CHAPITRE 13

Par Taranee

PRESENT : ABIGAIL

 

            La jeune femme ouvrit les yeux aux premières lueurs de l’aube. Elle n’avait que très peu dormi cette nuit, trop excitée par les évènements qui allaient survenir. Le jour était enfin venu de détruire le LERM une bonne fois pour toutes. Après une longue semaine d’attente et de réunions avec les garçons pour discuter de la façon dont ils allaient procéder, il était enfin temps de mettre le plan à exécution. Durant toute cette semaine, Abigail et Ethan avaient réussi à subtiliser des produits inflammables dans les salles d’examen. Ils avaient fait du repérage comme ils pouvaient et Ethan avait réussi à s’éclipser de la salle commune des mages pour aller dérober un briquet en salle de repos des scientifiques. Même les médecins fumaient parfois pour décompresser. C’était Abigail qui était chargée d’allumer le feu dans le local où on activait la barrière anti-magie. Elle le ferait vers 14h30, pour que les mages puissent se réhabituer au flux de magie qui se répandrait dans leur corps. Il ne lui serait pas compliqué d’assommer son surveillant. Et alors, elle aurait tout juste le temps d’allumer le feu et de créer une diversion pour qu’ils n’aient pas le temps de remarquer l’incendie. Ethan s’occuperait de « l’incendie principal ». Il avait des tests à passer dans une salle spéciale où la magie était utilisable. Elle ne se faisait pas trop de soucis quant à la façon dont il se débrouillerait pour allumer le feu. Ce qui l’inquiétait en revanche, c’était ce qui allait suivre. Une fois que le feu aurait commencé à se répandre, les médecins tenteraient de l’arrêter. Ethan allait se servir de sa télékinésie pour raviver les flammes pendant qu’Abigail allumerait plusieurs incendies dans tout le labo. Le personnel du LERM n’aurait alors d’autre choix que d’appliquer le protocole d’évacuation. Mais ce protocole était lui-même dangereux pour les mages qui allaient devoir sortir du laboratoire. Comme on allait les emmener à l’extérieur, la surveillance serait renforcée. Et le moindre mage qui ferait mine d’essayer de s’enfuir serait abattu. Jake avait haussé les épaules en entendant cela et avait répondu :

- Ce n’est pas notre problème. Nous nous occupons déjà de ceux qui restent. S’ils ne connaissent pas le protocole, c’est tant pis pour eux.

            Abigail poussa un soupir. Elle éprouvait beaucoup d’attachement envers Jake et envers son associé, le véritable leader des Libellules, car ils l’avaient sauvée le jour où elle avait failli se faire choper. Mais parfois, les réactions de McDorsey lui pesaient et elle ne comprenait pas pourquoi il était si impitoyable dans ses décisions. Jake n’aurait pas hésité à tous les sacrifier si cela pouvait assurer sa propre survie, sa sécurité. La seule personne qui l’en empêchait, à cette heure, c’était lui. Mais il n’était plus là depuis un moment. Le chef des Libellules avait déserté. Et on ne pouvait pas savoir combien de temps encore tiendrait Jake avant de redevenir ce qu’il était avant de le rencontrer : un garçon désespéré, prêt à tout pour assurer son confort. Jake cherchait quelque chose. Il avait une idée derrière la tête, en venant ici. Abigail avait tout de suite remarqué cette lueur de détermination qui avait brillé dans son regard lorsqu’il leur avait annoncé qu’il viendrait au LERM. Oui. Parfois il pouvait être inquiétant.

- Tu ne dors pas Abigail ?

            L’intéressée sursauta. Elle se redressa en faisant attention de ne pas se cogner la tête contre la couchette au-dessus de la sienne et chercha dans la pièce qui venait de lui parler. C’était une femme d’une quarantaine d’années qui paraissait lasse d’être en vie. Elle la regardait des yeux de chien battu. Abigail souffla.

- Non. Toi non plus.

- Les nuits sont dures, au LERM.

- Les journées sont pires.

Silence. Et après un moment, la femme reprit.

- Abigail ?

- Hm ?

- Qu’est-ce que tu prépares ?

Le cœur de la mageresse rata un battement. Qu’est-ce que tu prépares ? Cette question d’apparence anodine indiquait clairement que la femme avait remarqué son comportement anormal. Abigail réfléchit. Qui était cette femme, déjà ? Elly. Oui, c’est vrai. Elly était une mageresse avec un faible pouvoir d’extra-lucidité. Elle avait des intuitions, mais pas de visions. Heureusement, d’ailleurs, car c’était une vraie commère. Abigail se recoucha.

- De quoi tu parles, Elly ?

- Je parle de toutes les affaires que tu as cachées sous ton matelas. Tu vas t’en servir pour faire quoi ?

- Pour faire des expériences. J’adore la chimie. Dormons, maintenant, tant qu’il nous reste un peu de temps.

Le mensonge était sorti, maladroit, mais dit d’une voix tellement convaincante qu’Elly n’ajouta rien. Abigail s’autorisa un soupir de soulagement. Ce n’était absolument pas le moment de se faire repérer.

            Une trentaine de minutes après cette conversation, un surveillant entrait dans le dortoir en gueulant pour les réveiller. Si elle n’avait pas eu de mission à accomplir aujourd’hui, Abigail aurait sauté de son lit pour venir lui donner un coup de poing dans la figure. Mais, à défaut de pouvoir le faire, elle alla prendre un petit déjeuner frugal. Elle retrouva Elijah, Ethan et Jake au fond de la salle et ils échangèrent des regards de connivence mais mangèrent en silence avant de se séparer, chacun vacant à ses occupations respectives. C’était d’un commun accord qu’ils avaient décidé de ne pas passer leurs journées ensemble afin de ne pas attirer l’attention sur eux. Elijah et Jake restaient tout de même souvent ensemble, mais Ethan s’efforçait d’aller parler à d’autres personnes et les filles du dortoir avaient très vite adopté Abigail comme nouvelle camarade et colocataire. Le plus difficile avait été de rester en contact avec Joanna. Elle avait rejoint le LERM mais, évidemment, le directeur, Loan, se méfiait d’elle, de son retour si soudain, et évitait de la faire travailler directement avec les mages. C’était donc par l’intermédiaire de leurs binômes qu’elle leur passait des informations. Ainsi, ils avaient appris l’emplacement des dossiers qu’Elijah devait chercher, puis elle leur avait donné des informations sur les lieux les moins surveillés du LERM et avait finalement fini par savoir que l’endroit où on gardait Nethan se trouvait au premier sous-sol du laboratoire. Ils avaient à présent toutes les informations nécessaires pour mener leur projet à bien. Et c’est en ressassant ces informations qu’Abigail passa la matinée. Et après avoir mangé, à 14h25, elle se dirigea d’un pas décidé vers l’entrée de la salle commune. Elle planta son regard dans celui d’un surveillant.

- Je veux aller fumer sur le toit.

Le surveillant la jaugea d’un œil impassible.

- T’as déjà fumé, toi ?

- Parfaitement. Et il faut que j’y aille, là.

- Le groupe est parti il y a cinq minutes.

- Je sais. Mais j’étais au WC à ce moment.

Le surveillant soupira.

- Bon. Suis-moi.

Il intima à ses collègues de bien surveiller la salle commune et ouvrit la porte pour sortir avec Abigail. La jeune femme était étonnée que cette ruse maladroite ait fonctionné. Elle était au courant que certains mages qui se comportaient bien avaient des privilèges – comme celui de pouvoir fumer – mais ne pensait pas qu’il serait si simple de sortir de la salle commune. Le local se trouvait au dernier étage. Le surveillant l’amenait sur le toit. C’est comme si son but était déjà atteint. Ils grimpèrent les escaliers. Abigail marchait lentement et avec précaution afin que les flacons de produits inflammables de s’entrechoquent pas dans sa poche. Un seul bruit suspect et elle aurait été fouillée. Et alors, adieu le plan génial pour faire sortir tout le monde du LERM.

            C’est lorsqu’ils arrivèrent à l’avant-dernier étage qu’elle passa à l’action. Elle vérifia qu’il n’y avait personne aux alentours et s’arrêta en plein milieu du couloir. Le surveillant fit encore quelques pas avant de se rendre compte qu’elle ne le suivait plus. Il se retourna.

- Qu’est-ce que tu fais ? Avance.

Elle ne bougea pas. Le surveillant s’avança vers elle et, au moment où il allait l’attraper par le bras, elle lui asséna un violent coup de coude à l’arrière du crâne. L’homme s’écroula, inerte. Il n’était pas très résistant. Abigail tira son corps jusqu’à un renfoncement dans le mur. Cette cachette de fortune suffirait le temps qu’elle fasse ce qu’elle avait à faire. Elle se dépêcha de monter la dernière volée de marches et traversa le dernier étage jusqu’à l’endroit où se trouvait le local. Elle sortit les clés qu’elle avait dérobées au surveillant après l’avoir assommé et ouvrit la porte. Comme l’avait prévu Jake, il y avait un code pour désactiver la barrière anti-magie. Elle allait donc, comme prévu, détruire le système en allumant le feu juste sous la machine. La science avait réussi à faire des merveilles avec la magie, mais malheureusement, les objets créés étaient fragiles et facilement cassables. Un feu ferait des ravages au LERM. Elle sortit les flacons de sa poche et versa du liquide un peu partout dans la pièce ainsi qu’à l’extérieur. Là, elle sortit du local, se saisit du briquet dans sa poche, l’alluma, et le lança à l’intérieur de la pièce. La machine qui contrôlait la barrière anti-magie ne tarda pas à prendre feu et il ne fallut qu’une ou deux minutes avant que la barrière ne vacille puis ne disparaisse. Immédiatement après, Abigail sentit la magie circuler dans son corps. Quelle délicieuse sensation ! Et les scientifiques du LERM ne se rendraient compte de rien ! Incapables de détecter la magie sans appareils spécialisés, ils découvriraient que les mages pouvaient se servir de leurs pouvoirs seulement quand ils le feraient ! Mais il ne fallait pas rester là.

            Abigail redescendit les marches jusqu’à l’étage d’en dessous. Là, elle empoigna le corps du surveillant et le secoua. Il finit par se réveiller et lui lança un regard noir.

- Toi ! Sale gamine ! Tu m’as assommé !

- Je ne vois pas de quoi vous parlez.

- Moi je vois très bien, figure-toi ! Je t’ai amenée ici pourque tu puisses aller fumer et…

- Et c’est ce que j’ai fait. coupa Abigail : Un surveillant a pris votre relève à partir d’ici et jusqu’au toit. Vous m’avez attendue ici pour me ramener au dortoir.

- N’importe quoi, je…

- Vous avez l’air confus. Vous avez bu ?

La réponse était oui. Abigail l’avait senti dans son haleine tout à l’heure, quand elle lui avait demandé d’aller fumer. Les surveillants ne faisaient pas vraiment attention à leur santé et n’hésitaient pas à se faire plaisir. Celui-ci empestait l’alcool. Et il le savait. Il rougit. Bien sûr. Boire en plein service était formellement interdit. Si cela venait à se savoir, surtout par l’intermédiaire d’un mage… Il détourna le regard, attrapa le bras d’Abigail.

- Bref. Viens ici, que je t’emmène au dortoir.

            Ils redescendirent les marches jusqu’à la salle commune. Lorsqu’ils entrèrent, Ethan était là. Il jeta un regard à Abigail, lui demandant silencieusement comment s’était passé la mission. La jeune femme fit semblant de s’enlever un cil de la joue avec son pouce : « C’est fait. ». Ethan hocha imperceptiblement la tête. Il était 14h 35. Dans dix minutes, ce serait à lui de jouer. Elle balaya la salle du regard. L’atmosphère était tout autre. Les quelques mages qui étaient là se jetaient des regards discrets et interrogateurs. Ils sentaient, eux aussi, la magie circuler en eux. Abigail fut prise d’une folle envie de rire. Et dire que les surveillants ne remarquaient rien d’anormal !

            Elle alla s’asseoir avec les femmes du dortoir et, heureusement pour elle, les personnes qui étaient réellement parties fumer revinrent après que le surveillant qu’elle avait assommé ait pris sa pause. À 14h40, elle vit Ethan quitter la salle en compagnie d’un surveillant. Et à 15h, ce fut au tour de Jake et d’Elijah qui prirent chacun une direction différente pour aller passer des examens. Elle activa son communicateur et envoya un message très bref à Evvy, son binôme.

- La magie est revenue au LERM. Tout se passe comme prévu.

- Ok, n’oublie pas de me donner des nouvelles.

- Entendu.

Aujourd’hui, le LERM allait avoir ce qu’il méritait.

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