Chapitre 12

Par Perle
Notes de l’auteur : Le rythme de publication est de pire en pire JE SUIS DESOLEE. N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez du roman en général, et ce que je pourrais améliorer !! Bonne lecture <3

Nous nous réveillons très tôt, mais je parviens à me lever rapidement. Rose bâille, somnolant encore à moitié, et je la tire hors du lit. Nous nous partageons la salle de bain. Je me coiffe de la couronne de fleurs qu’elle m’a offerte. Elle en porte une aussi. Je nous aperçois dans le miroir et je nous trouve jolies. Diya surveille les réseaux sociaux en prenant son petit-déjeuner. Elle annonce que des mouvements similaires au nôtre se créent partout dans le monde. Nous nous sentons soudain moins seuls, et encore plus déterminés. Nous partons le plus vite possible. Nous ne prenons pas les transports en commun : aujourd'hui nous nous révélons au monde. Aujourd’hui nous n’avons plus à nous cacher. Aujourd'hui c’est nous qui décidons, de tout. À dos de méduse, de cerf, de tortue, de vache et de crocodile, nous quittons l’immeuble. Nous rejoignons la gare et longeons la voie ferrée, nous écartant pour laisser les trains passer – chaque fois, les voyageurs nous dévisagent avec des yeux ronds. Nous profitons du trajet pour répéter ce que nous voulons dire. Avec Rose, Diya est la plus à l’aise, celle qui trouve les bons mots et nous reprend avec gentillesse. Il rayonne autour d’elle quelque chose de très bienveillant. Je repense à notre première rencontre et je souris. Ça me semble lointain, mais c’était il y a quelques jours. Nous avons beaucoup avancé en très peu de temps. J’ai espoir, enfin.

Dans Paris même, nous survolons les toits. De jour tout est différent. Les rues grouillent de monde, et les réverbères sont comme invisibles. Les enseignes ne se découpent plus brillamment sur la nuit violette, les devantures des magasins n’aspergent plus de lumière blanche le trottoir. Tout est plus réel sous le soleil. Les gens nous observent encore, nous nous amusons à les saluer pour les laisser éberlués au milieu des boulevards. J’aime bien leurs airs écarquillés. Éléphant s’amuse à aller plus haut que les autres animaux, à s’envoler pour me faire voir le monde. Elle m’emporte loin de tout – loin de certaines images, surtout. La seule chose dont je dois me préoccuper, c’est du monde entier (et ça me convient bien).

 

Nous arrivons au Café Velours avec cinq minutes d’avance. Nous nous regroupons devant la terrasse. Tout le monde s’écarte, quelques clients s’enfuient. Nous repoussons gentiment les personnes qui voudraient admirer nos animaux trop longtemps. Sohan regarde à l’intérieur du café, tentant de localiser le journaliste. C’est une voix féminine qui s’élève dans notre dos :

– Bonjour !

Nous nous retournons : une femme d’environ trente ans, en costume très chic, se tient près de nous. Elle continue, jetant un long coup d’œil aux animaux :

– Honnêtement ? Je n’y croyais pas. Mais c’est impressionnant. Installons-nous.

Nous entrons à sa suite dans le bistrot. Elle semble être une habituée des lieux. Elle regroupe deux tables ensemble, tandis que nous rapprochons des chaises. Les animaux s’engouffrent eux aussi à l’intérieur. Éléphant tente de ne pas prendre trop de place mais reste la plus encombrante. Face à nous, la femme sort son ordinateur et son téléphone. Elle demande si nous sommes prêts. Nous échangeons des regards indécis, puis affirmons que oui. Elle commence alors à enregistrer notre conversation.

– Je vais poser des questions assez générales, n’hésitez pas à en dire plus. Je veux récupérer le maximum d’informations. (après une courte pause, où elle nous sourit à tous :) Déjà, qui êtes-vous ?

Nous plaisantons en disant que ce n’est pas trop dur pour l’instant, et ça la fait rire. C’est Diya qui se lance en première. Elle dit son prénom, puis ajoute :

– J’ai vingt ans, je suis en études de biologie, à Rennes. L’animal qui m’accompagne est une vache, et elle s’appelle Hollywood.

Je trouve qu’elle a bien choisi, j’échange avec elle un regard amusé.

– Je m’appelle Sohan. J’ai le même âge et je fais les mêmes études, dans la même ville. Mon crocodile s’appelle Ronald.

– Je m’appelle Estelle, continué-je. Comme eux. Ma méduse s’appelle Éléphant.

Je lui explique l’origine du prénom car elle est étonnée. Rose poursuit :

– Je m’appelle Rose. Je suis en lettres mais sinon pareil. C’est un cerf qui est avec moi, je l’ai appelé Céphée.

– Et je m’appelle Tom. Je suis à Paris en sciences politiques. J’ai vingt-deux ans. Et la tortue s’appelle Obsidienne.

La femme finit de prendre ses notes et en relevant la tête fait remarquer :

– Intéressant que vous me présentiez aussi vos animaux. Ils comptent beaucoup pour vous ? Ils sont aussi importants que des êtres humains ? Qu’est-ce qu’ils représentent ?

– Je crois que je parle pour chacun en disant que oui, déclare Diya. Ils sont aussi importants que des êtres humains. Ils sont aussi intelligents c’est sûr.

– Et puis il y a une connexion entre eux et nous. On se comprend sans se parler. Ils savent ce que nous ressentons, continue Rose. Quand on est triste ils cherchent à nous consoler.

– Ils jouent avec nous aussi, précise Tom. Ils éprouvent des choses aussi.

– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? demande la journaliste.

Nous l’inondons de nombreuses anecdotes. Certaines sont très touchantes, et j’aime beaucoup découvrir Diya, Sohan et Tom à travers elles : c’est comme feuilleter un album photo.

– Obsidienne m’aide à travailler, explique Tom. Quand je révise elle est toujours avec moi. Je lui récite mes cours, elle fait rouler mes crayons vers moi parfois, pour que je surligne quelque chose. Quand j’ai une mauvaise note elle me réconforte. Et puis elle aime bien choisir mes vêtements !

– Il adore que je le dessine ! continue Sohan. Il pose pour moi, pendant des heures. Et ça me fait rire parce qu’il préfère certains dessins à d’autres, du coup il y en a que j’ai affichés dans ma cuisine, et d’autres pas.

– Elle est apparue un peu plus d’un mois après que ma grand-mère est morte, raconte Diya. Au début j’ai même cru que c’était elle. Elle est très bienveillante, Hollywood. Elle s’endort souvent le soir près de moi, et quand je pleure, elle m’apporte un livre ou un film pour me distraire. Et on le lit, ou le regarde, ensemble.

Je jette un coup d’œil à Hollywood, qui pourrait presque ressembler à une vache normale, si ses cornes étaient un peu plus courtes, et ses yeux encore là, et ses taches seulement noires et pas piquetées d’astres en mouvement. J’hésite un instant à confier mon histoire, puis décide de me livrer.

– Ils ont des instincts très forts, qui les dirigent. Ils savent toujours où aller et où être. Un soir, quelques jours après l’apparition d’Éléphant, j’ai sauté de mon balcon. Elle m’a rattrapée. Et pendant mes crises d’angoisse elle sait comment se comporter.

Rose pose une main sur la mienne, et entrelace nos doigts. Je tremble un peu mais je sais oublier pourquoi j’ai voulu me tuer.

– Vous avez tous ce genre de problèmes ? Est-ce que l’apparition des animaux est liée à cela, à une dépression, à des troubles mentaux ? Un choc psychologique ?

Tom et Sohan secouent la tête, Diya répond :

– Non. Je suis en bonne santé. Nous savons pourquoi ces animaux sont là.

– Pourquoi ?

– À cause du dérèglement climatique.

La journaliste fronce les sourcils.

– Vous voulez dire qu’il a provoqué la création d’une nouvelle espèce ?

– Nous ne savons pas exactement ce qui est à l’origine de la naissance des animaux, répond Rose. Nous ne savons pas si c’est la Terre elle-même, ou si c’est nous.

– Ça pourrait être vous ?

– Nous nous sommes réunis pour tenter de comprendre. Nous avons réalisé que nous nous posons tous exactement la même question. Nous nous demandons si nous allons connaître l’effondrement de la société, l’annihilation de la nature, et une fin brutale du monde tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Elle laisse ses mains suspendues au-dessus de son clavier, dubitative.

– C’est un peu extrême.

– Et pourtant nous sommes des milliers à avoir la même interrogation, rétorque Sohan. Nous sommes des milliers à être paralysés ou mus par l’angoisse. Nous sommes des milliers inquiets pour notre avenir.

– Mais quel est le rapport avec les animaux ?

– Nous pensons, puisqu’ils sont très fortement reliés à nous, que notre peur les nourrit, expliqué-je. Que c’est peut-être de là qu’ils tirent leur énergie, voire grâce à cela qu’ils sont nés. Leur but est de nous aider à empêcher le pire d’arriver, à nous battre à armes égales contre des gens qui ont plus de pouvoir que nous.

Diya continue :

– Nous ne savons pas exactement comment les animaux sont apparus, et nous ne le saurons jamais. Nous ne pouvons que faire des déductions. Mais…

– Pourquoi ne pas les étudier dans ce cas, par exemple ?

L’idée nous horrifie. C’est Rose qui répond :

– Ça serait purement amoral. Ils sont aussi sensibles, voire plus, que des humains. L’important est qu’ils soient là, qu’ils soient bienveillants, et qu’ils nous permettent de mieux faire passer notre message.

– Justement, quel est votre message ?

Diya inspire. Elle a un air très sérieux et déterminé quand elle déclare :

– Nous demandons au gouvernement d’agir. Et pas dans dix ans : maintenant. Et pas de compromis. Ce n’est plus possible. Il y aura forcément des dégâts maintenant que nous avons trop attendu, mais il faut faire tout ce qui est en notre possible pour les limiter.

Elle se tait un instant, reprend plus fort :

– Nous savons que nous demandons à des gens qui de toute manière ne subiront pas les conséquences du réchauffement climatique d’agir pour nous sauver, nous savons que nous devons supplier et que nous n’avons aucun moyen de pression. Mais nos animaux sont un symbole clair : nous avons la Terre de notre côté. La nature. Nous faisons la bonne chose.

La journaliste hoche la tête. L’interview continue encore longtemps, et nous échangeons beaucoup, prenons la parole à tour de rôle, expliquons plus personnellement les raisons de notre engagement et de notre peur. Nous nous impliquons, nous nous révélons, nous nous découvrons peu à peu. Ça me rend heureuse de nous entendre, si différents et si unis à la fois. La journaliste nous fait parler le plus possible. Ce n’est qu’au bout de deux heures que nous mettons fin à l’interview. Avant de nous quitter, la femme demande à nous prendre en photo auprès de nos animaux. Nous acceptons. Elle prend quelques clichés en intérieur, puis nous fait sortir. Nous nous plantons au milieu du boulevard brûlant de soleil, et sous la lumière blanche comme celle d’un projecteur, nous faisons face à l’objectif. Je crois qu’aucun de nous ne sourit. Éléphant, Céphée, Ronald, Hollywood et Obsidienne se tiennent à nos côtés. Nous sommes fiers et volontaires. La foule nous dévisage, que ça soit dans la rue ou aux fenêtres. La journaliste nous remercie chaleureusement, un par un, et nous explique que l’interview sortira le lendemain. Elle ajoute qu’elle a communiqué notre numéro à d’autres personnes, de médias différents.

– Votre cause est importante. Je vais faire ce que je peux pour vous aider.

Elle paraît humaine pour la première fois depuis le début de la journée. C’est seulement quand elle repart, et que j’aperçois son ventre arrondi sous sa chemise, que je réalise qu’elle est enceinte.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez