la moindre catastrophe qui pouvait arriver. Ils dormirent mal et le lendemain matin, à la première lueur, descendirent sur la plage en se frayant un chemin à travers les rochers. L’action leur redonnait un peu le moral. La montagne de déchets rejetés par la mer n’était pas stable ni solide, il leur fallait faire très attention à ne pas tomber ou s’enfoncer dans l’espèce de magma gluant. L’odeur était pestilentielle, ils étaient obligés de nouer un mouchoir sur leurs visages pour supporter la puanteur de la décomposition.

 

Girolam était resté en haut pour surveiller les chevaux avec Clotaire et Désie. Il aurait aimé fouiller dans les décombres, mais Ombeline était plus habile à chercher les trésors. Elle fut la première à repérer un coffret qui devait provenir d’un bateau. Malheureusement il ne contenait que des papiers qui avaient pris l’eau. Mais elle garda cependant la boîte métallique incrustée de débris marins. Sa deuxième trouvaille fut meilleure, le petit coffre contenait de l’or et des pierreries. Ils trouvèrent deux ou trois autres cassettes avant de remonter sur la falaise pour faire les comptes. De tous côtés la plage n’était que désolation et destruction, ils ne pouvaient pas explorer tous les débris et limitèrent leurs recherches à quelques fouilles au hasard.

 

Le soleil était déjà haut dans le ciel quand ils eurent terminé de répartir les pièces et les bijoux. Ils repartirent aussitôt, fuyant le chaos et la puanteur et s’éloignant du bord de la falaise. Ils avaient déjà repris la route depuis plusieurs heures et commençaient à chercher un lieu pour la nuit lorsque Eostrix revint. Ils virent d’abord un point dans le ciel qui approchait à toute vitesse, puis ils entendirent le bruit d’ailes caractéristique et l’oiseau fondit sur eux.

 

Il alla se poser directement sur l’épaule de Zilia qui, tournant la tête, se mit à caresser son plumage. Elle aperçut alors une petite graine accrochée à la patte de l’oiseau dans un fin mouchoir.

 

  • C’est une graine de l’arbre de paix ! s’écria Tizian. Rose a réussi sa mission et elle est sauve !
  • Et cette petite graine …,  commença Ombeline
  • Est une graine de l’arbre de paix que Rose me demande de planter sur Odysseus, du moins je le suppose, poursuivit Tizian.

 

Zilia détacha la graine de la patte de l’oiseau et la donna à Tizian.

 

  • Je la planterai au bout du monde, dit-il, soulagé de refouler l’angoisse qui l’étreignait depuis plusieurs jours.

 

Il n’avait jamais douté que Rose réussirait sa mission, et maintenant il avait la certitude qu’elle avait survécu au raz de marée. Un jour peut-être elle lui raconterait. Il cacha précieusement la petite graine dans une minuscule poche de son habit.

 

Ce soir-là, ils installèrent leur campement dans une clairière où coulait un ruisseau. Le message de Rose et Olidon était une victoire, ils avaient l’esprit plus léger et la conversation fut animée autour du feu, ils parlaient de tout et de rien mais surtout ils parlaient, ils laissaient leurs sentiments s’exprimer pour évacuer l’angoisse des derniers jours. Même Désie qui était habituellement plutôt triste participait à la conversation et essayait d’être drôle.

 

  • Ca prouve qu’elle n’a plus peur, pensa Tizian qui se souvenait des arguments de Désie pour les accompagner. Elle a perdu son mari, on peut comprendre qu’elle a eu un mauvais moment à passer.
  • Hum, quel jeu joue-t’elle ? grommelait Zeman dans sa barbe, un jour aimable comme une porte de prison et un autre bouffonne. Quelle détestable petite bonne femme !

 

Ils passèrent une nuit réparatrice et repartirent régénérés à l’aube en direction d’Athaba.

 

Le paysage changea petit à petit et la forêt se fit plus dense comme ils allaient plus au sud. La végétation était foisonnante car le climat était doux et humide grâce à l’océan et propice à la pousse des plantes, c’était un fouillis de résineux et d’arbres à fleurs, des magnolias, des lauriers, de buissons et d’arbustes couverts de bourgeons et de corolles colorées, qui poussaient au milieu de gros rochers. Zeman n’avait jamais autant vu de fleurs dans un même endroit, et était même descendu de son cheval pour pouvoir mieux les choisir et les cueillir. Après la frustration des semaines précédentes, il s’en donnait à coeur joie.

 

Sous la frondaison bienvenue pour les protéger de la chaleur et de la lumière intenses à cette heure de la journée, le chemin montait en pente douce jusqu’à la pointe sud de la côte où, au détour d’un tournant ils aperçurent en contrebas la ville d’Athaba qui s’étendait jusqu’à la mer. 

 

La chaleur était insupportable et le petit port de maisons blanches aux murs épais dormait stoïquement en plein soleil en attendant la fraîcheur du soir. Ils descendirent la rue principale jusqu’aux quais où l’activité était pour l’instant réduite et avisèrent une auberge où ils s’arrêtèrent.

 

L’aubergiste envoya un palefrenier soigner les chevaux et leur donner à boire, et s’occupa de ses hôtes à qui il proposa du vin léger et de la bière tiède. Il se méfiait d’Amédée qui montrait les crocs et d’Eostrix qui était un oiseau étrange, mais comme leurs maîtres payaient bien, il se tut. Le groupe se reposa de sa longue course jusqu’à la fin de l’après-midi, et ils bavardèrent avec le tenancier, assis à une table à l’ombre des vieux murs de pierre. Ils cherchaient à savoir quand des bateaux partiraient pour l’autre continent. L’aubergiste à l’air matois n’était au courant de rien mais faisait semblant de pouvoir les renseigner. Visiblement, tout le monde se défiait de tout le monde dans cette ville, mais les voyageurs se savait suffisamment forts et armés pour ne pas se sentir menacés dans ce milieu hostile.

 

Quand le port s’anima en fin de journée, ils firent le tour des bateaux et des marins pour trouver un navire qui partirait pour Odysseus. Les petites barques de pêche étaient nombreuses et revenaient de leurs tournée, les embarcations un peu plus importantes étaient en mer ou en réparation, mais aucun navire ne répondait à leur besoin. Ils repérèrent enfin un vieux marin cuit par le soleil et tout ridé, assis sur un banc, qui fumait une pipe. Après quelques palabres et le cadeau d’une flasque de vin, il leur indiqua qu’un bateau faisait parfois la traversée entre les deux continents et devrait arriver d’ici une semaine ou deux au port. Il leur fit comprendre que le capitaine se ferait payer très cher car ce voyage était extrêmement dangereux. En effet dernièrement le volcan de la presqu’île plus au nord avait explosé et provoqué un raz de marée, tous les bateaux qui naviguaient dans les parages avaient coulé et beaucoup de marins de la ville qui étaient en mer ne reviendraient jamais. Sur la côte d’ailleurs, il y avait encore de nombreux débris échoués que les miséreux fouillaient pour trouver tout ce qui était monnayable. La presqu’île était entièrement détruite, la zone n’était pas sûre, on ne connaîssait pas les nouveaux récifs. Bref, le capitaine, même bien rémunéré, ne serait peut être pas prêt à faire la traversée. Il faudrait très bien le payer. C’est ainsi qu’ils apprirent que le volcan avait disparu de la surface de la presqu’île.

 

Ils s’installèrent pour quelques jours à Athaba en attendant le navire qui pourrait les emmener sur Odysseus. Écoutant les conseils de l’aubergiste, ils ne relâchèrent pas leur surveillance car la région, la ville et même l’auberge étaient remplies de détrousseurs qui savaient tromper la vigilance des voyageurs. Ils faisaient très attention aux chevaux, il n’était pas question qu’on les leur vole. Heureusement, ils étaient suffisamment armés et nombreux pour que les brigands de bas étage ne les attaquent pas. Il y eut une bagarre un soir, quand un marin ivre voulut se jeter sur eux avec son couteau pour les dévaliser. Tizian et Girolam tirèrent leurs épées et firent comprendre à l’homme qu’il ferait mieux de rentrer chez lui. A partir de ce moment-là, les malfrats d’Athaba cessèrent de les importuner. Même l’arc et les flèche de Zilia finirent par les impressionner, surtout quand ils la virent tirer sur un gros rat qui attaquait un chien et tuer le rat d’une seule flèche entre les deux yeux. Ombeline volait les voleurs et s’amusait follement, même si Girolam et Tizian avaient peur qu’un brigand un peu échauffé lui donne un coup de couteau pour se venger. Ombeline ne récoltait pas grand chose dans les poches des vilains, mais les quelques pièces récupérées leur permettaient de se payer à boire sans toucher à leur cagnotte ramassée sur la plage, il faisait si chaud qu’ils avaient besoin de s’hydrater souvent dans la journée.

 

Désie qui avait quitté son village en robe de paysanne trouva à Athaba une veste en cuir et des bottes adaptées pour le voyage. Comme elle était petite et dodue, ses nouveaux habits la boudinaient. Avec ses joues rouges, sa face ronde, ses tresses nouées sur le sommet de son crâne et son embonpoint, elle avait une allure comique et elle marchait en se dandinant comme un canard, ce qui la rendait presque sympathique même si elle n’avait pas un aussi bon caractère qu’elle le prétendait.

 

Quoique dangereux à cause de l’adversité et de la ladrerie des habitants, le séjour à Athaba les reposa après leur long voyage depuis le pays d’Argent. Mais au bout de deux semaines d’attente, leurs tempéraments fougueux avaient atteint les limites de leur patience. Tous les jours ils scrutaient la mer pour voir si le bateau tant attendu arrivait, mais seuls quelques petites barques de pêche rentraient au port le soir.

 

Au bout de trois semaines, Tizian piqua une colère.

 

  • Faire tout ce chemin pour se trouver coincés dans ce trou sans même l’espoir de voir un jour un navire capable de nous emmener vers Odysseus ! Je n’en peux plus, avoua-t-il.
  • Il faut penser à une autre solution, renchérit Girolam. Le marin nous a peut être trompés. Nous devons bouger, et repartir vers l’ouest, nous trouverons un port plus loin.

 

Ombeline, qui furetait à la recherche de quelques larcins, tendait toujours l’oreille à l’affût de bruits ou d’informations qui auraient pu les intéresser. Elle avait ouï dire par quelques brigands qui trainaient dans l’auberge qu’un bateau de pirates croisait un peu plus loin en pleine mer, et abordait les bateaux qui tentaient de venir mouiller à Athaba.     

 

  • C’est pourquoi aucun navire n’accoste actuellement à Athaba, ils sont soit sabordés après avoir été dépouillés par les pirates, soit ils s’éloignent au plus vite vers un autre port quand ils repèrent les assaillants, expliqua-t-elle.
  • Des forbans ! dit Tizian, ce sont eux qui empêchent les bateaux d’arriver à Athaba ! Nous devons mettre fin à cette piraterie sinon nous ne trouverons jamais de navire pour la traversée, et le temps passe...
  • J’ai cru comprendre que les pillards débarquent la nuit sur une plage à l’ouest, et les marchandises sont récupérées par d’autres bandits qui les acheminent pour les revendre. Les pirates repartent dans l’obscurité, et personne ne voit rien, soit disant. C’est un trafic bien organisé, poursuivit Ombeline.
  • Tu as l’oreille fine heureusement, Ombeline ! dit Tizian, nous allons nous aussi aller voir ce qui se passe la nuit sur cette plage, et mettre les choses au clair. Et même, si tout se passe bien, j’ai l’idée que ce bateau de pirates pourrait être le bateau que nous attendions ...

 

Le soir même, Zeman, Désie, Clotaire et Ombeline restèrent à l’auberge avec Eostrix pour surveiller les chevaux, tandis que Zilia, Tizian et Girolam partirent à la recherche de la plage des pirates avec Amédée. Ils la trouvèrent sans difficultés, à quelques encâblures d’Athaba. Ils se cachèrent dans les buissons alentour avant l’arrivée des bandits. Lorsque la nuit fut tombée, ils entendirent le clapotis des rames sur l’eau et les pas étouffés des brigands qui venaient chercher le butin. Ils attendirent que la grosse barque pleine soit tirée sur le sable. Alors ils s’avancèrent les armes à la main, sous leurs armures de toile d’argent, et se battirent contre les flibustiers. Avec l’effet de surprise, ils eurent rapidement le dessus sur l’équipage du navire de pirates et sur les contrebandiers arrivés des terres. Bientôt le sol fut jonché de cadavres. Il ne resta plus que deux marins pleutres qui avaient tenté de s’enfuir au début de l’assaut et qu’Amédée immobilisait contre un rocher, en montrant ses crocs acérés et en grognant comme s’il était enragé. Les pirates tremblaient de peur et se laissèrent convaincre rapidement de la nécessité de se mettre au service de ces étranges voyageurs. Néanmoins, ils furent solidement attachés à un arbre, et laissés sous la surveillance d’Amédée tandis que Zilia, Tizian et Girolam allaient chercher leurs compagnons.

 

Peu après, tous les voyageurs et leurs montures repartirent vers la plage où ils retrouvèrent les deux prisonniers. Tizian et Zilia poussèrent la barque dans l’eau et y grimpèrent avec les pirates, qui ramèrent pour faire avancer l’embarcation sous l’oeil acéré d’Amédée. Ils virent rapidement se dessiner la silhouette du bateau de pirates ancré dans la baie, qui attendait le retour de la barque. Ombeline la rusée avait mis des baillons contre les bouches des deux bandits pour les empêcher de prévenir le capitaine des pirates en criant à leur arrivée.

 

Tizian et Zilia montèrent lestement l’échelle de corde et attaquèrent les quelques forbans qui restaient à bord. Le capitaine comprit très rapidement qu’il n’avait presque plus d’équipage pour se défendre et se rendit avec les quelques hommes qui restaient. Entraîné par une légère brise nocturne et piloté habilement par le capitaine sous la surveillance de Tizian, le navire gonfla ses voiles et après un court voyage; accosta à un ponton non loin du port. Ils firent monter les chevaux à bord, ainsi que tous les voyageurs, et chargèrent du fourrage, les bagages, des provisions d’eau et de nourriture pour subsister pendant la traversée.

 

A l’aube, sans que personne à Athaba n’ait vraiment réalisé ce qui se passait, pas même l’aubergiste à qui ils avaient laissé quelques pièces d’or, le bateau de pirates avait hissé les voiles et mis le cap vers Odysseus. Sur le pont, ravi de l’aventure, Tizian échangeait avec Zeman et disait qu’ils n’avaient finalement pas eu besoin d’or ni de bijoux pour payer leur voyage.

 

Un vent frais et vif gonflait les voiles et poussait le navire vers sa destination. Le ciel était bleu, constellé de petits nuages blancs ronds et dodus, et la mer calme. Le chef des pirates, le capitaine Zanzar était infiniment satisfait de cette traversée. Les voyageurs l’avait débarrassé de quelques un de ses marins les plus couards, et il trouvait la compagnie de ses hôtes très intéressante. Il aurait voulu passer du bon temps avec Ombeline qui lui paraissait la plus belle femme qu’il ait jamais vue, ou Zilia qui était visiblement une princesse, mais il n’était pas question pour lui de s’approcher des deux femmes qui savaient se défendre, et il devait se contenter de les regarder de loin, à son grand regret.

 

Zanzar était jeune, il avait la peau bistrée, les cheveux et la barbe noirs et frisés, des yeux sombres vifs et intelligents. Ses bras étaient couverts de cicatrices et de tatouages et ses doigts de bijoux. Il portait une boucle d’oreille en or à chaque lobe, l’une représentait un poulpe et l’autre était une grosse turquoise taillée dans la masse et sertie. Il était vêtu de cuir des pieds à la tête, et une rapière pendait à son flanc. Il pouvait avoir l’air menaçant quand il se redressait de toute sa hauteur et qu’il ouvrait la bouche pour un sourire grimaçant révélant une dent en or. C’est ainsi qu’il régnait sur son équipage, se levant à chaque fois qu’il y avait une contestation pour régler le problème en montrant qui était le chef. Ce stratagème ne fonctionnait évidemment pas avec les voyageurs et il dut en leur présence se résoudre à ne plus être tout à fait le seul maître à bord. 

 

Le coq du bateau, grâce au chargement de vivres fait à Athaba, avait amplement de provisions pour faire des bons plats. Désie descendait dans la cuisine  pour l’aider à choisir les ingrédients dans la cambuse et préparer les repas. Le soir, ils dînaient tous dans la cabine du capitaine des pirates, et la traversée leur paraissait être un moment d’un merveilleux raffinement. Zanzar n’était pas inculte, il avait beaucoup voyagé et connaissait toutes les mers du monde. Mais lorsque Girolam lui montra la carte du cartographe, il réalisa que le pirate ne savait pas lire et n’avait jamais utilisé de planisphère pour se diriger. Il était donc incapable de se repérer par rapport au schéma des continents et des îles, mais il savait naviguer en observant le soleil et les étoiles, ce qui était beaucoup plus poétique en soi.

 

Zeman aimait observer le ciel étoilé la nuit, il passait de longs moments avec le capitaine Zanzar sur le pont à regarder les astres. Le marin lui nommait les planètes, les galaxies et  tous les objets célestes, Zeman était stupéfait d’une telle érudition et Zanzar lui expliqua qu’il avait besoin de ces connaissances pour diriger son embarcation et qu’il avait tout appris d’un vieux pirate quand il était mousse.   

 

Après quelques jours d’une traversée calme, en pleine journée, le temps se mit à changer. De gros nuages gris arrivèrent poussés par un vent violent, la mer devint plus agitée, et soudain alors qu’aucun signe avant coureur n’avait été décelé, ils se retrouvèrent au milieu d’une tempête. Les vagues étaient hautes comme des montagnes et le petit bateau montait et descendait au milieu des paquets de mer et d’écume. Tout était trempé à bord, l’eau s’infiltrait partout et noyait les marchandises. Ils avaient mis des oeillères aux chevaux pour qu’ils ne deviennent pas fous de peur. Amédée s’était réfugié entre les jambes de Tizian, Désie était verte. Le vacarme était tel qu’ils n’arrivaient pas à se parler et résignés attendirent la fin du grain, angoissés à l’idée qu’une lame plus traîtresse pourrait retourner le bateau et l'envoyer par les fonds. C’était sans compter sur le capitaine Zanzar qui savait manier son navire et le maintenait à flot.

 

Le vent finit par baisser d’intensité et la hauteur des vagues diminua, la pluie cessa, et soudain aussi brusquement qu’elle était arrivée, la tempête s’éloigna, laissant derrière elle le bateau dans un état chaotique. Aussitôt les marins habitués aux caprices de la mer et du vent se mirent au travail pour effacer les traces de l’ouragan, sur l’ordre de Zanzar. Clotaire les aida pour quelques réparations, et avant le coucher du soleil, le navire avait retrouvé son aspect habituel, la tempête n’était déjà plus qu’un lointain souvenir.

 

Le lendemain le bateau fut attaqué par un monstre marin, une énorme bête noire et luisante qui jetait sa masse sur la coque du bateau pour le casser en deux et le faire couler. Il était impossible de lutter contre une telle créature qui glissait sur les flots et sous l’eau sans qu’on puisse anticiper sa prochaine action. Zanzar essayait d’esquiver les coups de boutoir mais le monstre semblait deviner chacune des manoeuvres, et aussi gros qu’il fût, il avait moins d’inertie que le bateau. Même le capitaine semblait désespéré de déjouer la rage de l’animal déchaîné, alors Zilia se décida à prendre son arc et enflamma une flèche. Elle guetta l’arrivée de l’animal de face, et debout sur le pont, arquée pour maintenir son équilibre décocha son trait de feu qui vint se ficher dans le front du géant des mers. Elle renouvela plusieurs fois son tir jusqu’à ce que la créature aveuglée et sanglante fasse demi-tour et aille mourir au fond d’un gouffre.

 

A partir de cet instant, Zanzar vénéra Zilia, la femme qui avait tué le plus gros monstre marin qu’il ait jamais vu.

 

Maintenant le navire était entouré de dauphins qui filaient autour de la coque à grande vitesse. Tels des lames d’argent leurs corps étincelaient au soleil et ils poussaient des petits cris aigus, comme si le départ du monstre humilié les avait mis en joie. Poussé par la brise, toutes voiles dehors, le bateau avançait fièrement à bonne allure sur les vagues moutonneuses. Les marins inspectèrent le bateau à la recherche des dégâts qu’aurait pu faire le monstre et réparèrent ce qui avait été endommagé, toujours avec l’aide de Clotaire qui devenait habile à la réfection d’un navire.

 

Vers la fin de la journée, ils virent venir vers eux un étrange équipage, un géant barbu, monté sur un char tiré par des dauphins et couvert de créatures marines, tritons, sirènes et autres personnages aquatiques. Le char vint à leur rencontre en glissant sur l’eau, laissant derrière lui une traînée d’écume longue de plusieurs lieues, et s’arrêta à leur hauteur.

 

  • Bienvenue dans mon royaume, fit le géant, je suis Lamar roi des mers et des fonds marins.
    • Bonjour, ô roi des mers et des fonds marins, répondit avec déférence Zanzar.
    • Que fais-tu ici minable pirate, demanda Lamar, ne t’avais-je pas dit de rester sur les côtes et de ne plus venir m’importuner ?
    • C’est à notre demande qu’il a mené son embarcation jusqu’ici, intervint Tizian, il est notre prisonnier, nous avons réquisitionné son bateau pour nous rendre d’Athaba sur le continent de Jahangir. Je vous en prie, montez à bord et nous partagerons une collation.

 

Intrigué par les voyageurs, le géant enjamba la rambarde et sauta d’un bond sur le pont du navire. Les voiles avaient été affalées et le bateau se balançait au gré des flots. Le roi des mers semblait à l’étroit sur le pont du navire, mais par une magie inconnue, sa taille se réduisit soudain et il fut bientôt de la même stature que les autres. Ses cheveux bouclés et sa barbe majestueuse entrecroisée d’algues et de micros coquillages entouraient son visage aux traits altiers, son corps était musculeux et puissant, sa voix portait au loin, tout en lui désignait le monarque habitué à régner et à être obéi. Il suivit Zanzar et ses hôtes et ils descendirent s’asseoir à la table dans la chambre du capitaine et se présentèrent les uns aux autres.

 

  • Je suis Tizian et voici mon frère jumeau Girolam, nous sommes les fils du roi Xénon, notre soeur Zilia, fille de Roxelle la reine des Ténèbres, Ombeline notre chère amie, Zeman notre guérisseur venu de Skajja et enfin Clotaire du pays d’Argent, notre forgeron qui répare nos armes et nos armures et Désie, dit Tizian en présentant les voyageurs les uns après les autres. Vous nous connaissez tous, nous avons également nos chevaux qui sont dans les cales, et nos deux fidèles animaux, Amédée le loup et Eostrix l’oiseau. 
    • Vous êtes une belle équipe, constata Lamar, qu’allez-vous faire chez Jahangir ?  vous êtes des ambassadeurs qui allez négocier avec lui ?
    • Absolument pas, répondit Tizian, nous venons pour le combattre. Nous sommes missionnés par notre père pour l’anéantir, car il monte une armée pour envahir nos territoires et détruire notre monde.
    • C’est un fieffé coquin, gronda Lamar, il empiète sur mon royaume sans cesse pour mener à bien ses desseins. J’habite un palais au fond de l’océan, et je suis sans dérangé par Jahangir qui vient troubler l’ordre de mes domaines. Moi seul sur cet océan ai le droit de faire la pluie ou le beau temps, quand cela me chante.
    • Mais que fait-il donc pour provoquer votre colère ? questionna Tizian.
    • Il expérimente. Il y a quelques mois, il a provoqué un tremblement de terre sous marin non loin de la cité de Der-Shappah, et il a si bien fait ses calculs qu’il a détruit intégralement la ville et ses habitants. Et il y a peu de temps, il a fait exploser un volcan non loin d’ici pour que la lave crachée recouvre la mer et permette à son armée de passer d’un continent à l’autre à pied sec. Mais ça n’a pas marché comme il le voulait, le raz de marée qui a suivi a détruit son fragile pont de lave. Ses expériences bouleversent la faune et la flore sous marines, et je ne saurai le supporter, explosa Lamar. Et puis créer un chemin sur la mer, sur mon territoire ? ce type est fou. Je veux lui faire payer son insolence.
    • C’est un magicien, il est en train de préparer sa guerre, et nous sommes là pour l’en empêcher, indiqua Tizian.
    • Que voulez-vous faire ? demanda Lamar. Vous ne me donnez pas l’impression d’être de taille à lutter contre lui, avez-vous une stratégie ?
    • Oui c’est de l’approcher et de l’éliminer dès que possible, répondit Girolam qui prit la parole à son tour.
    • Ha ha ha, fit Lamar qui éclata d’un rire tonitruant, vous pensez l’approcher comme ça, sans préparation, venir près de lui, dégainer votre épée et la lui enfoncer dans la gorge ? mais vous êtes naïfs, vous rêvez !
    • C’est bien possible, répondit Tizian, nous ne savons rien de ce qui se passe sur ce continent, nous partons totalement à l’aveugle. En fonction de ce que nous trouverons, nous improviserons une stratégie. Nos cartes sont trop imprécises pour que nous sachions même où aller une fois débarqués. C’est vous dire si nous partons de loin.
    • Et vous pensez que vous, sept personnes, même bien armées, pourrez venir à bout de ce magicien hors pair et de ses troupes ? il a conquis un continent, il est en train d’essayer de s’approprier une partie de mon royaume et pourtant la mer peut être hostile, je ne vois pas bien comment vous allez vous y prendre.
    • Nous ne le savons pas non plus, souvent la ruse nous a aidés, mais nous n’hésiterons pas à nous battre, dit Girolam qui pensait à leurs précédentes missions.
    • Je peux vous aider si vos intentions sont bonnes, dit Lamar, je vais déjà faire ce qu’il faut pour que vous arriviez vite sains et sauf sur le continent, dans un lieu sûr et secret.
    • Avec le bateau ? demanda Clotaire, soudain intéressé.
    • Oui, il s’agit d’une grotte marine, on ne peut y pénétrer que par la mer, vous verrez, le bateau sera à l’abri, répondit Lamar.
    • Mais comment ferons-nous pour sortir et nous rendre sur le continent, cela sera-t-il possible avec une simple barque, et comment ferons-nous pour transporter les chevaux ? demanda Ombeline avec étonnement.
    • A partir de ce moment-là, je ne pourrais plus rien faire pour vous, dit Lamar, vous serez sur la terre ferme. Vous vous débrouillerez, ce ne sera qu’une première difficulté, sûrement pas insurmontable.
    • Roi Lamar, si je comprends bien tout ce que vous nous avez expliqué, ce qui empêche aujourd’hui Jahangir de nous envahir c’est qu’il ne dispose pas de moyens de faire traverser l’océan à son armée ?  Et qu’il cherche désespérément une idée ? intervint Tizian
    • Je penche pour cette hypothèse, fit Lamar, où veux-tu en venir ?
    • Seriez-vous prêt à nous aider si nous réussissions à amener l’armée de Jahangir sur l’océan ? poursuivit Tizian.
    • Que veux-tu dire ? couler ses bateaux ? demanda Lamar.
    • Oui, c’est là où la ruse peut jouer, répondit Tizian.
    • Tu m’intéresses, Tizian, fils de Xénon, tu réfléchis bien.
    • Il nous faudrait un moyen de communiquer avec vous, tandis que nous serons sur les terres de Jahangir. A-t-il déjà conquis tout le continent ? interrogea Tizian.
    • Je crois bien, fit Lamar. Je vais te donner un coquillage magique. Si tu parles dedans je t’entendrai, et si tu le mets contre ton oreille, tu m’entendras.
    • Oh oh, dit Zeman les yeux brillants, j’aime cette magie !

 

Lamar donna à Tizian un coquillage irisé accroché au bout d’un fil d’or que Tizian passa autour de son cou et fit disparaître sous sa cuirasse de toile d’argent.

 

  • Ce qui est dit est dit et ne doit pas être redit, conclut Lamar, je vous emmène à la grotte secrète, et puis ce sera à vous de jouer, je serai toujours à votre écoute.

 

Ce disant, Lamar se leva et regagna le pont. Reprenant sa taille normale, il bondit avec légèreté et puissance sur son char, les créatures marines s’écartèrent pour lui laisser reprendre les rênes. Le char fila sur l’eau et bientôt même la gerbe d’écume qu’il soulevait derrière lui disparut.

 

Le vent se mit à souffler d’une manière plus soutenue et brusquement le navire fut comme soulevé et entraîné à grande vitesse. A bord, ils étaient tous stupéfaits d’une pareille aventure et regardaient défiler le paysage toujours identique, jusqu’à ce qu’ils aperçoivent au loin à l’horizon la terre se dessiner dans la lumière du soir. Puis la nuit tomba et le bateau avançait sans lumière, guidé par la brise soutenue dans la bonne direction. Ils ne voyaient pas la côte se rapprocher et étaient dans le noir absolu, juste éclairés par un rayon de lune. Soudain ils virent jaillir devant eux des falaises et une large fissure entourée de rochers, à peine visible à la lumière de la lune. Le bateau de pirates ralentit, fut poussé avec délicatesse par le vent dans l’anfractuosité rocheuse et pénétra dans la grotte pour venir s’échouer contre un banc de sable.  

 

  • Oups, nous sommes arrivés je crois ..., parvint à articuler Clotaire que la dernière partie accélérée du voyage avait rendu muet.

 

Le capitaine Zanzar alluma une lanterne pour éclairer l’intérieur de la caverne. Le bateau s’était ensablé mais se tenait debout, ils descendirent sur la terre ferme pour explorer les lieux. Aussitôt, Zilia se mit à chercher une galerie secrète qu’elle trouva facilement quelques instants plus tard.

 

  • Nous pourrons partir par là, indiqua-t-elle, la galerie est large et nous pourrons emmener les chevaux.
  • Descendons les bêtes et récupérons nos affaires, dit Girolam.

 

Des pierres furent roulées et des planches arrimées pour faire une sorte de pont qui allait du navire vers le banc de sable, et les chevaux furent débarqués avec leur chargement.

 

  • Et nous, qu’allons-nous devenir, gémit Zanzar, nous n’allons pas rester coincés ici ? et je n’ai pas envie de mettre les pieds sur cette terre inhospitalière.
  • Tu n’as pas beaucoup de choix, répondit Tizian, ou tu viens avec nous, ou tu restes ici et tu essaies de repartir avec ton bateau, ou encore tu prends une de tes barques et tu tentes d’accoster ailleurs.
  • On va essayer de partir de notre côté, et on verra ce qu’on peut faire sur ce continent, tout ceci ne me dit rien de bon, dit Zanzar, résigné mais bien décidé à ne ne pas se soumettre.

 

Tandis que les voyageurs montaient à cheval et s’engageaient dans la galerie souterraine, Zanzar et ses pirates essayèrent de décrocher une barque de leur navire. Au même moment, un grand bruit se fit entendre et la fissure de la grotte fut définitivement refermée par un éboulement de rochers. Il n’était désormais plus possible de fuir par la mer.

 

  • Il ne te reste plus qu’un choix, dit Tizian qui fermait la marche à Zanzar.

 

Zanzar, fou furieux de se retrouver prisonnier de la caverne, était rouge de colère et donnait des coups de pieds dans le bateau, il crachait, jurait et grimaçait et son visage tordu de rage était méconnaissable. Les quelques  compagnons de piraterie qui lui restaient le regardaient, et n’osaient pas se moquer de lui car il était ridicule, mais ils le craignaient. Enfin Zanzar, qui ne s’était toujours pas calmé, leur fit signe de suivre Tizian.

 

Les pirates n’avaient pas de montures, aussi marchèrent-ils avec réticence, grognant, soufflant et protestant contre cette nouvelle mésaventure. Quant aux voyageurs, hormis Désie qui semblait toujours indifférente à tous ces mystères, ils ressentaient le frisson de la l’inconnu et la satisfaction d’avoir enfin atteint Odysseus et, guidés dans le noir par Zilia, avançaient à l’aveugle dans l’étroite galerie.

 

Pendant ce temps, bien loin de là, de l’autre côté de l’océan, le roi Matabesh et ses armées arrivaient à Astarax, un port du pays de Meson à l’ouest d’Athaba, et installaient leurs campements dans la ville et ses environs. Le roi se mit à négocier avec tous les artisans qu’il put rassembler la construction de navires de guerre pour traverser la mer. Il faudrait plusieurs mois pour entreprendre le voyage, d’ici là Matabesh avait l’intention d'entraîner ses soldats à combattre et de forger de bonnes armes.

 

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haroldthelord
Posté le 20/06/2021
Salut

On retrouve l’équipe, tu les avais laissé de côté et les revoilà. Ils ont subi enfin je le suppose une attaque des scarabées et puis on passe à autre chose. J'ai été surpris de les revoir comme ça sans explications. Un nouveau allié arrive et il les estime toujours pas prêts pour affronter Jahangir. Quand seront-ils prêts ?
Belisade
Posté le 21/06/2021
Bonjour haroldthelord

L'histoire raconte la préparation du groupe pour le combat contre Jahangir, c'est la mission que Tizian et Girolam se sont engagés à accomplir. Au fur et à mesure de leur voyage, ils s'équipent, ils progressent dans leurs savoirs, leurs pouvoirs grandissent. Mais ils tâtonnent beaucoup aussi car ils sont toujours en terrain inconnu, ce qui peut être assez angoissant. Aussi ils ont besoin d'être plusieurs pour être forts, se soutenir et toujours passer les épreuves qui sont de plus en plus difficiles. J'espère que leur rencontre avec Jahangir ne te décevra pas ... s'ils réussissent à aller jusqu'au bout. A ce stade, ils ne sont pas encore prêts à le combattre ...
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