Chapitre 10 – Être morte ou ne pas être morte

Par Samy

Je me crispai et fermai les yeux, prête à recevoir une énième raclée, lorsqu’un chant mélodieux résonna à mes oreilles.

— Lâche-là ou j’te pète les dents ducon ! brailla une voix féminine aux accents rocailleux.

— Pff ! fit le boxeur du jour, abaissant immédiatement son bras.

Il esquissa néanmoins un sourire qui se voulait chaleureux avant de se retourner pour face à une Ursula en furie, toutes ailes dehors.

Malgré mes yeux enflés qui peinaient à ouvrir, je pouvais voir que du renfort avait été appelé : toute la clique de la station A 99 était là, mon trio préféré inclut.

— Tiens, tiens… Mais c’est cette chère Serveuse ! Tu distribues toujours tes cocktails de la mort ?

— Ta gueule connard ! J’m’appelle Ursula maint’nant alors tes blagues foireuses, tu peux te les mettre dans ton cul !

Se retournant brusquement vers moi, Connard me dévisagea surpris, relevant un sourcil qui atteignit le sommet de son front. Il y avait comme du respect dans son regard mauvais.

— Ainsi tu as réussi à créer un lien avec un chérubin ? Intéressant…

— Tu lui veux quoi à la petiote ?

— Ho, rien de spécial ! On se promenait par hasard dans ce cimetière lorsque nos chemins se sont croisés, et on a simplement bavardé un tout petit moment.

— Vu sa tronche défoncée, t’as pas fait que lui parler.

— Serv… Ursula, voyons ! Je voulais lui faire la bise comme le font les humains, c’est tout ! Seulement, on ne maîtrise pas très bien cette manière de faire en enfer…

— Elle est désormais sous la protection du Grand Saint Michel, clama Brunette en avançant d’un pas. Veuillez-vous éloigner d’elle !

— …

— T’as entendu qu’est-ce qu’il a dit ? demanda Ursula.

— …

— Milou dégage ! ordonna-t-elle.

— Malum, précisa ce dernier en articulant furieusement son prénom.

— J’m’en branle ! Casse-toi avant que j’m’énerve !

Mais mon pugiliste ne semblait pas vouloir partir ; il avait probablement encore plein de bisous Made In Hell en réserve à me faire.

— J’vais t’éclater l’troufion…, avertie Ursula.

— Très bien, très bien, dit-il en levant les mains l’air faussement vaincu. Nous partons.

Il tourna rapidement des talons et se pencha vers moi pour me murmurer de douces paroles :

— Motus et bouche cousue sur notre petite affaire, l’idiote. Et crois-moi, tu as intérêt à récupérer cette dague avant qu’on ne te retrouve. Compris ?

Sur ce, il claqua des doigts et tous mes tortionnaires disparurent en un clin d’œil dans une brume grise. N’ayant plus aucun support pour me retenir, je m’écoulai par terre.

— Petiote ! cria ma sauveuse en se précipitant vers moi, est-ce que ça va ? Tu ressembles plus à rien ma pauvrette ! Et pourquoi qu’il t’a tapé comme ça cet encu…

— Ramenons-la tout de suite en lieu sûr, l’interrompit Blondinet en passant mon bras gauche autour de son cou.

Je l’aurais bien remercié mais impossible d’ouvrir la bouche et encore moins de sourire car la douleur était insupportable. Je tournai néanmoins la tête pour lui faire comprendre que j’appréciai son geste lorsque je surpris un léger tic de colère sur son visage : il n’avait pas l’air d’être très content de la situation, surtout avec mon visage amoché trop proche du sien.

Autour de moi les Passeurs me demandaient si j’allais bien, si les coups faisaient aussi mal que ce que l’on racontait, et pourquoi je faisais des papouilles avec un démon.

Ah ah ! Je me doutai bien que c’en était un ! Pour qu’il se fiche qu’un sac de luxe soit percé par un stupide couteau ancien, il ne pouvait être qu’un disciple de Satan !

Toutes à mes pensées, et à ma douleur, je ne réalisai pas que nous étions déjà revenus à la station-service.

— T’inquiètes, j’vais t’réparer en un rien de temps ! m’annonça Ursula, déjà en action derrière le comptoir.

Tout le monde parlait en même temps de ce sauvetage incroyable, s’inventant des gestes héroïques et se promettant de se remémorer les évènements pour toujours. Pendant que Gertrude plaçait des pansements sur tout mon visage, Poivrot m’offrit son verre quasi vide, alors que Micheline essayait tant bien que mal de me recoiffer.

Malgré cette cacophonie joyeuse, les trois Faucheurs se tenaient en retrait, la mine sombre et me dévisageaient intensément, exigeant silencieusement des explications.

Bon, je me doutai bien que je n’y couperai pas mais j’avais été menacée de garder mon clapet fermé ou j’allais bouffer des beignes infernales, alors personne ne me fera changer d’avis.

— Crache le morceau ! Qu’est-ce que tu fricotais avec ce saligaud de Milou ? me demanda Ursula, posant un verre devant moi avec sa brusquerie légendaire.

— Thé ?

— Tss ! Elixir de Réparation !

Je bus lentement, par petites gorgées, réfléchissant à un moyen de m’en tirer sans trop rien leur raconter.

— Petioooote, menaça Ursula en me montrant ses deux énormes poings fermés, j’cogne plus fort que ce merdeux alors t’as intérêt à ouvrir ton bec !

On n’entendait pas une mouche voler, les bavardages avaient immédiatement cessé, et tous étaient suspendus à mes lèvres boursouflées.

— Écoute, moi j’peux voir des choses que les autres peuvent pas. Et ce que je peux déceler chez toi, ça ne me plaît pas du tout.

Elle marqua un temps d’arrêt, comme pour mieux me présenter la chose.

— Ton âme, elle est pas comme les autres : c’est comme une coquille vide là-dedans, y a plus de substance et ça c’est pas normal. Donc ça veut dire qu’il s’est passé quelque chose quand t’étais encore vivante, et puis c’est devenu tout dégueulasse.

Ses yeux me sondaient, me défiant de la contredire, mais je refusai toujours de parler.

— Calie Detroyes ! tonna alors Rouquin. Les Archives Célestes listent une date de mort survenue il y a plus de trois ans suite à une autre cause. Or cette mort-ci dans un accident de voiture, n’est pas mentionnée.

— Cela signifie qu’il y a eu une modification de l’Ordre Naturel Divin, continua Blondinet. Et cela est complètement interdit !

— Qu’êtes-vous ? me demanda Brunette à brûle-point.

Je reposai mon verre en soupirant bruyamment et lançai un regard circulaire dans la pièce : les Faucheurs paraissaient surpris de la tournure que prenait cette conversation, regardant nos échanges avec des yeux ronds, leurs têtes faisant des allers-retours entre nous. Après quelques secondes de réflexion, je décidai de me lancer à l’eau.

—Il y a trois ans lors d’une mission, j’ai été poussée du haut d’un immeuble et j’en suis morte, annonçai-je.

Que faire maintenant ? Si je révélai le reste, je risquai des gros ennuis plutôt douloureux. Mais en même temps, ce n’est pas comme si je savais ce qui m’était arrivé exactement ; il y a beaucoup trop de zones d’ombre et il me fallait des réponses. De toute façon je n’avais plus rien à perdre : j’étais déjà morte et j’allais très certainement finir grillée pour avec quelque peu dévié du droit chemin, alors autant tout admettre maintenant.

— Puis un démon m’a ramené à la vie.

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Flame and Darkness
Posté le 22/01/2023
Des bisous Made In Hell sympaaaaa
Mourir deux fois dans une vie c'est triste mddr, surtout si la deuxième fois n'est pas au volant d'une ferrari mddr
Pouiny
Posté le 09/12/2021
"Pour qu’il se fiche qu’un sac de luxe soit percé par un stupide couteau ancien, il ne pouvait être qu’un disciple de Satan !" Elle aurait du se prendre une gifle de plus rien que pour celle-là, tiens x)

Comment elle a pas pu se douter que son employeur au couteau était pas un démon si elle avait déjà rencontré un démon avant ? Elle connaissait déjà un peu de surnaturel, au final ! ça me pose encore plein de question ...
Samy
Posté le 27/12/2021
En fait, son employeur n’est pas un démon et elle ne devait faire qu’une simple livraison à un client (situé à Monaco). Ta remarque est judicieuse : elle avait déjà une notion de ce qu’était un démon, mais ne l’a reconnu qu’à ses yeux étranges. Cela dit, il y a tellement de créatures dans l’au-delà qu’elle n’était pas sûre qu’il en soit un.
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