Chapitre 10.

Notes de l’auteur : Bonne lecture :)

“Quoi ?! Mais pourquoi ?

-J’y ai longuement réfléchi, et je pense que c’est notre meilleure option, justifia Yakta.

-Mais pas du tout !”

Ils étaient tous installés dans l’espace commun du catamaran, dispersés sur la longue banquette en angle et sur les fauteuils assortis tandis que Yakta leur faisait face, debout, pour leur exposer la dernière décision en date. Celle de s’allier avec le Mod pour remplir le contrat. Les réactions n’avaient pas été aussi explosives qu’elle et Anak l’avaient pressenti. Seule Wanda s’y opposait avec virulence. 

“Il faudrait en informer Gojo, dit Esteban. 

-Faites, éluda Yakta.

-Non mais attendez, la décision est prise ? se révolta Wanda avant de se tourner vers Chad, Tu dis rien, toi ?”

Chad n’eut qu’un bref haussement d’épaule quelque peu inintéressé. 

“On a tourné en rond sur une île, puis sur une autre, pendant des jours sans rien trouver, résuma-t-il, j’suis déjà crevé et au final, on n’est pas plus avancé sur cette putain de malédiction. Donc, pourquoi pas, au point où on est… si on peut diviser les emmerdes en deux. 

-Mais ça veut dire partager la prime aussi !

-C’est vrai, Wanda, concéda Yakta, mais je préfère assurer la moitié de cinq millions de gallions, plutôt que rien du tout. D’autres sont sur le coup, et certains d’entre eux rôdent déjà dans le coin. Des bien plus dangereux que le Mod. Au rythme où c’est parti, on va les avoir sur le dos, Murdock nous lâchera pas d’une semelle mais on peut choisir de faire de lui un partenaire plutôt qu’un rival, c’est un compromis à notre avantage. 

-Tu leur fais confiance ?”

Yakta ne répondit pas tout de suite. Son regard vogua en direction d’Anak le temps d’un bref instant avant d’inspirer longuement.

“Pas encore, avoua-t-elle, mais il est toujours possible d’instaurer un climat de confiance.”

En dépit des arguments, Wanda ne faisait que se renfrogner. Elle se rendait compte qu’elle constituait la seule voix à s’élever contre leur capitaine ; Chad se tenait à sa position résignée ; Moh et Anak gardaient le silence ; quant à Esteban et Valérian, ils semblaient analyser chaque mot qui s’échangeait sans vouloir intervenir. 

“Mais tu peux me faire confiance, Wanda, insista Yakta, les intérêts de ce bateau passent toujours avant tout le reste, et c’est bien pour ça que je choisis de faire ce compromis. 

-Je sais bien…, grommela Wanda. 

-Et puis, tout ça en réalité part d’une bonne nouvelle ! positiva alors Yakta en affichant un grand sourire, Je t’en prie, Anak, c’est à toi qu’il revient de leur dire ce que tu as découvert.”

Se trouvant ainsi jetée au devant de la scène, Anak se racla la gorge avant de se positionner sur la banquette pour faire face aux autres et leur annoncer : 

“Sibéal et moi, on a mis la main sur un très vieux papier que la bibliothèque gardait. C’était écrit dans une langue bizarre mais elle a réussi à le traduire, et au final, c’était une carte qui positionnait un endroit grâce aux constellations que, heureusement, je connais bien. Et du coup, maintenant, on sait où se trouve un temple qui pourrait nous en apprendre plus sur la malédiction !

-Wow, admira Moh, mais c’est génial ! Vous êtes trop fortes !

-Toutes mes félicitations, Anak, glissa Esteban.

-Comme quoi, ça a quand même un intérêt de connaître des choses inutiles comme le nom des étoiles…,” remarqua Chad, toujours un peu dubitatif.

Dans un mélange de remerciement et d’amusement, Anak opina du menton, et Yakta saisit ce moment pour rebondir : 

“Ça illustre bien que notre alliance peut nous être utile ! On a chacun nos talents sur ce bateau, et c’est aussi le cas pour eux.”

Des regards furent échangés le long de la banquette et devant l’absence de protestation, Yakta conclut sur un ton plus déterminé : 

“Alors, unissons nos forces et décrochons ce fichu pactole !”

OoOoOo

Ils étaient sur le départ, le catamaran se faisait choyer pour les deux jours de navigation qui se profilaient à l’horizon. Les dernières heures avaient été mises à profit pour que tout se déroule comme prévu ; Yakta avait vérifié que chaque petit boulon était à sa place et que l’électronique fonctionnait correctement ; Anak avait tracé la route jusqu’aux Açores tout en prenant compte des obstacles et dangers possibles sur le chemin pour choisir la voie qui alliait sécurité et vitesse ; Mohvo avait étudié les rapports météorologiques, constamment actualisés, pour s’assurer qu’ils aient beau temps ; tandis que Wanda passait en revue les stocks le matériel médical, Chad se chargeait des vivres et de nettoyer les armes. Sur la mer, tout, absolument tout, pouvait se passer, partant de la simple fièvre à une panne moteur. Quant aux pirates, on ne savait jamais derrière quelles ombres ils pouvaient se cacher. 

“On ne sera pas loin, promit Sibéal. 

-C’est rassurant, répondit Anak, tu remercieras encore une fois Murdock !”

Elles étaient toutes les deux sur le quai pour les quelques instants qui séparaient le Yak du départ et un grand soleil venait de se hisser en dehors des vagues pour éclairer la journée. Comme à son habitude, Yakta aimait à ce qu’ils lèvent l’ancre à l’aurore, c’était une règle.

“On a réussi à allier nos deux équipages, énonça Sibéal avec un sourire encore un peu incrédule, c’était pourtant pas gagné…

-J’crois que les capitaines se comprennent entre eux d’une certaine manière, fit Anak. 

-C’est sûrement ça !

-En tout cas, je trouve qu’on forme une bonne équipe, nous deux, jugea Anak avec un sourire en coin plutôt fier.

-Plutôt, oui !”

Quelques raclements de gorge particulièrement prononcés se firent entendre et elles se tournèrent sur Nialh. Anak l’avait vu, quelques instants plus tôt, remplir le réservoir d’eau du Mod mais il devait avoir terminé sa tâche. A le voir la regarder tout particulièrement elle et non sa sœur, Anak haussa des sourcils d’étonnement. Depuis la rencontre des deux équipages, Nialh n’avait eu pour tous les Yak qu’un sentiment de rancœur et d’hostilité très prononcé. De tous ceux du Mod, c’était lui qui ne voulait pas échanger un mot avec eux à part pour les envoyer promener. Même Oriag, dont Anak n’avait entendu que des paroles mono-syllabiques et reçu des regards méfiants, ne lui paraissait pas si antagoniste. 

Et en cet instant, il avait l’air de vouloir lui demander quelque chose, ce qui était d’autant plus étrange. 

“Oui ? l’engagea-t-elle.

-J’voulais te dire que…, marmonna-t-il de mauvaise grâce, que je m’étais peut-être fait une fausse idée sur toi. Sib nous a raconté ce que vous avez fait et comment tu l’as aidé…”

Un petit sourire grandissant à ses lèvres, Anak tourna d’abord un regard sur Sibéal qui acquiesça pour confirmer les propos tout en paraissant fière du comportement de son frère. Son sourire accentué, Anak reporta son attention sur Nialh. 

“C’est pas grave, t’inquiète, le rassura-t-elle, à partir de maintenant, on pourra tous apprendre à se connaître !

-ANAK ! l’appela Yakta. On embarque !”

Anak brandit le pouce en l’air pour faire savoir à sa capitaine que l’ordre avait été bien reçu. Celle-ci se trouvait juste devant le Yak et conversait avec Murdock sur le ponton. De là où Anak se trouvait, l’échange semblait cordial. Anak fit ses au-revoirs avec le frère et la sœur O’Callaghan, avant de s’en aller sur un “A dans deux jours !” enthousiaste. Alors qu’elle arrivait vers les deux capitaines, elle vit Yakta sortir de sa veste une épaisse enveloppe à Murdock en lui apprenant : 

“Elle contient 50% de l’avance que j’ai négociée auprès de Mauro.”

Murdock posa un regard surpris sur ce qu’il tenait désormais entre ses mains pour ensuite le relever sur Yakta qui ne ponctua le geste que d’un simple sourire à peine visible. Il n’y eut pas d’autres mots, l’acte parlait de lui-même, le poids de l’enveloppe représentait un tout autre poids ; celui des responsabilités qui incombaient à chaque partenaire lors d’une alliance. Alors qu’un sourire vint redresser le coin de la bouche du demi-nain, il fut clair qu’ils s’étaient compris. 

“Partez tranquille, les invita Murdock, on assure vos arrières !

-Merci.”

Et le capitaine du Mod partit, non sans apposer une paluche amicale sur l’épaule d’Anak au passage. Alors qu’il s’éloignait le long du ponton pour rejoindre Sibéal et Nialh, Anak tourna un regard curieux vers Yakta assorti d’un sourire du même ton. Yakta observait encore l’échantillon de l’équipage du Mod quand elle lui partagea un bout de sa sagesse : 

“Il n’est jamais bon de ne faire les choses qu’à moitié, Anak. C’est tout ou rien. Et puisque j’ai choisi de faire confiance à ton instinct, va pour le tout.”

Devant la mine admirative que sa copilote lui dédia, Yakta rit tout en enroulant un bras autour des épaules de sa cadette pour la guider vers leur catamaran docilement accosté. 

“Allez, on monte à bord, moussaillon !”

OoOoOo

“Il parait que c’est très joli, les Açores. J’attendrai que tu m’envoies plein de photos.

-Oui, promis, papa ! J’immortaliserai chaque grain de sable ! Et Moh aussi, il va pas passer à côté l’occasion de garnir son compte insta…”

Installée dans le sofa, Anak faisait face au visage de son père qui s’esclaffe sur l’écran de son ordinateur portable. Derrière lui, elle vit passer la silhouette plantureuse de Sandy, l’une des serveuses de l’auberge, qui lui adressait un coucou discret auquel elle répondit. Un petit sourire se dessina sur les lèvres d’Anak alors que son père n’avait rien remarqué et s’enquérait des derniers repas qu’ils avaient mangés, elle et Moh. Sandy était plus jeune que leur père de quelques années seulement mais elle avait toujours la peps et une joie de vivre éclatante, elle et Chumani entretenaient une relation amicale fusionnelle depuis la moitié d’une décennie. Avec Moh, ils espéraient que leur père puisse se donner une nouvelle chance à l’amour auprès d’elle… ça faisait si longtemps que leur mère était parti, et depuis, il n’avait jamais accordé un regard à une autre femme. Ses enfants trouvaient la chose incroyablement touchante, mais ils nourrissaient aussi une grande peine pour Chumani, craignaient qu’ils se sente alors qu’ils traversaient tous deux les mers en long et en travers. Bien sûr, Chumani avait toujours été d’un tempérament indépendant et savait s’occuper, - bien mieux qu’eux, d’ailleurs- mais ça ne les empêchait pas de vouloir encore davantage pour lui. 

Du mouvement attira ses yeux plus loin dans la pièce là où Valérian apparaissait et tout le reste s’évanouit en un instant dans sa tête. Depuis cette nuit fantasque lors de laquelle elle était tombée à l’eau, dès que Valérian se trouvait dans les parages, elle ne pouvait s’empêcher de le suivre des yeux. Il faisait mine de ne pas la voir, ce qui se révélait être l’un de ses talents, mais parfois, elle décelait de l’irritation sur ses traits si parfaits. Tout s’était éclairé d’une certaine façon lorsqu’elle avait découvert sa queue sous la surface de l’eau. Sa beauté qui avait toujours été surhumaine, même si elle n’avait jamais mis de mot dessus, cette manière parfois mystérieuse avec laquelle il s’exprimait et surtout, la façon dont il avait toujours évité d’approcher l’eau. Ca ne répondait pas à toutes ses questions, oh ça non, loin de là. De nouvelles ne cessaient de bondir dans son esprit sans relâche.

“Il faut que je te laisse, papa, annonça-t-elle alors.

-D’accord, ma puce. Embrasse Moh pour moi.

-Bisous, papa.”

Et elle raccrocha avant de refermer son ordinateur dans un claquement. Valérian l’observa en profil comme un corbeau mais quand leurs regards se croisèrent, il détourna le sien aussitôt, en prenant l’air de vouloir prendre congé. Elle fut plus rapide cependant et en quelques enjambées lestes, elle était à ses côtés. Il se tourna vers elle dans un profond agacement. Avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoique ce soit de désobligeant, elle le précéda en le bombardant de sa première question :

“Pourquoi est-ce que vous êtes là ?

-Tu le sais. C’est Gojo Mauro qui…

-Mais pourquoi vous ? Des sirènes ? 

-Moins fort, bon sang ! siffla-t-il avec un grand mécontentement.

-Esteban en est un lui aussi, pas vrai ? poursuivit-elle sans relâche.

-Ca ne te regarde pas.”

Elle eut un hoquet d’indignation alors qu’il reprenait la direction de la sortie pour essayer de lui échapper, mais elle le suivit sans attendre. 

“Bien sûr que si ça me regarde ! Et pourquoi vous le cachez ? Pourquoi est-ce que moi, je devrais ne rien… ?”

Sans crier gare, il fit volte face vers elle et il se pencha aussi subitement pour rapprocher son visage du sien. Les mots qu’elle avait dans la gorge ne quittèrent jamais sa bouche pourtant laissé ouverte, elle fut statufiée par l’intensité furieuse de son regard pourtant si bleu. Elle n’avait d’ailleurs jamais vu des yeux si bleus, désormais ça aussi prenait sens. Une sirène aux yeux bleus comme l’océan, ça semblait cohérent… quoiqu’Esteban n’avait pas les yeux bleus, lui…

“N’oublie pas que tu me dois la vie, siffla Valérian entre ses dents, ne t’avise pas de me le faire regretter.”

Et il partit sans lui laisser le temps de reprendre contenance. Avant qu’il n’ait disparu par la porte, elle parvint tout de même à lui lancer sur la défensive : 

“Ca arrive de glisser quand même !!”

OoOoOo

“Pas trop fatiguée ?

-Salut, Yakta, l’accueillit Anak en tenant sa deuxième tasse de café. Non, ça va ! Maintenant que y’a Valérian et Esteban, on dort plus longtemps.

-Faut bien leur reconnaître cette utilité,” accorda Yakta en un petit sourire.

Il était bientôt six heures et l’aurore dorait déjà l’horizon tout en éclairant le ciel qui perdait ses étoiles. Cette nuit, Anak avait eu de la chance et avait écopé de la dernière heure de garde pour surveiller l’autopilotage, elle avait ainsi pu dormir d’une traite. 

Yakta vint s’asseoir dans son fidèle siège de pilotage et elle apprécia un moment le paysage avec la même sérénité qui étreignait ses traits quand elle se trouvait face à face avec la mer. Le cockpit, quand le soleil pointait pour annoncer le début d’une nouvelle journée de navigation, était doté d’une ambiance bien particulière. C’était si apaisant comme sensation, comme ne faire qu’un avec son navire, avec les eaux et le ciel. 

“On devrait arriver en fin d’après-midi, présage Anak, on n’a pas de retard.

-Fantastique. Que c’est plaisant quand tout se passe comme prévu.

-Par contre, j’ai remarqué sur les radars un système de perturbation qui vient du Sud-Ouest, partagea Anak, mais on ne devrait pas le croiser.

-C’est à espérer. Le Yak n’aime pas les tempêtes.”

Les catamarans n’étaient pas des bateaux conçus pour résister aux caprices de la mer et aux colères du vent. Ils avaient pour règle d’or de regagner la côte dès que des intempéries un peu trop poussées s’annonçaient et ils savaient pour s’être faits plus d’une fois surprendre par la météo quels dangers ils encouraient s’ils manquaient à cette règle. 

“Tant qu’on garde le cap, c’est bon ! garantit Anak.

-Parfait, alors. Serais-tu un ange, Nak, et irais-tu me préparer une tasse de café ?”

Anak fut sur ses pieds en un quart de seconde dans un “Tout de suite, ma capitaine !” et partit en moins de temps encore sous les rires attendris de Yakta.

OoOoOo

“Oui, regarde, Cherry, on vient d’arriver !

-Que c’est beauuuu…”

Anak tenait son frère cadet par le coude pour s’assurer qu’il ne tombe pas alors qu’ils arpentaient le ponton, venant de mettre pied à terre depuis le Yak tout juste amarré aux Açores. Moh était bien trop occupé à saisir le meilleur angle pour présenter les lieux à sa petite-amie avec qui il échangeait en Face Time. Et il serait fâcheux qu’il tombe lui aussi et qu’une sirène -ou un triton- doive lui porter secours…

A cette pensée pleine d’ironie, elle jeta une œillade par-dessus son épaule à Valérian qui n’était pas directement derrière eux, mais derrière Chad. Cela ne l’empêcha pas de croiser aussitôt son regard. Il la surveillait, ce requin. Anak fit la grimace. Elle avait eu beau passer toute la traversée à le harceler pour avoir ne serait-ce que des bribes de réponses de sa part, elle n’avait eu le droit qu’à des coups d’oeil de travers, à des invitations à aller voir ailleurs s’il y était ou à la vue de son dos quand il le lui tournait pour décamper. Heureusement qu’il était agréable à regarder même de derrière. 

“Oui, c’est Nanak ! confirma Moh en recadrant mieux la caméra sur sa sœur pour sa copine qui avait cru la voir dans un coin de l’image. Mais elle est fatiguée, elle a piloté toute la journée.

-Coucou Cherry, la salua-t-elle, comment ça va de ton côté ?

-Au top, je serai bientôt en vacances… vous pensez revenir quand ?

-On sait pas trop en fait, révéla Moh, cette histoire de malédiction est plus compliquée qu’on l’imaginait.”

Ils avaient atteint la sûreté du quai et Anak libéra le bras de son frère qui partit le long de celui-ci pour poursuivre sa discussion avec Cherry. Elle se retournait pour aller rejoindre Chad et Wanda quand elle se rendit compte que Valérian était de nouveau seul à contempler l’île des Açores et sa petite ville portuaire. L’endroit était charmant, les rues étaient dallées, de grands pots de fleurs avaient éclos ici et là,  et les toitures d’une jolie couleur ocre se mariaient merveilleusement avec la végétation luxuriante et omniprésente. Dans les hauteurs, un mont rocheux donnait du relief et du caractère à l’ensemble. 

Déterminée à saisir cette nouvelle opportunité de tirer les vers de mer du nez du triton, elle marcha droit sur lui mais il la repéra au dernier moment. Et cette fois-ci plutôt que de fuir, il jeta un coup d'œil en circonférence pour s’assurer que personne ne leur portait de l’intérêt avant de lui aussi avancer vers elle. Elle regretta aussitôt sa témérité en notant la flamme qui s’était éveillée dans les yeux bleus qui la harponnaient avec un air de revanche, mais surtout la démarche pressée avec laquelle il l’approchait. 

Elle tenta de reculer mais il l'attrapa par le coude et l'entraîna à sa suite derrière un abri bus qui les couperait relativement de la vue des autres. 

“Si tu continues comme ça, ils vont se demander s’il se passe quelque chose entre nous ! l’accusa Valérian.

-Mais il se passe quelque chose ! rétorqua-t-elle. Quelque chose de GRAVE !”

Il relâcha son bras dans un soupir las. Mais ce n’était pas parce qu’il prenait ses airs supérieurs qu’elle lâcherait si facilement l’affaire. Non seulement elle venait d’apprendre que les sirènes existaient encore mais aussi qu’une d’entre elles, et peut-être deux, naviguait parmi eux sans même avoir partagé son identité. C’était pour le moins louche. Surtout quand on savait deux-trois choses sur les sirènes. Tous les contes et les légendes, toutes les histoires qui les évoquaient les peignaient comme des monstres avides de sang et de chair humaine. Elles séduisaient les marins par leurs charmes et leurs chants jusqu’à les attirer dans les eaux. Et de là, elles les entraînaient dans les profondeurs pour les noyer et les dévorer.

Certes, Valérian l’avait sauvée. Mais… et si c’était pour mieux la garder pour plus tard ?

“Je veux savoir pourquoi je devrais garder ton secret, réclama-t-elle, je dois normalement tout rapporter à ma capitaine, alors pourquoi je devrais lui mentir pour toi ?”

A ces mots, il perdit quelque peu son air méprisant et dirigea un œil hésitant sur elle. Sentant la brèche se faire, elle insista donc : 

“J’ai le droit de savoir ce que vous faites sur notre bateau.

-Nous sommes réellement là pour vous aider, lâcha-t-il, mais aussi pour suivre vos avancées.

-Pourquoi des sirènes ?

-Tritons, rectifia-t-il avec fatigue, pour la simple raison que la malédiction nous concernent aussi, et que nous cherchons à la briser.”

Étrangement, alors qu’elle le sondait le plus avec le plus d’attention possible, le dévisageant sous tous les angles, tentait de creuser un tunnel entre ses deux yeux océaniques, elle le crut. Elle crut en sa bonne foi et en sa sincérité. En le fait qu’il était là pour les aider et non pour leur nuire. 

Était-elle hypnotisée ? Ou influencée par le fait qu’il l’ait sauvée ? Peut-être. Mais elle le croyait.

“Mais pourquoi cacher ta véritable identité ? 

-Nous la révèlerons en temps voulu.

-Alors, Esteban est aussi un triton.”

Valérian n’eut pas à répondre et il le savait. D’une certaine façon, ce fut comme s’il avait fini par comprendre qu’il ne servait à rien de lutter pour chaque petite question, ou bien la lutte ne se terminerait jamais. Anak était plus têtue qu’elle n’en donnait l’air de prime abord. 

“Et la malédiction est réelle… ? l’interrogea-t-elle alors avec une sorte d’anticipation.

-Oui.”

Elle ne réalisa qu’elle avait retenu son souffle dans l’attente de la réponse que lorsqu’elle le relâcha après l’avoir reçue. Valérian crut bon d’expliciter son propos dans une confirmation : 

“La malédiction est bien réelle.”


 

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