chapitre 11 le mariage

11/ Le mariage


Je suis nerveuse. Je marche comme un prisonnier, tournant et retournant sur mes pas. Je cherche une solution mais mon esprit est stérile. Cette fois je suis piégée ! Impossible de repousser le mariage… Mon adoption au sein de la caste marque la fin de mon temps d’adaptation. Le mariage va pouvoir être prononcé et avec lui le début de la procédure d’enfantement. Les personnes chargées de la procréation doivent se marier mais certains en font le choix librement. Comme notre société ne compte que peu de nouveaux enfants la plupart des couples sont stériles. Beaucoup sont homosexuels, voir avec deux partenaires différents. Et malgré cette tolérance face aux préférences de chacun il est toujours obligatoire aux deux géniteurs de se marier. Même s’ils sont mariés en dehors de cela. Je trouve ça vraiment ringard. Les enfants, me semble-t-il, s’en fichent de savoir si leurs géniteurs sont mariés ! Surtout que les enfants sont élevés par toute la caste et en plus par les Passeurs… Bon je dois bien me l’avouer j’ai aucune envie d’avoir un enfant. C’est une affirmation impossible à entendre pour la plupart des habitants de la bulle. Il en va de mon devoir d’apporter une chance de survie à notre communauté grâce à la transmission de mon génome. Fichu Adn…
En me regardant dans le miroir je vois la peur qui s’est inscrite dans mes yeux. Je tresse longuement mes cheveux, les tournants sans cesse dans mes doigts. J’ai besoin d’aide. Je cache ma peur derrière mes lunettes et mon masque et sors enfin de ma chambre. Toutes les personnes que je croise me saluent amicalement en inclinant la tête et je leur réponds machinalement. D’invisible je suis devenue visible. On m’accueille, me salue, prend de mes nouvelles. Quelle transformation ! Au creux de ma gorge le noeud d’angoisse se resserre. Lorsque je croise Tadi le noeud se resserre. Est-ce que ça serait si terrible d’être son épouse ? Il me semble entendre Constance dans ma tête qui me sermonne. Je ne peux nier une certaine attirance mais à l’idée d’une quelconque intimité mon estomac se noue de peur. Non je ne peux pas faire ça. Je ne suis pas prête, pas capable ! Quelle naïveté de songer échapper à mon « devoir » pour honorer mon rôle sans plus d’implication. Je me suis piégée. Mon mental tourne à plein régime : je dois pouvoir imaginer une échappatoire. Oui, forcement il existe un truc pour me sortir de là.
Je demande un rendez-vous avec Gérald et Constance qui heureusement est accordé sans problème. Mes amis vont me rejoindre à la salle de rencontre au centre de la bulle. Je suis déjà sur place à les attendre. Je regarde tous ses gens qui se parlent dans les box privés. Chaque box est affecté à une rencontre et est desservie par deux portes distinctes. Le protocole sanitaire est des plus stricts et je m’angoisse qu’on ne me laisse pas entrer. Je respire seulement au moment où j’entre sans encombre dans la salle. Elle est munie d’un toit transparent qui laisse entrevoir la verrière et au-delà, le ciel. Je me perds un instant dans sa contemplation. Immense, limpide, et vide. Le contraire de mon cerveau en surchauffe qui élabore stratégie et plan sans cesse. Ne pas arrêter de réfléchir et risquer de découvrir la réalité !
Mes amis enfin me rejoignent. Ils sont ravis de me voir mais remarquent tout de suite que je suis tendue. Je tourne sans cesse, passant et repassant sur mes pas. Sans plus de préambule je déclare :
- Il faut que vous m’aidiez j’ai été accepté chez les Nourrisseurs et je vais me… marier.
J’ai baissé le ton sur ce dernier mot et évité de croiser leurs regards. Mais Gérald, soufflé, s’assoit d’un coup et je vois la surprise et la peur se disputer son regard. Constance pragmatique me félicite et ne voit pas quel est le problème.
- Mais enfin de quoi tu t’étonnes ? C’était pourtant évident ! La procréation exige un mariage !
- Non ce n’est pas si évident. Je pensais qu’il ne voudrait pas de moi ! J’aurais pu peut-être revenir après la conception !
- Ma chérie tu rêves. Je ne connais pas beaucoup de couple de procréation mais TOUS sont restés dans la même caste ! La loi l’exige.
- Mais à quoi ça sert bon sang !
- Pour les enfants évidement. Il faut que les géniteurs restent avec leur enfant pour qu’il s’intègre dans la caste.
- Tu parles comme mon grand-père ! Et les Passeurs alors ?
- Merci. Ton grand père est un homme très sensé. Et tu oublies le lien. Le lien d’amour avec ses parents. Les enfants ont besoin d’amour voyons. Les passeurs ne sont là pour l’enseignement mais ça ne fait pas tout !
- Qu’est-ce que t’y connait toi d’abord ! Tu n’as même pas été envoyé chez les Passeurs je te signale ! tu n’es qu’une secrétaire recycleuse !
- Et toi une vraie petite princesse à vouloir que le monde se plie à tes volontés !
Blessée elle s’en va en claquant la porte. Folle de rage je m’en prends alors à Gérald qui n’a toujours pas dit un mot.
- Et toi tu ne dis rien ? Que penses-tu de tout ça ? C’est moi qui suis folle c’est ça ?
- Je… Je ne sais p…
- Non ! Laisses tomber ne dis rien.
Ivre de colère, blessée, je m’enfuis de la salle en pleurant. Je veux échapper à ce regard, ce regard perdu qui me regarde sans comprendre.
Une fois seule, je me repasse notre rencontre en boucle dans ma tête. Petit à petit le doute efface la colère. Et si c’était eux qui avaient raison ? Suis-je vraiment une enfant gâtée ? Je n’aurais pas dû dire des choses pareilles à Constance. C’était injuste. J’ai bien peur de m’être fâché avec mes seuls amis maintenant.
Dès le lendemain je redemande à les voir mais je n’ai pas de réponse. A quoi est ce que je m’attendais… Je dois me faire pardonner. Je leur écris alors à chacun une lettre d’excuse et les invite à la célébration du mariage qui aura lieu d’ici quelques jours.
J’ai du mal à me concentrer sur ce que je fais et mon travail est déplorable. Mais tout le monde continue de me sourire, comme ému de mon émotivité. Moi j’ai envie de courir et de me cacher dans un coin. M’endormir et oublier tout ceci. Les journées se suivent, calme et tranquille en apparence, mais le stress mange toute mon énergie. La gorge nouée je n’arrive même plus à manger. Tadi s’inquiète et vient me voir.
- Que se passe-t-il Agnès ? As-tu besoin d’en parler ?
Son regard bienveillant me détend un peu et finalement je m’épanche :
- Je me suis disputée avec mes amis… Je crois avoir tout gâché.
- Ce sont tes amis, ils pourront te pardonner.
- Je n’en suis pas sûr. Ce que j’ai dis était vraiment injuste
- Tout le monde fait des erreurs sous l’emprise de la colère. Fais-moi confiance tu es une belle personne. Je vais inviter tes amis de notre part à tous les deux. Ils vont venir tu verras.
Il semble tellement sûr de lui que cela me fait un peu de bien et j’ai envie de croire à ses paroles. Il me serre dans ses bras et surprise je n’esquisse aucun geste. J’ai un pincement de culpabilité en pensant que cette étreinte était plus savoureuse que celle de Gérald. Je ne suis pas sûr d’être une si bonne personne que ça.
Le jour du mariage je suis très nerveuse. Réveillée avant l’aube je reste dans le noir à fixer un point imaginaire en attendant l’arrivée du soleil. Hateya en tête, des femmes viennent me chercher pour m’aider à me préparer. Je suis complètement absente à mon corps et me laisse faire sans rien dire. Autour de moi elles parlent, rigolent et chantent tout en m’aidant dans les préparatifs. Je dois subir un grand nettoyage de mon corps bien sûr mais aussi de mes quartiers. Puis c’est un check up complet qui m’attend avec les Géniteurs. J’ai l’impression de retourner en quarantaine. Partout cependant je suis accompagnée d’un groupe de jeunes filles qui sont cessés apporter un côté festif à toutes ces procédures. J’ai le droit à une nouvelle tenue, d’un vert plus franc. On m’offre aussi un masque délicatement ouvragé avec des volutes de dentelles et une capuche assortie. Elle enveloppe ma chevelure et tombe gracieusement sur le devant de mon costume. La combinaison elle-même est brodée de petites lianes brillantes qui s’enroulent le long des coutures latérales de mes jambes. Une fois habillée je chausse mes grandes lunettes qui agrandissent encore mes yeux emplis d’appréhension. Enfin j’enfile une paire de gants doux comme une seconde peau. Plantée devant le miroir je ne me reconnais pas du tout. Toutes les filles s’extasient de bon coeur et me complimentent. Je regarde cette fille qui se reflète devant moi dont le regard trahi sa peur.
La cérémonie se déroule dans la salle du peuple. Le dôme de verre déverse de pâles couleurs ponctuées déjà par le brillant des premières étoiles. Il est tard et il n’y a que quelques personnes. Hateya est là, quelques membres de la famille de Tadi, un régulateur et un tuteur. Personne de chez moi ? Je suis déçue. Je me tiens à côté de Tadi, un peu nerveuse. Je guette les portes des recycleurs espérant encore voir arriver mes amis. C’est finalement mon grand-père et quelques recycleurs qui s’avancent dans le grand hall. Ils me sourient chaleureusement et un poids semble se détacher de ma poitrine. Puis je les vois qui arrive : Gérald et Constance ! Je leur fais signe, éperdue de reconnaissance, et me rapproche le plus possible d’eux. Nous sommes de part et d’autre d’une paroi transparente alors que cette fois je les aurais bien pris dans mes bras. Je leur fais signe que je veux leur parler et nous allons au communicateur le plus proche.
- Comme je suis contente que vous soyez venue !
- On a reçu ta lettre.
- Ah tant mieux. Je m’en veux tellement je ne pensais pas ce que j’ai dis ! Je suis vraiment désolé. Tu avais raison Constance je ne voyais que ma petite situation et je t’ais blessée. Pardonne-moi.
Gérald et Constance se regardent puis lâchent en souriant :
- Ok c’est oublié !
- Merci, merci !
J’en ai les larmes aux yeux. Il me semble pouvoir enfin respirer plus librement. Mes amis me dévisagent et me complimentent sur ma nouvelle tenue. J’accepte leurs éloges avec un peu de timidité. C’est tellement plaisant de les revoir enfin ! Je ressens alors toute cette solitude et cette tristesse que j’avais enfouie pour ne pas craquer, m’envahir. Vivre loin d’eux est une torture que je ne veux plus supporter. Ils me parlent de la vie chez les Recycleurs et ce sentiment se renforce. Cette affectation, ce mariage, tout cela est une vaste blague de mauvais gout qui m’éloigne déjà depuis trop longtemps d’eux et de ma vraie place ! Cette vague de nostalgie m’emplie totalement et je les regarde les larmes encore brillantes dans mes yeux. Je me colle contre la paroi et murmure :
- Merci les amis, heureusement que vous êtes là ! Ce mariage terminé je vais trouver le moyen de vous retrouver faites-moi confiance.
A peine ais-je prononcé ces mots que le visage de Constance se ferme et elle me répond agacée :
- Tu devrais savourer ta chance. Tu te rends compte de l’honneur que tu as d’avoir la possibilité d’enfanter ?
Son ton me fait redresser la tête. De la colère brille dans ces yeux. Sentant une certaine tension s’installer je tente de plaisanter :
- Oh et bien je te laisse ma place sans problème hein ! Et regarde en plus Tadi : n’est-il pas le plus bel homme que tu aies jamais vu ?
Gérald paraît blessé et recule au bout de la pièce. Constance furieuse me lance :
- Décidément tu ne comprends rien. Egoïste encore et toujours ! Tu blesses les gens exprès ou est tu trop bête pour t’en rendre compte ?
- Mais…
- Laisses tomber. Tu ne mérites pas la confiance de Gérald et ni notre amitié.
La situation m’échappe totalement. J’ai l’impression de basculer soudain dans une pente abrupte dont le sol se dérobe sous mes pieds de minute en minute.
- Désolée ! je suis désolée ! C’était une plaisanterie ! Je suis désolée !
- Ce sont des mots Agnès, juste des mots. Tâche au moins de les penser plus de 5 min.
Elle s’écarte du communicateur et rejoints Gérald qui semble… pleurer ?
Abasourdie je ne peux que retourner ensuite auprès de Tadi. Il m’interroge du regard mais je lui fais signe que je ne veux pas en parler. Que vient-il de se passer ? Toute la joie de ces retrouvailles est balayée en un instant et il me reste qu’un goût amer au fond de la gorge. Je me retourne pour les voir mais ils sont loin de moi et je ne distingue pas leur expression. Ils regardent droit devant eux, résolument décidés à ne pas me jeter le moindre regard. J’ai l’impression que Constance soutient un peu Gérald et même lui tient la main ? Après tout ils ont le droit de se vexer pour rien. Ce n’est pas ma faute s’ils n’ont aucun humour ! Le feu de ma colère évapore toutes mes larmes. Je les trouve vraiment durs avec moi après tout ce que j’ai dû subir pendant qu’ils restaient tranquillement parmi leurs amis et famille. Cette vénération pour l’enfantement me pèse avec plus d’acuité encore à cet instant. Tout le monde s’accorde pour le faire passer avant tout le reste. De vrais amis devraient s’inquiéter de mon bien être et pas seulement de la contribution de mon ventre. Je suis déçue qu’ils ne comprennent pas que, pour moi, notre amitié est bien plus précieuse qu’un possible enfant. Car je sais la perte que serais leur amitié mais rien de ce que veut dire être mère. Et voilà qu’en ce jour décisif je suis à nouveau seule face à un destin qui me rebute. Je tente une dernière fois de croiser leurs regards sans succès puis je me tourne résolument vers Tadi. Je n’ai pas menti c’est vraiment un très bel homme. Il se tient droit dans la lumière, ses longs cheveux nattés brillants dans le crépuscule. Sa longue combinaison verte est entrouverte au col et laisse deviner la force de son torse. De larges bracelets foncés enserrent ses poignets et ses biceps. Son masque moule le bas de son visage dissimulant depuis son nez jusqu’au cou. Tout ce vert fait ressortir l’éclat de ses yeux. Il se tient avec fierté à mon côté et me propose son bras. C’est avec un peu de défi que je reprends ma place auprès de lui pour débuter la cérémonie de mariage.
Nous nous avançons vers le Tuteur qui nous attend sur l’estrade. Il nous regarde brièvement par-dessus ses petites lunettes en demi-lune puis replonge dans ses dossiers. Soudain je sens une piqure sur mon bras. Deux géniteurs que je n’ai même pas entendu venir viennent de nous piquer l’un et l’autre. On nous prélève du sang. Puis ils le versent dans une sorte de petite boite : le mien puis celui de Tadi. Le boitier vibre un peu puis prend une couleur dorée. Tout le monde semble soulagé donc je relâche moi aussi un peu ma respiration suspendue. Je coule un regard vers Tadi mais il est fixé sur la boite. Un léger sourire étire son masque. Les Géniteurs désinfectent la zone de prélèvement puis déposent un message sur le pupitre du Tuteur. Enfin, ils s’éclipsent en silence comme ils sont venus. Je frotte distraitement mon bras douloureux. Cette cérémonie est vraiment étrange. Je dois dire que je n’ai plus le souvenir d’avoir assisté à un mariage de toute ma vie. Je trouve que c’est assez ennuyeux et protocolaire par rapport à l’engagement que cela représente. Le tuteur semble perdu dans la contemplation de ses fiches. Il nous regarde tour à tour avant de lâcher platement :
- Tadi et Agnès : assemblage validé. Merci de vous présenter à l’examen pour la procédure de procréation.
Quoi c’est tout ? On nous conduit directement vers le sas de sortie pour aller dans une zone bien particulière chez les Géniteurs. Pas de cérémonie, pas de lien avec la famille. Je ne peux que les saluer brièvement de la main avant d’être poussée vers la sortie. Je n’arrive pas à voir Gérald ou Constance. Étourdie par la vitesse des évènements je ne peux que suivre le pas de Tadi qui m’entraine.
Nous allons dans la zone réservée à la fabrication des bébés. C’est une zone immaculée recouverte de portraits d’enfant, de bébés, de couples avec leurs enfants. De belles photos en noir et blanc qui semblent dater d’un autre temps et qui sont niaises jusqu’à la nausée. Nous sommes attendus. On nous conduit le long des couloirs et nous entrons chacun dans une petite pièce où un Géniteur nous attend. Je dois enlever mon masque et m’allonger sur la table d’examen. Il décèle tout de suite mon inquiétude et se penche sur moi avec sollicitude :
- Détend toi Agnès ça ne sera pas douloureux.
Je ne vois que ses yeux rieurs sous la combinaison de protection. Sa voix est calme et rassurante. Il me pose un masque sur le nez et me fait signe de respirer bien à fond. La panique n’a pas le temps de me gagner que je m’endors. J’ai la sensation que seulement quelques minutes ont passé et déjà nous ressortons. Je dois prendre de nouvelles gélules tous les jours pendant au moins une semaine. Je me sens un peu groggy et j’ai mal au creux du bras. Ils ont dû me prélever du sang. Encore. Je regagne ma cellule aux côtés de Tadi, mécaniquement. Ma tête est vide et mon coeur s’est arrêté.

Tadi m’accompagne cérémonieusement à ma nouvelle cellule. Je loge désormais à côté de la sienne dans une vaste chambre confortable avec un accès à une sorte de terrasse verdoyante à l’étage. De mauvaise humeur j’y vois surtout des ressemblances avec ma cellule de quarantaine. Il y a une porte qui me relie à la chambre de Tadi si besoin. Je prends possession de ma nouvelle demeure avec un goût amer dans la bouche. Tadi ne s’aperçoit pas de mon malaise et semble ravi. Il me serre même brièvement dans ses bras avant de me quitter. Je suis effondrée. Me voilà une vraie Nourrisseuse maintenant ! Plus de machine arrière à envisager, plus d’erreur à faire valoir. Je vais devoir jouer mon rôle au sein de notre société. C’est bien ce que je voulais non ? On devrait vraiment se méfier de ce que l’on souhaite. Je reste avec ma mauvaise humeur de longues heures, la berçant et la gardant bien serrée près de moi. Je savoure mon désarroi, me sentant pleinement légitime de souffrir et de le montrer à tous.
J’ai rendez-vous dans une semaine pour lancer une première tentative de conception. Ils vont me prélever des ovules et procéder à une fécondation in vitro avec la semence de Tadi. C’est assez effrayant et j’ai l’impression d’être une plante de laboratoire. Voilà donc ma nouvelle vie d’épouse ! Durant cette semaine je n’aurais pas à travailler afin d’être le plus en forme pour le jour du prélèvement. Je passe ainsi de longues heures entre mes quatre murs entre tristesse et colère. Je n’ose plus bouger de peur que la vie se rappelle de moi et de nouveau m’entraine dans sa valse endiablée. Tadi vient me voir chaque jour et m’apporte à manger. Je lui suis grée de me laisser dans mon coin sans rien dire. Pendant ce temps je dessine beaucoup et passe du temps à rêvasser en regardant le ciel. Les heures tournent et personne ne vient. Je m’ennuie. Il est difficile de continuer à se faire plaindre s’il n’y a personne non ? Et ainsi, un peu malgré moi je décide de retourner dans le monde.
J’ouvre la porte, personne à l’horizon. Dans la salle commune je retrouve un groupe dont Tadi. On me fait un accueil chaleureux et chacun se félicite de mon entrée au sein de la caste. Hateya me sourit et Tadi se montre fier de m’avoir à ses côtés. J’ai l’air d’une enfant capricieuse avec mes ressentiments. Ce n’est pas la faute de ces gens après tout si je me trouve dans cette situation. J’essaie de sourire un peu et d’échanger avec ma nouvelle caste. Je regarde Tadi qui semble resplendir au milieu de la foule. J’entends la voix de Constance me souffler « tu n’aurais pas pu tomber mieux avec lui ! Je suis partante pour prendre ta place ». Dans mon esprit, mes amis ne me laissent pas tomber finalement. Malgré tout je n’ai plus aucunes nouvelles de leur part depuis le mariage.
Nous finissons la journée tous ensemble. Je ne parle pas beaucoup mais je tente de m’habituer à faire partie de leur groupe, de leur famille. Ma seule famille ?
Vient le jour du prélèvement. Je suis anxieuse. Nous retournons au centre de fécondation. Il nous faut emprunter les couloirs des urgences sanitaires et rejoindre la zone des Géniteurs. C’est un labyrinthe de couloirs avec de nombreux sas de contrôle et de désinfection. Tous les trajets inter-castes passent par les couloirs du sous-sol. Ce sont les Régulateurs qui les empruntent normalement et il faut une autorisation spéciale pour pouvoir y accéder. Je suis un peu nerveuse de tous ces gens qui nous dévisagent. Un innocent aurait de quoi se sentir coupable avec tous ces Régulateurs… Et puis, même si nous sommes à l’abri d’une bulle de verre, en sous-sol je me sens comme piégée. J’avance donc dans l’ombre de Tadi, les yeux fixés sur ses pieds, n’osant que quelques coups d’oeil de temps à autre. Au moment de rentrer dans la salle d’examen Tadi me prend la main. Je veux me libérer mais il me tient fermement. Son regard plonge dans le mien :
- Je t’attendrais ici.
Il me libère et après un dernier regard je pénètre dans la salle. Un Géniteur me regarde de l’autre côté de la vitre, pianotant sur différentes machines. Je m’installe sur la table d’examen. Lorsqu’il me rejoint je reconnais la jeune femme qui m’avait soigné le jour des affectations. Ses yeux me sourient et je me sens un peu plus détendue.
- Bonjour Agnès. Je m’appelle Sia. Allonge-toi je te prie.
Je m’allonge sans la quitter des yeux dans l’attente de la suite.
- Tu n’as vraiment pas à t’inquiéter, je vais t’endormir.
Je ne sais pas si ça me rassure tant que ça.
- Qu’aller vous faire exactement ?
- Oh, je vais prélever un ou deux ovocytes pour les mettre en culture.
Les mettre en culture … Elle parle encore de moi comme d’un petit pois à faire pousser ? Je m’allonge à contrecoeur. Une piqûre et le monde s’efface.
A mon réveil, je me sens un peu nauséeuse et Tadi doit me soutenir pour me raccompagner dans ma chambre. Le trajet est interminable. Je dois m’allonger. Il ne quitte pas mon chevet et me distrait en me racontant des histoires et anecdotes. Je ne le savais pas si marrant. C’est un très bon conteur et j’en oublie la douleur et l’angoisse. Il reste avec moi tout le restant du jour, apportant mes repas et me distrayant. J’ai perdu un peu de sang mais il parait que c’est normal. Le soir il m’apporte une bouillote chaude et cela soulage mon ventre douloureux. Blottie dans mes draps je m’endors, sereine.

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