Chapitre 12 - Leçon de vélo

Aube regardait par la fenêtre les nuages annonciateurs de pluie s’accumuler dans le ciel. L’automne arrivait. Et la journée traînait en longueur depuis que leur mère avait décrété cette injuste interdiction de sortie. C’est long un dimanche à l’intérieur. Surtout quand on a un rendez-vous important qu’on ne pourra pas honorer. Aube entendait encore clairement dans sa tête la voix de Jeanne l’inviter à passer cet après-midi prendre le thé et goûter ses gâteaux. D’ailleurs, elle en avait parlé à Noémie qui avait promis de les rejoindre. Son amie, elle, n’était pas punie. Aube devait absolument trouver une solution pour quitter la maison.

La petite fille regarda son frère. Lui aussi rêvait de sortir et de retrouver Jeanne pour faire le point sur la pétition.

— Maman ? Est-ce que Max peut m’apprendre à rouler à vélo ?

Sa mère, qui terminait de débarrasser la table, avait juste besoin de calme.

— Uniquement si vous restez dans le jardin, répondit-elle.

Éléonore avait la ferme intention de ne pas négocier. Elle espérait un moment de repos au salon. Les enfants hors de ses pattes.

— Mais je ne peux pas t’apprendre à rouler dans le jardin, rouspéta Max.

Il regarda Aube d’un œil bizarre et tenta d’ajouter à son intention : « À quoi est-ce que tu joues ? Tu sais très bien que je n’arrive pas à te pousser dans l’herbe et les bosses ? »

« Fais-moi confiance » lui fit-elle comprendre en secret.

— Sauf si tu me pousses dans la pente depuis le jardin des voisins, répondit-elle de sa voix la plus innocente possible.

— Ah oui ! Comme ça, ça pourrait marcher, ajouta son frère sur le même ton.

« À quoi tu penses ? Tu vas te casser la figure dans la descente, même en partant de chez les voisins ! »

« Pas sûr ! Tu ne devines toujours pas ce que j’imagine ? »

— Quel jardin ? Quels voisins ? commença à s’énerver leur mère qui se dirigeait à présent vers le salon.

— Juste à côté, chez les Legrand, embraya rapidement Aube pour la rassurer et éviter toute explosion. Ils sont gentils. Et le dimanche, ils partent souvent en balade. On ne risque pas de les déranger.

Éléonore observa ses enfants. Ils lui souriaient comme des grenouilles devant un étang ou comme des dompteurs de serpents. Allez savoir ! Troublée, elle hésitait. Mistigri vint se frotter contre ses mollets en ronronnant. Les câlins de l’animal lui rappelaient à quel point elle avait envie de se poser un peu.

— D’accord, concéda-t-elle. Mais dans le calme. Je ne veux pas entendre un seul cri. Et vous rentrez immédiatement à la première goutte de pluie.

Elle s’assit dans le fauteuil. La petite chatte sauta aussitôt sur ses genoux, qu’elle commença à pétrir en regardant les enfants de ses yeux ronds et jaunes.

« Sortez tranquilles. La sieste sera longue. Je compte profiter aussi d’une place au chaud. Si votre mère se réveille, je filerai vous prévenir » leur fit savoir le félin avant de fermer les paupières.

Max ne bougeait plus. Il ne parvenait pas à détacher son regard du petit animal noir roulé en boule sur les jambes de sa mère.

« Max ? Tu viens ? » tenta de le secouer sa sœur autant par la pensée qu’en le tirant par le coude.

— Repose-toi bien, maman, dit-il d’une voix pâteuse comme s’il allait lui-même s’endormir.

— Sois prudent avec ta sœur, mon chéri, lui répondit sa mère en bâillant.

Aube entraîna son frère dans le jardin.

« Alors ? Toi aussi tu as entendu Mistigri, cette fois ? » voulut-elle savoir.

— Pas possible, affirma-t-il.

« Et elle a compris mon plan, c’est pour ça qu’elle va nous aider » continua-t-elle sans un mot.

— Comment est-ce que les intuitions pourraient fonctionner avec les animaux ? rétorqua Max toujours à voix haute.

« Ce ne sont pas des intuitions. »

— Si, ce sont des intuitions ! s’énerva-t-il.

— Moins fort ! Tu veux tout faire rater ou quoi ?

Aube empoigna son vélo. Ils avancèrent vers le haut du jardin en silence.

— Tu ne comprends toujours pas mon plan, affirma-t-elle. On dirait que parfois tu as les intuitions bouchées !

— Oh, ça va ! Ce que je comprends c’est que tu veux faire deux choses en même temps. Tu veux que je t’apprenne à rouler à vélo et tu veux aller chez Jeanne. Au début, j’ai cru que le vélo, c’était pour brouiller les pistes.

Elle s’assit sur la selle et regarda son frère en attendant qu’il l’aide.

— Non, précisa-t-elle. Tu m’apprends à rouler à vélo pendant dix minutes et puis on fonce chez Jeanne.

— Mais je n’arriverai pas à t’apprendre à rouler en dix minutes.

— On parie ? le défia-t-elle.

Pendant dix minutes, Aube remonta la pente entre les deux jardins. Elle s’élançait avec obstination, aidée de Max qui tentait vaille que vaille de la maintenir en équilibre.

— Lâche la selle, osa-t-elle demander à son frère plus d’une fois.

Aube poussait fort sur les pédales, serrait son guidon, mais le résultat était toujours pareil. Elle titubait, calait sa roue et s’étalait dans l’herbe, sans un cri, pour ne pas risquer de réveiller sa mère.

— Bon, ça suffit pour aujourd’hui, avoua-t-elle en cachant son vélo dans la haie.

Max acquiesça, soulagé et impatient de filer enfin chez Jeanne.

— Mais j’y arriverai, ajouta-t-elle en le fusillant du regard. Même si tu penses le contraire.

— Peut-être, mais pas ici...

— D’accord, pas ici. Mais on remettra ça.

Ils coururent à travers les prairies vers le jardin de Jeanne.

 

— Attention ! glissa Max à sa sœur.

Deux adolescents en VTT descendaient un sentier dans leur direction. C’étaient Loïc et Thomas, deux voisins qui leur menaient la vie dure. Les enfants se cachèrent derrière des buissons.

— Merci ! chuchota Aube soulagée de leur échapper.

— Tais-toi ! ordonna son frère.

Les vélos filèrent devant eux à toute vitesse et en dérapant, sans souci d’abîmer la nature. Max tenait à passer inaperçu pour ne pas affronter les moqueries ou les insultes. À l’école, il essayait toujours d’éviter Loïc. Ils étaient dans la même classe. Mais Loïc était plus costaud et très populaire. Entouré d’une bande de copains, il passait son temps à s’en prendre aux plus timides et plus calmes que lui. Avec son grand frère Thomas, il était encore plus redoutable. Ils se comportaient comme si la colline leur appartenait. Quand ils eurent disparu, Aube et Max respirèrent, se redressèrent et reprirent leur chemin en restant sur leurs gardes.

 

Devant la porte de Jeanne, ils découvrirent le vélo de Noémie abandonné.

— C’est quoi ça ? s’étonna Max.

— Noé est déjà là, répondit sa sœur.

« Et elle vous attend impatiemment pour goûter le thé et les gâteaux » résonna une voix rocailleuse dans leur crâne.

La vieille dame passa la tête par la porte de sa cuisine.

— Venez ! Entrez, les enfants ! les accueillit-elle.

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Claire May
Posté le 12/12/2022
Ce qu'ils sont malins, ces enfants ! Ils ont raison, ce serait trop dommage de ne pas avoir de gâteau ! Pauvre Eléonore qui a juste besoin de calme, elle me fait de la peine, quand même.
J'aime bien le fait que Mistigri se rallie à la cause des enfants, il me semble bien hypnotique, ce matou !
Petits bémols :
-comme des grenouilles devant un étang ou comme des dompteurs de serpents => j'adore les grenouilles devant un étang ! mais il me semble qu'une grenouille ne sourit pas comme un dompteur de serpents. Bon, les deux comparaisons sont bien, mais je pense qu'il faudrait en sacrifier une pour que l'autre puisse exister pleinement.
- La petite chatte sauta aussitôt sur ses genoux, qu’elle commença à pétrir en regardant les enfants de ses yeux ronds et jaunes. => il faudrait revoir cette phrase, sinon, on dirait que c'est Eléonore qui a des yeux ronds et jaunes.
Toujours un plaisir, en tout cas,
A bientôt !
MichaelLambert
Posté le 17/12/2022
Ah merci pour tes remarques : soudain je vois les yeux ronds et jaunes d'un serpent qui sourit ! Et je me prends moi-même les pieds dans mes accumulations et mes phrases à rallonge !
C'est précieux de pouvoir relire mon texte avec ce genre de retour en tête (je suis très visuel quand j'écris mais c'est toujours difficile de se rendre compte de ce que les lecteurs et lectrices se font comme image!)
Claire May
Posté le 18/12/2022
Haha ! ravie d'avoir aidé pour les yeux de serpent alors :D
Elly Rose
Posté le 09/11/2022
Finalement je n'ai pas su attendre pour finir de dévorer tous les chapitres. J'ai grand hâte de découvrir la suite.
C'est une histoire vraiment passionnante et qui je pense plaira beaucoup à mes enfants également.
MichaelLambert
Posté le 09/11/2022
Merci Elly Rose !
Alors, je suis curieux : quel âge ont tes enfants ? (J'ai écrit pour l'enfant en moi, mais pas facile de lui donner un âge à celui-là ni de savoir à partir de quel âge de vrais enfants pourront lire ça.)
Si tout va bien, le prochain chapitre arrive demain. Je suis en phase de relecture et j'arrive à retravailler et corriger un chapitre par jour pour le moment. Et des commentaires comme celui-ci ça m'encourage à tenir le rythme !
Elly Rose
Posté le 09/11/2022
Je suis une grande enfant dans l'âme je crois. C'est typiquement le genre d'histoire qui me passionne très rapidement. Mes enfants ont 10 et 4 ans mais approximativement je pense qu'à partir de 7-8 ans ils pourront très bien le lire (bon peut-être un peu plus complexe pour eux avec le passage sur les seringues mais avec une explication adaptée je pense que c'est jouable)
Je serais ravie de pouvoir continuer à lire demain ou lorsque le prochain chapitre sortira en attendant je vais reprendre mon écriture ;)
MichaelLambert
Posté le 09/11/2022
Je croise les doigts pour que ce soit effectivement accessible à partir de 7-8 ans pour les bons lecteurs. Et j'avais envie d'aborder des sujets difficiles même à cet âge, tout en restant léger. Merci pour ces précisions !
Bonne écriture !
Elly Rose
Posté le 09/11/2022
Je pense sincèrement que le sujet a été abordé avec beaucoup de douceur. Les enfants peuvent comprendre que ces seringues représentent quelques choses de mal car elles rendent les gens malades sans pour autant rentrer dans des détails trop sombres et peu adaptés.
Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placer pour en juger mais à mon sens c'est tout à fait accessible pour les jeunes lecteurs!
Merci à toi
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