Chapitre 13

Par Ozskcar

Quoique l’on trouve des traces de la dynastie des Maart dès l’ère coloniale, cette famille ne fut anoblie que tardivement. Elle doit son statut de Grande Famille à une décision de Mercy Dawnarya, laquelle décida de remercier les Maart pour leur fidélité. En ce temps, une guerre civile faisait rage entre les dévolutionnistes et les légitimistes. Mercy et Henry Dawnarya, frère et sœur par le sang, se disputèrent la couronne Les sœurs Dawnarya, Mercy et Gabrielle, eurent raison de leurs frères, Luc et Henry. Le premier fut emprisonné et le second condamné à mort pour trahison contre la couronne. Ce fut la première exécution menée par un membre de la dynastie des Maart ; ils gardèrent alors la responsabilité de manier le glaive de la Justice. Un enfant leur fut confié, ainsi que des Terres, à l’ouest des contrées Dawnarya, entre la forêt ancestrale et la muraille de Sel. Quelques années plus tard, Mercy fit exécuter Gabrielle et s’empara du pouvoir exécutif - et avec lui, du contrôle de l’Empire. On dit de Mercy qu’elle fut une impératrice bienveillante à l’égard de son peuple. Son règne fut long et prospère. On lui doit notamment la majeure partie des Grands travaux menés en contrées Artium, mais aussi la construction des plus grands temples dédiés aux Enfants sur les terres Erlkoning. Pour finir, ce fut sous sa direction que le Palais des Portes fut construit, pensé comme une dépendance perchée dans les airs, et ramifiée au corps de la Tour par un procédé ingénieux, procédé qu’on dit d’ailleurs être de son invention.

La machine du pouvoir de Zorach l’Ancien


 

Li’dawn, grelottante, attendait, enroulée dans une couverture, que la navette atterrisse. Par le hublot, elle apercevait déjà le Palais qui se dévoilait derrière les duveteux nuages obscurcis par la nuit. Au lieu d’un foyer, elle découvrit une ruine. Ce qui attira d’emblée son regard, ce ne fut pas les créneaux délabrés, les toits d’ardoises défoncés, ce fut l’absence de lumière. Le palais était plongé dans l’obscurité, et pas une fenêtre ne déployait alentour une lueur de vie. Elle avait entendu dire que peu de rebelles avaient été fait prisonnier, la plupart ayant mené des attaques désespérées à l’encontre des soldats impériaux, préférant mourir avec leurs ennemis que de se soumettre à leur châtiment. Aussi, de multiples bombes avaient éclaté, introduites par des corps voués à la mort. Si les pertes étaient grandes du côté des assaillants, qu’en était-il des nobles, des soldats et des habitants de la Tour ?

Sa famille ainsi que la haute noblesse avait été évacuées, mais c’est honteuse que Li’Dawn posa un pied sur la terre des jardins suspendus. Rozen, à côté d’elle, trop choqué, sans doute, par le spectacle qu’il avait sous les yeux, ne se soucia pas des apparences, et lorsqu’il trébucha, encore affaibli par sa forte fièvre, il ne s’offusqua pas de sentir le bras de la princesse passer sous le sien pour l’aider à marcher. Nombres de soldats se trouvaient à terre, blessés. On embarquait certains sur des brancards, apportaient les premiers soins à d’autres, se contentait de bandages pour les moins en danger. La princesse, instinctivement, chercha parmi les visages éreintés celui de Ran. Elle n’aurait su dire si elle était soulagée de ne pas le découvrir, craignant aussi bien de le trouver aux portes de la mort que de demeurer dans l’ignorance.

Un lieutenant vint à la rencontre de la princesse. Après avoir ordonné à un de ses subalternes d’aller informer l’impératrice du retour de sa fille, il escorta cette dernière à l’intérieur du Palais. Le hall d’entrée n’était plus, sinon une vaste pièce au carrelage défoncé. Les pieds du grand escalier avait été démoli, ne permettant plus d’accéder aux étages supérieurs. Le lieutenant en contourna les décombre et conduisit Li’Dawn et Rozen à travers les couloirs afin d’emprunter un escalier de service. Alors qu’ils approchaient de la salle du trône, la princesse commença à distinguer des voix ; elle n’eut aucun mal à reconnaître celle de ses parents. De ce qu’elle en entendait, son père reprochait à son épouse d’avoir insister pour garder leurs filles au Palais :

- Je n’ai eu de cesse de répéter que c’était trop dangereux…

- Il n’est pas question de revenir là-dessus. Nous avons toujours éduqué Anne et Lior ensemble, et il n’est pas question de dissoudre notre famille comme les nôtres l’étaient dans notre enfance.

- Lior serait moins exposée au danger si elle retrait avec moi à la Baie Rose. Elle serait avec Aeric. Chez nous.

- Avec ton frère ? En voilà, une perspective rassurante !

Vi’II n’eut pas le plaisir de répondre ; remarquant la présence du lieutenant qui, embarrassé, hésitait à s’avancer pour introduire la princesse, il lui fit signe d’entrer, non sans une moue impatiente. Le lieutenant s’exécuta, non sans s’incliner dans une profonde révérence.

El’Dawnarya n’attendit pas qu’il eut présenté sa fille dans les règles pour accourir et la serrer dans ses bras. Au soupir de soulagement qu’elle poussa, Li’Dawn devina toute la tension et l’inquiétude qui avait dû saisir sa mère – elle n’eut elle-même aucun mal à lui rendre son étreinte. Comme l’empereur congédiait le lieutenant, prenant cependant le temps de le remercier d’avoir veillé sur sa fille, il s’approcha de Rozen. Celui-ci, malgré la fatigue qui alourdissait son corps, mit un genou à terre et ploya respectueusement la tête :

- Votre altesse, à l’entièreté de votre famille ainsi qu’à la princesse je souhaite présenter ma plus sincère gratitude.

- Si ma fille vous a aidé, elle a fait là son devoir, car la couronne n’a d’autre obligation que de veiller sur le peuple qu’elle commande.

Par ces mots, l’empereur soulignait délibérément son statut, et par là-même n’accordait aucun égard à celui du jeune noble. Rozen en avait conscience, mais, au lieu de nourrir son orgueil, il tendit davantage sa nuque :

- Vous me permettrez, je suis certain, d’insister quand vous saurez quelles furent les circonstances…

- Rozen, je vous en prie, cessez vos simagrées, l’interrompit l’impératrice. Vous étiez dans l’enceinte de notre demeure ; nous vous devions non seulement l’hospitalité mais aussi la sécurité – et pour la compréhension dont vous faîtes preuve, pour ne pas insulter notre honneur, c’est à nous de vous remercier.

Sur ces mots, El’Dawnarya tendit sa main vers le garçon qui, après une hésitation, la saisit. Il fut surpris de se retrouver dans les bras de cette femme dont il ne connaissait, jusqu’ici, que l’acidité de ses paroles.

- Considérez un instant que ma couronne est sur le trône, et écoutez bien ces mots : tant que vous nous serez loyal à notre famille, vous en serez un membre à part entière. Mon oncle fut votre grand-oncle, et en cet instant vous êtes mon fils.

À l’expression qu’affichait le garçon, l’impératrice devina son trouble. Elle s’en amusa en effleurant l’arc de ses sourcils puis, s’écartant, elle les considéra, lui et Li’Dawn :

- Sachez que c’est à regret que je vous soumets ma demande, Rozen : pensez-vous pouvoir héberger ma fille aux Contrées Maart ? Je devine votre désir de retrouver les vôtres, de les aider en ces temps difficiles ; et je crois ma fille capable, désormais, de consolider les liens qui unissent nos deux familles en vous prêtant main forte.

- Votre altesse, ce serait un honneur que d’ouvrir nos portes à votre fille, et sur ces mots, Rozen se tourna vers Li’Dawn, soucieux de ne pas l’exclure de la conversation. Mais vous connaissez, sans doute, la situation délicate qui est la mienne, vis-à-vis de mon ambassade comme de mon peuple.

- La lueur des joyaux de la couronne n’irradie pas seulement ceux dont le front en est ceint.

L’impératrice avait teinté ces derniers mots d’un léger sourire ; s’en référant à l’intelligence de son interlocuteur, elle créait entre eux une complicité nouvelle, induite par ce message sous-jacent. Sur ces mots, elle les invita d’abord à se reposer, puis à considérer sa proposition. Faisant mander un page, elle lui ordonna de conduire les deux jeunes nobles à des appartements propices à les accueillir.

- Ainsi, vous avez choisi lequel des Maart sera votre jeune poulain, soupira Vi’II’Dawnarya lorsqu’ils furent de nouveau seuls.

- Rozen est un enfant. Je ne conduits pas d’enfants à la mort. Tant qu’il est en vie, le sceptre de la justice lui revient ; c’est de fait mon devoir de l’aider, si besoin, à le manier.

- Qui parlait de le conduire à la mort ?

- Vous savez aussi bien que moi que, même dépouillé de tout pouvoir, il demeurerait une menace – et sa vie s’en trouverait menacée. Je ne participerai pas, même indirectement, à son assassinat.

La vive lueur qui animait le regard de Vi’Dawn sembla s’atténuer lorsqu’il croisa celui de sa femme. S’approchant d’elle, il lui prit les mains, le visage baissé :

- Vous savez ma détermination à protéger notre famille…

- Et vous savez que nous la partageons. Mais ma décision ne nous expose à aucun danger.

- Rozen est jeune, et je ne saurais affirmer que Saeda soit apte à gouverner… Menacés qu’ils sont par les maladies et la famine, je crains pour leur maison. Et vous, en plus de leur apporter votre soutien, vous y envoyez notre fille…

- Lior ne peut demeurer ici, parmi les ruines et les menaces rebelles. Or, elle est désireuse d’apprendre, de se confronter aux épreuves que rencontre un dirigeant. En terres étrangères, en temps de crise surtout, elle saura se rendre utile – et par sa présence, elle calmera les tensions qui menacent de conduire les contrées Maart à une guerre-civile.

Comme son époux demeurait muet, El’Dawn passa un doigt sous son menton pour le relever vers elle. Elle glissa ensuite sa main dans ses cheveux, abandonnant, sur son chemin, une caresse.

- Nous n’avons pas le privilège du désaccord. C’est soudé, seulement, que nous sommes puissants.

Pour répondre à sa femme, Vi’Dawn fit disparaître les quelques centimètres qui séparaient leurs lèvres afin de leurs faire partager un tendre baiser.

- Mon frère n’est pas si inconséquent, souffla-t-il en se redressant.

El’Dawn ne comprit pas immédiatement le second degré qui se logeait entre les paroles de son époux, aussi commença-t-elle par froncer les sourcils, prête à réitérer son argumentation. Quand, au rictus amusé de Vi’II, elle devina qu’il se moquait d’elle, elle le poussa lentement pour le forcer à reculer :

- Votre frère, mon cher et tendre, est un incapable, un immature et un fainéant. Je ne l’apprécie jamais autant que lorsque je ne le vois pas. C’est assez, déjà, que de vous trouver, toute la nuit durant, le nez dans la paperasse qu’il vous abandonne.

- Je lui rappellerai, à l’occasion, que ces nuits sont censées vous être réservées.

Comme il reculait, Vi buta sur une marche. Sa femme continua à le pousser, cependant. Profitant qu’il soit plus haut qu’elle, elle fit danser ses doigts sur son torse :

- À l’occasion ?

- Dès que son altesse en fera la demande, dans ce cas.

Comme elle le poussait sur le trône, El’Dawnarya esquissa un sourire narquois et se pencha vers l’oreille de son époux. Ce qu’elle lui murmura dût l’amuser. Une lueur vint briller dans ses yeux, remplaçant tout à fait sa colère passée. Elle s’éteignit, cependant, quand El se redressa :

- Le poids de la couronne est trop lourd pour que j’oublie sa présence ; croyez-bien que j’en suis navrée, mais nous avons à faire, Vivian.

Ce dernier opina, sentant à regret qu’il s’accordait avec son épouse :

- Je suppose que je serai plus à même d’aller trouver Gaetano. Il faut que nous préparions un plan pour récupérer les Enfants échappés.

- Enlevés, le corrigea El. Jusqu’à nouvel ordre, on les dit enlevés par les rebelles.

- Et s’ils revendiquaient publiquement leur opposition à l’Empire ?

- Il faut espérer que nous aurons eu le temps de nous préparer… Mais on ne peut décemment pas avouer que deux Enfants ont fui les Portes juste après que celles-ci aient accepté de leur offrir un nom.

- Je me doutais que la brillante idée de Lior nous poserait problème, mais je n’imaginais pas en subir si tôt les conséquences, soupira Vivian.

El écarta doucement l’une des mèches ondulées qui tombait sur le front de son époux :

- Que tu la réprimandes, j’entends bien, mais qui penses-tu duper, à l’instant ?

- En d’autres circonstances, sa décision eut été bonne, admit Vi’II.

- Pourquoi avoir persuadé Gaetano, dans ce cas ? Le connaissant, vous avez dû payer cher ce petit service…

- Dois-je me sentir honoré ou offensé par ces mots ?

El se retourna et découvrit, dans l’entrebâillement de la porte, la silhouette de Gaetano Erlkoning. De concert, le couple Dawnarya adressa un sourire au nouveau venu, l’invitant à s’approcher.

- Nous sommes soulagés de vous savoir sain et sauf, l’accueillit Vi’Dawn.

- Je reconnais ce sourire, votre altesse, et je sais qu’il précède toujours une requête.

- Laquelle sera satisfaite sans délai, n’est-ce pas ?

- Je vous laisse négocier, messieurs, les interrompit l’impératrice. J’ai des troupes à aller rasséréner.

Comme elle quittait la salle du trône, elle adressa un dernier sourire à son époux. Assis sur le trône, elle le trouva maigre, les traits creusés, moins pas le passage du temps que par la fatigue et les années de services rendus à la couronne. Vivian vieillissait – et elle aussi, sans doute – mais l’on regrette toujours davantage que le Temps arrache à nos mains les gens que l’on aime, et les quelques rides qu’elle découvrait, le matin, près de ses yeux, de ses lèvres, n’étaient rien face à la peur de devoir un jour régner seule.

Ils furent promis l’un à l’autre dès l’enfance, mais ne se connurent pas avant d’être mariés. El’ avait alors 25ans. Ils se virent, bien sûr, à l’occasion de quelques célébrations officielles, mais toujours en se dévisageant d’un bout à l’autre d’une table où, grandes et fortes étaient la voix des adultes, et peu écoutées celles d’enfants impressionnés par le faste et la foule. El’ connut peu ses frères et sœurs, lesquels restèrent avec leur mère aux contrées Dawnarya tandis qu’elle, héritière de la couronne, grandissait au Palais avec son père, trop occupé par la politique pour s’occuper de son éducation. Quand elle atteignit la majorité, elle entreprit un voyage à travers l’Empire. C’est à cette occasion qu’elle rencontra Gaetano. Ils se lièrent rapidement d’amitié, et le garçon, jeune encore, choisit de la suivre, de quitter les siens pour étudier à l’Académie de la Tour. Gaetano et Vivian mirent plusieurs années à s’apprécier. El’ s’était maintes fois tenues entre deux feux, tentant d’atténuer des conflits, de minimiser des griefs ; aujourd’hui, liés par une un respect mutuel, les deux hommes travaillaient de concert, avec la même sagacité, dans l’optique de protéger l’Empire. Aussi était-ce en toute confiance que l’empereur demanda au noble Erlkoning d’accompagner sa fille aux contrées Maart afin de veiller sur elle, et pas une seconde, il n’imagina un refus. Gaetano opina, songeur. Et les deux hommes discutèrent des modalités du voyage.

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