CHAPITRE 11

Par Taranee

PRESENT : JIO

 

            L’acrobate voltigeait dans l’air, soulevée par la bourrasque d’un mage du vent. Sa silhouette svelte se courbait gracieusement, exécutant les positions les plus stupéfiantes. Autour des deux artistes, des danseurs parcouraient la scène circulaire dans de grands mouvements qui évoquaient des coups de vent. C’était beau. Autour de Jio, les enfants du foyer observaient le spectacle, éperdus d’admiration. Lui-même était captivé par ce tableau coloré et joyeux. Son humeur maussade s’était estompée face à al représentation qu’offraient ces artistes itinérants et, même s’il faisait chaud sous le chapiteau, il aurait bien voulu rester là pour toujours.

            Il se sentait mieux que tout à l’heure et, à l’entracte, était allé s’excuser auprès d’Elijah pour son attitude agressive, ce matin. Le mage de soins avait accepté ses excuses et, lorsque Jio allait repartir à sa place, il avait semblé vouloir lui dire quelque chose puis s’était ravisé. Jio n’avait pas insisté, il ne voulait pas le forcer à dévoiler ses secrets. Il s’était rassis au milieu du groupe d’enfants qui avait insisté pour l’avoir à leurs côtés et avait mangé un T-sil, friandise très sucrée originaire de l’ouest du pays de Näm. Puis son humeur l’avait rattrapé et il était resté pensif jusqu’à la fin de l’entracte. Dans sa tête tourbillonnaient des questions qu’il n’avait jamais pensé à se poser jusqu’à ce qu’il apprenne que Nethan était l’enfant de la lumière. D’où venait-il ? Qui étaient ses parents, ceux qui l’avaient créé ? Pourquoi n’avait-il aucun souvenir en dessous de l’âge de cinq ans ? Il n’était pas bien vieux, il aurait dû se souvenir d’au moins une odeur, une image, aussi fugace soit-elle… Ces questions l’avaient tourmenté jusqu’à l’obséder complètement, de même que ces rêves étranges qu’il faisait. Nethan était déjà apparue dans l’un d’eux. Elle s’adressait à ce petit garçon cruel et sans-pitié comme si elle le connaissait. Ce garçon était l’enfant des ombres, Jio en avait l’intime conviction. Se pouvait-il que Nethan soit en contact avec lui ? Ou avait-il réellement disparu, comme le racontaient les légendes ?

            Mais à ce moment, peu importaient ses problèmes, ils s’étaient temporairement envolés, balayés par la beauté du spectacle. Le tour vint aux lanceurs de couteaux et aux jongleurs d’entrer en scène. Des flammes jaillirent de la scène, pour donner un effet saisissant, et firent trembler de peur les spectateurs. Un des enfants se blottit contre Jio et, après quelques secondes de crispation, il décidé de lui rendre son étreinte, non sans un certain malaise. Ces artistes aussi, savaient captiver leur public. Une lanceuse de couteaux réalisait des prouesses au centre du cercle de bois qui formait la scène, lançant toujours plus de lames pour les rattraper in-extremis, alors qu’elles allaient retomber sur ses camarades, pointe en avant. Elle faisait une série de passes avec un jongleur plus habile que les autres et on ne voyait plus des lames et des balles que des rais colorés qui filaient à une vitesse alarmante. Chaque artiste était concentré, à tel point qu’on aurait pu les croire en transe, comme détachés de la réalité. Ils retournèrent en coulisses à leur tour et plusieurs démonstrations s’ensuivirent encore avant que le spectacle ne touche à sa fin. Un homme en costume orné d’arabesques dorées vint les saluer, et, petit à petit, les gradins se vidèrent. Jio alla retrouver ses amis, qui, eux aussi paraissaient avoir été enchantés par le spectacle, et ils sortirent tous les trois, suivi de la ribambelle des enfants du foyer. Nilt fermait la marche.

            L’après-midi touchait à sa fin et la soirée commençait à s’installer. La ville changeait s’apparence et revêtait son costume de nuit. Il y avait encore des surveillants du cirque dans les rues, si bien que les criminels qui se terraient à Kerron n’embêtèrent aucun des spectateurs. Les groupe du foyer put retourner tranquillement aux deux carrioles qui l’attendaient. Alors qu’ils arrivaient aux portes de la ville, près des véhicules, Jio poussa un soupir. Il vit que Nethan l’interrogeait du regard.

- Je n’ai pas vraiment envie de rentrer tout de suite… dit-il d’une voix déçue.

- Moi non-plus. répondit Elijah sur le même ton. J’aimerai flâner encore un peu… Mais c’est dangereux, ici.

Personne ne lui répondit, d’abord ; puis, après une dizaine de secondes, Nethan prit la parole.

- Mais nous ne sommes qu’en fin d’après-midi. On a encore un peu de temps devant nous.

- Alors tu es d’accord pour rester dans le coin ?! s’exclama Elijah avec stupéfaction.

Jio leva un sourcil. Il était étonné, lui aussi. Il aurait pensé que la jeune fille voudrait rentrer au foyer, qu’elle serait fatiguée, ou qu’elle craindrait de croiser d’étranges personnes. Mais comme pour balayer ces hypothèses, elle secoua la tête.

- Après un tel spectacle, je n’’ai pas vraiment envie de rentrer au foyer. Je préférerais me promener un peu, histoire de digérer tout ça, de parler avec vous. Et seulement avec vous deux.

C’était mignon. Mais Nethan aurait protesté si Jio le lui avait fait remarquer. Le jeune homme se tourna, fouilla la foule de spectateurs du regard. Ils se rapatriaient tous vers l’aire où on garait les charrettes, carrioles, chevaux, prêts à rentrer chez eux. Il mit deux bonnes minutes avant de repérer Nillt et, une fois que ce fut fait, s’avança vers lui. L’homme était débordé, il regardait de tous les côtés, vérifiant qu’il ne manquait aucun enfant, les séparant en petits groupes pour les faire monter plus rapidement dans les carrioles. Lorsque l’adolescent l’interpella, il se retourna, le sourire aux lèvres.

- Beau spectacle, n’est-ce pas ?

Cette phrase aurait pu paraître mondaine mais, dans sa bouche, elle était sincère. Nilt mettait toujours tout son cœur et toute son honnêteté dans les paroles qu’il prononçait. Jio hocha la tête, souriant à son tour car la joie du maître du foyer était contagieuse, puis il reprit son sérieux et demanda :

- Elijah, Nethan et moi aimerions rester un peu plus longtemps dans le coin, juste pour passer un moment tous les trois. On ne rentrera pas trop tard. C’est l’histoire d’une heure, au maximum.

- Vous voulez vous promener dans Kerron ? Alors que le soir commence à tomber ?

Jio fut tenté de lever les yeux au ciel. Ces instincts de « mère-poule » l’agaçaient, il n’avait pas besoin d’être couvé. Elijah et Nethan n’en avaient pas besoin non plus.

- Nous ne resterons pas dans Kerron. assura-t-il d’une voix calme et maîtrisée : Nous irons nous promener un peu plus loin, dans les champs.

C’était faux, bien évidemment. Jio avait dit ça seulement pour que Nilt accepte de les laisser seuls. Il regrettait un peu de lui mentir, mais trouvait aussi cela excitant.

- Et comment comptez-vous rentrer ? J’ai besoin des deux carrioles pour ramener les enfants, même s’ils ne sont pas trop nombreux.

- J’utiliserai ma magie. Je commence à être doué pour créer des êtres vivants et leur donner des ordres, figure-toi.

C’était vrai. Jio s’était entraîné plusieurs fois, cette facette de son pouvoir pouvait lui servir. Il était maintenant capable de maintenir une de ses « créations » en vie pendant un peu plus d’une journée, bien que cela se fit au prix d’un atroce mal de tête accompagné de crampes et, parfois, de vomissements. Créer la vie demandait de payer un prix conséquent. Mais les entités que faisait apparaître Jio devenaient de plus en plus réelles. Elles ressemblaient moins à d’espèces de brumes noires, bien qu’en y regardant de près, on pût encore noter un petit frémissement continu des ombres qui les composaient. Nilt hésitait. C’était écrit sur son visage. Il ne savait pas s’il devait les forcer à rentrer avec lui ou les laisser se promener. Il était une personne indécise et, malgré toute l’affection qu’il lui portait, Jio ne pouvait s’empêcher de trouver ce trait de caractère insupportable tout en ayant conscience d’être, lui-même, une personne indécise. Enfin, après une réflexion qui parut durer une éternité, Nilt hocha la tête avec lenteur.

- C’est d’accord, dit-il, mais ne faites rien d’imprudent ou d’idiot.

- Je ne pense pas être quelqu’un d’idiot.

L’homme eut un maigre sourire et Jio tourna les talons pour aller rejoindre ses camarades. Il les informa de l’avis du frère de Soö et ils se dirigèrent vers la porte principale de Kerron.

            Ils attendirent là que les deux carrioles qui transportaient les enfants soient passées et s’échangèrent des regards complices et coquins. Ce fut Elijah qui dit à voix haute ce à quoi ils avaient tous pensé.

- Nous n’allons pas rester sur place si c’est pour nous promener dans les champs.

Jio sourit. Il était d’accord. Même s’il avait une certaine peur des villes de la nuit, il ne pouvait s’empêcher de vouloir rester. Il aimait le foyer, vraiment, et il n’aspirait qu’à y rester et mener une vie calme pour le restant de ses jours. Mais il était jeune et, quoi qu’il ait pu en dire, il avait besoin de transgresser les règles, de prendre des risques, pour se sentir vivant. Oui, ils étaient jeunes, tous les trois. Et curieux, avec ça. Jio avait déjà visité une ville comme Kerron, au cours d’une mission pour les mercenaires. Mais ça s’était mal terminé. Aujourd’hui, ils avaient l’occasion de découvrir ce qu’il se passait ici, la nuit. De découvrir l’envers du décor, comme les coulisses d’un spectacle. Ils ne laisseraient pas passer cette chance. Lorsque les charrettes eurent disparu, à l’horizon, les jeunes gens se retournèrent et, dans un élan d’excitation, s’élancèrent dans les rues de la ville.

            Kerron n’était pas bien grande et son enchevêtrement de ruelles sombres et morbides n’était pas comparable au labyrinthe de rues de Poralguar ou au Dédale de Nirim. Mais la ville restait magistrale malgré tout, quoiqu’un peu sombre. En effet, les maisons de pierres grises et froides s’élevaient sur trois, quatre, parfois même cinq étages, et projetaient leurs ombres longues et menaçantes qui recouvraient la rue. Avec l’humidité presque constante provoquée par la saison des pluies, une brume grisâtre nimbait la ville, s’enroulant autour des bâtiments à la façon de sinistres tentacules. Les trois jeunes gens marchaient en groupe dans les rues, prenant garde à ne pas se séparer. Ils avaient menti à Nilt sur leur véritable destination, mais ils étaient conscient qu’ils devaient rester prudents. Jio tenait la main gauche de Nethan, Elijah la droite, et la fillette leur lançait des regards courroucés. Jio se doutait bien qu’elle ne voulait pas être ainsi protégée, mais, même si elle était l’enfant à l’origine de l’intégralité de la magie blanche, il ne pouvait s’empêcher de vouloir assurer sa sécurité. Car, après tout, elle avait encore l’apparence d’une enfant.

            Dans les bas-fonds de la ville, leur petit groupe hétéroclite suscitait de nombreux regards curieux. Deux garçons dont un œil-d’or et un autre qui dégageait quelque chose d’effrayant accompagnaient une fillette qui ne semblait pas avoir la moindre peur d’eux. Ce n’était pas banal. Et, tant qu’ils n’accostaient personne, on ne les approchait pas. Peut-être était-ce une règle tacite, ici, de ne pas s’attaquer à celui qui ne se préoccupe pas de vous. Quoi qu’il en fût, l’après-midi arriva finalement à son terme pour laisser sa place au début de soirée. Le soleil était assez bas dans le ciel, sans être encore couché. Les lumières tremblantes de la ville s’allumaient et les auberges douteuses ouvraient leurs portes. Kerron, la vraie, s’éveillait. Le changement était infime ; et des voyageurs inattentifs ne l’auraient pas remarqué, mais des gens comme Jio, comme Elijah et comme Nethan, des gens qui avaient déjà vécu beaucoup trop de choses, n’avaient aucune peine à voir comment l’atmosphère se modifiait pour devenir petit à petit plus lourde et plus glauque.

            Mais en dehors de la malséance de ces lieux, Jio sentait comme un danger qui approchait, tapis dans l’ombre. Il restait aux aguets, écoutant, observant, sentant, tel une bête traquée. Ses amis, happés par tout ce qui les entourait, étaient à mille lieues de se douter que quelque chose les menaçait, mais l’adolescent en était certain. Il n’aurait pas pu dire, cependant, si quelqu’un les suivait. Pour se débarrasser de ce doute, il tourna à gauche à la première intersection et entra dans une auberge malfamée, certainement le repère de tous les criminels du quartier. Leur entrée ne passa pas inaperçue. Ils n’étaient pas des habitués de l’établissement. Mais personne ne vint leur demander quoi que ce soit. Sous les regards pesants des clients et ceux, interrogateurs, de ses amis, Jio se dirigea droit vers le fond de la salle et s’assit à une table à peine éclairée par une flamme qui flottait dans l’air. Là, il attendit, surveillant la porte d’entrée qui, bientôt, s’ouvrit sur un homme et une femme qui se ressemblaient étrangement. Un frère et une sœur, sans doute. Les deux clients avaient une démarche assurée, ils étaient à leur place, et ne semblaient pas être à la recherche de qui que ce soit. Non. Le danger ne venait pas d’eux. Jio reprit sa surveillance. Il fallut que deux groupes de clients entrent encore avant qu’Elijah ne se décide à lui demander ce qu’il se passait. Jio se tourna vers lui, la mine sombre.

- Quelque chose ne va pas. Je le sens. J’essaie de savoir si nous sommes suivis.

- Par les pouvoirs de l’omniscient, Jio, pourquoi serions-nous suivis ?! Je crois juste que tu es trop crispé.

Non. Elijah avait tort, cette fois. Jio était crispé, oui, mais pour une bonne raison. Il était certain que son intuition était la bonne. Et pourtant… Pourtant, aucune personne suspecte n’était encore entrée. S’ils avaient été suivis, leur fileur n’aurait pas tardé à entrer à son tour dans l’auberge. Il n’était pas là, c’était un fait. Mais étaient-ils pour autant en sécurité ? Arrête de te poser des questions, Jio, tu ferais mieux de te détendre et de profiter de ta soirée ! Ce n’était pas faux. Il ne devait pas se focaliser sur son intuition. Le danger n’était pas encore là. Il pouvait bien relâcher un peu sa prudence. Ail soupira, s’affala contre le dossier de sa chaise, et commanda trois boissons à un serveur qui passait. Ils burent en causant du foyer, de Nirim, de ce qu’ils avaient vécu ensemble. Il devait y avoir de l’alcool dans les boissons car, alors qu’ils se levaient pour ressortir, Jio se sentit vaguement nauséeux. Il avait la tête qui tournait. Il ne tenait pas bien l’alcool. Il jeta un regard à Elijah. Il avait l’air d’aller bien. Nethan commençait à être fatiguée. Ils sortirent de l’auberge, payant pour ce qu’ils avaient consommé. La nuit tombait, dehors. Les pavés de la route étaient mouillés, il avait plu. Les trois amis commençaient à se lasse de la soirée. Nethan proposa de retourner vers l’entrée de la ville, les deux garçons acceptèrent. Ils se remirent en route en sens inverse, peinant un peu à retrouver la bonne direction dans la nuit qui tombait. C’était comme si Kerron n’était plus la même ville. Comme si les rues avaient changé.

            Ils errèrent à la recherche de la rue principale pendant une vingtaine de minutes et, ne la trouvant pas, s’arrêtèrent. Elijah faisait les cent-pas d’un côté à l’autre de la ruelle dans laquelle ils se trouvaient. Juste à côté de lui, Jio s’était adossé contre un mur, les bras croisés, et Nethan, debout au milieu du chemin, avait le regard vide, comme si elle réfléchissait à quelque chose.

- Ce n’est pas possible. déclara enfin Elijah : Comment aurait-on pu se perdre alors que la rue principale était à une intersection de l’auberge où on est entrés ?

Comme personne ne répondait, il continua.

- Je croyais que tu connaissais le chemin, Jio ! On te suivait !

- Je n’ai jamais prétendu connaître la route ! se défendit le jeune homme : Tu devrais pourtant savoir que je n’ai aucun sens de l’orientation !

- Je n’aurais jamais dû te laisser mener la marche.

- Mais tu n’avais qu’à passer devant, si ça te chantait ! Je ne t’en aurais pas empêché !

- Tu marchais tellement vite que Nethan et moi devions courir pour te rattraper !

Jio s’apprêtait à lui lancer une réplique cinglante mais Nethan les interrompit d’une exclamation sévère.

- Vous ne pourriez pas arrêter de vous disputer deux minutes ?! Vous êtes amis que je sache ! Alors fermez-là et réfléchissez au chemin qu’on devrait prendre !

Ils la regardèrent, les yeux arrondis d’étonnement. Elle leur rendit un regard belliqueux et Jio fut sur le point d’éclater de rire tant la scène lui parut comique. Il se retint et remarqua qu’Elijah en faisait de même. Ils évitèrent de se regarder. Rire dans une situation aussi critique n’aurait fait qu’attiser la colère de la jeune fille.

- Nous devrions continuer tout droit. suggéra Jio après un moment de silence : nous finirons bien par tomber sur un mur d’enceinte que nous allons pourvoir longer jusqu’à la porte principale…

- Mais qui sait combien de temps ça nous prendra ? intervint Elijah : Kerron n’est pas très grande, mais à pied et perdus comme nous sommes, nous pourrions mettre une à deux heures avant de trouver ce que nous cherchons.

- Il vaut mieux mettre une à deux heures que ne jamais rentrer. Fit remarquer Netthan.

Après quoi, ils perdirent plusieurs secondes à se regarder dans le blanc des yeux puis, lassés d’attendre que l’un d’eux se décide à parler, ils se mirent en route.

            Comme l’avait redouté Elijah, le trajet fut long. Les rues s’enchaînaient, ils devaient changer de direction, faire demi-tour, encore et encore, pour éviter les impasses. Une heure passa. Ils auraient dû se mettre en route pour le foyer depuis longtemps. Nilt allait être en colère. Essoufflés d’avoir tant marché, ils s’arrêtèrent au fond d’une énième impasse où ils avaient tourné. Elijah se laissa tomber sur le sol, Nethan l’imita, et Jio renversa la tête dans un râle d’agacement.

- Je crois qu’il faut se rendre à l’évidence, dit Elijah entre deux respirations bruyantes : On ne trouvera jamais la sortie de la ville comme ça.

-  On aurait dû aller se promener dans les champs. fit Nethan d’une voix où pointait le désespoir.

-  Et il n’y a personne à qui on pourrait demander notre chemin !

- Encore heureux qu’il n’y ait personne. intervint Jio : Vu comme ça s’est terminé la dernière fois qu’on a demandé notre chemin, il vaut mieux ne pas recommencer.

Elijah sembla soudain avoir une idée. Ses yeux dorés brillèrent d’un éclat d’espoir et il se redressa d’un bond.

- Les toits ! s’exclama-t-il.

Ses amis le regardèrent sans comprendre. Il insista.

- Mais si, les toits ! C’est comme ça qu’on s’était enfuis la dernière fois, vous vous rappelez ? Dans ces quartiers, les toits sont plus hauts que là où on était le jour où on a eu affaire à cette espèce de gang. Il suffit de monter et on retrouvera notre chemin !

- Mais bien sûr ! s’écria Jio, au comble du soulagement : On aurait dû y pens…

Il s’arrêta net, fit signe à ses amis de ne faire aucun bruit. Le silence s’installa, oppressant. C’était un silence d’attente, un silence de peur. Un silence qui s’installe quand on a un doute, quand on veut vérifier quelque chose. Jio se retourna au moment même où cinq silhouettes apparaissaient au bout de l’impasse. Il fronça les sourcils. Dans la lumière blafarde de la vieille lampe qui éclairait la rue, il crut reconnaître le visage d’Addal.

            Il recula, protégeant ses amis à l’unique moyen de son corps. Elijah l’interrogea du regard, il ne lui répondit pas. Addal avait beau être l’associé de Nilt, il n’en restait pas moins un serviteur de Soö. S’il était ici aujourd’hui, ce n’était certainement pas pour discuter. L’homme s’approchait. Jio recula encore et finit par atteindre le mur de l’impasse. Il dut s’arrêter. Il activa sa magie et les ombres enveloppèrent une partie de la rue. Cela fit rire Addal. Jio analysa la situation. Les ennemis étaient au nombre de cinq. Plus nombreux, donc. Addal n’avait certainement pas choisi n’importe qui pour l’accompagner. Les mercenaires qui l’entouraient devaient être de puissants mages. Il serra les dents. Ils étaient en mauvaise posture. Le groupe de mercenaires n’étaient plus qu’à quatre mètres. Trois. Deux. Aucune possibilité de fuite. Addal prit parole.

- Pas besoin de prendre cette expression d’enfant apeuré, Jio. Tout va bien se passer.

- …

L’adolescent sentait sa respiration s’accélérer. Plus il calculait ses chances de s’enfuir avec ses camarades, plus il se rendait compte qu’il n’en avait sûrement aucune. Et, alors qu’il se perdait dans ses réflexions, un cri bref le ramena à la réalité. Il fit volte-face dans un mouvement brusque. L’un des mercenaires avait attrapé Nethan et lui avait couvert la bouche de sa main. Il voulut réagir, mais Elijah fut plus rapide. Le jeune adulte se jeta sur l’homme, le saisissant à l’épaule, prêt à la lui déboîter. Jio n’en vit pas plus. Il sentit une présence derrière lui et se tourna juste à temps pour voir le mercenaire qui courait sur lui. Il l’évita de justesse, se jetant à terre. L’homme qui l’avait attaqué faisait bien trois têtes de plus que lui et avait beaucoup plus de muscles. Un seul coup de sa part aurait suffi à l’assommer. L’homme revint à la charge, Jio bondit hors de portée et, à ce moment, il sentit une paire de bras le saisir sous les aisselles. Il se contorsionna pour essayer d’échapper à la prise de son adversaire, cria.

- Addal ! Espèce de lâche ! Tu oses ramener quatre de tes hommes pour nous attaquer !

L’intéressé haussa les épaules. Jio voulut lui donner un coup, mais son adversaire inconnu le retenait toujours. Il ferma les yeux, essaya d’activer sa magie. Essaya. Sans y parvenir. Sa magie, elle avait disparu ! Il ne la sentait plus ! Au moment où il se faisait cette réflexion, son adversaire le lâcha. Il se retourna et le vit qui souriait. C’était lui ! Il lui avait enlevé sa magie ! Jio le reconnut. C’était un mercenaire qui avait réussi à se forger une place dans la guilde grâce à son pouvoir qui aidait grandement à éliminer des mages. Il lui suffisait de toucher quelqu’un pendant un certain temps et cette personne se voyait confisquer temporairement son pouvoir. Alors qu’il prenait conscience petit à petit de sa situation, alors qu’il se rendait compte qu’il allait retourner là-bas, il sentit qu’on l’attrapait. Il voltigea pour échapper à l’étreinte et reçut un coup dans la tempe. Fort. Brutal. Sa vue se brouilla, il aperçut vaguement le visage de son adversaire. Il avait la tête qui tournait. Une deuxième personne vint lui attraper l’autre bras. Il donna un coup de pied au hasard, espérant le toucher.

- Lâche-moi ! s’exclama-t-il.

Un rire narquois lui répondit. De nouveau, ce sentiment d’impuissance venait l’assaillir. Il n’avait rien fait. Il n’avait même pas pu défendre ses amis. Ses amis ! Où étaient-ils ?! Il retrouva ses esprits, tourna la tête de tous les côtés, gigotant pour échapper à ses deux agresseurs. Elijah était à deux mètres. Il se débattait pour échapper à un homme à l’air arrogant. Il reçut un coup de poing dans le ventre qui le dissuada de s’enfuir. Dans un élan de rage, Jio voulut s’élancer sur l’homme mais il sentit qu’on le tirait en arrière.

- Arrêtez ! hurla-t-il : Ne les touchez pas ! Lâchez-les tout de suite !

Il réussit à libérer un bras, donna un coup de coude à celui qui tenait l’autre et, pendant une seconde, le temps d’entrevoir Nethan, prisonnière d’un quatrième homme, il réussit à se libérer tout à fait des griffes des deux mercenaires. Il commença à courir en direction de ses amis. Soudain, il poussa un cri de douleur. Quelque chose venait de s’enfoncer dans son dos. La lame d’un couteau. Il sentit son sang couler, se retourna. Addal avait encore la main sur la poignée de l’arme. Quand il l’enleva d’un geste maîtrisé, Jio poussa un hurlement silencieux. Il sentit ses jambes fléchir, puis lâcher. Il tomba, roula sur le dos. Un pied vint se poser sur lui, lui arrachant un nouveau cri. Le colosse qui l’avait attaqué en premier mettait tout son poids dans on pieds, quitte à écraser Jio. Le jeune homme ne pouvait plus bouger. Il sentit des larmes de rage brouiller son regard, entrevit l’ombre d’Addal qui se penchait sur lui.

- Ne t’en fais pas pour la blessure. Dit la voix du mage de téléportation d’un ton impassible : Elle n’est pas mortelle.

Jio voulut soulever la tête, il n’y parvint pas. Il s’essuya les yeux d’un geste rageur. Il n’avait plus de force, plus de magie. Plus rien. Il entendit un bruit mat, tourna la tête comme il le put. Elijah s’était écroulé, inconscient. L’homme qui retenait Nethan s’avançait. Addal dessinait un pentacle sur le sol. Le colosse saisit Jio par les chevilles. Son comparse, l’effaceur de pouvoir, le prit sous les bras. Ils le soulevèrent à deux et Jio vit le pentacle se rapprocher. Il avisa Elijah qui restait là, par terre, sans que personne ne s’occupa de lui, et Nethan qui allait être téléportée, elle aussi. Il essaya une dernière fois de s’enfuir, ne réussit qu’à se faire mal. Il tendit la main vers Elijah, murmurant un « Non ! » désespéré et, soudain se sentit disparaître.

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