Chapitre 12 - Se sentir vivant

Par Keina
Notes de l’auteur : Là encore, il y a des références à l'épisode audio "Broken". Bonne lecture !

Ianto se réveilla en grimaçant, des courbatures jusque dans les jambes, l’estomac en bouillie et la sensation qu’un marteau-piqueur avait pris d’assaut son cerveau. Il lui fallut un moment avant d’appréhender son environnement, et de comprendre que non, on ne l’avait pas cambriolé dans la nuit. Il s’était simplement endormi sur le canapé d’Angie, entre deux soutiens-gorge, un reste de pizza et une pile de DVD qui s’était écroulée au sol.

Il regretta silencieusement d’avoir été entraîné chez Angie sans même avoir pris le temps de se changer. Il avait pris l’habitude de porter le costume lorsqu’il travaillait, influencé par son double sans doute, à moins que ce ne ne soit l’inverse ? En tout cas, il avait l’impression que cet uniforme par défaut camouflait à la fois son âme et les deux cicatrices qui barraient son dos. Un repli contre lui-même.

Il avait enlevé sa veste et sa cravate durant la soirée et les avaient soigneusement accrochés à une patère derrière la porte d’entrée, mais sa chemise pourpre et son pantalon avaient souffert durant la nuit sur le canapé. Il grogna, s’efforçant de reconstituer le puzzle de la soirée. Après leurs confessions respectives, Angie était partie dans la cuisine et revenue avec deux pintes remplies à ras-bord d’une bière mousseuse que Ianto reconnut à la première gorgée, avec un cri de surprise, comme de la Brains, la bière brassée à Cardiff.

Angie lui avait expliqué qu’avec la magie de la « Machine à créer » que tous les résidents du Royaume possédaient dans leur cuisine, elle avait demandé (et obtenu) la bière préférée du Gallois. Puis ils avaient devisé sur les miracles et les avancées technologiques que la magie du Royaume avait permises, et sur les noms à leur donner. Angie avait baptisé sa Machine « Miss Boitatou ». Ianto proposa de l’appeler la « Swift Gift Box ».

S’en était suivi un long débat houleux que seules deux personnes fortement alcoolisées pouvaient soutenir sur le sens de la vie, la beauté de la nature et la recette authentique du welsh rabbit (Étant d’origine flamande, Angie n’avait pas le même avis sur le sujet que Ianto).

Enfin, Angie était partie se coucher et l’avait laissé là, sur son canapé crevé dont les ressorts grinçaient à chaque mouvement. Ce qui n’avait pas empêché Ianto Jones de sombrer dans le sommeil du juste à peine quelques secondes après le départ de son amie.

Il lui sembla qu’il avait rêvé… Il s’assit sur le rebord du canapé et posa les mains sur ses tempes pour tenter de rassembler ses souvenirs. Oui, il avait rêvé, encore. Mais cette fois-ci, le rêve n’avait pas été si désagréable. Du moins, pas tout le temps.

Il avait retrouvé Jack dans un pub dont la tenancière s’était révélée être une trafiquante d’êtres humains pour le compte d’extra-terrestres peu scrupuleux. À un moment, il se souvint avoir déraillé. Mettant à exécution la menace proférée lors de la mort de Lisa, il avait abandonné Jack alors qu’il était en mauvaise posture et s’était sauvé.

Plus tard, il s’était ravisé. Il ne se rappelait plus exactement… Était-ce sa mère qu’il avait eu au téléphone ? Sa mère qui lui annonçait une mauvaise nouvelle, elle était malade, et lui qui ne pouvait penser à rien d’autre qu’à son patron qu’il avait envoyé vers une vie de supplices… Alors, il était retourné en arrière pour tirer Jack des griffes des extra-terrestres, un Jack attaché à une machine infernale, un Jack qu’il avait d’abord cru mort. Mais, oui ! Il lui avait fait du bouche-à-bouche et Jack s’était réveillé, toujours flamboyant, semblable à lui-même. Ils avaient fui, ensemble, et s’étaient retrouvés dans les rues de Cardiff.

Enfin, Ianto l’avait rejoint à l’intérieur du SUV, et ils avaient eu une conversation franche, pour la première fois depuis… jamais.

Jack lui avait dit qu’il était son ami.

Puis il avait insinué que son café n’était pas toujours si bon… Non. Ianto secoua la tête. Ça, ça devait être les effets de l’alcool. Personne n’avait jamais osé critiquer son café.

Et ensuite, Jack lui avait promis de tout faire pour effacer sa douleur, et…

Ianto écarquilla les yeux.

Non. Il n’avait pas… Il ne pouvait pas…

Il se redressa du canapé, soudain affolé, et, ignorant le monde qui vacillait sous ses pieds, se précipita vers la chambre d’Angie, dont la porte entrebâillée laissait entendre des ronflements sonores.

— ANGIE ! cria-t-il en surgissant dans l’antre de la dormeuse, dont il ne devinait qu’une masse de cheveux emmêlés sous la couette. Angie, réveille-toi ! Je dois te dire un truc !

— Humgrrmbl, fut la seule réponse qu’il obtint.

Il avisa un oreiller tombé à terre, sur une pile de vêtements dont il n’arrivait pas à déterminer s’ils étaient propres ou sales, et s’en empara pour le jeter sur la jeune fille.

Enfin, une tête chiffonnée et grognonne émergea des profondeurs du lit.

— Hey, Jones, du calme. C’est pas parce qu’on a partagé une bouteille de téquila que tu peux…

— Je crois que j’ai embrassé mon boss, la coupa Ianto.

— Quoi ? Le visage d’Angie se fit perplexe, plus qu’à l’ordinaire. Elle fronça les sourcils. Tu as embrassé la Velue ? Mais quand ?

L’espace d’une seconde, ce fut au tour de Ianto d’arborer un air incrédule, tandis qu’il s’efforçait de comprendre ce que lui disait Angie. Puis, il éclata de rire, d’un rire fou, irrépressible, à la limite du nerveux. Il lui fallu quelques minutes pour se calmer, tandis qu’Angie le contemplait avec un sourire un peu plus grand qu'à l'ordinaire, qui découvrait ses dents blanches et creusait deux fossettes sur ses joues. Enfin, après quelques soubresauts, il s’essuyait les yeux et les reporta sur la jeune fille.

— Quoi ? Oh là là, j’ai l’impression que mon crâne va exploser, fit-il tandis qu’elle le regardait en silence, son sourire toujours accroché à son visage.

— Rien. Je crois que c’est la première fois que je t’entends rire.

— Et moi, c’est la première fois que je te vois sourire sans avoir l’impression que tu veux me tuer dans mon sommeil.

— Ben, on fait des progrès, tous les deux, hein ? Cette soirée a été un succès… Si on oublie le fait que ce matin j’ai l’impression que quelqu’un essaie d’extirper mon cerveau en passant par mes oreilles.

Ianto s’installa sur le bord du lit, le cœur plein de sentiments contradictoires. Il se sentait à la fois plus léger qu’il ne l’avait jamais été depuis Canary Wharf, mais aussi rempli d’interrogations. Petit à petit, son rêve prenait de la consistance, depuis le baiser, les baisers, jusqu’à…

Il se redressa soudain, les souvenirs affluant dans son esprit.

— J’ai fait plus que l’embrasser… J’ai couché avec lui. Merde, qu’est-ce que ça dit de moi ? J’ai couché avec mon patron !

— Oh ! Tu veux parler du beau capitaine en manteau bleu ? Et donc ? C’était comment ?

Angie était maintenant parfaitement réveillée, et s’était redressée sur son lit pour écouter le Gallois, laissant apercevoir le t-shirt trop large – à l’effigie des Poufsouffles – qu’elle avait gardé pour dormir.

— Angie, je sais que notre amitié vient de franchir une étape, mais ne compte pas sur moi pour te raconter mes rêves érotiques.

L’intéressée fit une moue comique et leva les yeux au plafond.

— Oh, voyons, comme si j’avais envie d’entendre tes exploits au lit, même virtuels. Bon. Écoute. C’est plutôt bien, non ? Il n’y a rien de mal à s’envoyer en l’air de temps en temps. Même si ce n’est qu’en rêve.

— Et oublier Lisa, faire comme si tout ça ne s’était jamais passé ? Je l’aimais ! Je n’ai pas le droit…

— Sept mois de deuil, Ianto ! Tu ne peux pas te punir indéfiniment.

— Et c’est celle qui fait son deuil depuis deux ans qui me dit ça.

Angie passa une main derrière sa nuque, l’air gêné.

— En fait, je ne t’ai pas tout dit. Il y a plusieurs mois, j’ai eu une aventure avec Kat. C’était stupide, et je savais que je faisais souffrir Lily, son ex, mais…

— Kat ?

Ce fut son tour d’avoir l’air perdu. Angie le regarda comme s’il était stupide.

— Kat. La Reine Noire. Notre deuxième reine, avec Beve la Reine Blanche. Petite. Rousse. Lesbienne. Ça fait sept mois que tu es parmi nous et tu ne sais même pas qui est Kat ?

— Désolé, répondit Ianto en rougissant. Je n’ai pas été très… présent depuis que je suis arrivé ici.

— Okay… Et tu fais quoi quand tu es avec Jane ? Vous passez votre temps à compter les pâquerettes ? Bon, tout ça pour te dire que tu n’as pas à culpabiliser. Moi, je culpabilise, mais c’est différent, j’ai trahi mon amie Lily en couchant avec Kat. Avant ça, il y en a eu d’autres. Des hommes et des femmes. Ça n’a jamais remplacé Ahmed, mais… (elle haussa les épaules) j’en avais besoin, je crois. Pour me sentir vivante.

Se sentir vivant… c’était exactement ce que Ianto avait éprouvé, la nuit dernière, dans les bras de Jack. Il ferma les yeux, et en un instant, malgré la migraine, malgré la nausée, il se laissa emporter par les sensations qui lui restaient. L’odeur épicée de Jack, ses caresses empressées sur des parties de son corps qu’il n’imaginait pas sensibles à ce point. Les mots murmurés à son oreille, et l’orgasme… ça avait été si bon, et en même temps si différent d’avec Lisa ! Il s’était mainte fois laissé utiliser durant les semaines suivant la chute de Canary Wharf, et ne pouvait penser à cela sans en crever de honte, mais il n’avait jamais fait l’amour avec un homme, jusqu’à cette nuit.

Rectification : il n’avait jamais fait l’amour avec un homme tout court, puisque ce n’était pas vraiment lui qui s’était perdu entre les bras de Jack…

Lui n'avait fait que le rêver.

— Eh ben, ça t’a fait de l’effet en tout cas, commenta Angie avec un petit rire, le sortant de ses pensées. Rêve ou pas rêve, ton capitaine, tu n’y es pas insensible, n’est-ce pas ? (Ce disant, elle sauta du lit et enfila un jean qui traînait à terre.) Laisse faire le temps. Moi je ne suis qu’une jeune aigrie qui n’a que vingt-et-un ans et ne croit déjà plus en l’amour. Mais toi, tu es un Gardefé, nan ? L’amour, ça vous connaît. Certains disent même que votre existence vient de là : la « Magie Ancestrale de l’Amour. »

Elle mima les guillemets avec une grimace de dégoût. Au même moment, Ianto eut un haut le cœur.

— Ouais, moi aussi ça me fait gerber, répliqua Angie avec un sourire.

— Non, ça, c’est plutôt l’alcool… Tu m’excuses ?

Tandis qu’il se précipitait vers les toilettes, Angie enfila un chandail et s’installa sur le canapé du salon.

— Oh, et quand tu auras fini, tu nous prépareras une tasse de café ? lui hurla-t-elle, tandis que de la salle de bain lui parvenait les bruits caractéristiques d’une bonne gueule de bois.

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