Chapitre 10 — Une vieille amie (2/4)

Par Luru

Dans les bas-côtés, près d'une petite chapelle latérale, se tenait bras croisé une villageoise svelte de petite taille aux cheveux blond coupés courts, qui donnait un côté frais et épuré à son visage ovale très féminin. Elle observait Rachel suivre les pas de la prêtresse avec un sourire mesquin.

D'une petitesse trompeuse qui ne laissait pas deviner sa force, Mégane évoquait tout l'inverse de la capitaine. Ceux qui la connaissaient bien se disaient que ses hanches rondes reflétaient son tempérament colérique.

Touchée comme les autres par les tragiques événements qui s'abattaient sur Bourg-d'Argent, son regard perçant était souligné par quelques cernes, qui lui donnait l'impression d'être maquillée.

Lorsque la silhouette de Rachel disparaissait dans le couloir, elle fit un signe discret de la main aux quatre femmes assises sur un banc proche. Celles-ci s'approchèrent et formèrent un demi-cercle autour d'elle.

Mégane les regarda une à une, puis prit une profonde inspiration.

- C'est le moment rêvé, chuchota-t-elle. Nous n'aurons pas d'autres opportunités comme celle-ci. Soyez bien attentives à ce que je vais vous dire.

Elles écoutèrent consciencieusement ses paroles.

 

* * * * * * * * * *

 

Liliane ferma la porte derrière elle, puis se mit à préparer des lotions d'eau chaude pendant que la prêtresse examinait Rachel. Elle était hirsute, sale, couverte de stigmates, représentant d'étranges motifs complexes.

— Comment te sens-tu ? demanda Emilia d'une voix douce.

Rachel cherchait les mots. Ses pensées balançaient sur une sensation de mal-être et d'inconfort accompagné d'une envie de vomir. Une envie qui ne se fit pas attendre car elle régurgita soudainement tout le contenu de son estomac. Une odeur d'alcool mélangée à celle du poisson envahissait la pièce.

— Pas très bien, répondit-elle entre deux rejets.

Elle s'essuya la bouche du revers de la main.

— Et j'ai mal aux bras.

Emilia grimaça. Les profondes mutilations s'étendaient jusqu'aux épaules et les plaies étaient infectées.

— Ça risque de faire un peu mal.

Elle purifia immédiatement les lésions, mais malgré l'usage du produit, elles ne cessaient de suppurer.

Rachel gémit.

— Pardon.

— Ce n'est pas grave. Aïïïe ! Fais doucement !

— Je suis désolée, mes connaissances en médecine ne suffisent pas. Je n'ai pas d'autre choix que de les désinfecter d'une manière conventionnelle.

Malgré son rôle de guide spirituel, Emilia ne possédait pas de connaissance magique, alors qu'elle était officiellement chargée d'aider ceux dans le besoin et de pratiquer les rites du culte de la Lumière au nom de Rhamée. Pour combler cette faiblesse, elle avait étudié la médecine et approfondi son savoir-faire afin d'être apte à continuer à servir sa déesse. Hélas, ses capacités restaient très restreintes comparées aux autres prêtres et elle maudissait cette insuffisance. Les entailles de Rachel nécessitaient d'être traitées rapidement, le pouvoir de la Lumière lui aurait permis de la guérir de ses maux sans laisser de traces.

— Il va falloir cautériser. Tiens, mords là-dedans.

Elle lui tendit un épais morceau d'étoffe en cuir brun.

— Pardonne-moi, je n'ai rien à t'offrir pour atténuer la douleur.

De sombres souvenirs firent surface dans l'esprit de Rachel. Une lame entourée d'une lueur rougeoyante. Un sourire difforme. Une douleur infinie !

Son corps se raidit instantanément. Rachel s'écarta de la prêtresse, les images qui revenaient sans cesse l'effrayaient.

— Je ne le supporterai pas, annonça-t-elle d'une voix tremblante.

— Je suis obligée sinon tes plaies vont se réinfecter. Il faut éviter toute crainte de gangrène et de toute trace d'une quelconque putridité. Si tu refuses, c'est l'amputation qui t'attend.

Son sang se glaça. Aucun son ne sortait de sa bouche. Ses poils hérissaient à la vue du fer chauffé à blanc que Liliane apportait à la soigneuse. Rachel se leva brusquement, mais la prêtresse la retint par le bras.

— Attends !

Rachel hurla de douleur, l'étreinte qui la serrait l'irradiait.

— Lâche-moi ! Lâche-moi je te dis ! s'énerva-t-elle en se libérant de la poigne de la prêtresse.

— Tes blessures doivent être traitées, intervint Liliane. Laisses-nous nous en occuper. S'il te plaît.

— Je ne veux pas ! Ne me touche pas, Emilia !

Elle repoussa la prêtresse qui heurta violemment une petite armoire, puis elle se dirigea vers la sortie où se tenait la vieille dame.

— Ma petite chérie, s'il te plaît, calme-toi. Je sais que tu es encore sous le choc, mais tu peux nous faire confiance. Nous sommes là pour t'aider.

— Laissez-moi sortir.

— Tu as besoin de...

— Je vous ai demandé de me laisser sortir, l'interrompit-elle sèchement, alors que le ton de sa voix sonnait comme un ordre.

La vieille femme ne broncha pas. Elle la défiait du regard sans cligner des yeux.

Irritée, les traits du visage de Rachel se déformèrent. Elle était capitaine, son statut ne permettait pas aux villageois de contester son autorité. Et cela tenait aussi pour une ancienne Vierge ! Elle s'avança d'un pas déterminé, poussa Liliane sur le côté qui la saisit par le bras.

Rachel se plaignit en émettant des sons faibles et inarticulés. L'étreinte accentuait cette douleur insupportable. Elle suffoqua et son sang bouillonna. Elle entra dans une colère noire et agit sans mesurer les conséquences de ses actes. La capitaine luttait avec énergie pour se dégager, cependant la vieille femme la maintenait avec fermeté.

Elle se pencha en avant, voulant entraîner Liliane dans son mouvement, mais l'ancienne Vierge ne bougea pas. Au contraire, elle affirmait son étreinte en la serrant plus fort.

Emilia se relevait avec difficulté. Sa capuche s'était rabaissée, dévoilant sa longue chevelure rousse et bouclée qui retombait sur ses épaules.

— De l'aide ! cria-t-elle, voyant que Liliane n'arrivait pas à raisonner la jeune femme prise dans un excès de rage. Vite !

Cinq villageoises déboulèrent dans la chambre peu de temps après.

— Retenez-la, par la Lumière ! Cet enfant doit être soigné ! supplia Emilia, alors qu'elle se relevait en s'appuyant sur l'armoire.

Rachel qui leur faisait face avec un regard mauvais, les défiait de s'approcher. Elles n'osaient pas agir de peur de se prendre un mauvais coup. Sauf une qui l'attrapa soudainement sous les bras. La capitaine tourna la tête et reconnut la chevelure blonde de Mégane qui s'était glissée derrière elle.

— Ne fais pas l'enfant, capitaine, susurra-t-elle à son oreille. Laisse notre prêtresse faire son travail, sois une gentille fille, d'accord ?

Un sourire perfide à peine perceptible se dessina brièvement sur ses lèvres.

— Qu'est-ce que vous attendez ? Aidez-moi ! aboya Mégane, qui serra plus fort la capitaine qui se débattait avec rage.

Les villageoises n'hésitèrent plus et se jetèrent sur Rachel qui exprimait sa souffrance par des gémissements aiguës. Elle sentit ses jambes fléchir.

— Allongez-la à terre et maintenez-là bien ! demanda Emilia.

Rachel hurla, suppliant qu'on la relâche. Ses blessures l'irradiait à tel point que la douleur prenait le dessus et ses forces faiblissaient.

— Non ! sanglota-t-elle. Pas encore !

Ses cris furent étouffés quand Mégane lui mit un épais morceau d'étoffe dans la bouche sans ménagement.

Emilia s'avançait avec le fer chauffé à blanc et se mit à genoux près d'elle.

— N'aie crainte, tout va bien se passer. Nous sommes à tes côtés, rassura la prêtresse en lui caressant la joue avec tendresse.

— Rassemble tes forces, ça sera bientôt terminé, l'encouragea à son tour Liliane.

Mais Rachel n'arrivait pas à puiser cette vigueur à la vue des flammes oranges qui apparaissaient autour de l'outil. Les reflets bleus et blanc se mirent à danser. Son cœur battait la chamade et elle tremblait comme une feuille à la vue du brasier qui s'intensifiait, prêt à la dévorer.

Le feu s'approchait lentement. Une chaleur infernale lui léchait le visage, et quand il lui brûla la peau, Rachel ne put contenir ses plaintes étranglées qui résonnèrent dans toute la chapelle.

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DraikoPinpix
Posté le 04/01/2020
Dur, cette partie ! Pas étonnant, vu ce qu'a vécu Rachel, ce qu'elle subit est dur pour elle. Elle a sa fierté, mais reste humaine, malgré tout. J'aime toujours autant :)
Luru
Posté le 04/01/2020
Oui, elle ne passe pas de bons moments ces temps-ci. Peut-être que le destin sera plus clément avec elle dans l'avenir. :p
Halycanth
Posté le 01/11/2019
(je crois qu'il y a une petite erreur d'inattention, est-ce que ce ne serait pas plutôt "cette enfant doit être soignée", quand Mégane arrive ?)

Dans l'ordre, déjà on dirait que Rachel ne s'est pas fait que des amis au village, Megane notamment a tout l'air d'une parfaite petite emmerdeuse envers elle. J'imagine qu'on finira par savoir pourquoi ^^
Ensuite, je suis contente : pour l'instant, pas de catastrophes pour Rachel, c'est plutôt encourageant ! Et, effectivement, elle est complètement folle, ça va mal finir ça encore…
Et puis, en ce qui concerne le style, woah ! (sans compter les dialogues, j'y connais vraiment rien en dialogues alors je me permettrait pas de donner mon avis ^^) C'est efficace, comme toujours, mais j'ai l'impression qu'il y a une évolution, surtout dans les deux derniers paragraphes que j'ai relus plusieurs tellement ils résonnent. Alors est-ce que c'est parce le moment est propice à un éclatement de lyrisme ou est-ce que tu t'es juste éclaté(e? parcequ'en fait depuis le début je supposais que tu étais une fille mais en fait je ne sais pas...) ? En tout cas ça marche bien !
Luru
Posté le 01/11/2019
Bien vu, heureusement que tu as un œil de lynx !

Eh non, ce n'est pas parce qu'on est capitaine qu'on a que des amis. Tu découvriras pour quelle(s) raison(s) elle n'apprécie pas notre héroïne. ^^

Concernant Rachel, il lui faut bien un moment de répit, elle n'a fait qu'en baver jusqu'à présent. Je lui laisse un peu de temps avant de reprendre les hostilités, héhé !

Il est possible que tu remarques des différences / améliorations du style, étant donné que ça fait un an et demi que j'ai débuté l'écriture de l'histoire, et j'ai dû souvent réécrire des chapitres entiers avant d'être satisfait de la qualité. Puis, je passe beaucoup de temps à travailler l'histoire en amont ( documentations, structuration... ), ce qui fait qu'au fur et à mesure du temps, l'intrigue ne cesse de se rallonger. :p Du coup, je me donne du travail supplémentaire afin de bien ficeler les sous-intrigues.

Je ne pense pas avoir une plume poétique, du moins pour l'instant, mais j'essaie de retranscrire mot pour mot les scènes telles je les imagine. Et comme c'était un passage que j'avais bien en visuel depuis un moment, c'est peut-être pour cette raison que j'ai eu plus d'aisance à faire des phrases un peu plus poétiques.

Et pour répondre à ta question, oui je suis bien un homme. ^^

Merci pour ta fidélité et ton enthousiasme, ça me fait plaisir de voir que mon style d'écriture n'est pas plat !
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