Chapitre 13

Rose rappela, une énième fois, qu’ils devaient passer chez son oncle et sa tante. Mais elle apprit une nouvelle chose à Pierre :

« Nous ne pouvons aller chez eux que par moverapsä.

- Pardon ?

- Mo-ve-ra-psä, moverapsä. C’est un système de déplacement instantané, par mrapsä.

- Quésaco ?  Pierre se montrait plus décontenancé que jamais (un mot étonnant, passait encore, mais plusieurs…).

- Bon, tu verras bien. », lui souffla à son tour Gwendal.

Ils finirent par atteindre un bâtiment minuscule où ils furent accueillis par un vieux personnage rabougri au visage tapissé de taches vertes sous une paire de lunettes en demi-lune,  un vieux crabe à longue barbe blanche et aux cheveux blancs, qui leur demanda de patienter. Il avait des yeux jaunes, et Pierre crut voir du feu et de la glace scintiller dans ses pupilles…

« Attendez le prochain passage.

- Passage ?

- Vous n’avez jamais voyagé en moverapsä ? Ce n’est pas très étonnant… C’est la première fois que vous venez à Capitis, je suppose ? Forcément, dans ce cas… »

Peu après, il leur intima de le suivre, et les conduisit devant un petit objet. Rose et Gwendal s’en saisirent d’un même geste coordonné. C’était un objet rond, fort semblable à la sphère magique de Gwendal, mais une poussière rouge brasillait à l’intérieur de cette nouvelle sphère.

« C’est ça, la mrapsä. »

Pierrre effleura lui aussi l’objet. Il reçut un coup dans le ventre et disparut.

*

Ils se trouvaient à présent en face d’une maison devant laquelle ils venaient « d’atterrir ». Ce « voyage » instantané n’avait pas plu à Pierre. « C’est comme un stateur, mais c’est plus puissant… Cela permet d’aller partout, de choisir n’importe quelle destination… Contrairement au stateur… » Soit.

Cette maison, au milieu d’une forêt, au pavillon un peu branlant, était cerclée par la végétation. L’herbe commençait à grignoter le toit rouge bordeaux, avide… La maison était en pierre, et une inscription était taillée dans un panneau en bois : « M. et Mme. Aldaríon. Frappez avant d’entrer. ».

« Quel beau Building home ! Bioutifoul, même ! s’exclama Pierre, sous le regard mi-surpris, mi-amusé de ses compagnons.

- Que viens-tu de dire ?

- Rien, rien… Mon oeil d'expert… »

Rose ne se préoccupa pas de l’écriteau et entra sans frapper. Son oncle apparut alors dans le hall. Il portait une cape verte, avait des yeux bleu-vert et des cheveux marron.

« Beleg Aldaríon, mon oncle, susurra Rose. Désolée de n’être pas venue plus tôt, j’ai eu un travail urgent… »

Le visage de son oncle se figea, puis s’assombrit.

« Une mission ? demanda-il, suspicieux. J’aimerais bien savoir qu’est-ce qu’ils…

- Je ne peux pas. », répondit vivement la jeune elfe.

« Beleg »… Un nom qui rappelait à Pierre le jour de sa vie où il avait été si malade, et avait été emmené à l’hôpital après que ses… Il essaya de penser à autre chose, car cela lui donna la nausée. L’homme rétréci commença, sans autorisation aucune, la visite de ce qu’il avait appelé un Building home, ce qui en anglais signifiait plutôt « Maison immeuble », ce qui, en somme, ne voulait rien dire. Seulement, les « grandes entreprises », comme celle de Stanline, avaient tendance à parler avec des mots anglais durant les journées de travail, lors des réunions. Celle de Pierre Stanline avait fait bien « mieux » (selon lui, du moins). Ils parlaient toujours ou presque anglais, pour tout et rien. Malheureusement, ils avaient un accent horrifiant, et avaient tendance à déformer les mots de bout en bout. Par exemple, Shut up, dans son entreprise, signifiait « C’est l’heure de la conférence ! », Elf (elfe) signifiait « Employés ». Be quiet ! signifiait : « Plus fort, je n’entends rien ! »…

L’endroit était joli, ma foi, la végétation avait aussi sa place à l’intérieur, et Pierre se dit qu’en vidant l’espace de sa verdure et de ses plantes, il pourrait ici même lancer une filiale de collants indestructibles - « très en vogue ! » - en plus de ses brosses pour toilettes… En même temps, pourquoi ne pas rentabiliser cette végétation, après tout ? Il pouvait aussi surfer sur la vague du Bien-être, cette nouvelle religion, et opter pour une concurrence acharnée dans le domaine des Fleurs de Bach. En effet, il y avait ici toutes les espèces florales que l’on pouvait trouver à Alaakrïpé : Sacrify, Raro, Magcæ, Tarifoe… Tant de noms connus de tous ici sauf de lui…

Pierre s’introduisit dans une pièce obscure. Rose s’était enfermée à l’étage pour parler en privé avec sa « famille semi-éloignée » (oncle et tante). Il chercha un interrupteur. Peine perdue, cela n’existait sûrement pas… Mais une fois au centre de la pièce, celle-ci s’éclaira d’elle-même… « D’accord… Harry Potter a lancé un sort aux interrupteurs de ce monde… », soupira Pierre, désœuvré. La pièce ne contenait qu’un lit géant, un bureau, et un miroir. Or, ce dernier se mit soudain à hurler :

« Vous n’avez pas l’autorisation d’entrer ! Sortez immédiatement de la chambre si vous n’avez pas le mot de passe !

- Dis, petit miroir, c’est un test, qui est le plus beau du pays ? » interrogea Pierre, insolent, peut-être, mais qui voulait surtout vérifier s’il rêvait ou s’il était seulement, simplement, purement devenu fou.

« Je ne peux pas dire, mais ce n’est certainement pas toi. », rétorqua le miroir, vexé, d’une voix ironique qui déplut à celui à qui l’on s’adressait.

Pierre se détourna. Gwendal s’esclaffait dans son dos, égayé par ce que les jeunes appelaient un « clash » dans le monde de Pierre, en référence aux jeux Clash Royale et autres, qui eux-mêmes faisaient référence au mot anglais « clash », qui signifiait choc. « Je ne te conseille pas de rester là. Ce miroir est tout à fait associable depuis que la fille de l’oncle et  de la tante de Rose est morte. »

Pierre leva la tête. Cela expliquait beaucoup de choses. C’est alors que Rose les appela « d’urgence ».