Chapitre 11 : Rugissement

Notes de l’auteur : La principale difficulté de ce chapitre est parvenir à rendre l'action lisible malgré de multiples changements de points de vue, dites-moi si c'est réussi :D... enjoy !

— Alors ?

— Les recherches n'ont rien donné.

Adhara se pinça les lèvres.

— Mais où a-t-il pu bien passer ?

Bénen secoua la tête d'un air impuissant.

— On a perdu sa trace. C'est normal, il devait l'effacer. Sauf que du coup on ne peut pas le retrouver.

La princesse chassa d'une main rageuse la carte de la région. Son second, nommé provisoirement dans l'attente du retour incertain de Lohan, la considérait d'un regard sombre. Malgré la gravité qu'il affichait, elle savait pertinemment qu'il n’était pas mécontent de la disparition de son prédécesseur, qu'il jugeait trop extrême.

— Bon, passons, fit-elle, irritée. Où en est l'entraînement des nouvelles recrues ?

— Alors...

Adhara sentit ses doigts trembler légèrement sur sa chaise. Cette vibration était infime, mais elle attira néanmoins son attention, et elle se rendit compte à la lumière ambiante que le bâtiment où ils se trouvaient, à savoir la Tour, bougeait. Un lointain grondement, si atténué qu’il ressemblait à un ronronnement, se fit entendre.

— Chut ! s’exclama-t-elle, interrompant son prétendu père au milieu d’une tirade qu'elle n'écoutait pas. Tu entends ?

— Entendre quoi ? répondit-il, agacé.

— On dirait un tremblement de terre.

Il fronça les sourcils et se tut, tendant l'oreille.

— Je n'entends r...

Ses yeux s'agrandirent.

— Ça devient de plus en plus fort, souffla Adhara.

Elle se précipita à la fenêtre et put voir des fragments de pierre tressauter sur le rebord. Quelques exclamations s'élevèrent dans sa belle cité alors que le grondement allait croissant. Elle porta son regard sur le tunnel d'accès alors qu'une clameur indistincte venait se mêler au tonnerre. Elle se figea. Des voix. Des voix humaines. Qui criaient de rage.

Elle fit volte-face vers Bénen.

— Sonne l'alerte, c'est une attaque !

Il sortit immédiatement de la pièce, ses ordres résonnant dans la cage d'escalier. Adhara contempla les ombres qui, hagardes, sortaient de leur maison pour jeter des regards alentours. Elle serra les dents et son regard se fixa sur l'entrée du tunnel. De ronronnement à grondement, c'était désormais un rugissement tonitruant qui faisait trembler toute la cité. Une bête monstrueuse et assourdissante qui leur fonçait dessus de toute la force de sa rage.

Adhara ne perdit pas plus de temps, elle déchira les pans de sa robe pour se libérer du poids des étoffes et lui permettre une plus grande amplitude de mouvement. Lorsque ses iris dorées se posèrent de nouveau sur le tunnel, elle vit surgir une file de cavaliers bariolés. Des Sylviens.

Ses sourcils blonds se froncèrent, ses yeux flamboyèrent.

 

*

 

Lohan ne se gêna pas pour se servir généreusement dans les rangements de Clervie. Il amassa une semaine de provisions pour deux, puis en fit de même pour le matériel. Asha alla seller Nuit dans un silence à la fois enthousiaste et attristé.

— Bon, tu montes ? lança Lohan après avoir harnaché sa jument. Je sais que la selle est faite pour une seule personne, mais on a pas trop le choix.

— C'est juste que...

— Quoi ?

Asha fixait la chaumière d'où elle percevait encore les pleurs de Clervie.

— Je n'ai pas envie de la laisser comme ça...

— Peut-être, mais on a pas le choix. Allez, monte, on n’a pas de temps à perdre.

Après un dernier regard hésitant, la jeune fille obtempéra et se jucha sur la selle. Lohan, après avoir installé une couverture rembourrée sur la croupe de son cheval, en fit de même.

— Au fait, merci de me l'avoir ramenée, souffla-t-il en talonnant sa monture.

— Je n'ai rien fait, c'est elle qui m'a trouvée. Et qui t'a trouvé.

Elle se tourna pour voir la petite maison de sa sauveuse s'évanouir dans le vert de la forêt, les yeux mélancoliques.

 

*

 

Lohan ne put s'empêcher de frémir en apercevant le lac miroiter entre les arbres. Il se rappelait clairement de la scène qui s'était déroulée ici. Du miracle qui s'était produit. Et de sa réaction violente. Il jeta un coup d'œil à Asha qui contemplait, le visage impassible, l'onde former des vaguelettes éphémères.

— Il ne faut pas laisser ça là, lança-t-elle.

Il sursauta et baissa les yeux sur un voile de lin déchiré et tâché de sang. Ses prunelles parcoururent le rivage et trouvèrent ce qu'il avait abandonné là dans la précipitation : sa ceinture et sa cape noire. Il descendit de cheval et revêtit ses vêtements humides. Asha l'observait d'un œil inquisiteur. D'une main légèrement tremblante, il saisit le sac dans lequel il avait transporté son cadavre et le fourra sans ménagement dans une besace qui pendait au flanc de Nuit.

— Tu es contente ? siffla-t-il.

Elle hocha la tête, un petit sourire dansant sur ses lèvres rosées.

Ils reprirent leur route, abandonnant derrière eux les eaux brillantes du lac qui semblaient vouloir les retenir.

 

*

 

Le grondement résonnait, lointain mais puissant. Il semblait à Conan que la terre tremblait. Figé en face du tronc, sa respiration saccadée secouait son torse comme pris d’un étau. Il fixa le vide de la forêt face à lui, ce silence qui détonnait avec le tonnerre rugissant dans le tunnel. Ce fut plus fort que lui. Il fit volte-face et s’élança dans les profondeurs béantes de la Cité des ombres, à la poursuite de ce vacarme lugubre.

Il courut à en perdre le souffle, détalant dans le boyau sporadiquement éclairé, poursuivi par sa peur et sa culpabilité. L’écho du galop furieux des chevaux sembla se diluer, au profit d’une clameur sauvage qui ébranla bien plus encore la cavité.

La lumière qui arriva au bout du tunnel n’eut rien de salvatrice. Conan stoppa net, le souffle effréné. Il avait émergé sur le chaos.


*


Après trois jours de chevauchée vers le sud, ils arrivèrent dans une forêt qui semblait étrangement vide. Asha jeta son regard observateur sur la voûte feuillue, les branches, les troncs et les racines. Il s'arrêta sur le sol. Elle percevait sans pouvoir se l'expliquer une activité anormale qui rongeait l'humus tendre.

— Bon, fit Lohan. Je l'ai promis alors je vais t'amener chez toi, mais je vais d'abord retourner dans la Cité des ombres pour montrer signe de vie. Tu resteras cachée dehors. Je n’en ai pas pour longtemps, ne t’inquiète pas.

Elle hocha la tête. Ils se dirigèrent vers ce qui semblait être l’épicentre du mal de la forêt. Ils se retrouvèrent devant un tronc large et tordu qui dévoilait entre ses racines écartées l’entrée béante d’un tunnel souterrain. Asha frissonna. Elle était déjà passée deux fois par ce lieu, mais elle n’en gardait pas de souvenir. À ses yeux, ce trou d’un noir dense avait tout d’une porte infernale.

Elle sentit Lohan se tendre près d’elle.

— Ça ne devrait pas être ouvert ainsi… fit le jeune homme, les sourcils enfoncés sur ses yeux sombres.

Cette fois, ce fut à elle de se raidir. Elle percevait dans ce tunnel infernal des cris, des grondements, et l’écho d’un millier de souffrances.

— La guerre…

— Quoi ?

Elle pointa du doigt les traces bien visibles d’une grande troupe de cavalier qui s’engouffraient dans le néant.

— C’est ma tribu, souffla-t-elle. Ils sont venus. Pour se venger.

Ses yeux lentement écarquillés croisèrent ceux, horrifiés, de Lohan.

— Descends de là ! s’écria-t-il. Je dois y aller !

Asha fit passer toute sa détermination dans ses prunelles.

— Non, je viens.

Il serra les dents et renonça à tenter de la raisonner. Il enfonça brusquement ses talons dans les flancs de Nuit qui se cabra et fondit dans l’ouverture ténébreuse qui les engloutit tous les trois.

 

*

 

Qu’il fut long, ce tunnel. Long et court.

Embrasée d’une énergie transcendante, Keira hurlait sa rage, brandissant bien haut son akkash. Sous elle, Zérif frappait violemment le sol de ses sabots survoltés, secouant son encolure et hennissant férocement.

La jeune fille ne voyait devant elle que la tresse noire de son père qui se tordait en tous sens. Elle se gorgeait de l’excitation ambiante, redoutant comme espérant leur débouchée du tunnel.

Ils émergèrent dans un rugissement du boyau. Une cité souterraine piquée d’étoiles jaunâtres se dévoila, fragile, sous leurs yeux. Aedan composa un ensemble de signes et ils se séparèrent pour dévaler les ruelles effrayées. Les habitants couraient se réfugier dans leur maison ou s’emparaient d’armes de fortune, faisant face, tremblant, à la mort qui galopait vers eux. Keira ignora leur regard suppliant. Elle balança son akkash et les pierres qui y pendaient cinglèrent l’air pour venir percuter un homme qui tenait une vieille épée. Il s’effondra, le crâne réduit en miettes.

La jeune fille eut à peine le temps de penser qu’elle venait de tuer pour la première fois qu’un groupe de soldats leur barra le passage. Baharn, qui menait la troupe, fit un bref signe de la main. Les Hekaours se placèrent à la manière d’oiseaux migrateurs pour fondre sur les gardes. Les akkashs frappèrent et les soldats s’effondrèrent, survolés par les chevaux.

Ils poursuivirent leur route funèbre, convergeant vers la Tour sinistre qui les défiait au loin.

À travers l’odeur puissante de la sueur et de la terre humide, celle du sang émergea lentement. Des cris de rage et de peur résonnaient partout dans un flou d’horreur bruyante. Le crépitement d’un brasier et l’effluves âcres de la fumée envahirent l’air confiné. La mélodie saccadée des armes rythmait ce tourbillon de sens égarés, apportant point d’orgue et silences effrayants à la mort triomphante.

Keira ferma un instant les yeux, des larmes cherchant à se frayer un passage entre ses paupières contractées. Ce n’était pas ce qu’Asha aurait voulu, bien au contraire. Au fond, personne ne le voulait. Alors pourquoi étaient-ils là, à massacrer des inconnus, à jeter les leurs au danger ? Pourquoi tuait-elle ?

Elle se courba sur sa monture qui ralentit, lui jetant un œil inquiet.

Un cri d’aigle la fit lever les yeux. Au même moment une humaine, l’air fou, se précipita sous les sabots de Zérif. Cette dernière fit un écart qui envoya sa cavalière au sol. Un instant sonnée, elle bondit sur ses pieds en voyant la femme se dresser au-dessus d’elle, armée d’un hachoir. Elle évita un coup et répondit de son glaive. La lame s’enfonça dans le ventre de l’ennemie avec beaucoup trop de facilité. Keira se dégagea rapidement alors qu’un deuxième cri suraigu lui perçait les tympans. Elle leva la tête vers un aigle qui la fixait, planant au-dessus d’elle. Elle appela Zérif et remonta prestement en scelle. Puis elle plaça deux doigts sur le talisman qu’elle portait au front et clama d’une voix furieuse :

Gysoni !

 

*

 

Liou se cabra, effrayée par les hurlements qui s’élevaient autour d’elle. Kurtis s’accrocha à sa crinière pour ne pas tomber. Il caressa son encolure, tentant de lui transmettre le peu de chaleur qu’il possédait en cet instant.

— Ça va ? s’enquit Oèn.

Le jeune garçon hocha la tête, incapable de prononcer un mot. Il fut guidé par deux Hekaours en périphérie de la cité. Les guerriers abattaient quiconque croisait leur chemin et Kurtis sentit vite les larmes venir à la vue des cadavres. Une nausée languissante croissait dans son ventre alors que Liou, nerveuse, enjambait les corps baignés de sang.

— I… ici ! croassa-t-il.

Son escorte s’arrêta et l’entoura alors qu’il descendait fébrilement de son cheval. À l’aide d’un bâton gravé, Kurtis traça un cercle sur le sol et l’agrémenta de symboles alambiqués. Il effectua une brève danse autour du cercle puis il posa le bâton devant lui et s’assit en tailleur. Il frappa ses paumes, fermant les yeux. Il fit un effort colossal pour apaiser sa respiration. L’esprit plus clair, il repéra les âmes d’Ealys, Saoirse, Oanell, Daïré et Isbail. Il attendit, retenant son impatience, qu’elles se soient toutes installées, formant un périmètre circulaire autour du théâtre des combats. Il sentit clairement leur esprit flamboyer, prêt à se Lier. Il fit un bref geste de la tête à Oèn qui fit s’envoler un des aigles d’Aedan. Le rapace s’éleva d’un puissant coup d’aile et partit planer au-dessus de la ville en sang. Il poussa un cri bref mais perçant, le signal destiné aux Hekaours.

Kurtis compta trois secondes après le cri et frappa de nouveau ses paumes.

Gysoni !

Il fut immédiatement pris d’un vertige tandis que son front qui portait un talisman le brûla. Un flot de sensations diverses l’assomma à moitié, il faillit rompre le Lien mais se retint au dernier moment. Il remonta le courant et parvint à stabiliser ses sens submergés. Peu à peu, il affina et tria les perceptions qui l’envahissaient. Le Cercle était formé, les Hekaours s’y connectaient un à un. Ce qu’ils voyaient, sentaient et entendaient lui parvenait, à la fois distinct et lointain. Il pouvait ressentir les quelques milliers d’âmes qui habitaient la cité autant que la vie qui fourmillait entre les racines épaisses des arbres.

Impressionné et émerveillé par cet océan de sensations, il en oublia presque sa mission. Mais Saoirse le contacta d’une voix sèche.

Concentre-toi, tu dois guider les groupes de Baharn et Hevolte.

Il acquiesça mentalement et pris une grande inspiration. Il repéra bien vite ceux sur qui il devait veiller. À l’aide de la vision de l’aigle d’Aedan qui survolait le champ de bataille, il put leur indiquer par la pensée la position de leurs ennemis, notamment celles des groupes de soldats adverses.

Il accomplit sa tâche, mais cette marée douceâtre de perceptions lui amena aussi la douleur. Il eut plusieurs fois l’impression vague qu’on lui déchirait la chair, qu’on le brûlait, qu’on le frappait. Il sursautait, frissonnait, luttait pour ne pas perdre le Lien, sans quoi le Cercle s’effondrerait. Mais les larmes coulaient abondamment sur ses joues.

Le groupe de Baharn s’approchait de la Tour grâce à ses indications. Soudain, une vague de souffrance explosa dans son crâne, avant d’embraser son corps en un frisson monstrueux. Il poussa un cri de douleur et s’affaissa. Saoirse, paniquée, s’arc-bouta mentalement pour le retenir dans le Cercle. Il respirait difficilement, l’ensemble de ses muscles contractés à l’extrême.

C’est rien, c’est rien, souffla Saoirse.

— Qu’est-ce… que c’était ?! bégaya-t-il en reprenant ses esprits.

Il sentit l’âme son aînée s’assombrir.

— Un des nôtres est mort.

Elle marqua une pause.

D’autres vont sans doute venir. Courage, lança-t-elle.

Kurtis se redressa lentement, haïssant les rebelles, les Sylviens, et le monde. Il avait l’impression de se battre pour du vent et de récolter une tempête.

 

*

 

Lohan vit une larme brève filer sur la joue d’Asha lorsqu’ils découvrirent avec horreur la scène de guerre qui paradait sous leurs yeux. La jeune fille fixait la ville en proie au chaos d’un visage impassible. Elle avait dans les yeux cette froideur effrayante qu’il commençait à connaître malgré lui.

— Lohan, dit-elle d’une voix sans timbre, je vais te demander quelque chose.

— Non.

Elle fronça les sourcils.

— Mais…

— C’est la guerre, Asha ! Tu ne peux pas me demander de ne pas me battre pour mon camp. Je dois tuer, c’est comme ça !

— C’est là où tu te trompes. Tuer, c’est un choix. Un mauvais choix.

— Ne commence pas à me faire la morale ! Je te rappelle que nous sommes dans deux camps ennemis.

— Non !

Elle leva son visage vers lui, mêlant son souffle au sien.

— Justement, c’est maintenant plus que jamais que nous devons être alliés, Lohan. Je suis vivante, les miens n’ont plus personne à venger. Quant à toi, tu peux intercéder auprès de la « princesse » pour faire cesser les combats.

Ses prunelles décidées le disséquaient en silence. Il baissa les yeux et pinça les lèvres.

— C’est d’accord. Je vais essayer de faire cesser les combats. Je dis bien essayer.

Un bref sourire passa sur les lèvres de la Sylvienne avant qu’elle ne retrouve un air sérieux.

— Allons-y, déclara-t-elle en pointant la Tour du doigt.

— Tu vas là-bas, toi aussi ?

— Oui, c’est là-bas que je trouverai les miens, et sans doute mon père.

Il hocha la tête et talonna Nuit.

 

*

 

Adhara observait le carnage qui se déroulait en contrebas. Ses doigts agrippaient le rebord de la fenêtre de pierre, déchirant sa peau pour étaler un discret rouge sur la roche sombre. Ses dents grinçaient sur son visage contracté. Sa ville. Sa belle ville, ravagée. Des années de travail, une prospérité si durement acquise. Sa belle Cité des ombres habitée d’une voûte perpétuellement éclairée. Tout cela nageait désormais dans le sang.

Elle pensa à tenter une action globale, mais elle savait que ses hommes seraient aussi désorientés que les envahisseurs. Elle poussa un cri de rage qui fit vaciller l’éclairage de la ville avant de décider de se mêler aux affrontements.

Elle se saisit d’une dague et noua sévèrement ses cheveux, mais ne prit aucune protection. Elle descendit les escaliers rapidement grâce à sa robe déchirée pour émerger hors de la Tour. Sur la place du Soleil, Bénen tentait d’organiser une contre-attaque en distribuant des ordres à des patrouilles défilantes de soldats égarés. Lorsqu’il la vit sortit de la protection du bâtiment, il se précipita vers elle pour l’intercepter.

— Qu’est-ce que tu fais ?!

— Ça ne se voit pas ?

— C’est hors de question que tu ailles t’y mêler ! C’est la guerre, Adrianna, pas un jeu !

Elle se pinça les lèvres. Il était nerveux et c’était bien normal, mais s’il commençait à l’appeler par son véritable nom, c’est qu’il devait prendre du repos. Heureusement les soldats ne semblaient pas avoir entendu.

— Je m’appelle Adhara, siffla-t-elle. Et c’est moi qui commande, ici. Alors fais ton job, moi je fais le mien.

Il lui barra la route de son imposante carrure.

— J’ai promis à ton père de te protéger, souffla-t-il, alors je ne vais pas te laisser rejoindre ce bain de sang.

Les iris de la jeune femme le cinglèrent.

— Dans ce cas il ne fallait pas rejoindre la rébellion. Maintenant, pousse-toi, ou je te rendrai aveugle pour toujours.

Les sourcils poivre-sel de Bénen s’enfoncèrent considérablement sur ses yeux gris. Il ne bougea pas.

Adhara n’eut pas besoin de faire un geste pour le priver de vision, elle bloqua toute la lumière qui arrivait dans ses yeux. Alors que la surprise se peignait sur le visage de son second, elle se faufila derrière lui et se mit à courir vers la bataille. Il lança maladroitement ses bras pour la rattraper, en vain. Ce n’est qu’une fois hors de portée qu’elle lui permit de retrouver la vue. Elle savait qu’il ne partirait pas à sa recherche, qu’il n’abandonnerait pas son poste. Mais elle entendit son cri de rage résonner jusqu’à elle, ce qui la fit étrangement sourire.

La ruelle où elle se trouvait était vide, mais elle vit arriver un groupe de cavaliers barbares. Elle s’adossa tranquillement contre le mur et brouilla leur vision. L’un crut voir un ennemi en son voisin et le frappa de sa longue massue. D’autres tombèrent lorsque leurs chevaux évitèrent brusquement un obstacle fictif, d’autres encore se percutèrent avec violence. En une seconde, trois des douze Sylviens étaient déjà morts, et le reste était blessé. Adhara ne les laissa pas se relever pour autant. Leurs yeux s’ouvrirent sur le néant, lui permettant de se glisser jusqu’à eux pour leur trancher la gorge. Elle n’aimait pas se salir les mains —  ni la robe — mais elle n’avait pas le choix au vu de la situation.

Cependant, malgré ses précautions, une épaisse Sylvienne rendue aveugle sembla pouvoir la localiser et fonça sur elle avec un hurlement, le glaive en avant. Adhara prit peur en voyant la lame fondre vers elle avec force, et lança toute la puissance de son pouvoir sur l’assaillante. Son cri de rage se transforma en cri de douleur lorsque ses vêtements et ses yeux se mirent à brûler. Sa peau apparut, cautérisée, tandis qu’elle s’effondrait dans un borborygme. La pierre gravée qui lui ornait le front se brisa, révélant un trou minuscule et calciné qui menait vers son cerveau.

Adhara expira bruyamment, elle devait être plus vigilante. Elle enjamba le corps, veillant à brûler les pupilles des chevaux encore vivants, et continua sa route, préparant une nouvelle illusion mortelle.

 

*

 

Keira galopait, semant la mort. Elle avait cessé de compter le nombre de ses victimes, cessé de penser à celles qui n’étaient ni des soldats, ni même des adultes. Ses talons enfoncés dans les flancs tachés de sang de Zérif, elle se laissait aller à l’ivresse du combat. Ses yeux fébriles parcouraient le paysage ravagé, s’arrêtant parfois sur une cible, un ennemi, qu’elle abattait aussitôt. Son akkash tuait avec facilité. Cette arme inventée pour frapper les aurochs brisait les crânes humains comme des coquilles de noix. C’était rapide, aisé, horrifiant et pourtant terriblement exaltant.

Soudain, Zérif fit un écart. Sa cavalière vit d’un œil effaré une colonne de flammes rugissantes s’élever près d’elle, engloutissant la moitié de son groupe. Sa monture s’écarta précipitamment du brasier tandis que Keira fixait, hypnotisée, le feu gigantesque qui s’élevait vers la voûte de pierre en une langue infernale.

La jeune Hekaour se retrouva seule dans une ruelle jonchée de cadavres. Elle parvint à maîtriser Zérif qui respirait bruyamment et le fit s’arrêter. Le silence de la rue contrastait avec le grondement puissant des flammes, quelques maisons plus loin. Keira demanda mentalement son chemin aux Arsalaïs qui formaient le Cercle. Le Lien s’accrut et elle put percevoir leur détresse, ils étaient débordés. Elle patienta et alors qu’elle sentait l’esprit de l’un d’eux se tourner vers elle pour lui répondre, son étalon bondit en avant, comme pris de folie. La jeune fille ne put écouter les indications qu’on lui donnait, trop occupée à tenter de se maintenir sur le dos de sa monture. Elle échoua quand cette dernière se cabra violemment, l’envoyant au sol.

Keira se redressa, sonnée. Elle était surprise par la chance qu’elle avait d’être encore indemne après une deuxième chute. Mais son cheval ne lui laissa pas de troisième chance et s’enfuit, comme poursuivi par une force invisible, disparaissant malgré ses appels.

La jeune Sylvienne vit apparaître à l’angle de la rue une femme vêtue d’une robe dont la blancheur immaculée était troublée de taches de sang. Ses pans déchirés traînaient, évoquant des haillons luxueux. Elle se dressa fièrement face à son adversaire, ses iris dorées semblaient illuminées.

Keira inspira pour se concentrer et se préparer à la joute. Elle brandit son glaive et, fixant les mouvements de l’ennemi, avança un pied. Un néant l’envahit soudain et la scène disparut comme si la ville n’était soudainement plus éclairée. La jeune fille cligna plusieurs fois des yeux, une panique croissante s’emparant d’elle. Elle entendit le bruit des pas d’un assaillant invisible et tendit sa lame. L’arme ne perçait que le vide et lui fut arrachée des mains par une force mystérieuse. Keira, recula, prise de vertige. Une menace indistincte l’enserra, et elle voulut tourner les talons.

Le tonnerre d’un galop surgit soudain, assourdissant. Des bruits d’étoffes se firent entendre ainsi que celui d’un corps qui roulait à terre. Les yeux affolés de la jeune Hekaour fouillait le vide intense sans déceler aucune forme, elle trébucha sur un objet mou et tomba à la renverse.

— Non ! clama une voix familière devant-elle.

Keira retrouva sa vision d’un coup. Elle se figea face à la vue d’une chevelure sombre ébouriffée qui ondulait dans l’air chargé de souffrance. Ses lèvres s’entrouvrirent pour prononcer un nom, sans y croire, mais seul un gémissement émergea de sa gorge. Deux syllabes improbables jaillirent dans son esprit, plus vivantes et claires que jamais.

Asha !

 

 

 

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Aude JB
Posté le 18/04/2021
Malgré les changements de point de vue ce chapitre est très clair. Le passage d’un personnage à l’autre apporte une vrai compréhension de la scène. Il renvoie aussi très bien a cette sensation de chaos absolue ou plus personne n’arrive à comprendre où il en est 😊
AudreyLys
Posté le 19/04/2021
Merci ça me rassure que tout soit clair !
_HP_
Posté le 18/07/2020
Coucou !

J'ai trouvé ce chapitre très bien décrit aussi, le fait que tu sois à le troisième personne t'oblige donc à remettre le nom du personnage qu'on suit à chaque nouvelle partie et ça nous permet de ne pas trop nous y perdre ^^
Je croise fort les doigts, même si ça va sûrement pas être simple, pour que Lohan et Asha réussisse à arrêter tout ça... 😕🤞
Et la princesse °o° C'est énorme !! Et son don est vraiment super utile dans ce genre de situation ('fin si t'es dans son camp hein, sinon... 😬) ^^
Encore un chapitre que je n'ai pas vu défiler tellement j'étais happée ^^

• "Aller, monte, on a pas de temps à perdre" → allez / "on n'a", peut-être ^^
• "c'est elle qui m'a trouvée. Et qui t'as trouvé" → qui t'a trouvé
• "Le crépitement d’un brasier et l’effluves âcre de la fumée" → l'effluve
• "Il eut plusieurs fois l’impression vague qu’on lui déchirait la chaire" → chair
• "Ne commence pas à me faire la moral" → morale
• "Alors fais ton job, moi je fais le miens" → mien
• "qu’il ne partirait pas à sa recherche, qu’il n’abandonnerait pas son post" → poste
• "- ni la robe - mais elle n’avait pas le choix au vue de la situation" → au vu
• "brisait les crânes humains comme des coquilles noix" → 'coquilles de noix' je suppose ^^
AudreyLys
Posté le 18/07/2020
Coucou !
Cool que ça soit pas trop confus^^
Et oui x) Adhara est bien cheatée
Gros merci <3
Alice_Lath
Posté le 12/05/2020
Raah, moi j'ai trouvé cette partie super bien décrite, vraiment huhu en tout cas, je m'y croyais. Et bordel, la princesse déconne pas, douze Sylviens comme ça, c'est impressionnant en combat, même s'ils sont aveuglés. Et du coup, on a l'impression qu'il y a bien quelque chose d'étrange avec son père, qui serait donc son père adoptif? Je me demande comment ça s'imbrique avec le reste du coup. Puis bon, même si j'ai pas trop trop d'espoir, j'espère quand même que Lohan et Asha vont réussir à arrêter le massacre qui ne rend honneur à aucun des deux camps.
AudreyLys
Posté le 12/05/2020
Merci ça me fait cro plaisir <3
Ouais elle est grave cheatée x) pour l'instant ça s'imbrique pas vraiment, c'est pour plus tard. (et oui c'est son père adoptif)
Pluma Atramenta
Posté le 02/04/2020
Coucou ! Et oui, c'est encore moi...
Comme d'habitude, ton chapitre est génial ! Lorsque je lis (et tu as du le remarquer) je ne fais pas trop attention à l’orthographe mais "jonchée de de cadavre " sans -s ma piquer les yeux.
Pour ce chapitre, je n'ai pas pu m'empêcher de trouver un rapprochement avec les écrits de Pierre Bottero. Si tu n'as pas lu ses livres, rassures-toi, c'est loin d'être un reproche ! Je te conseille même la lecture:)
J'apprécie particulièrement les échanges entre Asha et Lohan. C'est comme le germe d'une amitié qui n'aurait pas due être puisque Lohan a quand même tué Asha par le passé. J'adore.
Puisses-tu décrocher la Lune,
Pluma.
AudreyLys
Posté le 02/04/2020
Coucou, c'est toi <3
Merci ^^(et merci pour la coquille !)
Si je connais Bottero ? je l'adore ! Du coup oui, il fait partie de mes inspirations. Par contre je ne vois pas en quoi ce chapitre s'en rapproche particulièrement, qu'est-ce qui t'y a fait penser ?
^^
Puisse arpenter les chemins de l'Imagination ~
Pluma Atramenta
Posté le 02/04/2020
A vrai dire, je n'en sais rien ! C'est sûrement dans la manière de décrire la bataille ! Je viens de refermer le dernier tome de "Ellana, le pacte des marchombres" et la ressemblance m'a étrangement sauté aux yeux.
Puisse tes mots ensorceler les lecteurs !
AudreyLys
Posté le 02/04/2020
Ah, d'accord. Je t'avoue que ma lecture d'Ellana remonte un peu ^^
Puisse-ta plume ne jamais connaitre la fatigue
Guimauv_royale
Posté le 31/03/2020
Coquilles

- elle vit surgir une file de cavalier (cavaliers) bariolés.
- Elle hocha, (sans la virgule c’est mieux) la tête
- l’effluves ( sans « s ») âcre de la fumée
- elle plaça deux doigts sur la (le) talisman
- À l’air (l’aide ?) d’un bâton gravé
- moi je fais le miens (sans « s »)
- dans une ruelle jonchée de cadavre (s)
AudreyLys
Posté le 05/04/2020
Merci !
cirano
Posté le 14/10/2019
OK: c'est un chapitre de malade !
Je vais m'empresser de lire le chapitre suivant pour faire un compte rendu plus détaillé mais j'avais un petit commentaire sur un petit détail : Je trouve ça bizarre que les Sylviens donnent des noms "d'objets" à leurs chevaux et pas des vrais noms, parce que pour le coup s'ils possèdent un cheval par personne duquel ils sont proche je trouve que ne pas leur donner un vrai nom est très "déshumanisant" mais bon ce n'est qu'un détail.
AudreyLys
Posté le 14/10/2019
Ouah merci <3
j'avais pas du tout envisagé les choses comme ça... et ta remarque est très pertinente parce que pour les Sylviens, les chevaux ne sont pas "possédés" ils forment une équipe avec leur cavalier. Les noms d'éléments, c'était pour varier un peu. J'avais inventé la traduction de tous leurs noms et hésité, mais je peux toujours la mettre (par contre faut que je la retrouve dans mes fiches... ). Comme ça ils gardent leur nom mais ça se voit que c'est des noms de trucs inanimés.
Qu'est-ce que tu en penses ?
cirano
Posté le 14/10/2019
Ouai je trouve que c'est une super idée :D et j'imaginais bien que les chevaux avaient quand même un statut important pour les Sylviens, après je pense que si on arrive à distinguer à la lecture les noms des chevaux des noms de Sylviens c'est cool ^_^
AudreyLys
Posté le 14/10/2019
Ok je vais voir ça merci !
Keina
Posté le 05/10/2019
Me voilà au bout des chapitres publiés, je n'ai plus qu'à ronger mon frein pour attendre la suite, et comme j'ai cru comprendre qu'il ne restait plus qu'un chapitre avant une pause de plusieurs mois, ça va être dur... T_T
En tout cas le récit avance, on sent que tu a atteins un climax, avec l'assaut des Sylviens sur la cité étoilée... J'ai beaucoup aimé, aussi, dans les chapitres précédents, le rapprochement de Lohan et Asha, prisonniers de cette ermite à moitié folle (ou en tout cas rendue folle par l'attachement à sa mère mourante). Ici, c'est la dernière scène que je trouve percutante, avec la confrontation qu'on sent venir entre Keira et Adhara, et Asha qui s'interpose soudain. Je sens que le prochain chapitre va être décoiffant, lui aussi !
AudreyLys
Posté le 05/10/2019
Eh bah tu es allée vite dis donc ! ^^
Pour le prochain chapitre tu n’auras pas à attendre longtemps, je le poste demain. Pour la suite... je dois avant finir de réécrire la veuve noire et le premier de la barrette rouge. Donc je ne m’y remettrai pas avant décembre (au moins).
Contente que tu aies aimé ^^
Ahah j’espère répondre à tes attentes ^^
Ton com fait très plaisir, merci <3
Sorryf
Posté le 02/10/2019
Woooaah! Tellement d'action dans ce chapitre! J'ai lu en retenant mon souffle!
J'ai envie de te dire que c'etait tres clair, mais je l'ai lu dans de mauvaises conditions (rer blindé + j'etais preocupee) donc je l'ai lu une 2eme fois... Alors mon avis vaut rien xD
Et tout cas c'est super, la mechante est beaucoup trop cheatee T.T
Au debut du chap elle sourit, genre la guerre la rejouit, mais quand on revient a son POV elle rage pour sa belle cité... J'ai trouvé que ca collait pas, a quoi est-ce qu'elle s'attendait?
La partie que j'ai préféré c'est celle avec Kurtis, le cercle. Trop beau!
troooop soulagee que Asha arrive a la fin, trop heureuse qu'elle trouve sa soeur pour qui j'avais super peur! J'espere que elle et Lohan pourront arrêter le massacre, meme si pour beaucoup il est deja trop tard :-(
AudreyLys
Posté le 02/10/2019
Oui bon bah du coup on va dire que c’était clair XD c’est vrai que le rythme contraste vachement avec avant, pas trop j’espère
Et oui ! je m’éclate avec son pouvoir en exploitant mes cours de physique XD
T’étais préoccupée ? Attaque de câlins virtuels !
Oui... alors je sais pas pourquoi mais clairement je la vois sourire... je pense que c’est de l’excitation, pas de la joie. En fait c’est juste que c’est comme ça que je vois la scène.. après y a des gens qui sourient quand ils sont nerveux mais c’est vrai que ça fait bizarre.
Cool^^ tu vois ce chapitre était pas si terrible... le suivant est un peu moins soft (comme je me sens obligée de te prévenir XD)
Bref, merci pour ta lecture, ton com, et bisous !
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