Chapitre 13 : Alliances

 

Le soleil se couchait lorsqu’ils atteignirent le bord du plateau de Tiriyoz. À cet endroit la prairie grasse s’interrompait brusquement pour plonger le long de falaises brunes jusqu’au sol du désert. Au delà, l’or reprenait ses droits sur le vert des prés, bien que ceinturé à l’ouest par une chaîne de montagne qui élevaient leurs crocs dentelés vers le ciel rougeoyant.

— Profitons de la dernière nuit en hauteur, lança Camma. Et de la vue !

Elle s’avança jusqu’au bord de la falaise, insouciante. Keira s’approcha prudemment, les yeux tombant sur le vide rocailleux qui se dévoilait peu à peu. La Galate se pencha, ses bijoux et sa natte se mirent à pendre dans le vide. Un coup de vent, et elle chutait.

— Attention quand même… fit Keira.

Camma se tourna vers elle, le regard indéchiffrable.

— N’est-ce pas grisant ?

Elle leva un pied, en équilibre.

— On se sent vivant !

Une bourrasque la fouetta, le cœur de Keira rata un battement. Mais elle demeura plantée dans le sol, défiant fièrement la falaise. Ses étoffes claquèrent furieusement, sifflant contre les rafales.

— Ça suffit, fit soudain la voix d’Azelion.

Camma remit son pied au sol et se retourna, une étincelle joueuse dansait dans ses iris bleus.

— D’accord, dit-elle en se détournant du vide.

Azelion la fixa intensément, sans rien dire. Il soupira, avant de s’approcher de Keira, un morceau de de tissu à la main.

— Tiens, grinça-t-il.

La Sylvienne se saisit prudemment de la broderie qu’elle déplia sous le regard incisif du Teshl’i. Le lin blanc se parait d’une forme sombre, nébuleuse, qu’elle ne reconnu pas tout de suite.

— Mais… c’est une panthère.

— Un totem puissant.

Il désigna son ventre auquel était accroché une étoffe similaire. Ce qui ressemblait à un renard auréolé de soleil y était représenté.

— Nous faisons comme ça pour les totems, puisque nous sommes tout le temps couverts. Maintenant, tu ressembles vraiment à une Galate.

Keira caressa le tissu rêche, un sourire s’épanouit sur son visage.

— Merci, souffla-t-elle. Pour tout ce que vous faites.

Il ne répondit pas, se contant d’un dernier coup d’œil dur avant de retourner à son ouvrage.

— Oh, regardez ! s’écria soudain la voix de Camma.

Toutes les têtes pivotèrent la direction qu’elle pointait. Une silhouette élancée slalomait, empressée, entre les buissons.

— C’est mon animal totem ! expliqua l’Assal’i en saluant le loup-renard.

Roux, un peu plus petit qu’un loup, mais tout aussi élégant, il portait bien son nom. En revanche, il ne sembla pas convaincu par les cris de Camma. Il accéléra le pas et disparut vite dans le paysage.

— Ah, je les adore, soupira la jeune femme.

 

 

*

 

Les pas d’Hedverêt résonnaient sèchement dans les hauts couloirs vides. Les murs décorés de fresques sibyllines murmuraient des échos à Lohan, laissant parader leurs secrets antiques sous ses yeux attentifs. L’Impératrice le mena jusqu’à une salle aux dimensions plus raisonnables que précédemment. Ici, la dureté du marbre et de la pierre s’adoucissait derrière des rideaux de soie blanche et des tapisseries raffinées. La pièce s’ouvrait sur un balcon offrant la grande Hekkora au regard. Malgré la misère criante qui se faufilait dans les ruelles pâles, la cité demeurait magnifique.

Hedverêt s’assit à l’unique table du boudoir, Lohan limita sans un mot.

— Je vous remercie de l’alliance que vous m’offrez avec Naotmöt, malgré la réaction puéril que son prince vient de nous offrir, déclara-t-elle en fixant le paysage lointain.

— Je m’excuse pour son comportement. Même si, malheureusement, cela ne m’étonne pas de lui.

L’Impératrice exsuda un long soupir qui s’acheva en un silence feutré.

— J’aimerais pouvoir me passer de son aide. Mais je suis acculée.

Elle tourna ses prunelles d’émeraude vers le visiteur.

— Savez-vous ce qui se trame ici ?

Lohan hocha gravement la tête.

— L’Ordre n’est qu’à quelques semaines d’ici, son armée est composée en partie par vos sujets rendus dépendants de l’apport en sigdirin. Je ne pensais pas que cette plante pouvait se cultiver, mais il semblerait que la Trinité a trouvé le moyen de la produire en masse. Et de l’utiliser.

Hedverêt serra le poing qu’elle avait posé sur la table.

— Cette méthode est aussi ignoble qu’efficace. C’est une véritable torture de voir mon peuple réduit en esclavage marcher contre moi. Toute mon armée siège ici, pourtant je sais ma victoire bien incertaine.

Lohan baissa les yeux. Pour la deuxième fois en trop peu de temps, il se sentit terriblement impuissant.

— Je crains ne pas pouvoir vous apporter plus que le prince de Naotmöt et mon soutien personnel. L’Empire talien est lui-aussi dans une situation catastrophique, il n’est pas, pour l’heure, capable de faire front avec vous.

— Je sais. Il semblerait que les dieux nous aient abandonnés.

Ses iris las se perdirent un instant dans le ciel imperturbable. Puis, elle se tourna de nouveau vers l’exécuteur, résolue.

— Malgré tout, se rendre n’est pas une option. Je sais ce que l’Ordre fait à la population qu’il assujettie. Il est hors de question que mon peuple subisse cela. Je ne laisserai pas ces fanatiques profiter de la faiblesse de mes gens. Dès que leur armée atteindra le pont d’Houghên, au nord, je lancerai la mienne à son assaut. Ils ne parviendront pas jusqu’à la capitale.

Lohan se redressa.

— Si vous le souhaitez, je peux combattre à vos côtés.

— Non.

Il resta muet, en suspens.

— Je sais que l’Étoile de la Rébellion a d’autres desseins pour vous. Vous devez mener une expédition en Terre morte et ramener l’héritier de Naotmöt vivant dans votre cité souterraine. Et puis… j’ai une requête personnelle à vous confier.

Lohan retint un soupir. Adhara ne le lui pardonnerait pas s’il périssait à Hekkora. Elle trouverait un moyen de le punir même dans la mort. Les ombres s’agitèrent sous sa chaise, portées par la rage qu’il le traversait.

— Quelle est cette requête ? s’enquit-il en tentant de les contenir.

Le visage anguleux d’Hedverêt parut s’adoucir l’espace d’un instant. Un soupçon de mélancolie perla sous son expression dure, avant d’être immédiatement chassé.

— S’il m’arrivait malheur, j’aimerais que vous preniez soin de mes adelphes. Miane a quatorze ans et souffre de la malédiction de Hêk, et Sethy n’a encore que onze ans, il est très intrépide — trop, sans doute. Je veux que vous les meniez jusqu’à votre ville secrète, je sais qu’ils y seront en sécurité.

Lohan s’inclina devant l’Impératrice.

— Je m’en assurerai.

— Bien, merc…

Des éclats de voix retentirent dans le couloir. Hedverêt se leva, les sourcils froncés. La porte s’ouvrit à la volée et Azad apparut. Un garde surgit alors et l’attrapa par le bras.

— Je vous ai dit que vous n’aviez pas le droit de venir ! s’écria-t-il, furieux.

— Lâchez-moi avant que votre tête ne vole par-dessus le balcon ! répliqua le prince.

Il mit la main sur le pommeau de son sabre, vite imité par le Hâr.

— Cessez cela immédiatement, tonna l’Impératrice.

Les deux hommes s’immobilisèrent et se tournèrent vers elle.

— Laisse-le entrer, Shaffra.

Le soldat s’agenouilla aussitôt devant sa souveraine.

— Je m’excuse de vous avoir dérangée, ô Hêk-Atep. Je ne pensais pas aller contre votre volonté. J’accepterai votre punition avec honneur.

— Il n’y en aura pas. Retourne à ton poste et ne te préoccupe plus de ça.

Shaffra hésita un instant, avant de hocher la tête, faisant tressauta la tresse survivante sur son crâne chauve, marque de sa caste.

— Merci pour votre clémence, ô divine élue.

Il se retira à reculons et ferma la porte avec  révérence. Azad épousseta ses vêtements, l’air indigné.

— Votre hospitalité laisse à désirer, remarqua-t-il.

— Que voulez-vous ? trancha Hedverêt pour toute réponse.

Elle avait retrouvé son impassibilité implacable et glaciale. Le prince prit une inspiration difficile.

— Je… suis disposé à ce que nous établissions une alliance comme prévu.

— Bien.

— Et… je vous demande d’oublier mon éclat de toute à l’heure.

— Certainement.

— Je tiens à faire remarquer qu’il n’était cependant pas totalement incongru. Vous ne vous êtes pas montrée méritante de l’aide que je vous offre.

— Attendez-vous que je m’excuse ?

— Sans aller jusque là, je pense que…

— Je m’excuse.

Azad demeura un instant coi, semblant douter de ce qu’il venait d’entendre.

— Eh bien… je… j’accepte vos excuses.

— Et j’accepte celles que votre fierté se refuse à me donner.

Hedverêt s’avança vers son futur mari. L’aridité de son attitude s’ourla d’une nuance amusée.

— N’oublions pas que nous avons un ennemi commun, dit-elle. C’est contre lui que nous devons concentrer notre attention, pas en de risibles querelles.

Le prince talien reprit contenance. Un sourire souleva le coin de ses lèvres décorées d’un labret en or.

— Je suis bien d’accord. Je n’ai pour l’instant pas les moyens de vous aider, mais la rébellion gronde dans mon pays. D’ici peu, nous pourrons lancer une contre-attaque.

Hedverêt hocha la tête, sa stature digne rehaussa la détermination qui flamboyait sur son visage. Lohan s’autorisa, lui-aussi, à espérer.

 

 

*

 

Ils quittèrent le plateau à l’aube, Camma et Jildaza les menèrent jusqu’à un chemin tortueux qui descendait le long des pics de roche. Ils l’empruntèrent, avançant prudemment sur le sol inégal. Keira avait le vertige sur son dromadaire, mais elle ne se plaignit pas. Elle enviait les Kaol’i, les Hekaours galates, les seuls à monter des chevaux. Elle n’était pas la seule, d’ailleurs. Rhun arborait un visage vaseux, dodelinant sur son camélidé.

— Ça me donne le mal de mer ces bestioles, confia-t-il à la jeune femme qui s’esclaffa doucement.

Ils atteignirent rapidement une zone moins escarpée et purent continuer leur descente au milieu d’une végétation frêle. Un plis soucieux barrait le front de Jildaza.

— On va devoir faire un détour par le fleuve, déclara-t-elle au convoi. On a plus beaucoup d’eau.

Keira essuya son front perlant de sueur. Elle remit sa coiffe galate alors que le jour qui se levait faisait peser des rayons lourds sur les voyageurs.

Ils firent une pause au zénith, tapis sous un amas rocailleux et son ombre salvatrice. Jildaza, toujours anxieuse, grimpa au sommet rocher pour observer les alentours. Malgré son bras manquant, elle faisait montre d’une agilité surprenante. Après avoir balayé le paysage du regard, elle redescendit prestement.

— J’ai trouvé une marre ! annonça-t-elle. On va pouvoir y chercher de l’eau, mais elle est infestée de crocodiles.

— Comment va-t-on faire, alors ? s’enquit Gala.

La Kaol’i lui servit un sourire espiègle.

— On va se faire des provisions, pardi !

— Vous… vous allez les chasser ?

— Bien sûr ! Vous avez qu’à nous accompagner !

Elle jeta un œil amusé en direction de Keira.

— Tu voulais savoir comment j’ai perdu mon bras, non ? Tu vas vite comprendre. Allez, tout le monde, en route ! Préparer moi les cordes et les crochets ! Plus vite que ça !

Les Galates s’activèrent et rassemblèrent le matériel demandé sous les yeux dubitatifs des Sylviens. Ce derniers n’avaient vu leurs premiers reptiles que quelque semaines auparavant lorsqu’un malheureux gnou s’était fait entraîné en eaux profondes malgré ses furieuses ruades. La vision de la longue gueule garnie de crocs demeurait encore vivace dans la mémoire de Keira.

— Bien, on y va !

Jildaza se tourna vers elle.

— Bah alors, vous venez, les planqués ? Faut profiter du spectacle !

— Je… je vais rester ici, balbutia Gala.

— Moi aussi, dit Oèn, les yeux baissés vers le sol.

— Moi je viens ! lança fièrement Cadfael, imité par Idris et Calybrid.

— Je suis trop maladeu, couina Rhun, le visage écarlate.

Haul ne répondit pas, il resta assis contre le rocher, occupé à tailler un énième morceau de bois. À chaque fois qu’il finissait ses sculptures, il les jetait d’un air dédaigneux et recommençait, sans mot dire. Inlassablement. Keira haussa les épaules, tout chez lui était une énigme de toute façon.

— Je viens, déclara-t-elle.

— Moi aussi, je suis curieuse, ajouta Ealys.

— Bon, génial, mais dépêchez-vous, on a pas que ça à faire !

La petite troupe se mit en route, abandonnant le reste du convoi à l’ombre relativement fraîche du massif rocailleux. Après de longues minutes de marche sous un soleil pesant, ils arrivèrent en vue de la marre. À peine plus grande que la place centrale d’un village, elle recroquevillait ses eaux brunes dans une cuvette. L’onde boueuse, immobile, paraissait vide, mais lorsqu’ils s’approchèrent, une ombre affleura la surface.

— Ils ont tous plongés en nous entendant arriver, remarqua Jildaza. Ils sont affamés.

Elle jeta un œil à la trace desséchée laissée par la rivière qui devait jadis alimenter cette cuvette.

— La sècheresse dure, cette année. Ils se sont trouvés piégés, ils vont mourir lorsque l’eau se sera totalement évaporée. Enfin, on va les tuer avant ! En place tout le monde !

Les Kaol’i se déployèrent autour de la marre, armés de cordes et de crochets. Des masses sombres se mouvaient lentement sous la surface brune.

— Observez, on vous fera participer après ! lança Jildaza à l’attention les Sylviens. Allez, vous autres !

La Galate se délesta de la plupart de ses étoffes et descendit prudemment dans la cuvette, une longue corde à la main. Elle ralentit ses mouvement au fur et à mesure de son avancées. Ses iris noisette fixaient intensément l’onde où se profilait des monstres écailleux. Après un interminable dernier pas, elle atteignit l’eau. Deux camarades la suivaient, un peu en retrait. Un silence étouffant se trainait sur la scène, tous se tenaient désormais presque immobiles.

Puis, Jildaza lança le bout de sa corde dans la marre. Des gerbes d’écume explosèrent alors. Une gueule démesurée fendit la surface.

— Maintenant !

La Galate tira sur la corde, le reptile de cambra et résista, sa tête émergée. Les deux acolytes de la jeune femme se précipitèrent sur lui. L’un passa une corde autour des mâchoires du monstre tandis que l’autre attrapa de pleine main la nuque écailleuse de la bête.

— Vite ! pressa Jildaza, les pieds s’enfonçant dans le sol tant elle tirait sur la corde prisonnière.

Les deux Kaol’i ne se firent pas prier. Alors que le crocodile, surpris, tentait désespérément de rejoindre l’abris de la marre, ils lui enfoncèrent des crochets dans le cuir et commencèrent à la tirer hors de l’eau. La bête crissa, se débattit, mais d’autres hommes vinrent ajouter leurs forces à celle des trois chasseurs pour le tirer sur la terre ferme.

L’animal sa cabra, le sang maculant le sable rêche. Dès qu’il fut totalement sorti de l’eau, Jildaza relâcha la corde et se laissa tomber sur lui, tandis que ses camarades attrapaient ses pattes. Malmenée par ses soubresauts, elle se saisit néanmoins d’une profonde dague qu’elle planta à l’arrière de la tête de sa proie. Après quelques spasmes, le reptile s’immobilisa.

Les Kaol’i le transportèrent alors hors de la cuvette, victorieux.

— Alors comment vous avez trouvé le spectacle ? s’enquit Jildaza, les mains couvertes de sang.

Les Sylviens échangèrent un regard.

— Vous êtes fous… commenta Cadfael.

La Galate éclata de rire.

— Bah, c’est impressionnant mais ce n’est pas aussi dangereux que ça en a l’air ! Vous voulez m’aider pour le second ?

— Heu… sans façons, refusa le champion des Ardyens, blême.

— Je vais m’abstenir aussi… fit Calybrid.

— Et moi donc… renchérit Ealys.

Jildaza fit la moue avant de se tourner vers Idris et Keira.

— Et vous ?

— Bien sûr que je vais essayer, fit l’Adanate.

La Laevi, elle, jeta un œil au cadavre brunâtre du monstre.

— Je veux bien tenter…

— Parfait !

La Kaol’i l’attrapa par l’épaule en une bourrade espiègle.

— Bon, vous allez juste servir à le tirer hors de l’eau une fois qu’on l’aura muselé. Je suis pas folle, je vais pas risquer des novices en première ligne.

Elle tendit son moignon de bras avec un sourire en coin.

— J’ai compris la leçon, la première fois !

— Qu’est-ce qu’il s’est passé, exactement ? s’enquit doucement Keira.

Jildaza se figea brièvement, avant de poser la main sur son menton comme si elle réfléchissait.

— J’avais treize ans et je voulais prouver à Padparazil que j’étais une grande chasseresse. Moralité, c’est lui qui m’a sauvée. J’ai eu de la chance, ce jour-là. Pas comme Izal.

— Izal ?

— Il était avec moi. On faisait toujours nos bêtises ensemble. Ça a été sa dernière.

— Je… je suis désolée.

— Ah mais arrête de t’excuser comme ça !

Keira reçut une nouvelle bourrade.

— Toi aussi tu as dû en commettre des erreurs, non ? reprit Jildaza d’un ton plus doux.

La jeune femme ne répondit pas, se contentant de baisser la tête.

— Tout le monde en fait, conclut la Galate.

— Jil’, qu’est-ce que tu fous ? railla un Kaol’i.

— J’arrive, en position !

Les Sylviennes la suivirent jusqu’au rebord de la cuvette.

— Reste là et imite Fo’, indiqua la meneuse en désignant un de ses camarades. Idris, va avec Ar’.

Le dénommé Fo’ lui accorda un bref sourire.

— Dès qu’ils ont planté les harpons, on va aller les aider à tirer, expliqua-t-il.

La jeune femme hocha la tête et se plaça à ses côtés.

Elle fixa Jildaza tandis que cette dernière entama une longue et silencieuse descente. Le cœur de la Sylvienne battait furieusement dans sa poitrine, mis au supplice par cette attente tortionnaire. Lorsque la Kaol’i lança dans l’eau le bout de sa corde, elle sursauta. Pourtant, rien ne se produisit. La chasseresse commença à agiter son instrument, d’abord doucement, puis de plus en plus fort. Keira jeta un œil inquiet à Fo’ qui observait la scène, imperturbable. Soudain, un bruit d’éclaboussures retentit. Elle vit Jildaza disparaître derrière une gerbe d’écume. Ses compagnons bondirent en avant et muselèrent le crocodile qui s’était laissé berner.

— Tiens toi prête, souffla Fo’ en bandant les muscles.

Elle opina et l’imita.

— Maintenant !

Elle s’élança, dévala la cuvette et attrapa la corde relié au crochet. L’animal se cabrait férocement, elle sentait chaque coup secouer ses doigts tandis qu’elle luttait pour rester accrochée. Elle planta fermement ses talons dans le sol et tira, reprenant le rythme de ses camarades. Ses paumes la brûlaient, mais elle les ignora. Elle ne voyait presque rien, trop de gens se bousculaient autour d’elle, tout ce qu’elle sentait était les soubresauts puissant qui menaçaient de lui arracher la corde des mains. Enfin, les secousses se turent. Elle relâcha sa prise avec un soupir de soulagement.

— Ah mince ! s’exclama Fo’ en avisant ses paumes rougies. J’ai oublié de te donner des gants.

Elle cligna des yeux plusieurs fois, muette. Puis, un rire irrépressible s’empara d’elle.

— Heu… ça va ?

— Qu’est-ce que t’a fait à mon invitée, Fo’ ?! tonna la voix de Jildaza.

Keira parvint enfin à se calmer, les abdominaux douloureux.

— C’était… intense, confia-t-elle en essuyant les yeux. Et oui, je veux bien des gants pour la prochaine.

— Parfait ! fit la meneuse. T’en as à revendre, j’aime ça !

Elles échangèrent un sourire complice alors que Fo’ courait chercher les protections. La jeune femme jeta un œil au ciel implacablement bleu. L’espace d’un instant, elle avait oublié sa chaleur écrasante.

 

*

 

— Tu ne me félicites pas ? taquina Adhara au sortir de la réunion qui l’avait consacrée.

Bénen émit un grognement d’ours pour toute réponse.

— Je sais, je sais, cette responsabilité fait de moi une cible. Et je serai prudente. Pour l’instant, laisse-moi juste savourer le goût du pouvoir.

Elle inspira l’air renfermé des sous-sols du temple comme s’il portait les effluves les plus délicieuses. Sa chaîne d’argent semblait être en osier, sa robe en soie légère, et son corps en coton. Elle avait réussi, et l’envie de le hurler au monde entier la chatouillait intensément.

— Madame ! appela soudain une voix veloutée.

Adhara se retourna, tout sourire. Wilhelm apparut dans l’angle du couloir, tout aussi joyeux. Le matin même, pourtant, il était sûr de devenir le maître de la rébellion. Il avait l’air plutôt bon perdant.

— Votre Majesté, quel plaisir !

— Plaisir partagé.

Il se fendit d’un baise-main cajoleur sous le regard exaspéré de Bénen.

— Je tenais à vous féliciter personnellement pour cette consécration.

— Je vous remercie, mon prince.

Elle lança une œillade mutine son père adoptif.

— Tous n’ont pas la bonté de me congratuler.

— Je vais faire un tour, grinça le combattant avant de s’éloigner d’une démarche pesante.

Wilhelm n’avait pas accordé un regard au vieil homme, tout à son opération de séduction. Malgré son rang de naissance, il avait compris comment se placer face à sa nouvelle supérieure.

— Je suis impressionné par la manière dont vous avez retourné la situation, toute à l’heure, dit-il de sa voix mélodieuse. À croire que vous aviez tout prévu.

— Mais j’ai tout prévu.

Adhara poussa la porte de sa chambre, et y invita le prince.

— Je savais que vous alliez voter pour Nuniq par défaut, persuadé d’être élu vous-même. J’ai donc demandé à Verrès de vous imiter, et je suis venue compléter les trois voix.

La jeune femme marcha jusqu’à sa table de chevet et y déposa la sa chaîne étoilée.

— Mais pourquoi Nuniq n’a-t-elle pas voté pour moi ? demanda le prince en détaillant chacun de ses mouvements.

Adhara libéra ses cheveux de son chignon serré, avant de ses secouer ostentatoirement.

— Je vous l’ai dit, pourtant. Elle refuse de voter pour le représentant du peuple qui opprime le sien depuis des siècles. Elle a été blessée par cette demande de Bathilda, j’ai donc pu la convaincre de m’écouter. Elle est réellement impliquée dans la réussite de la rébellion, bien plus que dans la sienne. Et, sans vouloir vous offenser, elle ne pense pas que vous feriez un bon chef.

— Ah oui ?

Le prince s’approcha, franchissant le cercle invisible des relations personnelles. Sa séduction stratégique se mua en un mélodie moins innocente. Adhara se démaquilla soigneusement sous ses yeux dévorants, faisant mine d’ignorer les sous-entendus qu’il glissait dans ses œillades.

— Je lui ai recommandée de voter pour Bathilda. Après tout, elle reconnait la valeur de notre chère guerrière du Roc, cela ne lui posait pas tant de problèmes. J’ai fait comme avec vous : le premier tour était là pour vous prouver que j’avais toutes les cartes en main. À vous, ensuite, d’en déduire la marche à suivre.

Wilhelm s’esclaffa, sa main ornée de bagues vint relever sa crinière brun-roux.

— Et la triche de Bathilda ?

— C’était prévu. En voyant une voix pour elle, elle a pensé que c’était celle Nuniq. Parmi les trois voix qui m’étaient donnée, il y avait la vôtre, celle de Verrès, mais pas la sienne. Elle a donc cru que c’était la mienne.

— Elle doit sûrement vous maudire depuis les cachots.

Adhara s’assit doucement sur son lit, ses iris parcoururent doucement les replis des draps brodés.

— Je l’en libèrerai bientôt. Je compte bien en faire une alliée, puisque je ne peux décemment pas la condamner à mort. Je lui offrirai une place digne d’elle pour qu’elle m’en soit redevable.

Le Réorois, toujours debout, se baissa pour parvenir à sa hauteur. Son souffle chaud, agrémenté d’un discret arôme de vin, alla chatouiller son visage.

— Je suis admiratif, confia-t-il dans un murmure brûlant.

Ses prunelles dorées accrochées à celles du prince, Adhara laissa filer un silence évocateur, un sourire toujours vissé sur ses lèvres.

— J’aimerais vous faire part d’un plan, Votre Altesse, dit-elle d’un ton sérieux.

Wilhelm recula légèrement, presque déçu.

— De quoi s’agit-il ?

— De l’assassinat de votre future épouse.

Il ricana et se redressa.

— Je n’ai pas besoin de vous pour ça. Dès qu’elle mettra un héritier au monde, je la tuerai et pourrai régner pendant des années comme régent. Alors, les armées d’Elrande rejoindront la rébellion.

— Je compte néanmoins vous prêter main forte. Vous n’êtes pas sans savoir que le peuple que vous allez diriger est très attaché à la Trinité, bien plus que ne l’est le vôtre. Je pense que cela représente une difficulté majeure dans votre plan. Négligez ce paramètre serait risquer l’échec, et nous ne pouvons pas nous le permettre.

Wilhelm haussa un sourcil et s’appuya au chambranle.

— J’entends bien, mais que comptez-vous faire ?

— Je vais organiser moi-même la rébellion du royaume. Pour cela, je vais vous accompagner dans votre convoi d’amour.

Elle prononça ce dernier mot dans un léger trémolo ironique qui arracha un sourire au prince.

— Sans vouloir vous vexer, vous êtes bien trop remarquable pour vous infiltrer à mes côtés. À votre vue, ma promise saura que la concurrence l’a déjà dépassée !

Le sourire d’Adhara se fit si grand qu’il alla chatouiller ses oreilles.

— Admirez plutôt, susurra-t-elle.

Elle inspira. Elle tendit ses sens dans son la pièce et capta la lumière ondulante des torches pour l’amener à elle. Elle la courba, la tordit, la polit, afin qu’elle épouse des contours qui n’étaient pas les siens. Le prince, face à elle, avait les yeux écarquillés.

— Mais quel est ce prodige…

Adhara jeta un œil à son miroir pour vérifier la qualité de sa métamorphose. La glace lui renvoyer l’image d’une servante réoroise aux cheveux tristement bruns et au visage d’une insolente banalité.

— Je maîtrise la lumière, murmura-t-elle, adaptant les lèvres de la servante aux siennes. Je peux faire naître n’importe quelle illusion.

Wilhelm se passa une main nerveuse sur le visage.

— L’ancien dieu vous a doté d’un pouvoir extraordinaire.

— N’est-ce pas.

La jeune femme rompit l’illusion. Le mirage se délita en ondulations dans le miroir, dévoilant son beau reflet.

— Je sais ce que vous êtes venu chercher, fit-elle en reportant ses iris étincelants vers le prince. Et j’accepte. Allions-nous.

Une flamme brilla dans les yeux du prince. Il s’approche lentement, sa main vint caresser la joue d’Adhara.

— J’aime ce genre d’alliance, murmura-t-il avant de l’embrasser.

Elle accueillit son baiser avec une ardeur dévorante. Dénouant les lacets, arrachant les étoffes, elle dévoila enfin le corps chaud et subtilement musclé de l’hériter du Réor. Elle eut un sourire apréciateur. Elle se plongea dans la volupté avec une rage langoureuse.

Quelle délicieuse manière de consommer sa victoire.

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Alice_Lath
Posté le 29/12/2021
"une chaîne de montagne qui élevaient leurs crocs dentelés vers le ciel rougeoyant." -> Montagnes du coup ?
"L’Impératrice exsuda un long soupir" -> Je trouve exsuder ptêt un peu too much ici
" Je suis trop maladeu" Tournure un peu gamine je trouve
Alors, tout d'abord, je dois dire que le changement d'avis d'Azad sort un peu de nulle part, dans le sens où il s'excuse et il est soudain poli etc alors que rien ne laisse à deviner qu'il était prêt à faire preuve d'humilité. Du coup, on a du mal à saisir ce qu'il s'est passé en lui pour qu'il en arrive là.
La scène de chasse aux crocodiles était vraiment très chouette sinon, je l'ai beaucoup aimée, c'est vraiment comme ça qu'on fait ou tu as inventé le processus ? Bref, c'était un bon moment de lecture, très visuel je dois dire ! On s'y croirait !
Pour les explications d'Adhara, je suis un poil plus dubitative, j'ai pas trop saisi pourquoi cela impliquerait de voter pour elle au second tour et l'histoire de Bathilda, mais j'ai peut-être le cerveau un peu bouché hahaha ça peut donc venir de moi aussi
De manière générale, je remarque quand même que tu as beaucoup beaucoup beaucoup de persos, de factions et de sous-intrigues, comme je lis de manière discontinue, j'ignore si c'est grave, mais je te conseille d'avoir le retour d'un ou d'une lecteurice avec de la régularité là-dessus :D Histoire d'être certaine que ça passe
AudreyLys
Posté le 30/12/2021
Mmmh pour moi c'est logique puisqu'il se rend compte qu'il met en péril une alliance pour rien, mais je comprends que ça fasse soudain.
Je l'ai inventé, mais je me suis inspirée de la méthode des jaguars qui chassent les alligators (notamment le fait qu'ils utilisent un point faible sur leur nuque), et de mes connaissances sur les crocodiles de manière générale. Je suis contente que cette scène t'aie plu, moi je la trouve longue et chiante x)
Ah mais c'est ma terreur ça. Dois-je rajouter des explications au risque de paraître lourde ?
C'est sûr que cette partie notamment est très dense, mais il n'y a aucun.e lecteurice régulier.e qui poste des commentaires pour l'instant donc je ne saurai pas dire. Je réfléchis à retirer des personnages et des sous-intrigues, on pourra faire le point à la find de la partie ? (les deux autres introduisent beaucoup moins de perso)
Alice_Lath
Posté le 30/12/2021
On se doute que c'est ça mais comme il apparaît comme un enfant gâté et borné hahaha le fait que Lohan nous renseigne sur ce côté versatile plus tôt dans l'histoire permettrait de rendre cela logique je pense
Mmmmmh je l'ignore, je pense que les explications manquent de clarté peut être, on a du mal à comprendre pourquoi ce premier tour ? Et pourquoi Bathilda est en taule ? Peut être simplifier, entrer moins dans les détails ? Je l'ignore
Yess, on pourra se faire un point mais avec ma lecture décousue, jsp si ça donnera grand-chose, je pense qu'il faudra que je relise d'une traite
AudreyLys
Posté le 30/12/2021
Tu veux dire que le côté versatile présenté auparavant rend son changement d'avis plus logique ?
Ok je note les questions pour repenser l'explication ; et pour les réponses 1) pour rallier Wilhelm à sa cause en lui prouvant qu'elle a les voix les Verres et Nuniq 2) parce qu'elle a triché à l'élection
C'est comme tu veux, j'ai déjà fait une liste des nouveaux perso classés par ordre d'importance
Alice_Lath
Posté le 30/12/2021
Oui, je pense, si on sait que c'est qqun qui s'emporte puis revient dessus haha
Et oui, OK, merci beaucoup pour les réponses !
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