Chapitre 11

Lundi matin et toujours pas la moindre réaction de Ben. Aucun message. Attendait-il que je fasse le premier pas ? Mais même si une journée entière était passée, j'étais incapable d'être au clair avec moi-même.

Une part de moi avait envie de tout envoyer valser, de tout abandonner. J'avais vraiment songé à cette éventualité plusieurs fois et j'étais prête à me pointer chez Ben pour lui dire que j'arrêtai tout et qu'il pouvait redevenir un quelconque inconnu.

Une autre part de moi voulait ignorer ce baiser, faire comme si rien ne s'était passé, comme si nous n'avions transgressé aucune de nos propres règles. On pouvait continuer de faire semblant pendant très longtemps encore, même entre nous.

Et puis, il y avait cette infime part de moi qui avait terriblement de goûter à nouveau ses lèvres et de découvrir un peu plus son corps. Cette pensée fut la plus perturbante à gérer, même si elle fut extrêmement brève. Depuis ce baiser, tout avait dégénéré... et pourtant, ça n'aurait dû rester qu'un délire alcoolisé.

Je n'arrivais pas à choisir parmi toutes ces solutions. Et peut-être que j'aurais voulu savoir ce qu'il voulait vraiment de son côté. Mais il choisirait probablement la solution du déni et peut-être qu'elle ne me convenait pas tant que ça.

Peut-être que je me mentais à moi-même surtout...

Je me rendis alors au travail le cœur serré, en espérant ne pas le croiser sur mon chemin. Heureusement, pas de Ben en vue. J'aurais été incapable d'engager la moindre discussion avec lui et peut-être que je me serais juste emportée, ce qui était préférable d'éviter pour le moment.

Dès que je franchis le seuil de mon entreprise, je fus submergée par l'atmosphère chaleureuse qui y régnait. Au moins, ça me faisait en partie oublier mes préoccupations.

Finn et Poe discutaient autour d'un café et ils m'en proposèrent un naturellement, ce que j'acceptai avec plaisir.

— T'as pas beaucoup dormi ? s'inquiéta Poe. Tu fais une drôle de tête...

— Ouais, je suis un peu fatiguée, mais rien de grave.

J'essayai de sourire, mais je savais d'ores et déjà que ma voix légèrement plus faible me trahissait. Finn l'avait probablement remarqué sans l'énoncer de vive voix.

J'espérais sincèrement que personne ne me parlerait de Ben pour la journée. Je n'avais pas envie de raviver toutes mes inquiétudes et de me rendre compte que c'était toujours autant le bordel dans ma tête.

Heureusement, comme je m'étais mise au clair avec Finn samedi, j'avais un conflit en moins à gérer. Dommage que les suivants se soient créés juste après.

Au moins, j'arrivais à maintenir un semblant d'apparence, à faire comme si tout allait bien dans ma vie. Voilà que, chaque jour, je me retrouvais avec de plus en plus de mensonges à gérer et j'avais l'impression que jamais je n'aurais pu les prévoir en me lançant dans ce faux couple. Encore une fois, je m'en voulais d'avoir été aussi naïve...

Je ne partageais aucune de mes angoisses avec mes collègues et aucun d'entre eux ne fut trop intrusif. Même si j'étais capable d'esquiver facilement n'importe quelle discussion, je préférais ne pas avoir à le faire.

À la fin de la journée, Rose et moi décidâmes de faire une partie du trajet ensemble pour rentrer. Pendant de longues minutes, nous marchâmes en silence, sans dire un mot. Puis quand j'en vins à faire une remarque sur un pigeon qui volait n'importe comment, ça nous avait lancé pour parler.

— Rey... Je sais qu'on se connaît pas vraiment, mais je sens que je peux te faire confiance sur quelque chose...

Elle évitait mon regard et j'aperçus cette peine si familière dans ses yeux dernièrement.

— Tu n'es pas obligée de m'en parler si tu ne veux, insistai-je pour la rassurer, même si c'était probablement bien futile.

— Je sais... Mais ces derniers jours, je fais comme si tout va bien... Et je supporte pas mentir à ce point. Je peux pas garder ça juste pour moi.

— Je comprends... Les secrets, ça devient toujours lourd au bout d'un moment.

Malheureusement, c'était un peu mon cas désormais. Parce que plus je repensais à cette situation avec Ben et moins j'y voyais clair. Si seulement j'avais quelqu'un pour m'aiguiller vers la bonne direction...

— Pour toi aussi visiblement, rétorqua-t-elle en croisant mon regard.

— Si on veut... Y a quelques trucs qui me tracassent un peu en ce moment et je ne vois pas pourquoi ça m'embête à ce point-là. Mais peu importe... Tu voulais parler de quelque chose.

— Je peux en parler après toi.

Je la laissai commencer finalement, parce que je n'étais même pas sûre d'être capable de tout lui dire. Et peut-être qu'elle me jugerait. Après tout, qui était assez stupide pour se créer un faux couple ?

— Ma sœur est morte, m'annonça-t-elle dans un bref soupir.

— Toutes mes condoléances...

— Elle s'est fait tuer... Alors qu'elle vivait juste sa vie. Mais un connard s'en est pris à elle et tout un tas de personnes... Parce que c'était juste qu'un putain de raciste.

— Je suis vraiment désolée. Est-ce que je peux faire quelque chose ?

J'aurais tellement voulu la consoler immédiatement et calmer sa douleur, mais je savais que j'en étais incapable. J'étais totalement impuissante, malheureusement, et je pouvais à peine imaginer ce qu'elle traversait.

Elle secoua la tête, me faisant ainsi comprendre que je n'y pouvais rien. Mais en parler semblait un peu la soulager. Elle ajouta également qu'elle n'avait pas envie d'en discuter plus pour le moment, demande que j'acceptai sans sourciller.

— Mes problèmes vont te paraître tellement stupides maintenant comparés aux tiens, lâchai-je avec un petit rire nerveux.

— On n'est pas dans une compétition des pires problèmes. Si tu as envie d'en parler, fais donc...

C'était extrêmement juste. Ça n'enlevait pas mes angoisses. Mais, de toute manière, elle ne pourrait pas tout effacer avec de belles paroles, aussi vraies soient-elles.

— En fait... J'en avais un peu marre qu'on me demande si j'étais en couple, pourquoi je ne l'étais pas... Alors j'ai demandé à Ben de jouer mon faux petit-ami. Sauf que c'était stupide...

— Pourquoi c'était stupide ?

Je cherchais mes mots pendant un instant et soupirai lentement avant de prendre la parole :

— Parce que... Je ne devrais pas faire ça... Mais en même temps, j'ai beau répéter à chaque fois que je suis très bien célibataire et personne ne le croit.

— Mais les gens sont stupides de ne pas te croire. C'est leur problème, pas le tien. Et tu devrais pas te fourguer dans un tel bordel pour eux.

— Je sais... Sauf que, en même temps, j'ai pas envie de voir Ben et de lui demander de tout arrêter. C'est stupide, mais il me comprend sur quelques points. Lui aussi en a marre de la pression de son entourage sur ça... et on a pu se trouver d'autres points communs.

— Et où est le problème à ce que tu le gardes en tant qu'ami dans le privé et qu'en public, vous faites semblant d'être un couple ? C'est pas vraiment incompatible.

— Mais c'est stupide un faux couple !

C'était sorti tout simplement et j'avais l'impression de plus m'enfoncer qu'autre chose. Moi-même, je comprenais à peine où je voulais en venir, alors Rose, elle devait être totalement perdue.

— Vous avez essayé d'en discuter de tout ça ?

— J'ai essayé de discuter avec lui, mais il se braque à chaque fois. Je le comprends pas sur certains points...

— Alors c'est peut-être con, mais même dans un faux couple, la communication, c'est important.

Elle avait de très bons conseils et j'avouais en être agréablement surprise. Je m'attendais à ce qu'elle me dise de tout simplement abandonner, de trouver une meilleure occupation dans ma vie... Mais contre toutes attentes, elle était, au contraire, extrêmement compréhensive et essayait de me proposer quelques solutions, quand bien même elle n'était pas au meilleur de sa forme.

— Je suis quand même extrêmement stupide...

— Non, c'est loin de l'être... Je pense juste que lui et toi, vous devriez prendre un peu de recul quant à la situation. Peut-être que vous feriez bien de vous questionner sur vos motivations. Il y a peut-être quelque chose à creuser autant chez toi que chez lui...

— De toute manière, j'ai encore à réfléchir sur tout ça...

Beaucoup trop même.

Elle m'adressa un timide sourire. J'avais comme l'impression que parler de mes problèmes — que je trouvais toujours aussi stupides — lui avait un peu égayé sa journée.

Et nos chemins se séparèrent...

Je guettai un message de Ben sur mon téléphone. Mais toujours rien. De toute manière, je n'étais clairement pas prête pour une discussion de sitôt et, visiblement, lui non plus.

Peut-être que j'étais juste en train de repousser une inévitable constatation. Mais pour le moment, je préférais tout simplement ne plus y penser. Tant que ça pouvait rester de côté, ça le serait...

Au pire, je n'étais pas à un jour près.

A priori.