Chapitre 12 : Enora

Par Maric
Notes de l’auteur : chapitre remanié

Révélations

Ma cousine est impatiente, à deux doigts d’exploser.

  • Allez, accouche !
  • Ok, mais je te préviens, tu vas me prendre pour une folle.
  • Alors ça, ça m’étonnerait, je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi raisonnable que toi.

Ce n’est pas forcément un compliment dans sa bouche mais je dois reconnaître que c’est totalement vrai. Alors je cède lui racontant, l’irracontable, ce souvenir que je voulais enfouir mais qui ne veut pas se laisser ensevelir.

Ma cousine m’observe, silencieuse. Je sens que ça cogite dur « là-haut » et ça me met mal à l’aise. Je me demande ce qu’elle en pense.

Elle se lève je la sens hésitante. Elle ouvre la bouche pour parler et la referme. Elle marche autour de moi me filant le tournis. Elle m’angoisse, j’ai besoin de savoir ce qu’elle a en tête.

  • Stop Laure ! j’ai la tête qui se dévisse à te voir me tourner autour comme ça !

Un sourire penaud soulève le coin de ses lèvres et elle consent à s’assoir.

  • Tu sais ce qui m’a toujours surpris chez toi, c’est que tu n’as jamais parlé de tes parents, jamais posé de questions.

Etonnée par cette entrée en matière, je ne vois pas où elle veut en venir.

  • Je te parle de choses étrange genre télépathie, loups bizarres et toi tu me parles de mes parents, quel rapport ?

Laure pouffe de rire devant mon air ébahi, je me demande si elle a tout entendu de ce que lui ai dis

  • T’inquiètes, Enora, j’ai bien compris le bizarre de la situation mais on va y aller point par point et le premier est le problème qui t’a fait fuir. C’est bien ça ?

J’opine du chef, silencieuse et elle reprend :

  • Quand tu es arrivée chez nous, on ne pouvait pas t’approcher. Tu piquais une crise si on t’effleurait. Je ne te cache pas que pour les parents ça n’a pas été une sinécure. Il a fallu plus de six mois avant que tu m’acceptes dans ton entourage et plus d’un an avant qu’on puisse te prendre dans nos bras ou t’embrasser.

Je n’en reviens pas, je n’en ai aucun souvenir mais j’étais si petite, ceci explique sans doute cela. Donc mon problème remonte à ma prime enfance, je m’en doutais un peu ceci dit.

  • Mais d’où cela peut-il venir ?
  • J’ai interrogé mon père il y a quelques années, car ça me semblait tellement bizarre que tu te refermes à chaque fois que je parlais de tes parents.
  • Qu’est-ce que tu as appris ?

Et c’est à mon tour d’écouter Laure sans rien dire. J’ai l’impression qu’elle parle de quelqu’un d’autre.

  • Mon père se souvient de sa sœur comme d’une enfant très renfermée, solitaire, refusant toute effusion, un peu comme toi finalement. Vers l’adolescence elle s’est transformée en une jeune fille souriante et ouverte, Mon père la soupçonnait de jouer un rôle. Il n’a jamais pu croire qu’elle ait changé à ce point du jour au lendemain.

Laure s’interrompt songeuse, elle semble mettre ses idées en ordre. Pour l’instant tout ce que j’apprends ne me provoque aucune émotion, c’est terrifiant, elle parle de « mes » parents et je ne ressens… rien ! Elle pourrait aussi bien parler de la voisine. J’écoute attentivement la suite intriguée.

  • Elle s’est mariée jeune avec ton père qui était plus âgé et avait une très bonne situation. Mon père pense que cela a joué dans son choix, mais le mariage semblait heureux et ils se sont mêmes rapprochés de mes parents à ma naissance. Puis ton père a hérité de cette maison d’un parent, on ne sait pas qui. Et lorsqu’ils sont passés nous voir en rentrant de leurs premières vacances en Bretagne, tout avait changé.

Je suis surprise, j’avais toujours pensé que cette maison appartenait à ma mère.

  • Tu es sûre que la maison était à mon père ?
  • Certaine, mon père a vu les papiers lorsqu’ils ont fait le tri après leur décès.
  • Excuse-moi, continue Laure !

Ma cousine se lève et se dirige vers la cuisine. Je la suis étonnée.

  • Je continuerai en préparant à manger, il est déjà tard.

Je l’aide à préparer un repas rapide, on a bien mangé à midi. Me remémorer le manoir me tire une grimace. Je suis sur les charbons ardents, mais prépare la salade tandis que Laure bat les œufs pour l’omelette.

Je me demande encore en quoi ces révélations peuvent éclairer ce qui m’arrive et j’ai toujours cette intrusion dans un coin de ma tête comme une alarme qui clignote. L’angoisse monte, je respire et pour la faire descendre je pense à mon espace de fils colorés qui s’invite dans mon sommeil.

Laure met l’omelette à cuire tendis que je dresse la table. J’essaie de remettre la conversation sur les bons rails, mais d’un geste elle me fait taire. Ok j’attendrai qu’on soit à table. Ai-je le choix ?

Une fois installée, nos assiettes bien garnies, elle daigne reprendre son récit.

  • Alors, j’en était où… ah oui ! Ta mère était redevenue froide, indifférente. Lorsque tu es née, c’est ton père qui a prévenu mes parents. En quatre ans, mes parents les ont vu deux… ou trois fois maximum et d’après ce que mon père a compris c’est sur l’insistance du tien qui voulait qu’on te connaisse un peu. La dernière fois que mes parents les ont vu, ton père a laissé entendre qu’il voulait divorcer et avoir ta garde c’était peu de temps avant l’accident.

J’ai interrompu mon repas à ses révélations qui me laissent songeuse. Elle a raison, comment se fait-il que je n’aie jamais posé de question, pire qu’ils me soient totalement indifférents.

Laure me fait signe de manger et c’est en silence que nous terminons notre repas chacune dans nos pensées. En vérité, je ne sais pas si j’ai envie d’en savoir davantage, mais cela semble inévitable pour arriver à me comprendre et à avancer.

Tandis que je débarrasse, Laure ferme volets et porte et nous prépare un café. Nous nous installons à nouveau dans le salon. Elle allume la télévision qu’elle met en sourdine sur une chaine musicale pour couper ce silence qui s’est installé entre nous.

J’attends patiemment en buvant mon café à petites gorgées et en la regardant faire la même chose. Elle a les yeux dans le vague comme si elle remettait de l’ordre dans ses idées. Elle me sourit en me disant qu’elle a retrouvé le fil.

  • De ce que j’ai compris, ma mère était avec la tienne ainsi que nous deux dans le salon et nos deux pères sont allés faire un tour au jardin. Ton père a dit que ta mère était devenue étrange, qu’elle avait l’air dans un autre monde et qu’elle ne montrait aucun sentiment maternel. Elle partait souvent seule en Bretagne te laissant avec la nounou qu’ils avaient à domicile.

Laure s’interrompt, me regarde hésitante, je la sens émue apparemment plus que moi pour ce père pour lequel je n’ai même pas une place dans mon cœur et à ce moment-là je le regrette, mais avant que je lui propose d’arrêter, elle reprend

  • Un jour il est rentré plus tôt que prévu parce qu’il l’avait appelée à plusieurs reprises sans avoir de réponse ni de message. Donc quand il a franchi la porte il l’a entendu hurler contre toi que tu ne devais jamais te servir de tes pouvoirs. Il est monté doucement pour qu’elle ne l’entende pas, il était terrifié par ce qu’il avait entendu et il craignait pour toi.

Je me lève brusquement, je souffle pour desserrer cet étau qui m’enserre la poitrine. Je n’ai toujours pas de souvenirs, mais des sensations commencent à remonter de ce vide sidéral qu’est ma prime enfance.

Je fais signe à Laure qu’elle peut continuer son récit, je sens quand elle parle qu’elle a la gorge serrée.

  • Quand il a regardé par l’entrebâillement de la porte, il a vu ta tête dans les mains de ta mère et elle proférait des paroles inintelligibles, ses cheveux et les tiens étaient dressés et crépitaient d’électricité. Il a dit à mon père qu’il est resté bloqué sans faire un bruit mais ta mère s’est retournée et a ouvert la porte comme une furie, criant qu’il ne devait jamais répéter ce qu’il venait de voir. Tu avais le regard vide et il s’est précipité vers toi en lui affirmant qu’il n’avait rien vu. Tu l’as regardé, comme si tu ne le reconnaissais pas, tu semblais choquée. Ton père a raconté au mien que depuis il avait l’impression d’être un étranger et que parfois tu semblais te demander où tu étais. Il avait décidé de t’éloigner d’elle. Et quelques jours après tes parents sont morts.

Je reste silencieuse, pensant à cette mère qui croyait que j’avais des pouvoirs, comment avait-elle glissé ainsi sur le chemin de la folie. Qu’avais-je vu ou entendu pour que j’en oublie jusqu’à leur existence, du moins pour qu’aucun sentiment ne m’étreigne lorsque leur nom est prononcé.

  • Mon père m’a dit aussi que quand ils ont rangé leurs affaires, il y avait une dizaine de cahiers écrit dans une langue qu’il ne reconnaissait pas. C’était l’écriture de ta mère. Il pensait qu’elle avait perdu la boule, mais maintenant, je me pose des questions.

Laure attend que je m’exprime et la seule émotion qui me vient est la colère

  • Mais pourquoi tu ne m’as pas raconté ça plutôt ?
  • Je l’aurais fait si tu m’avais laissé te parler de tes parents, mais à chaque fois que j’abordais le sujet, tu te fermais comme une huître et quittais la pièce, j’ai fini par abandonner et penser que c’était peut-être mieux pour toi.

Oui, je me souviens de toutes ses tentatives. Je ne comprenais pas pourquoi il aurait fallu que je sache quoique ce soit sur ces personnes qui m’indifféraient. Je lui en voulais de me rappeler à chaque fois que ses parents n’étaient pas les miens.

  • Tu comprends pourquoi il fallait que j’aborde ce sujet avant d’en venir à ce qui s’est passé.
  • Ok, ma mère était folle mais encore une fois quel rapport ? Je ne ressens rien pour elle, qui apparemment m’avait abandonné avant sa mort.

Laure me regarde gravement, je sens que rien n’est terminé et que je vais avoir encore des surprises, et pas des bonnes.

  • Je pense que c’est la télépathie !

Je la regarde, les yeux ronds, comme si elle avait perdu la tête.

  • Quand tu es arrivée chez nous, tu étais étrange au-delà du fait que l’on ne pouvait pas te toucher. Il t’arrivait de répondre à des questions qu’on n’avait pas posées ensuite tu faisais un malaise. J’avais six ans mais je me souviens avoir entendu mes parents dire que tu leur faisais peur. Et comme les douleurs augmentaient chaque fois que tu utilisais cette capacité, tu as fini par comprendre j’imagine et en quelques mois, tout cela s’est arrêté.

Je n’en reviens pas. Laure a perdu la tête, c’est pas possible autrement, puis un éclair illumine le souvenir de la phrase de Yaël entendu dans mes pensées. Lasse, je vois que je n’ai plus le choix. Je dois faire face alors que ma cousine reprend :

  • Je pense que depuis tout petite quand on te touche ça déclenche quelque chose dans ta tête et ça devient douloureux. J’y ai bien réfléchi pendant qu’on mangeait et je crois que de ta capacité à entendre les pensées, il n’est resté que cette douleur quand elles te titillaient.

Je suis tellement soufflée, que je l’interroge du regard, complètement à l’ouest.

  • Je crois que c’est ce qui s’est passé avec ton ex. Avec nous tu étais en sécurité et on a fini par t’atteindre. Mais quand votre contact est devenu plus intime, j’imagine que ses pensées t’ont agressées, même si tu ne les a pas entendues, pour moi c’est ce qui a provoqué tes crises d’angoisse.

C’est logique, mais ce qui me stupéfie c’est la sérénité avec laquelle elle parle de cette... « chose impossible » Je lui fais part de ma réflexion et elle me répond d’un ton triste qu’elle a eu quelques années pour y réfléchir.

  • J’avais remarqué que tu évitais tout contact physique. Au début j’ai cru que c’était ta timidité, puis j’ai fait le lien à force de te voir souffrir quand il y avait trop de monde près de toi
  • Pourquoi moi je n’ai pas compris ?
  • Parce que tu n’as aucun souvenir de ton enfance, que tu t’es forgée une carapace et surtout que tu n’acceptes pas, j’en veux pour preuve ce qui s’est passé avec Yaël. Enora, je crois réellement que tu as un pouvoir télépathe, bien que je ne comprenne pas comment c’est possible. Il est atrophié, mais il est là !

C’est d’une logique implacable, mais j’ai du mal à l’accepter… malgré les faits. Puis allégeant l’atmosphère, la malice brille dans le regard qu’elle pose sur moi et un sourire ironique étire ses lèvres.

  • D’ailleurs puisqu’on parle de Yaël... Tu n’aurais pas quelque chose à me dire.

Je hausse les épaules et lève les yeux au ciel, je n’ai rien à dire.

  • Haha, s’esclaffe-t-elle, je ne lis pas dans les pensées… mais en général une joue rouge sur laquelle on passe sa main est un signe de gifle récente.

Je rougis car c’est un fait que j’ai omis de lui raconter, n’en étant pas particulièrement fière.

  • Ouais, bon ! je l’ai peut-être un peu giflé mais c’est de sa faute…

Laure éclate franchement de rire

  • Un peu ! sa joue était cramoisie. Ma belle, tu changes et crois-moi en mieux. Je ne t’ai jamais vue te rebiffer, alors une gifle…
  • Personne non plus ne m’avait traité de lâche… dans ma tête.

Ma cousine essuie ses yeux, se calme et vient s’assoir à côté de moi. Je la prends dans mes bras, envahie par l’émotion et la reconnaissance. Elle me serre contre elle, je sens les larmes affluer et je suis contente à ce moment que ses pensées ne me « titillent » pas comme elle dit. Grâce à elle j’ai ouvert une brèche sur mon passé et je prends douloureusement conscience de l’existence de mon mur mental, même si tout me pousse à le nier. J’ignore seulement comment il fonctionne. Dans les bras l’une de l’autre, je ressens tout son amour.

Nous sommes dans notre petit cocon mais je sais avec l’intuition qu’apparemment j’avais enfant, que l’on est seulement au début de l’histoire. Mon alarme interne ne cesse de clignoter.

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Laure Imésio
Posté le 01/08/2022
Coucou Maric,
Un chapitre qui porte bien son nom. Laure en sait long sur sa cousine. Son enfance nous éclaire et nous confirme qu'elle a vraiment des pouvoirs. Quelle fine analyste ! J'aurais peut-être davantage impliqué Enora dans l'interprétation des faits. C'est sa cousine qui fait tout le travail et peut-être comprend un peu trop facilement. Quelques coquilles pour finir:
choses étrange-) étranges
ai dis-) dit
tendis que -) tandis
j’en était -) étais
A bientôt.
Maric
Posté le 02/08/2022
Coucou Laure
Je suis assez d'accord avec toi. Je suis partie du principe que n'ayant aucun souvenir ni sentiments,elle écoutait et intervenait très peu. Je reverrai ça à la réécriture
Merci pour tes commentaires avisés qui m'aident.
À bientôt
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