Chapitre 10 : Petite vie

 

Lorsque Keira arriva au village, sans doute seulement quelques minutes après Kurtis et la patrouille, elle le trouva en ébullition. Un attroupement nerveux s’était formé autour de la hutte des Arsalaïs. Elle sauta à terre et joua des coudes jusqu’à l’épicentre. Elle reconnut sans mal la haute stature de son père qui fixait intensément la scène.

Kurtis était agenouillé devant Saoirse, Daïré, Isbail et Oanell. Ealys était penchée sur lui, une main posée sur son épaule. Elle semblait déchirée entre le groupe d’Arsalaïs sévères et son frère qui tremblait de tous ses membres. La foule formait autour d’eux un cercle agité de spasmes.

Keira fut transpercée par le regard de son père quand il la vit arriver.

— Pourquoi t’a-t-il parlé ? jeta-t-il.

— Il… il ne pouvait plus rester seul.

— Il le devait. Il aurait dû rester seul.

Les muscles de la mâchoire d’Aedan se dessinèrent sur sa peau.

— Comment, en sept lunes, peux-tu ne pas encore avoir de totem ! s’exclama Saoirse. Être un homme n’excuse pas tout ! Et maintenant, tu abandonnes !

Kurtis se tassa au sol. Son aînée serra les poings.

— Peut-être n’a-t-il tout simplement pas de totem, siffla Oanell.

Saoirse prit une grande inspiration.

— Ceux qui n’ont pas d’esprit protecteur doivent être coupés.

Un frisson traversa le jeune garçon. Les doigts de Ealys froissèrent ses vêtements sales.

— Ne mélange pas tout !

La foule se fendit pour laisser passer Moïa. La vieille femme promena sur ses disciples un œil dur.

— Les Esprits ne l’ont pas rejeté, il a rompu la connexion avec eux. C’est une nuance de taille.

— Mais on ne peut accomplir sa retraite deux fois. S’il ne peut pas avoir de totem, il ne doit pas procréer.

— Il peut encore être choisi par un Esprit, répondit Moïa.

— Mais après sept lunes sans y être parvenu, comment le pourrait-il sans accomplir sa retraite ? C’est impossible ! s’écria Oanell.

— Tais-toi, sotte.

La jeune Arsalaï sursauta. Elle posa des yeux ronds sur la doyenne. Jamais cette dernière n’avait été aussi sèche.

— Il y a eu un précédent, mais seule Saoirse était née à ce moment-là. Et elle était trop jeune pour s’en souvenir.

Moïa s’avança jusqu’à Kurtis.

— Mon céil a été dans le même cas, dit-elle en posant sa main rêche sur son épaule.

Le jeune garçon leva des yeux larmoyants vers elle.

— Pourtant, vous le savez tous, il a finalement été spontanément choisi par le Lycaon. Les totems puissants sont souvent capricieux.

— Qu’est-ce que qui nous prouve que ce sera la même chose pour lui ? demanda Saoirse.

— Mon intuition.

Les deux femmes se fixèrent un instant. La plus jeune finit par hocher la tête et reculer.

— Néanmoins, enchaîna Moïa. Il reste que tu as enfreint une loi sacrée en sortant de ta retraite avant l’heure. Et je ne peux te soustraire à ce châtiment, ou la colère des Esprits s’abattra sur nous.

La vieille femme le considéra avec tristesse.

— Qu’on procède à la cérémonie punitive.

Keira se tendit, puis baissa la tête. Elle voulait intervenir mais elle n’osait pas. Kurtis avait échappé au pire, mais cela ne rendrait pas le spectacle plus plaisant. Elle vit du coin de l’œil son père porter une main à hauteur de son sternum. Son visage de pierre semblait s’être fissuré.

— Ealys, lança Saoirse à la jeune femme encore accroupie aux côtés de son frère. Viens te préparer.

Les Arsalaïs pénétrèrent dans leur hutte tandis que les membres de la tribu s’asseyaient en tailleur dans un silence épais. Kurtis, au centre, semblait ridiculement petit.

La cérémonie ne demandait pas beaucoup de préparation. Les Arsalaïs émergèrent au bout de quelques minutes, seulement parées de colliers de pierres gravées. Elle dansèrent lourdement autour du condamné. Aucune musique ne vint les accompagner. Seulement ce silence oppressant.

Puis elles cessèrent de danser et formèrent un cercle autour du jeune garçon. Elles approchèrent pas à pas jusqu’à n’être qu’à une coudée de lui.

Alors, Moïa retira son collier et saisit une pierre.

— Esprits de la Source, entendez-moi ! Cet enfant a commis une faute grave en vous reniant. Ainsi, il portera cette faute sur sa peau jusqu’à ce qu’il vous rejoigne.

La doyenne saisit un couteau décoré et posa la pierre dans la main que Kurtis avait vaillamment tendu.

— Ton bras, dit-elle.

Il tendit son membre, le visage convulsionné. La lame de Moïa attaqua sa chair. Il se tendit et souffla bruyamment tandis qu’elle traçait lentement un signe complexe sur sa peau. Cette gravure sanguinolente signifiait dans la langue écrite qu’il avait enfreint une loi sacrée, et laquelle.

Quand Moïa eut enfin fini, elle leva le couteau vers le ciel.

— Par ce sang, j’implore Votre clémence ! Puissiez-Vous nous accorder Votre pardon !

Elle eut un regard pour Kurtis qui leva la pierre qu’il tenait dans sa main pour la poser sur sa plaie jusqu’à ce qu’elle soit recouverte de son sang. Après quoi il l’appuya sur le sol, y gravant le même symbole qui cisaillait sa peau.

Les Arsalaïs reculèrent lentement et frappèrent la sol à l’unisson pour signifier que la cérémonie était terminée. Keira sauta sur son frère pour l’étreindre tandis que l’assemblée s’ébrouait. Le jeune garçon fondit en larmes.

— Je… suis désolé…

— Kurtis…

— Je suis content que ça soit fini…

— Je comprends, on va panser l’entaille et…

— Ma retraite… je suis content qu’elle soit fini.

Keira plongea ses yeux dans ceux de son frère. Elle l’étreignit de nouveau.

 

*

 

Lohan resta longtemps dans son cocon d’ombres, fixant le visage glacé d’Asha. Il avait vu des centaines de morts, il connaissait cette fixité étrange qui parait leur expression. Elle le révulsait. Pire encore, elle lui rappelait celle de sa mère.

Les ombres furent agitées de spasmes. Lohan ne fit aucun effort pour se calmer. Alors, son pouvoir se mit à bouillonner. Il contempla les volutes ténébreuses sans vraiment les voir. Mais une question amena de nouveau ses yeux sur le visage mort d’Asha.

Allait-elle se réveiller ?

De ce qu’il avait compris, son pouvoir de résurrection était lié aux chats présents dans son Sanctuaire.

Il n’avait pas à douter. Il fallait qu’elle se réveille.

Les ombres se résorbèrent peu à peu. Lohan découvrit alors qu’il était resté plusieurs heures ainsi. Le soleil de l’aube, le vrai, affleurait timidement l’horizon tandis que l’astre de son Sanctuaire était toujours muet.

Il jeta un regard alentour. Il n’y avait plus aucun villageois. Des traces sur le sol indiquaient que les corps de ceux qui étaient blessés ou morts avaient été emportés. Le jeune homme fut un peu déçu de ne pas les avoir tous tués.

Il se leva difficilement. Ses muscles protestèrent mais il les ignora.

Il regarda le corps d’Asha, parvenant pour la première fois à observer autre chose que ses yeux pétrifiés. Il vit alors clairement le sang qui tachait le bas de sa robe de peau. Il eut comme un hoquet.

Il avait oublié.

Asha était en train d’accoucher quand les villageois étaient arrivés. Et s’il en croyait la lumière éclatante qui avait engloutit son Sanctuaire, elle avait tout juste eu le temps de donner naissance à son enfant.

Nerveux, il fit le tour du terrain et chercha à l’intérieur de la maison. Il trouva un bout de cordon ombilical au milieu d’une flaque de sang. Son cœur bondit dans sa poitrine. Il fouilla même dans les recoins les plus improbables mais il dut se rendre à l’évidence : le nourrisson avait disparu.

Les villageois l’avaient-ils pris ?

La rage s’empara de lui à cette pensée.

Pourquoi ? Ça t’arrange si cet enfant disparait, lui souffla une voix perverse.

Il jeta un regard à Asha.

Non, il ne pouvait pas se réjouir de cette disparition.

Soudain, il entendit un galop et un étrange cri. Nuit et un petit cheval moucheté émergèrent de la forêt. Ce dernier portait un panier accroché contre son poitrail. Un panier vagissant.

Lohan se précipita sur l’animal qui eut un léger mouvement de recul. Mais Nuit hennit doucement, il se laissa alors approcher. Le jeune homme saisit le panier d’un air hébété et regarda à l’intérieur.

Un paquet violacé et couvert de plaques blanchâtres s’agitait et pleurait, emmitouflé dans des peaux de bêtes. L’exécuteur tendit une main hésitante vers cette créature. Il réalisa deux choses quand il toucha une main minuscule et chaude.

Qu’il n’avait jamais vu un enfant si jeune.

Et qu’il en était le père.

Les lèvres tremblantes, il posa le panier par terre. Entre temps, le cheval tacheté avait rejoint le corps d’Asha et le secouait des naseaux. Au bout d’un temps, il se coucha contre ce qui semblait être sa maîtresse. Lohan se sentit vidé de ses forces face à ce spectacle.

Mais il ne se laissa pas aller. Il s’approcha et détailla la cadavre couvert de sang.

— On ne peut pas la laisser se réveiller comme ça, déclara-t-il.

Il alla chercher un de ces récipients mal modelés qu’Asha avait fabriqué et puisa de l’eau dans le ruisseau. Il déchira un de ses vêtements de rechange et commença à nettoyer ce qu’il pouvait. Il retira quelques bouts de peau mais n’osait pas déshabiller plus la jeune fille. Le bébé non loin de lui avait cessé de gémir et s’était endormi. Lohan ne savait pas combien de temps un nourrisson pouvait tenir sans manger. La dernière fois, Asha s’était réveillée au bout de trois jours. Il serra les dents à cette pensée. Il n’avait pas l’intention de voir sa fille mourir de faim et de soif sous ses yeux, même si cela lui coûtait de le reconnaître.

Il installa le panier près d’Asha. Il avait posé le corps sur un matelas de fourrure face au soleil et contre son cheval. Nuit sommeillait non loin.

À partir de là, il attendit.

Il attendit, et il vécut la deuxième journée la plus longue de sa vie.

Son regard était sans cesse appelé à contempler avec espoir le visage d’Asha. Elle était livide, ses paupières glacées ourlés de cernes bleuâtres, ses lèvres fripées et pâles. Elle semblait réellement, bien trop réellement, morte. Au fur et à mesure que le temps passait, ce constat devenait de plus en plus définitif. Un doute affreux imbibait les pensées de Lohan.

Au zénith, son corps lui rappela durement qu’il n’avait pas eu une nuit de sommeil depuis presque trois jours. Il s’effondra et s’endormit presque sans s’en rendre compte.

Ce sommeil sans rêve chassa ses doutes. Quand il se réveilla, il sut que c’était le moment.

Le soleil touchait presque les montagnes de Bergusia. À sa lumière déclinante, il vit que la plaie du cou d’Asha s’était refermée, formant une deuxième cicatrice sur l’ancienne, celle qu’il avait lui-même tracée. Une croix de peau tourmenté.

Lohan se redressa. L’aube s’était mise à éclairer timidement son Sanctuaire. Le cheval de la jeune fille eut un hennissement et tendit ses oreilles vers elle. Son teint terreux se para doucement d’une couleur rosée. Le sang afflua dans ses lèvres et ses paupières frémirent.

Lohan était accroché à cette vision. Ses iris noirs reflétaient la lumière du soleil levant.

Asha ouvrit les yeux.

Son regard était vague, elle remua. Ses prunelles se tournèrent vers le jeune homme penché sur elle et s’éclairèrent immédiatement. Un sourire émergea sur son visage. Épris de soulagement, Lohan sourit lui-aussi.

Mais il vit la joie fondre dans les yeux d’Asha, remplacée par des larmes douloureuses. Ses lèvres se tordirent. Elle leva une main tremblante qu’il saisit.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle ne répondit pas et se contenta de gémir.

— Asha ?

Elle se tendit soudain. Ses doigts serrés formaient un véritable étau autour de la main de Lohan.

Il la fixait sans comprendre alors que ses gémissements se transformaient peu à peu en cris. Il posa une main sur son ventre et sentit ses muscles être agités de spasmes.

Le délivré ?

Asha hurla, un flot de larmes se déversa sur ses joues. Il n’y avait pas seulement de la douleur physiques dans sa voix déchirée. Lohan comprit, il se sentit soudain gelé.

Ses prunelles ombreuses furent accrochées par la vision d’un paquet qui glissa au sol. Il savait que ce paquet-là ne remuerait jamais. Pétrifié, il dut fournir un effort immense pour le saisir entre ses mains agitées.

— M… montre-le moi… hoqueta Asha.

— Non !

Il serra l’enfant mort contre lui, se tournant pour éviter qu’elle ne le voit.

— Montre-le moi !

Sa voix était brisée.

Lohan fixa le petit corps flasque. Il fut pris de nausées.

— S’il te plaît…

Lentement, il tendit le nourrisson immobile à sa mère. Celle-ci eut un sursaut en l’apercevant. Son visage se déchira. Elle le saisit et le serra contre elle.

— Je suis désolée, tell… tellement désolée… pardonne-moi…

Le jeune homme sentit un besoin impérieux de se lever et de s’enfuir. Mais il résista.

— Ça suffit, déclara-t-il d’une voix anormalement éraillée. Tu te fais du mal.

Asha décolla difficilement le petit cadavre de sa poitrine. Ses larmes s’étaient tues et son visage était devenu glacé. Il reprit le mort-né.

— Et l’autre ? demanda Asha avec un regard pour son cheval.

— Ici, tiens.

Le bébé du panier se réveilla et poussa un petit cri quand il le prit. Il eut envie de fondre en larme en le voyant bouger. Mais ses yeux restèrent secs, contrairement à ceux d’Asha. Un sourire douloureux étira ses lèvres quand sa fille commença à téter. Puis, elle grimaça.

— Le reste sort, souffla-t-elle. Quand ce sera fini… est-ce que… tu pourras l’enterrer avec ?

Il hocha gravement la tête.

— Merci…

Elle posa ses yeux sur le bébé survivant et sembla s’absorber dans sa contemplation.

 

*

 

Asha ne parla pas beaucoup les jours suivants. Physiquement, elle se remit étonnamment bien de son accouchement et de sa mort. Intérieurement, c’était une autre affaire.

Elle dormit beaucoup, comme son nourrisson. Elle ne se réveillait que pour nourrir l’enfant vorace qui la demandait quelque soit l’heure. Lohan essayait de l’aider comme il pouvait.

Il enterra le bébé mort-né et deux placentas au pied d’un arbre comme elle le lui avait demandé. Il nettoya les traces des villageois et patrouilla pour s’assurer qu’aucun d’eux ne s’aventurait plus dans la forêt.

Un soir, près du feu, Asha prit spontanément la parole. C’était la première qu’il l’entendait parler depuis son réveil.

— Ne va pas les tuer, s’il te plaît.

Il se tendit.

— Comment sais-tu… ?

— Assez de morts. Ne va pas les tuer, s’il te plaît.

— Tu ne leur en veux pas…

— Bien sûr que si… mais… je… je n’ai pas le droit de vouloir me venger si je veux la paix.

Il la considéra un instant, muet.

— Tu te retiens trop. Un jour, ça explosera. Crois-moi, j’en ai fait l’expérience.

Elle secoua la tête.

— Peu importe. J’ai choisis de ne pas haïr.

Il ne sut quoi répondre. Elle était trop faible face au monde mais trop forte face à lui.

 

*

 

Le sixième jour après la naissance de sa fille à qui elle n’avait toujours pas donné de nom, Asha commença à s’agiter. Alors que Lohan revenait d’une patrouille où il avait relevé ses collets à sa demande, il la trouva en train de creuser des trous dans la clairière.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je prépare la cérémonie.

— La cérémonie ?

— Oui, de la naissance. J’ai besoin que tu coupes du bois si ça te ne dérange pas.

— Si tu veux…

Il l’aida donc à creuser, puis ils disposèrent des piques de bois dans les trous. Lohan remarqua que ceux-ci formaient une grande spirale à trois branches. Ils couvrirent le haut des piquets pour en faire des torches. Puis Asha ressortit sa vieille robe qu’elle avait lavé et cousu pour en faire un grand drap blanc. Elle posa l’étoffe circulaire au centre de la spirale.

-—Voilà.

Elle se tourna vers Lohan avec un sourire satisfait bien qu’un peu triste.

— Elle a sept jours maintenant. Ça veut dire qu’elle existe réellement à partir de maintenant pour mon peuple. C’est l’heure de la baptiser.

— Et comment fait-on ?

— C’est une danse que la mère doit accomplir, c’est un Arsalaï qui s’en charge si elle ne peut pas. Normalement il y a une tenue rituelle, mais impossible de la faire moi-même.

— Tu es suffisamment en forme pour danser ?

— Bien sûr.

Elle hésita un instant.

— Si tu veux, on peut aussi faire une cérémonie de ta culture. Tu n’es pas Helmët, si me je souviens bien.

— Je suis Calbien. Le peuple du Détroit de Siffrig.

— Qu’est-ce qu’on fait comme cérémonie chez toi ?

Il haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Et quand bien même je saurais, non, je ne veux pas faire de cérémonie. J’ai décidé que je n’aurais aucune responsabilité envers cet enfant, et tu étais d’accord. Alors je ne vois pas pourquoi je ferais une quelconque cérémonie.

Asha le considéra sans mot dire. Il détestait cette expression indéchiffrable qu’elle prenait parfois.

— D’accord. Du coup, je vais répéter un peu. La cérémonie doit se dérouler la nuit. Mais… normalement le père doit aussi y prendre part.

— Qu’est-ce que je dois faire ? siffla-t-il. Je te préviens, il est hors de question que je danse.

— Non, ne t’inquiète pas ! Tu ne dois pas danser. Je vais t’expliquer.

 

*

 

La nuit était tombée. L’air du printemps était agréable et empli du parfum des fleurs. Asha avait revêtu sa plus large robe de peau d’auroch tannée. Lorsqu’elle fit un signe de la tête à Lohan, celui-ci s’avança. Il tenait dans ses bras le bébé totalement nu. Celui-ci n’appréciait visiblement pas trop la fraicheur nocturne et se mit à pleurer. Mais le jeune homme l’ignora et s’approcha lentement du centre. Il posa l’enfant sur le dos et se retira au rythme d’un tempo intangible. Puis, il s’assit un tailleur et commença à frapper lentement un bâton contre une souche creuse.

Asha entra dans le cercle et se mit à tourner autour de sa fille. Ses mouvements suivaient les pulsations profondes que produisait Lohan. Elle tourna sur elle-même trois fois, et son bébé se tut. Ses bras ondulèrent, son corps se mit à vibrer. Le jeune homme accéléra le tempo et Asha, comme habitée par ce son représentant un cœur battant, suivit le rythme.

Lohan fut absorbé par la vision de ce corps qui ondoyait dans une harmonie virevoltante. Une parfaite synergie qui s’affranchissait des limites physiques. Au sol, le bébé semblait tout aussi hypnotisé. Asha dansait, le monde autour d’elle semblait accompagner ses mouvements. Elle tournait, l’instant suivant elle s’envolait. Mais plus qu’une simple danse, elle racontait une histoire. Celle d’une vie minuscule qui germait puis bourgeonnait, avant de fleurir dans une parade extravagante. Le corps d’Asha caressait le décor et dessinait dans la nuit émerveillée un magnifique tableau mouvant.

Lohan frappait désormais le bois aussi vite qu’il pouvait. Les gestes de la danseuse se délièrent encore, l’emmenèrent plus haut, plus loin, plus beau. La naissance, comme une explosion, se joua à nouveau sous les yeux des deux spectateurs. Asha se tourna, se retourna, s’éleva, se délita, avant de bondir, les bras ouverts. Au moment où elle atteignit le sol, les torches s’allumèrent depuis le centre jusqu’aux extrémités. La spirale prit vie.

La jeune femme se pencha alors doucement sur son enfant et le prit dans ses bras. Des mots d’un autre temps parèrent le nouveau-né.

Çheahaí dashiba, shimi sūven fea hatō. Çheahaí keshivê, shimihiba shi maesno. Võ, maên sata tõ sahi ni floê, Eryn gananmê.

Après un regard vers Lohan, Asha traduisit.

— De la Source tu es née, essence habitée de sept jours. À la Source tu retourneras, essence dévêtue d’une vie accomplie. Et pendant ton voyage sur terre et dans les cieux, ton nom sera Eryn.

— Eryn… murmura Lohan.

— Ça veut dire « paix » en ancien sylvien.

Asha quitta la spirale flamboyante.

— La cérémonie est finie, merci pour ton aide.

— C… c’était magnifique.

Un sourire teinta le visage fier de la Sylvienne. Ses prunelles se posèrent sur sa fille qui cherchait le sein.

— Je ne l’ai pas voulue, mais maintenant qu’elle est là, je ne peux m’empêcher de l’aimer. C’est étrange, hein ?

— Te connaissant, pas tant que ça. Tu es incapable de ne pas aimer.

Asha reporta son regard sur lui.

— Tu me surestimes, souffla-t-elle sans parvenir à cacher le rouge de ses joues.

Derrière elle, la spirale s’éteignit doucement. Cela fit disparaître le sourire de la jeune mère.

— Où l’as-tu enterré ? s’enquit-elle.

Il lui désigna un vieux chêne à quelques mètres. Il avait posé un gros galet sur un petit monticule de terre.

Asha s’accroupit devant et posa une main tremblante sur la pierre.

— Voilà sept jours que tu n’as pas pu vivre…

Lohan se baissa près d’elle.

— Pour mon peuple, lui dit-elle, un enfant mort-né n’a pas eu d’existence, il n’a donc pas droit à un nom. Mais je sais qu’il aurait vécu si…

Elle eut un silence.

— Je vais l’appeler Elrê, ça veut dire « lien ».

Elle chassa quelques larmes qui perlaient au coin de ses yeux. À cet instant, Eryn se mit à pleurer.

— Je crois qu’elle a faim, soupira Asha.

Elle se releva et disparut dans sa maison. Lohan la contempla sans pouvoir mettre en mots ce qu’il ressentait. L’air s’emplit d’émotions complexes qui le laissèrent muet.

 

*

 

Asha observait Eryn téter sans retenir le sourire qui lui venait aux lèvres. Dans la pénombre de la maison, la clarté de son Sanctuaire se faisait plus vive. Il y avait eu du changement par ici. Le vieux chêne n’abritait plus de flammes bleues, mais une fleur azurée avait poussé à son pieds, juste à côté d’un chat qui dormait. Un félin avait disparu, mais les autres semblaient imperturbables.

Le plus beau, c’était cette petite étoile qui bien que chétive paraissait plus éclatante que toutes les autres. Sept jours auparavant, elle n’était pas là.

Asha n’avait jamais trouvé d’étoile plus belle.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
_HP_
Posté le 14/03/2021
Hello !

Petit bébé... 😭 Je trouve ça triste et en même temps, je me demande comment est-ce qu'Asha aurait fait seule, avec deux enfants... C'est quand même un peu plus compliqué, déjà 😅
La partie cérémoniale était vraiment très belle ; et j'avoue, j'ai souris quand Lohan a dit qu'il n'était pas question qu'il danse xD J'aime beaucoup son évolution progressive, la gentillesse dont il peut faire preuve à l'égard d'Asha... Je pense que ça présage soit une très belle amitié soit de l'amoouuuur 😄😋
Je suis curieuse de voir ensuite ce qu'il va se passer avec les villageois juste à côté ! Et ça m'a fait repensé à Clervie... Pourquoi est-ce qu'elle l'a mise enceinte ? 🤔
AudreyLys
Posté le 14/03/2021
C'est pas faux, stratégie panda x) T_T
Ah et tu es pour LoSha ou pas ? ^^
Je vois que tu te poses les questions au bon moment^^ puisque la réponse arrive très vite après ce chapitre
Merci pour tes com', ça fait plaisir de te revoir par ici ! <3
_HP_
Posté le 14/03/2021
Je pense que Losha peut marcher, en effet :p A voir !
Guimauv_royale
Posté le 02/01/2021
Coquilles

- comment le pourrait (-il) sans accomplir sa retraite
- La plus jeune finit par hocher ma (la). tête
- Les Arsalaïs pénètrent (pénétrèrent) dans leur hutte
- et formèrent en (un)cercle autour du jeune garçon.
- jusqu’à n’être qu’à une coudée du (de) lui.
- jusqu’à ce qu’elle soit recouvert (recouverte) de son sang.
- Keira sauta sur son frère pour l’étreinte (l’étreindre)
- tandis que l’assemblait (l’assemblée) s’ébrouait.
- Lohan ne fit aucun effort pour se clamer. (Calmer)
- parvenant pour la première (fois) à observer autre chose que ses yeux pétrifiés.
- et chercha à l’intérieure (l’intérieur) de la maison.
- La rage s’empara de lui à cette pensées. (Pensée)
- il se laissa lors (alors) approcher.
- Il retira quelques bout (bouts) de peau
- ses paupières glacés (glacées) ourlés (ourlées) de cernes bleuâtres
- et poussa un petit (cri) quand il le prit
2
- Les gestes de la danseuses (danseuse) se délièrent encore
3
- les torches s’allumèrent depuis le centre jusqu’au extrémité. (jusqu’aux extrémités)
- - La cérémonie et (est) finie,
- il n’a pas donc droit à un nom. (Il n’a donc pas droit)


Remarques

1- Les Arsalaïs pénètrent dans leur hutte (…)
Les Arsalaïs émergèrent au bout de quelques minutes, (…)
Les Arsalaïs cessèrent de danser (…)
(Répétitions de Arsalaïs)
2- Alors qu’il revenait d’une patrouille où il avait relevé ses collets à sa demande, il la trouva en train de creuser des trous dans la clairière. (Je pense que tu peux dire ‘’ Alors que Lohan revenait d’une patrouille’’ vu que y a eu une ellipse)
3- Au moment où elle atteignait (atteignit j’aurais dit) le sol, les torches s’allumèrent depuis le centre jusqu’au(x) extrémité(s).
AudreyLys
Posté le 04/01/2021
Je vais y réfléchir, merci !
Alice_Lath
Posté le 20/05/2020
Et là, paf, le bébé enterré ressuscite et remeurt derrière étouffé car enterré vivant huhu. Nan, je sais, je suis atroce, désolée, je sors. Enfin, c'était vraiment un très très beau chapitre, très émouvant. Et oui, je suis d'accord avec Lohan, tu te retiens trop Asha, il faut que tu sois furieuse à des moments plutôt que de te laisser marcher dessus comme tu le fais. C'est fou ça. D'ailleurs, on sait toujours pas vraiment exactement pourquoi Clervie l'a faite tomber enceinte.
AudreyLys
Posté le 21/05/2020
Nan mais... XD
Merci^^
C’est marrant que tu te poses ma question juste au moment où tu vas avoir la réponse x)
El
Posté le 19/04/2020
Ah, tu l'avais pas dit qu'il y avait deux bébés ? J'avais déjà compris, à cause des deux lumières du sanctuaire x) (même si j'avoue que j'ai eu un doute sur le coup, je me suis dit "wut, j'avais mal compris ?")

Je file lire la suite :p
AudreyLys
Posté le 19/04/2020
Je l'avais pas dit, mais je l'avais sous-entendu oui.
Merci pour ta lecture et ton quintuple commentaire <3
El
Posté le 19/04/2020
C'est un plaisir B)
Pluma Atramenta
Posté le 05/04/2020
Voilà, j'ai terminé.
Je parie que tu as puisé le prénom Eryn dans "l'Autre" de Pierre Bottero. Mais qu'importe, je ne savais pas que cela signifiait "paix". Je te tire amicalement mon béret, AudreyLys, publie vite la suite !
Que ta licorne t'emmène jusqu'au Bout du Monde,
Pluam.
AudreyLys
Posté le 05/04/2020
Je vois ça^^tu as été rapide^^
Alors, même pas, j'avais décidé du nom avant de lire l'Autre.
Oui, oui !
Que ton dragon t'emmène jusqu'aux cieux !
Sorryf
Posté le 04/03/2020
Bon... ça va... elle est revenue.
J'avais complètement zappé qu'il y avait deux bébés :O j'ai cru que ce boulet de Lohan avait laissé mourir l'enfant T.T
Du coup je me demande comment il a tenu la petite en vie pendant ces trois jours, comment il l'a nourrie etc, j'aurais aimé voir ça !
cette partie se termine sur une note douce et de l'espoir, ouf !
La punition de Kurtis était pas troooooooop hardcore ça va.
La danse, toujours aussi belle, meme en se contentant de la lire !
Maintenant Asha stp retourne à ta famille. A quoi tu joues ? Pourquoi tu veux tout faire seule ? La petite Eryn doit connaitre les siens !
AudreyLys
Posté le 04/03/2020
Ui
T’avais pas zappé je l’avais juste pas dit^^ c’était la petite surprise macabre du chapitre.
Justement, ça n’a pas duré trois jours cette fois-ci mais un^^ (heureusement pour la petite d’ailleurs)
À part le meurtre de bébé c’est plutôt positif XD
Nan mais il a échappé au pire c’est pour ça
Merci <3
Réponse dans la prochaine partie ^^
Je crois que je vais faire une petite pause de deux semaines pour relire la partie 2 et continuer un peu le Baroudeur, ça te dérange pas ?
Vous lisez