Chapitre 10 : Être Mecer

Par Notsil

Les impériaux attaquèrent au milieu de la nuit.

–Alerte ! hurla l’Émissaire Irys.

Les Messagers empoignèrent leurs armes avant même de se lever, tandis que Mélior se redressait en jurant. Mais l’Émissaire était bien trop affaibli par sa blessure pour être d’une quelconque utilité.

Le feu n’était plus que braises rougeoyantes ; seule la lune, presque pleine, accordait une faible lumière.

Lucas et ses amis voyaient à peine où ils mettaient les pieds.

–Restez à l’abri ! cracha Mélior.

Son épée en Ilik était déjà dans sa main, et il s’était laborieusement hissé sur un genou. Devant la grotte, le Messager Sulio jura quand une flèche perça son bras.

–Ils ont des archers !

Lucas plissa les yeux. Une bonne douzaine de soldats impériaux les entourait. Ils avaient quitté l’abri de la forêt pour s’avancer à leur rencontre, sur la dalle plate en contrebas de l’ouverture de leur grotte. Se sachant à la merci des Mecers, ils avaient préféré une contre-attaque suicidaire plutôt que d’attendre d’être exterminé.

C’était effrayant. Lucas avait déjà combattu ; il avait déjà été pris pour cible également. Jamais encore il n’avait vécu une bataille d’une telle ampleur.

Il n’y avait pourtant qu’une vingtaine de combattants ; Mecers, soldats, esclaves… tous se battaient avec fracas. Le cliquetis de l’acier faisait écho aux cris des blessés. Les rapaces liés aux Mecers tournoyaient dans le ciel, hors de portée des archers. Parfois, l’un d’eux plongeait sur un ennemi pour le lacérer de ses serres. Leur agilité était époustouflante.

Les trois Envoyés avaient tiré l’épée pour imiter leurs ainés, mais se sentaient bien démunis.

L’ouverture de la grotte était large ; les Messagers y avaient veillé, peu désireux de se laisser surprendre. Ils avaient toute la place pour manœuvrer, tout en s’assurant de la sécurité de leurs Envoyés.

—J’aimerai tellement pouvoir faire quelque chose, murmura Syrcail.

Lucas partageait son avis. Ses doigts serraient la garde son épée à s’en blanchir les phalanges.

—Vos Messagers ont la situation en main, les calma l’Émissaire Mélior. Parfois il faut céder la place. Ce n’est pas facile, mais c’est ainsi.

—Comment apprendrons-nous, si nous ne sommes pas autorisés à nous battre ? demanda Assym, vexé d’être tenu à l’écart.

—En observant, dans un premier temps. Votre tour viendra, n’ayez crainte.

—Comment arrivent-ils à voir avec si peu de lumière ? demanda Syrcail en plissant les yeux.

La lune baignait les combats de ses rayons, il leur restait pourtant difficile de voir au-delà de quelques mètres.

—Le Lien avec un rapace améliore nos capacités naturelles. Irys est liée avec une chouette, ses capacités dépassent de loin les nôtres la nuit. Pour elle, c’est comme s’il faisait jour.

—Whaouh, murmura Assym, impressionné.

—Il y a des Compagnons meilleurs que les autres, du coup ? s’enquit Syrcail.

—Tu t’aventures sur un terrain dangereux, dit Mélior, sombre. Chaque Compagnon apporte sa force et ses faiblesses. Certaines forces paraissent plus évidentes que d’autres. Mais comme tu l’apprendras, la force ne fait pas tout dans un combat.

—Beaucoup de Mecers sont liés à des oiseaux, cependant, nota Lucas.

—Oui. Parce que nous volons et qu’il est plus facile pour eux de nous suivre ainsi.

—J’ai l’impression que les Compagnons sont tous des prédateurs, intervint Assym.

—Une majorité, oui. La vie d’un Mecer reste faite de combats.

—Il y a des Compagnons non combattants, du coup ? demanda Syrcail.

—Oui. Plus nombreux qu’on ne le pense, sourit Mélior. Ils sont souvent plus sages que nous, plus expérimentés. Leurs conseils sont très utiles.

—J’ai tellement hâte, dit Assym.

—Il vous faudra être patients, tempéra Mélior. Il vous reste de longues années d’apprentissage avant que vous soyez autorisés à pénétrer la forêt de Jade.

—Et chercher un Compagnon ne signifie pas le trouver, ajouta Lucas.

—C’est exact, dit l’Émissaire  avec un regard surpris pour le jeune Envoyé. Comment le sais-tu ? C’est suffisamment… humiliant…pour que peu en parlent.

—C’est arrivé à un ami à mon frère, marmonna Lucas.

—Je vois…

—Je me verrai bien avec un Compagnon puissant, fit Assym, songeur. Une grosse bestiole qui en  impose.

Syrcail gloussa.

—Pourquoi ça ne m’étonne pas ? Une envie de te sentir protégé ?

—Peut-être. Mais imagine la terreur de nos ennemis sur le champ de bataille !

—S’il suffisait d’être grand et puissant pour gagner, ça se saurait, remarqua Syrcail.

—Le Compagnon de mon frère est un serpent, dit Lucas. Il est tout petit, mais sa morsure est mortelle.

Assym écarquilla les yeux.

—Ça craint ! Par Eraïm, je n’y aurais pas pensé ! Drôlement efficace, en tout cas. C’est rare que tu nous parles autant de ta famille.

Lucas détourna le regard.

—Il n’y a pas grand-chose à en dire, marmonna-t-il.

Syrcail eut un regard compatissant. Ce n’était pas facile d’appartenir à une famille si illustre que la Seycam. Mais Assym possédait plus de tact que ne le supposait Syrcail.

—Mes parents sont d’Opale, dit-il. Ils sont boulangers.

—C’est loin d’ici, nota Syrcail en fronçant les sourcils. À l’autre bout du continent, même.

—Oui. Je prends un Aquilaire pour aller les voir quand j’ai une permission. Ce serait bien trop fatiguant en volant par mes propres moyens.

—J’ai plus de chance que toi, alors. Les miens sont à la Cité d’Émeraude. Mon père tient une petite boutique d’artisanat, et ma mère fabrique des bijoux.

—Tu as de la chance, ils ne sont pas loin.

—Ils me reprochent quand même de ne pas passer les voir assez souvent, grimaça Syrcail.

—Ma sœur ainée compte reprendre la boutique, continua Assym. Et j’ai deux autres sœurs qui sont entrées chez les T’Sara, ajouta-t-il avec fierté.

—Tu n’as pas de frère ? s’enquit Lucas.

—Non, je suis le seul fils de la famille. Papa était très fier que je rentre chez les Mecers.

—Alors je suis ton opposé, sourit Syrcail. Je n’ai que des frères. Deux sont encore à l’école, un autre est en apprentissage pour devenir boulanger. Notre ainé est mort au combat, ça va faire deux ans bientôt. Ça n’a pas plu à maman que je me présente au concours des Mecers.

—Et toi, Lucas ? C’est comment, en vrai ? finit par demander Assym.

—Tu n’es pas obligé de répondre, souffla Syrcail.

—Mon père… n’est pas souvent là. J’ai huit frères et sœurs, tous plus âgés, mais vous le savez déjà. Tous Mecers, alors, ils sont souvent en mission. Je n’ai même jamais connu mon frère ainé, mort au combat avant ma naissance. C’est… beaucoup de solitude, en vrai. Bien trop de règles. Ou de secrets…

Lucas aurait voulu ajouter qu’il détestait sa famille ; son sang Massilien le lui interdisait.

—Ma mère était une T’Sara, intervint Mélior à leur surprise.

Son attention était sur les combats en contrebas, ce qui ne l’avait pas empêché de suivre leur conversation.

—Elle est morte en donnant naissance à l’une de mes petites sœurs, de ce que je sais. Je ne l’ai jamais connue, comme mon père. C’est le lot des enfants de T’Sara. Nous vivions en communauté et nous nous considérions tous frères. Nos familles sacrifient parfois beaucoup à leur devoir. Ce n’est pas ta faute, si ta mère est morte à ta naissance.

—Mais si je n’étais pas né, elle serait encore là, rétorqua Lucas. Et ils n’auraient pas été privés d’elle.

—N’enlève pas aux autres la responsabilité de leurs choix ou de leur sacrifice, modéra l’Émissaire. Son choix a été ta vie. C’est le devoir des parents de se sacrifier pour la nouvelle génération.

—Alors pourquoi je me sens responsable ?

—Parce qu’il n’est pas facile de dépasser ce sentiment.

Lucas courba la tête.

—C’est pour ça que tu as postulé chez les Mecers ? interrogea Syrcail. Pour fuir un quotidien qui t’étouffait ?

—Je ne sais pas. Peut-être, fit Lucas. C’est difficile, de vivre dans ma famille. Dans l’ombre de leurs exploits.

—Tu as une nouvelle famille, avec les Mecers, osa Assym.

Syrcail approuva, enthousiaste. Leur chaleur était contagieuse et Lucas finit par quitter son air maussade.

Une ombre s’encadra soudain dans l’ouverture de la grotte, surprenant les Envoyés.

—C’est terminé, dit le Messager Sulio, les traits tirés.

Une large tâche écarlate s’étalait sur sa manche gauche et son uniforme blanc était éclaboussé de sang.

—Ils vont bien ? s’enquit Syrcail.

—Quelques blessures légères mais rien de grave.

—La menace est écartée pour le moment, ajouta Arcal. Nous allons panser nos blessures et nous reposer, puis nous irons voir ce qu’il reste de leur camp et aviser.

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Lohiel
Posté le 14/06/2021
Coucou...
Donc, si je comprends bien, les Mecers sont considérés comme "invincibles" en quelque sorte ? Puisque les autres avaient "préféré une contre-attaque suicidaire plutôt que d’attendre d’être exterminé" ? (exterminéS, sinon)
Et les impériaux ne sont pas des créatures comme eux, ailées ?
Gros bisou 🌺, j'ai la tête un peu en vrac, là (trois ans de travail, je n'arrive pas à réaliser que c'est terminé 🙂)
Notsil
Posté le 15/06/2021
Coucou ^^
Peut-être pas invincibles mais ils sont l'élite de l'armée, oui. Les forces spéciales, quelque part. Et vu que les impériaux présents appartiennent à l'armée régulière (et sont peu nombreux), théoriquement ils ont aucune chance.
Mais c'est quand même stupide de leur part d'aller attaquer, en fait....
Les impériaux ne sont pas des ailés en effet (faudrait peut-être que je le précise à un moment genre quand je les introduis 😅 ).
Mais plus j'y repense plus ce chapitre est bancal. Déjà les autres qui causent à l'arrière pendant qu'on est à 3 vs 20 devant... ils pourraient discuter autour d'un repas, ça serait un peu plus convivial entre eux tous.

Et oui, c'est le moment de profiter, d'être dans la joie et le vide, dans l'euphorie et le manque :) 3 dans de travail bientôt entre tes mains ? ^^
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