Chapitre 1 - Oriana - Offre singulière

Notes de l’auteur : Ce roman appartient à une saga qui compte pour l'instant 12 tomes. Je revisite l'histoire, je m'amuse à travers le temps sur Terre.

Les tomes sont indépendants les uns des autres. J'hésite moi-même quant au meilleur sens pour parcourir cette histoire. N'hésitez pas à dire en commentaire l'ordre qui vous semble le meilleur.

Ce tome s'inscrit dans la plus pure tradition horreur avec le grand méchant loup qui torture ses pauvres victimes dans un doux-amer permanent. C'est aussi un drame alors attendez-vous à sortir les mouchoirs.

Si vous avez lu les tomes précédents, vous aurez ici la réponse à une question majeure soulevée dans les tomes précédents. Si vous n'avez pas lu les précédents, rassurez-vous, nul besoin de le faire. Ce tome se suffit à lui-même. Vous vous contenterez de vous laisser porter.

Bonne lecture !

- Bonjour madame Delbran.

Oriana vit un homme s’asseoir en face d’elle à la terrasse où elle prenait un café et une viennoiserie tous les matins. Elle détestait ces mâles qui pensaient qu’une femme ne pouvait décemment rester seule à leur table et s’incrustaient systématiquement.

Qu’il connaisse son nom ne la surprit pas. Après tout, chaque matin, le serveur lançait un « Bonjour madame Delbran. Je vous sers quoi aujourd’hui ? » auquel elle répondait « chausson aux pommes », « croissant », « pain au chocolat » (on disait chocolatine dans le coin mais elle venait du nord) ou « pain aux raisins » selon son envie. L’inconnu avait pris la peine d’enregistrer son nom. Cela lui valait le droit à une minute d’attention.

- Je m’appelle Baptiste et je suis médecin, annonça-t-il.

« Tant mieux pour toi, mon gars », pensa Oriana qui vit dans cette introduction une manière de se vendre. Elle garda le silence. Elle avait appris que le mépris était la meilleure des réponses. Le mec, lassé de ne recevoir aucun mot, finissait par partir de lui-même.

- Le 12 mai prochain, vous allez mourir.

Oriana le transperça des yeux. Quoi ? Que venait-il de dire ?

- D’un cancer au cerveau, type 4, très agressif.

- Je n’ai pas de cancer, répliqua Oriana qui ne put s’empêcher de répondre.

- Vous ne savez pas que vous en avez un mais le 12 mai, vous serez morte et aucune chimiothérapie, radiothérapie ou opération du cerveau ne vous sauvera.

Oriana sourit. Drague intéressante. Vu que t’es morte dans trois mois, profites-en, vis ta vis, allons baiser.

- Je possède une clinique un peu spéciale qui propose des méthodes innovantes. Vous êtes une patiente idéale, indiqua-t-il.

Oriana se trouva un peu perdue. Où voulait-il en venir ?

- Le fait est que nos pratiques sont totalement illégales. Inutile donc de présenter votre carte vitale. De plus, je suis extrêmement riche. Je ne veux donc pas d’argent.

Oriana garda le silence. Elle ne comprenait absolument pas ce qui était en train de se produire. Elle enregistrait le discours sans y donner du sens.

- Ce dont nous manquons cruellement actuellement, c’est de mère porteuse. Ça tombe bien. Vous allez parfaitement bien de ce côté-là. Voici donc ma proposition : un enfant – l’ovule vous sera implanté à la clinique – contre la guérison totale de votre cancer.

Oriana était muette de stupeur. Ce mec venait vraiment de lui proposer de porter un enfant pour lui comme ça, en pleine rue, à la terrasse d’un café ?

- Voici ma carte. Si vous acceptez, contactez le numéro présent dessus avant le 1 avril. Ce n’est pas moi que vous aurez en ligne mais un de mes collaborateurs. Il répondra à toutes vos questions et arrangera les détails. Nous ne nous reverrons que pour l’implantation. Si vous laissez passer cette date, le numéro deviendra invalide. Prenez le temps d’y réfléchir. Contactez tous les médecins du monde pour qu’ils corroborent ce que je viens de vous annoncer. À bientôt, je l’espère.

Il se leva et s’éloigna à pied, marchant tranquillement, jusqu’à disparaître dans la foule. Oriana secoua la tête. Quelle étrange rencontre ! Elle se saisit de la carte. Simple cartonnette blanche, elle indiquait « Baptiste » avec un numéro en dessous.

Baptiste, relut-elle. Pas docteur machin, juste Baptiste. Voilà qui ne donnait guère confiance.

Elle termina son petit-déjeuner puis rejoignit son travail à pied. Sur la table ronde trônait la carte qu’elle n’avait aucune intention d’emmener avec elle.

Sa matinée fut aussi intense que d’habitude si bien qu’elle ne vit pas le temps passer et n’eut aucunement l’occasion de revenir sur cet évènement.

Elle prit son déjeuner sur un banc dans un parc, simple salade composée agrémentée de poulet, de fromage et d’oignons. Un donut terminait agréablement le repas, y apportant une note sucrée.

Avisant qu’il lui restait du temps, elle sortit son téléphone et rechercha sur Internet les symptômes d’un cancer au cerveau. Aucun ne correspondit à quoi que ce soit qu’elle ressentit. Par mesure de précaution, elle prit tout de même rendez-vous avec son médecin généraliste.

Il sembla un peu perdu. Pourquoi sa patiente tenait-elle à réaliser des examens alors qu’elle n’avait mal nul part et ne ressentait rien de particulier ? Elle dut insister lourdement pour enfin obtenir un rendez-vous pour une IRM. Le médecin la prévint : la liste d’attente était longue, au moins deux mois d’attente. Oriana gronda. Elle n’avait pas un tel délai devant elle.

Elle décida de ne pas se laisser impressionner par son médecin et appela le centre le plus proche de chez elle.

- Demain matin 10h ? proposa la standardiste.

- Demain matin ? s’exclama Oriana.

« Ce médecin est vraiment un abruti », pensa-t-elle.

- C’est parfait. Je vous remercie.

Oriana contacta son travail pour les prévenir de son rendez-vous médical du lendemain. Ce soir-là, elle prit une douche beaucoup plus longue que d’habitude, ce qui n’était guère son habitude. Elle était nerveuse. Elle avait beau se répéter que c’était ridicule, le doute subsistait.

Le manipulateur ne lui posa aucune question. L’ordonnance disait IRM du cerveau, il le faisait. La raison lui importait peu. Oriana attendit patiemment pendant tout l’examen puis dans la salle d’attente. Avait-elle peur ? Pas vraiment. Elle voulait faire disparaître ce doute débile que cet inconnu avait réussi à semer en elle. Était-elle si facilement influençable ? Oh et puis, merde ! Ça ne coûtait pas grand-chose de vérifier, de toute façon.

- Madame Delbran ? appela la standardiste.

Oriana se leva pour rejoindre la dame derrière son comptoir.

- Le médecin va vous recevoir. La dernière porte à droite au bout du couloir, précisa-t-elle en accompagnant son discours d’un geste de la main.

- Me recevoir ? répéta Oriana. Vous ne me donnez pas juste le compte-rendu tapé ?

La standardiste garda un sourire figé et son bras tendu dans la direction à prendre. Oriana fronça les sourcils en obtempérant. Elle marcha comme un automate. Si le médecin prenait la peine de lui parler, c’était que…

Un homme en blouse blanche lui proposa d’un geste de s’asseoir.

- Madame Delbran, commença-t-il mais Oriana, toujours debout, le coupa.

- J’ai un cancer agressif de type 4 au cerveau, dit-elle. Je serai morte dans trois mois.

Le médecin fut décontenancé par la réponse.

- Prouvez-le moi ! Montrez-moi les images ! s’écria Oriana.

Le docteur obtempéra. Oriana put tout voir mais elle était incapable de comprendre ce qui défilait sous ses yeux.

- Ça pourrait tout aussi bien ne pas être mes clichés mais ceux de quelqu’un d’autre ! Ou bien il n’y a rien de particulier et vous me mentez ! Vous êtes peut-être de mèche avec lui !

- Avec qui ? demanda le médecin, abasourdi.

- Je veux un second avis ! hurla Oriana.

- Bien sûr. Je comprends, assura le docteur en essayant de calmer la situation.

Oriana sortit son téléphone, trouva un autre centre et composa le numéro.

- Madame Delbran, calmez-vous, je vous en prie !

- Centre d’examen Goudrieux j’écoute, dit une voix féminine.

- J’aimerais prendre rendez-vous pour une IRM de la tête, annonça Oriana.

- Passez-la moi sinon, vous n’aurez pas votre rendez-vous avant le mois d’avril, voir de mai, dit le médecin.

- Cet après-midi à 15h vous conviendrait-il ? demanda la standardiste.

- Cet après-midi ? s’étrangla le docteur qui avait entendu la réponse sortie du haut-parleur.

Oriana recula son téléphone de son oreille. C’était inutile. Ce centre-là dirait la même chose. Il avait dit être riche. Il suivait ses appels et achetait ses interlocuteurs, les uns après les autres. Elle raccrocha au nez de la pauvre standardiste qui l’appelait, en vain.

Oriana sortit, l’esprit dévasté. Elle était en colère mais également apeurée. Avait-elle, oui ou non, un cancer au cerveau et comment s’en assurer ? Elle ne pouvait même appeler ce fameux Baptiste pour lui demander des comptes, n’ayant plus son numéro.

Avec un peu de chance, il serait toujours au café. Elle y retourna et observa la table où elle avait mangé la veille au matin. Évidemment qu’il n’y avait plus rien !

- Madame Delbran ! appela le serveur. Vous cherchez ça peut-être ? Vous l’avez oublié hier !

Il lui tendit le petit bout de carton. Le serveur l’avait gardé ? Oriana n’en revenait pas.

- Merci beaucoup, Eric, répondit Oriana.

- De rien, assura-t-il avant de retourner au bar.

Oriana s’installa sur un banc non loin et composa rageusement le numéro. Elle voulait qu’il s’explique, qu’il s’excuse de lui avoir menti, qu’il lui dise pourquoi il avait monté un tel numéro et ce qu’il lui voulait. Et surtout, surtout, qu’il la laisse tranquille !

Une seule sonnerie retentit.

- Bonjour madame Delbran, dit une voix masculine. Je suis Philippe, votre interlocuteur privilégié.

Baptiste l’avait prévenue qu’elle ne lui parlerait pas directement mais discuterait avec un collaborateur.

- Arrêtez de soudoyer les médecins pour qu’ils confirment votre mensonge ! gronda Oriana.

- Nous avons fait en sorte que vous ayez des rendez-vous rapides, nous ne nions pas. En revanche, il s’agit de notre seule et unique intrusion. Le médecin a-t-il confirmé la présence de votre cancer ?

- Vous le savez puisque vous lui avez demandé de le faire ! Je n’ai pas de cancer au cerveau !

- C’est sûrement pour ça que vous avez cherché le sucre dans le frigo ce matin, dit Philippe.

Oriana se figea, muette de stupéfaction. Elle avait… quoi ?

- Bien sûr, vous n’y avez pas prêté une attention particulière. Après tout, ça arrive, non ? La fatigue, le stress, vous vous dites juste que vous avez besoin de vacances. Ce n’est ni le stress, ni la fatigue et aucune vacance ne vous rendra ce que vous perdez à chaque minute qui passe.

Cela lui revenait maintenant. Oui, ce matin, elle avait voulu sucrer son café et l’avait cherché dans le frigo avant de finalement ouvrir le bon placard. Elle ne s’en était même pas rendue compte.

- Ou quand vous êtes allée chercher une serviette propre dans la salle de bain et qu’en chemin, vous avez oublié ce que vous étiez allé chercher, pour finalement revenir dans la cuisine et n’aller chercher cette fameuse serviette que deux heures plus tard.

- Comment pouvez-vous savoir cela ? lança Oriana, maintenant terrifiée de se savoir observée.

- Madame Delbran, vous avez un cancer au cerveau. Chaque jour, votre état va empirer. Bientôt, vous aurez perdu trop de facultés pour prendre une décision rationnelle.

- Le 1er avril, supposa Oriana.

- Au delà de cette date, nous ne pourrons plus nous assurer de votre consentement car votre état ne permettra plus de discuter avec vous. Or, nous avons beau travailler dans l’illégalité la plus totale, nous ne forçons personne.

Oriana sentit une larme couler sur sa joue. Elle raccrocha sans un mot supplémentaire. Elle n’y croyait pas. Elle voulait que ça soit faux. Elle retourna chez elle et se prépara une tisane pour se détendre. Elle ouvrit un tiroir pour s’y choisir un sachet pour tomber nez à nez avec les couverts. Où se trouvaient les tisanes ? Elle dut y réfléchir intensément pour se souvenir qu’elles étaient sur le meuble près de la fenêtre.

Elle tomba à genoux et sanglota. Cela, ils ne pouvaient pas l’inventer. Elle ne pouvait le nier. Elle perdait la boule. Elle pleura ainsi tout le reste de l’après-midi.

On sonna à la porte. Un livreur lui apporta un repas japonais : sushi, maki et soupe miso.

- Je n’ai rien commandé, répondit Oriana.

Pour toute réponse, le livreur lui tendit une petite carte blanche. « Le corps lutte mieux avec de l’énergie ». Le message n’était pas signé mais ce n’était pas nécessaire. Oriana prit le repas et le livreur partit sans demander de paiement. Oriana dégusta l’excellent menu et s’endormit harassée.

Le lendemain, elle se rendit au travail mais travailla peu. Elle était perdue dans ses pensées. À midi, elle sortit pour s’acheter un sandwich. À peine fut-elle sur le parvis qu’un homme s’avança vers elle.

- Bonjour madame Delbran.

Elle reconnut la voix de son interlocuteur au téléphone.

- Un échange en face à face vous plairait-il ? Je vous invite à la brasserie en face.

Discuter dans un lieu bondé de gens, voilà qui la rassurait carrément. Elle hocha la tête. Philippe s’assit sans même passer par un serveur et nul ne lui fit de remarques et ce bien que l’endroit fut bondé.

- Deux plats du jour, indiqua-t-il au premier serveur qui passa sans demander son avis à Oriana qui ne lui en tint pas rigueur.

Après tout, elle se fichait complètement du contenu des assiettes. Elle n’était pas là pour manger.

- Désirez-vous un apéritif ? demanda le serveur.

- Non, juste deux plats du jour et une grande carafe d’eau.

- Bien, monsieur, répondit le serveur avant de s’éloigner.

- J’ai un cancer, murmura Oriana.

- Dans un stade avancé et métastasé. Vous pourriez vous faire opérer. Vous gagneriez… trois… peut-être quatre mois de vie, si le chirurgien est bon. Vous pourriez aussi rester sur la table.

- Et vous dites pouvoir me guérir ?

- Moi non. Baptiste, oui. Il est le meilleur médecin au monde. De toute façon, il est obligé de vous soigner.

- Pourquoi ? demanda Oriana, interloquée.

- Parce qu’une grossesse ne prend pas trois mois, répondit simplement Philippe.

- Vous pourriez tout aussi bien me mentir sur le temps qu’il me reste à vivre, répliqua Oriana.

- De la même manière que nous vous avons menti sur l’existence même du cancer, vous voulez dire ? ironisa-t-il.

Oriana se renfrogna. Elle n’avait aucun moyen de vérifier leurs dires. Le serveur apporta les plats et la carafe d’eau avant de disparaître.

- Mangez ! dit Philippe. Baptiste a horreur des patients qui ne prennent pas soin d’eux.

- Je ne suis pas sa patiente, grogna Oriana qui se piqua tout de même un morceau de viande avant de le porter à sa bouche. Et donc, vous allez… Baptiste va permettre à mon cancer généralisé de se retrouver en rémission ?

- En rémission ? répéta Philippe interloqué. Non. Il n’y aura plus de cancer… du tout.

- C’est impossible, répliqua Oriana.

- Pour des médecins classiques, peut-être. Pas pour Baptiste.

- Si c’était possible, le monde entier… commença Oriana mais Philippe la coupa.

- Nos méthodes sont illégales, rappela-t-il. La communauté scientifique mondiale refusera d’entendre parler des résultats de Baptiste. Ils le jetteront en prison voir le condamneront à mort selon les pays et brûleront les résultats de ses recherches.

- À ce point-là ? s’exclama Oriana tout en avalant un haricot vert.

- Nous jouons avec le génome humain, indiqua Philippe. C’est vraiment très mal vu.

Oriana se figea un instant, toussa puis souffla :

- Le bébé que je vais porter aura vu son ADN modifié ?

- Exactement, confirma Philippe. Faire cela est totalement interdit.

- Et vous m’en parlez librement en plein milieu d’une brasserie pleine de monde !

- Personne n’écoute. Tout le monde s’en fout, répliqua Philippe. Savez-vous de quoi parlent les gens à la table à côté ?

Oriana tourna légèrement la tête pour découvrir le visage de clients pourtant à moins d’un mètre d’elle. Elle secoua la tête. Elle n’en avait de fait pas la moindre idée.

- Vous le savez depuis longtemps… que j’ai un cancer, comprit Oriana. Vous avez attendu que ma guérison soit nécessaire à Baptiste. Vous l’avez fait pour me rassurer, pour me donner l’assurance que je serai soignée.

Philippe sourit doucement, ni niant ni ne confirmant.

- Votre cancer ne vous empêche nullement de porter la vie. Vous n’avez pas encore eu d’enfant, nous en sommes conscients. Baptiste est très méticuleux et a horreur qu’un grain de sable vienne troubler ses expériences. Le suivi psychologique sera important durant la grossesse et vous le poursuivrez après.

Oriana hocha la tête. Cela la rassura.

- L’enfant que je vais porter pour Baptiste…

Oriana n’osa terminer sa question. Elle avait peur d’avoir la réponse.

- Cet enfant que vous porterez appartiendra à Baptiste. Il sera ce qu’il veut et il en fera ce qu’il veut.

Oriana se mit à trembler. Ces gens n’hésitaient pas à se prendre pour Dieu au nom de la science. Voulait-elle vraiment participer à ça ? En même temps, l’autre choix était de mourir après avoir perdu la boule.

- Je vous souhaite une bonne journée, madame Delbran, annonça Philippe.

Elle le regarda se lever sans comprendre.

- C’est l’heure d’aller travailler. Demain, même lieu même heure ? proposa-t-il.

- Oui, s’il vous plaît, répondit Oriana, choquée que son temps de pause se termine déjà.

Elle rejoignit son bureau mais ses pensées se fixaient difficilement sur son écran. Sa nuit fut courte. Une migraine l’avait forcée à prendre un anti-douleur.

- Hier, vous avez dit que le bébé serait « ce que Baptiste voudra qu’il soit », dit Oriana après les salutations d’usage.

Philippe acquiesça.

- Cela signifie-t-il que cet enfant ne sera pas humain ?

- Que signifie « humain » pour vous ? interrogea Philippe.

- Pardon ?

- Cela signifie-t-il avoir deux bras, deux jambes et une tête ? Car en ce cas, il sera humain. En revanche, si vous considérez qu’être un humain signifie pouvoir se reproduire avec un être humain, alors non, il ne le sera pas.

Oriana resta interdite face à ce discours.

- Son génome aura été trop modifié pour permettre une procréation avec un être humain.

Oriana n’en revenait toujours pas qu’il puisse dire ce genre de choses en public.

- Ce qui ne signifie pas qu’il sera stérile ! précisa Philippe. Non ! Il pourra se reproduire, mais avec des êtres de même génome que lui.

- Vous en avez d’autres, comprit Oriana.

- Oui, répondit-il avec un grand sourire.

- Vous proposez la même chose à d’autres femmes.

- Exactement.

- Pourquoi ? Pourquoi créer des bébés génétiquement modifiés ?

- Pour pouvoir guérir le cancer ? proposa Philippe et sa réponse souffla Oriana.

Elle grimaça puis lança :

- Rassurez-moi : vous possédez déjà le remède ?

- Oui, grâce à d’autres femmes qui, avant vous, ont accepté d’être mères porteuses pour nous.

L’insinuation était forte. Leur sacrifice va vous sauver. À votre tour ! Oriana n’y fut pas insensible.

- Baptiste peut retirer un cancer. Peut-il aussi en induire un ?

- Oui, répondit Philippe.

- Votre franchise est déconcertante, admit Oriana.

Philippe se contenta de sourire en retour. En silence, il avala un grand verre d’eau puis se resservit, non sans remplir en même temps le verre de son interlocutrice.

- Avez-vous placé ce cancer en moi ? demanda Oriana.

- Non, répondit Philippe.

Question stupide, pensa Oriana. Même si ça avait été le cas, jamais il ne l’aurait avoué. En même temps, il semblait tellement sincère, tout le temps, c’en était ébouriffant.

- Ces autres femmes, à qui vous proposez d’être mères porteuses, ont aussi un cancer ? demanda Oriana.

- Non, les raisons sont aussi nombreuses que différentes. Cela peut être en échange d’un visa, d’un gros paquet d’argent, de la guérison d’une maladie – cancer ou pas, de la guérison d’un proche, d’un meurtre…

- D’un meurtre ? le coupa Oriana, choquée.

- Nous sommes dans l’illégalité, dit Philippe en haussant les épaules. Un peu plus ou un peu moins…

Oriana comprit que cette organisation, quelle qu’elle fut, n’avait pas froid aux yeux.

- Si je refuse, vous n’insisterez pas ?

- Non, assura Philippe.

- Vous aurez perdu beaucoup de vos ressources pour rien, fit remarquer Oriana. Vous ne…

- Nous ne vous forcerons pas et ne vous demanderons rien. C’est notre problème si nous n’avons pas misé sur le bon cheval ou que nous n’avons pas été capables de vous convaincre ou de vous rassurer. Nous n’avons aucune raison de faire peser sur vous notre incompétence.

Oriana secoua la tête. Cette franchise, toujours cette franchise. Cet homme savait-il mentir ? Connaissait-il la diplomatie ou le tact ?

- J’ai l’impression que vous avez besoin que je vous laisse réfléchir tranquillement. À demain, madame Delbran.

Il se leva, son assiette à moitié terminée, paya la note puis sortit. Oriana devait bien admettre que, en effet, elle avait besoin de mettre de l’ordre dans ses idées. Elle soupira puis termina son repas tranquillement. Ayant pu réfléchir, son travail fut de meilleur qualité.

En arrivant chez elle, elle se sentit triste et eut envie d’un peu de réconfort. Ses pensées volèrent vers sa mère. Elle voulut la contacter. Pour cela, il fallait… Oriana se trouva incapable de finir son mouvement. Elle resta figée dans son salon. Il fallait… Que fallait-il ? Ah oui, un téléphone !

Elle ouvrit le tiroir sous la télévision où se trouvaient… les télécommandes. Forcément, puisque son téléphone se trouvait dans son sac à main. Elle s’en saisit, l’alluma, réalisa son dessin de démarrage et hésita. Où fallait-il appuyer ? Ah oui, en bas à gauche, l’icône téléphone.

Elle resta figée sur la liste pendant un long moment puis reposa le téléphone. Elle n’avait pas la moindre idée de quelle ligne correspondait à sa mère. Elle avait essayé de taper le numéro directement. Elle parvenait à le dire dans sa tête mais les symboles sur le clavier ne correspondaient plus à rien. Comprenant qu’elle perdait son temps, elle partit se faire à dîner puis se coucha, non sans avoir pris un nouvel anti-douleur contre son mal de tête.

- Les symptômes s’aggravent, dit Oriana à Philippe après l’avoir salué. J’ai essayé d’appeler ma mère hier et je n’ai pas réussi. Mais vous le savez déjà…

- Que vous êtes restée un bon moment avec votre téléphone à la main sans rien en faire, oui. Que vous désiriez appeler votre mère, non. Nous ne sommes pas télépathes. Souhaitez-vous que je compose son numéro pour vous ? proposa-t-il en tendant la main.

Oriana lui donna volontiers son téléphone. Philippe, sans surprise, déverrouilla le téléphone, navigua aisément entre les icônes puis lui tendit l’objet technologique. Une sonnerie se faisait déjà entendre. Oriana sortit sur le trottoir car la brasserie était bien trop bruyante. Philippe resta à l’intérieur, lui laissant l’intimité nécessaire à cet échange.

Sa mère se montra inquiète qu’elle l’appelle ainsi en pleine journée. D’habitude, cela se faisait plutôt le soir. La conversation fut légère. Sa mère lui parla de sa brocante du dimanche, puis de son cours de country et du bal à venir. Elle lui raconta la dernière anecdote concernant son frère puis elles raccrochèrent. La discussion avait fait beaucoup de bien à Oriana. Elle retourna à l’intérieur.

- J’aurais pu lui dire, pour votre organisation. Je pourrais le dire à la police, murmura Oriana après d’être rassise à table.

Philippe sourit doucement puis lança :

- Croyez-vous être plus capable de faire le numéro de la police que celui de votre mère ?

La pique fit mouche. Oriana lui envoya un regard noir. Pour la première fois, il se permettait de se moquer gentiment.

- Quand bien même, continua Philippe. Admettons que vous alliez voir un policier dans la rue. Que lui diriez-vous ? J’ai un cancer généralisé et un type me propose de me soigner en échange de porter un bébé non humain ?

- Personne ne me croira, maugréa Oriana.

- Au mieux, on dira que vous avez beaucoup d’imagination. Au pire, on accusera le cancer et vous serez placée à l’hôpital, sous chimio, radiothérapie, on vous ouvrira le crâne. Avec un peu de chance, vous sortirez vivante de l’opération et vous commencerez un véritable parcours du combattant auprès des médecins pour finalement mourir dans… cinq… six mois selon l’effet du traitement et les capacités des oncologues.

Oriana grimaça.

- Dans le meilleur des cas, si la police me trouve juste pleine d’imagination, vous aurez disparu.

Philippe acquiesça avec un grand sourire.

- Vous ne semblez pas m’en vouloir de vous avoir menacé, fit remarquer Oriana.

- Non, pourquoi ? C’est normal. Tout le monde le fait à un moment où à un autre. Cela fait partie du processus. Vous êtes dans la norme, madame Delbran.

Oriana fit la moue. Cet homme avait l’habitude de cette situation. Elle n’était ni la première, ni la dernière.

- Mon état va empirer, comprit Oriana.

- Vous n’avez entamé aucun traitement alors oui, je vous le confirme.

Oriana ne put empêcher sa main droite de trembler.

- Vous pouvez accepter dès maintenant, précisa Philippe. Le problème étant surtout que vous avez encore un millier de questions à poser.

Oriana sourit. Sa tête explosait tant les questionnements se bousculaient. Elle peinait à mettre de l’ordre dans tout ça.

- Souhaitez-vous que nous passions l’après-midi ensemble afin d’en discuter ? Il fait un temps magnifique. Un peu frais mais splendide. Nous pourrions nous promener au parc.

- Mon travail…

- Nous pouvons vous faire porter pâle. Le souhaitez-vous ?

Oriana hocha distraitement la tête. Philippe sortit son téléphone, rédigea un rapide message, attendit quelques instants puis annonça :

- C’est fait. Sortons marcher. Un peu d’air frais vous fera du bien.

Oriana ne fut même pas surprise qu’ils puissent contacter ainsi son travail. Ils semblaient capables de tout. Elle le suivit dehors.

- Posez vos questions. Ne vous restreignez pas, proposa Philippe. Je suis là pour ça.

- Si j’accepte, je vais dans une clinique, vous soignez mon cancer, vous m’implantez cet embryon et neuf mois plus tard, vous venez chercher l’enfant.

- Un an, indiqua Philippe. Cette grossesse durera un an. Cet embryon génétiquement modifié a besoin de davantage de temps pour arriver à maturation complète.

Oriana cligna plusieurs fois des yeux mais ne répondit rien.

- Ensuite, je peux me tromper mais j’ai l’impression qu’il y a un malentendu que je préfère éliminer tout de suite, annonça Philippe.

Oriana leva sur lui un regard interrogateur.

- Vous passerez toute la grossesse à la clinique. Il ne s’agit pas de vous implanter une forme de vie interdite sur Terre et de vous laisser vous balader avec en pleine rue. Ça serait bien trop dangereux.

- Je vais devoir rester… mais… comment… enfin…

- Vous avez beaucoup de questions, dit Philippe. Asseyons-nous sur ce banc, si vous le voulez bien. Respirez calmement et posez-moi une seule question. Allez-y.

Oriana réfléchit posément. Laquelle était la plus urgente.

- Je vais perdre mon travail, dit-il.

- En effet. Nous vous promettons une embauche dans un emploi de même qualification et à salaire identique à votre sortie, sans promesse qu’il s’agisse de la même entreprise. Nous sommes doués, mais pas à ce point. Nous nous chargerons de rédiger et d’envoyer votre lettre de démission.

- Je vais perdre mon appartement ! Je n’ai pas de quoi payer le loyer pendant autant de temps !

- Nous le payerons pour vous le temps de votre présence à la clinique, ainsi que vos charges, l’électricité, Internet, l’eau. Vous nous donnerez vos clés ce qui nous permettra de récupérer le courrier et d’arroser vos plantes.

- Vous avez vraiment pensé à tout, murmura Oriana.

- Nous avons l’habitude, précisa-t-il.

Oriana en frémit. Combien de femmes s’étaient vues proposer un contrat tel que le sien ?

- À la clinique, vous recevrez les meilleurs soins, tant physiques que psychologiques. Vous aurez une chambre individuelle avec salle d’eau personnelle. Un mess vous proposera de la nourriture en quantité illimitée et d’excellente qualité, à toute heure du jour et de la nuit. En revanche, Baptiste tient à ce que rien n’interfère avec ses expériences. Ainsi, votre corps devra être sain. Il n’est pas question de se droguer, de boire de l’alcool, de fumer ou de prendre des médicaments.

- Je ne fume pas et je ne me drogue pas. Je bois seulement de temps en temps.

- Il faudra vous en passer le temps de votre présence à la clinique. Même le café est prohibé.

Oriana hocha la tête. Cela ne lui posait pas vraiment de souci même si elle trouvait la demande un peu exagérée.

- Vous devrez accepter les examens qui vous seront proposés, ainsi que les prescriptions de Baptiste, par exemple en terme de nutrition, si cela venait à poser problème.

- Très bien, répondit Oriana que ça ne dérangeait pas. Je suis censée dire quoi à ma famille et à mes amies ? Tout le monde va s’inquiéter de mon absence aussi longue. Je vais rater Noël, par exemple. Quel mensonge avez-vous soigneusement préparé ?

Philippe sourit. La perspicacité de son interlocutrice lui plaisait clairement.

- Un de nos collaborateurs ira prévenir vos parents que vous avez eu un grave accident – vous avez été fauchée par un bus par exemple. Les séquelles, nombreuses, nécessitent une prise en charge longue dans une clinique qui se situe dans un autre pays, dans laquelle les visites sont interdites.

- Je ne pourrai pas leur parler ?

- Si, bien sûr, par téléphone ou visio, précisa Philippe. Ils ne pourront en revanche pas venir vous voir.

Oriana se sentit immensément triste.

- Vous ne serez pas seule à la clinique. Il y aura d’autres femmes dans votre cas. Vous pourrez discuter avec elle, faire du vélo, de la piscine, lire des livres, regarder des films, écouter de la musique, faire des puzzle ou de la broderie, selon votre préférence.

- Vous avez volontairement choisi des activités qui me déplaisent ?

Philippe rit doucement.

- Vous pourrez aussi jouer au poker, ajouta-t-il.

Oriana rit à son tour.

- Vous pourrez souhaiter la bonne année par téléphone à vos proches, continua Philippe sérieusement. Nous savons que vous préféreriez être avec eux mais comprenez-nous : vous porterez dans votre ventre un être dont l’existence est formellement interdite. Vous pourriez avoir des problèmes si quiconque se rendait compte de sa présence.

- Vous nous enfermez pour notre sécurité, ironisa Oriana.

- Vous pourriez réellement vous faire renverser par un bus, proposa Philippe, et alors nous perdrions toute notre mise. Nous investissons beaucoup. Nous tenons à notre retour.

Oriana acquiesça. L’enfant qu’elle porterait aurait une valeur inestimable. Ils tenaient à le garder sous leurs yeux en permanence.

- J’accepte, dit Oriana. Quand pouvons-nous y aller ?

- Maintenant, assura-t-il. Donnez-moi vos clés et cela indiquera que vous acceptez notre marché. Inutile de signer un quelconque document. Il serait illégal de toute façon.

Oriana fouilla son sac à main et en sortit ses clés d’appartement. En tremblant, elle les mit dans la main de Philippe.

- Merci, madame Delbran, dit Philippe en se levant. Si vous voulez bien me suivre.

Ils montèrent dans un bus, puis un autre, jusqu’à se retrouver à la périphérie de la ville, dans les parkings destinés aux péri-urbains. Philippe s’arrêta devant trois places étrangement vides au milieu d’un parking bondé et soudain, un genre de caravane apparut. Sans roue ni aile, ni hélice, l’objet ressemblait à un camping-car mais sans les moyens de locomotion. Une rampe lisse permettait d’accéder à l’intérieur, légèrement surélevé.

- Vous pouvez rendre des trucs invisibles ! s’exclama-t-elle.

- Montez, je vous en prie, dit Philippe.

À l’intérieur se trouvait un petit salon simple mais confortable. Aucune ouverture ne permettait de voir dehors. La lumière diffuse venait de partout à la fois. Oriana s’assit devant Philippe alors que la rampe s’était refermée toute seule sur son passage.

- Le trajet prendra une dizaine de minutes. N’hésitez pas à me poser vos questions si vous en avez encore.

- Le trajet ? répéta Oriana, un peu perdue.

- Nous allons à la clinique, rappela Philippe comme s’il parlait à une demeurée.

Oriana secoua la tête. L’esprit vide, elle se sentait mal. Avait-elle bien fait ? Elle venait de confier ses clés, sa vie, à de parfaits inconnus parce qu’elle avait un cancer peut-être imaginaire dont ils allaient la soigner. Ça semblait tellement irréel. Elle ne posa aucune question mais pleura doucement, tandis que Philippe lui tendait gentiment un paquet de mouchoirs.

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