Chapitre 1 - le Dragon abandonné

Notes de l’auteur : On entre dans le vif du sujet :)

Pendant que je déprimais, assis sur le muret de pierre qui entourait ma ferme, faisant face à Aereth, Demeter, ma domestique, cherchait sa fille.

– Rebekah ! Appela-t-elle à travers la cour, où es-tu passée ?

C'était une femme d'une quarantaine d'années, bien en chair et voluptueuse, avec des cheveux roux noués en une tresse qui retombait sur le nœud de son tablier. Elle ne tarda pas à me trouver, essoufflée, elle s'inclina respectueusement en me voyant.

– Cette gamine, souffla-t-elle, elle me cause du souci, vous savez...

J'avais tenté un sourire réconfortant. Même si je la comprenais, je n'étais pas d'accord avec elle ; Rebekah était une jeune femme pleine de vie, dont les longs cheveux ardents lâchés au vent semblaient une excellente métaphore à son caractère de feu. Active, ses robes étaient souvent tachées de terre et d'herbe, de même que sa frimousse espiègle pleine de taches de rousseur. Ce qui faisait enrager sa mère, qui estimait ne jamais pouvoir la fiancer à qui que ce soit si elle se baladait dans cet état...

Elle était la seule source de distraction dans ces environs isolés et troublait la quiétude du lieu dès que celui-ci commençait à somnoler un peu trop... Cela ne me dérangeait pas vraiment. Au contraire ; je voyais en elle l'enfant turbulent que j'avais été en mon temps et cela me réchauffait le cœur lorsque la nostalgie m'envahissait.

– Elle va retarder le petit-déjeuner, s'inquiéta sa mère.

– Oh, je vais déjeuner en ville, la rassurais-je. Je vous laisse la ferme, prenez-en soin.

– Dois-je préparer votre uniforme de Dragonnier ?

– Inutile, Demeter, je ne le suis plus. Et puis l'armure me fait boiter encore plus.

Elle hocha la tête simplement puis s'en alla préparer mon départ. Je la regardai s'éloigner, perdu dans mes pensées sombres.

À l'époque où j'étais encore un Dragonnier, je ne mettais que quelques minutes pour rejoindre Aereth. Notamment parce que Fernier, mon Dragon, n'avait qu'à donner quelques coups d'ailes pour parcourir la distance... Mais aujourd'hui, je devais me contenter de chevaux et autres calèches.

Être Dragonnier me manquait et pas uniquement pour la facilité et la rapidité des déplacements... Fernier me manquait. Nos entraînements me manquaient. Nos missions me manquaient – même les plus ennuyeuses, comme les patrouilles aériennes ou monter la garde devant le château. Nos moments de temps libre aussi. Être Dragonnier·e, c'était s'investir à temps plein pour veiller sur un·e Dragon·ne, dans les bons moments comme dans les mauvais, dans l'effort comme dans la détente...

Un lien unique se créait entre Dragonnier·es et Dragon·nes au fil du temps... Nous vivions avec eux, partagions nos repas, nous entraînions ensemble, gagnions et perdions à deux, certains dormaient même dans la même pièce, parfois, le même lit.

Et quand tout cela disparaissait, c'était tout un monde qui s'effondrait pour celui qui restait. Généralement, les Dragon·nes ne survivaient pas longtemps à la perte de leur Dragonnier·e – mais l'inverse n'était pas forcément vrai.

Cela faisait quatre ans que j'avais quitté, de force, les rangs des Dragonniers, sous les honneurs et les décorations – même si j'estimais ne pas les mériter – et je ressentais toujours la même douleur, le même manque. Fernier était pour moi toute ma vie, littéralement ; depuis qu'il avait débarqué dans ma vie, il était devenu à la fois mon meilleur ami, mon partenaire de travail, mon grand-frère de cœur, mon amant...

Le perdre aurait pu me tuer, si je n'avais pas été en pleine force de l'âge, entouré de gens bienveillants et bien décidé à faire en sorte que son sacrifice ne soit pas vain.

Dans une pièce à l'étage, mon uniforme de Dragonnier ainsi que des bibelots et récompenses s'empilaient dans un équilibre parfois précaire... Ça m'arrivait de m'y perdre, de temps à autre, quand le blues me rattrapait. Je finissais toujours bouleversé, cependant cela me faisait du bien de faire sortir tout cela de temps à autre.

Pour me relever, je pris appui sur ma canne. J’en avais besoin pour me déplacer si je ne voulais pas tomber… Ce n’était pas qu’une simple canne en bois ; elle était sculptée d’écailles de Dragon de Feu tout le long, le dessous du pommeau représentait la tête d’un spécimen de cette espèce. Le bois était légèrement teint pour s’approcher de la robe rouge des Dragons de Feu.

Une fois arrivé dans la cour, j'avais croisé Artur. Ici, il remplissait de grandes fonctions, comme entretenir le jardin et réparer ce qui était nécessaire... Sur son temps libre, il inventait de drôles de choses, qui finissaient généralement par exploser ou s'effondrer totalement – même s'il arrivait, de temps à autre, que quelque chose marche.

Avant d'atterrir ici, c'était un gamin qui traînait dans les rues, arrêté pour avoir volé du pain, à qui accorder une seconde chance avait été plus qu'une idée de génie ! Depuis que nous étions revenus à la ferme, il semblait épanoui comme jamais, ce qui me faisait franchement plaisir.

– Vous voulez que je vous dépose ? Je dois récupérer des tuiles pour la toiture, vous savez, la fuite sur la partie nord. Et quelques vitres aussi.

– Oh, parfait ! Lançais-je alors.

Je montais à bord, pendant que Demeter installait mes affaires à l'arrière.

Rebekah en profita pour pointer le bout de son nez moucheté de taches de rousseur, ignorant le regard réprobateur de sa mère :

– Vous revenez quand ? Me demanda-t-elle. J'ai essayé de m'entraîner avec le bâton, mais ça ne marche pas...

– Deux carreaux cassés ! Ajouta Artur en grimpant à son tour. Je les remplacerais en rentrant, d'ailleurs.

Sa moue coupable me fit sourire. En mon temps, j'en avais brisé aussi, des vitres.

– Je te montrerais ce soir, si je ne rentre pas trop tard, avais-je promis. Normalement, je serais là pour le dîner, Demeter – ne sortez pas le grand jeu non plus.

Sur ce, Artur sortit de la cour et s'engagea sur le petit chemin qui reliait la ferme à la grande route. Les champs succédaient aux pâturages, tandis qu'Aereth se rapprochait de plus en plus. Mon chauffeur me lançait des regards inquiets, discrets, cependant, je n'y fis pas du tout attention. Il était vrai qu'il m'arrivait d'avoir l'air triste quand je ressassais le passé.

 

 

 

– Vous voulez que je vous accompagne jusqu'au château ?

– La place suffira, Artur. Ça me fera du bien un peu de marche.

La place dont je parlais était celle qu'on appelait « du marché », juste à l'entrée de la ville, qui s'opposait à sa jumelle plus prestigieuse, celle « du château ». Cet endroit était parmi l'un de mes préférés, surtout de bon matin, où artisan·tes et commerçant·es s'affairaient pour sortir leurs mets et biens avant l'arrivée massive des client·es. L'on y sentait l'odeur de plats, d'épices, de fruits et légumes, mais aussi des fleurs, plantes diverses et animaux.

Il se gara près de la place, non loin de la ruelle où je l'avais rattrapé et arrêté quelques années plus tôt, puis m'accompagna jusqu'au centre de la place. Un bain de foule s'improvisa lorsqu'on me reconnut. Au début mal à l'aise, avec le temps, j'avais appris à apprécier ce genre de chose. La bienveillance de tous était rassurante.

Laissant Artur se débrouiller avec les offrandes diverses, assez lâchement, j'avais pris la direction du château.

Les pierres claires de celui-ci illuminaient cette journée malgré les nuages qui apparaissaient... On avait dû reconstruire la partie nord, cela se voyait à ses pierres neuves plus blanches que les autres. C'était en partie de ma faute ; lors de la dernière bataille, Fernier et moi avions fait s'effondrer une bonne partie de la tourelle... J'avais payé cette audace d'une vie et de long mois de rééducation. La revoir, à nouveau debout, comme si rien ne s'était passé, me rappelait toujours que ce que j'avais perdu ne me serait jamais rendu. Et ça me faisait mal.

Au-delà d'abriter la famille royale ainsi que les personnalités importantes d'Aereth, une aile du château servait de quartier général aux Dragonnier·es. On y trouvait notamment des salles d'entraînements, quelques chambres d'appoint, une salle commune où l'on se retrouvait généralement pour les repas, ainsi qu'une partie réservée aux Apprenti·es.

– Elioth ! M'appela-t-on soudainement.

Le jeune homme de vingt-et-un ans qui venait de m'appeler, c'était Griffith. Le Prince Griffith, si je devais respecter le protocole – mais il n'y avait pas de cela entre nous. Au-delà de le considérer comme mon petit-frère et mon meilleur ami, c'était un futur Dragonnier – et accessoirement, son père, le roi, était mon parrain. Pour le moment, il portait sa tenue d'Apprenti – seuls les vrais Dragonnier·es pouvaient arborer l'uniforme – mais je savais que sa simplicité et sa praticité lui plaisaient bien plus que les horribles tenues que la tradition voulait lui voir porter.

– Tu ne devineras jamais ! Enchaîna-t-il, le souffle un peu court. Le Dragonum a accepté de me présenter un·e Dragon·ne !

Je restais coi quelques secondes, stupéfait par cette nouvelle. Le Dragonum, c'était l'endroit d'où étaient originaires toustes nos Dragon·nes. Une sorte de « monde parallèle » au nôtre, où ils vivaient selon des règles qui leurs étaient propres. Une fois dans notre monde, un·e Dragon·ne pouvait plus retourner au Dragonum, c'était la règle. De plus, une fois ici, leur espérance de vie se réduisait considérablement pour se calquer sur la nôtre. Ce qui n'empêchait pas les candidats de tout faire pour être l'heureux·se élu·e de l'un·e d'entre nous.

– Oh, félicitations ! Finis-je par lâcher, encore surpris.

La sélection était rude pour les entraînements préliminaires, eux-mêmes éprouvants, cependant le plus difficile restait de convaincre Krynian, Roi du Dragonum, de confier la vie d'un·e des sien·nes à un·e humain·e qu'il ne connaissait pas. Cela n'arrivait pas souvent et se voir offrir une chance pareille était vraiment un honneur !

– Ouais, enfin, ça n'arrive que parce que père est le roi ! Mais je suis content quand même, tu verrais à quel point ils sont verts, les jumeaux !

J'imaginais bien.

Le plus grand malheur du roi était d'avoir eu deux fils aînés qui soient jumeaux. En plus de se battre l'un avec l'autre pour le trône, ils tentaient d'accaparer leur père pour priver toute autre personne de la moindre entrevue. Griff était le premier à en souffrir, et ce, depuis sa naissance. Les deux aînés avaient beau avoir treize ans de plus que lui et une certaine maturité qui allait avec, cela ne les empêchait pas de s'en prendre au plus petit.

Cela s'était calmé quand j'étais arrivé au château – il fallait avouer qu'être élevé à la campagne entre deux parents Dragonniers toujours accompagnés de leurs Dragon·nes, ça forgeait le caractère. Une sacrée trempe, en cette époque troublée. Et puis Griff était le petit-frère que je n'avais jamais eu, moi, j'étais le grand-frère protecteur qu'on lui avait refusé – c'était donc écrit que nous soyons proches !

– Tu viendras à la Cérémonie ? S'enquit-il alors. Père a dit qu'il serait là et je voudrais que tu... Enfin, si tu as le temps.

– Je suis à la retraite, bien sûr que j'ai le temps ! On va déjeuner pour fêter ça ? Je meurs de faim !

– Si c'est hors du château, pas de soucis ! Je ne suis pas sorti depuis des jours ! Entre les entraînements et les responsabilités de prince, je n'ai pas une seule seconde à moi !

Rapidement, nous avions rallié une taverne du centre-ville, puis commandé un déjeuner de roi, avec pain, viande, tartes aux fruits et vin. Le sourire de Griff était aussi large que son impatience, ce qui me réchauffait le cœur. Moi aussi, j'avais été dans un état semblable avant de rencontrer Fernier.

Et quelque part, tout au fond de moi, je l'enviais beaucoup.

 

⚡🐉⚡

 

Une fois le petit-déjeuner terminé, Griff était reparti au château. Il m'avait proposé de passer voir son père – mon parrain – mais je comptais rentrer tôt. La douleur était vive dans ma jambe. La voiture était toujours garée dans une rue, sans aucune trace d'Artur pour le moment. Les vivres qui s'entassaient sur la banquette arrière prenaient toute la place... En passant la main à travers la vitre semi-ouverte, j'avais attrapé mon sac, une pomme et un morceau de pain, puis j'étais parti en direction de mon refuge.

« Notre refuge », à moi et Griff, était une sorte de petit parc abandonné, coincé entre de hauts murs d'auberges et un ruisseau, abritant un arbre centenaire. L'on y accédait par un passage discret dans une impasse que tout le monde avait oublié... Les rares personnes qui s'aventuraient là étaient visibles de l'arbre, où nous avions construit une cabane de fortune au fil des années.

Ici, nous étions simplement deux gamins qui recréaient un monde de jeu, pas un prince et un fils de deux Dragonnier·es de Légendes – la plus haute distinction pour les Dragonnier·es. Personne pour nous surveiller, nous gronder et ce genre de chose – soit un bon goût de liberté que nous appréciions autant l'un que l'autre.

D'après ce que je constatais, la cabane était encore debout... Et cet endroit toujours aussi calme et désert.

Enfin, peut-être pas si désert que ça ! Parmi les planches de bois, je voyais une masse informe de couleur claire, semblable à du linge. Sans doute, oublié ici par des enfants, mais cela m'intriguait fortement quand même...

Après avoir étudié l'arbre, j'avais abandonné ma crosse pour me hisser jusqu'à l'entrée de la maison de fortune. C'était bien un linge. Une sorte de couverture ou de drap, qui enveloppait quelque chose comme... Un corps humain ? Un adolescent ou un jeune adulte... Intrigué, je m'étais soulevé pour atteindre cet étrange amas :

– Hé, appelais-je doucement, est-ce que ça va ?

Rien ne bougea, personne ne répondit. Histoire d'avoir le cœur net, j'avais décidé de soulever le drap, mais celui-ci ne bougea pas, comme si on le retenait. Je sentais quelque chose de rugueux que je connaissais trop bien à travers le coton... J'avais insisté, le cœur battant à tout rompre.

Sans prévenir, le drap se releva en poussant un cri, puis s'éloigna le plus possible de moi, manquant de me faire basculer dans le vide... Heureusement que j'avais de la force dans les bras pour me retenir aux branches ! Le drap tremblait, impressionné, cependant, je ne comptais pas abandonner mes investigations ici. J'avais relevé le drap et fut foudroyé parce que j'avais sous les yeux :

Un Dragon. Sous sa forme humanoïde.

Ce qu'il faut expliquer, c'est que dans notre monde, les Dragon·nes pouvaient opter pour deux types de formes ; l'Originelle et l'Humanoïde. L'Originelle est celle qu'iels possédaient au Dragonum et s'approchait des gros lézards tels que les légendes antiques les décrivent. L'Humanoïde était celle qu'iels utilisaient le plus souvent dans notre monde et n'existait pas dans leur monde d'origine. Même s'iels conservaient leurs écailles, cornes et autres attributs Originels, leurs corps étaient semblables aux nôtres en termes de taille, poids et aspect visuel.

Celui que j'avais sous les yeux était un jeune Dragon, à peine sorti de l'adolescence, éprouvé par la faim et la fatigue à en juger par sa maigreur alarmante.

De petites écailles blanches protégeaient sa peau, ternies par le manque évident de soin... Mais aucune d'elles ne semblaient réellement abîmées, ce qui m'avait soulagé. Ses grands yeux sombres contrastaient fortement avec ses iris gris clair ; j'avais l'impression de voir d'orageux nuages fendus par un éclair... Il ne me quittait pas du regard, intimidé et méfiant.

Parmi les longues écailles noir anthracite qui formaient ses cheveux, de longues cornes, noires également, partaient vers l'arrière de sa tête, signe évident qu'il n'était pas dans sa nature d'être agressif – même si ses crocs et griffes, noirs aussi , impressionnant par leur taille et (sans doute) tranchants, ne semblaient pas très engageants...

Pour autant, son aspect général ne semblait pas très dangereux, même s'il valait mieux se méfier d'un Dragon inconnu et apeuré. Surtout, si son Dragonnier n'était pas dans les environs immédiats.

– Hé, soufflais-je le plus doucement possible, une fois la surprise passée, est-ce que ça va ?

La main que j'avais approchée pour le toucher fut violemment déviée. Il n'avait pas griffé, mais il n'en était pas loin... Farouche et apeuré, pensais-je alors. Mais, après tout, il ne me connaissait pas.

Il semblait perdu, m'étudiant avec méfiance – comme si j'allais lui faire du mal en représailles. Je sentis mon estomac se tordre rien qu'à l'idée qu'il ait été mal mené.

– Je m'appelle Elioth, enchaînais-je, tentant de rester neutre, et toi ?

Il hésita un peu, mais termina par me le confier à mi-voix, ses grands yeux remplis de doutes :

– E-Eiran...

– C'est un joli prénom, le rassurais-je doucement.

Joli, mais totalement inconnu au bataillon ! Je connaissais tous les Dragons et Dragonniers du royaume et celui-ci ne me disait rien du tout. Tout comme sa robe – ce qui n'était pas anormal en soi, il y avait tellement d'espèces différentes qu'il nous était difficile de toutes les référencer.

J'aurais voulu lui poser pleins de questions sur les raisons de sa présence ici, son état physique lamentable, ses pouvoirs éventuels.... Mais les gargouillis de son estomac vide m'en empêchèrent. Le pauvre devait mourir de faim... Il n'avait que les écailles sur les os.

Je fouillais mon sac pour lui tendre un morceau de pain et la pomme que je m'étais réservée. Il en avait bien plus besoin que moi.

– Sers-toi, l'encourageais-je, j'ai déjà bien mangé... Oh, j'ai de l'eau si tu veux.

J'aurais pensé qu'il se jetterait sur ce repas bénit, mais à la place, il semblait se faire violence pour résister. Même pour la gourde que je lui tendais. Ce qui était normal, étant donné qu'il ne me connaissait pas.

– Ce n'est pas empoisonné, tu peux me faire confiance.

Cela ne semblait pas lui importer.

– Je n'ai pas le droit, finit-il par soupirer, je ne l'ai pas mérité.

La surprise que j'affichais l'intrigua.

Il y avait deux grandes écoles en matière de dressage de Dragons : la méthode actuelle où l'on privilégiait la coopération entre Dragonnier et Dragons, bannissant la violence et la brutalité ; la méthode archaïque, où un lien dominant-dominé se créait et où, la plupart du temps, on dressait de manière musclée, parfois brutale.

(Assez heureusement, la dernière méthode était aujourd'hui sévèrement réprimandée. Le Dragonum y veillait, menaçant de terribles représailles si jamais l'un d'entre eux était mal traité.)

Vraisemblablement, j'avais affaire à un Dragon qui avait subi la seconde méthode. À quel point était-ce grave ? Bonne question. En tout cas, sa méfiance et le fait qu'il se cache seul ici me laissaient supposé que cela devait l'être suffisamment...

– Vas-y, je ne le répéterais pas, c'est promis.

Prudemment, il se laissa convaincre et commença à manger. La pomme avait l'air de lui plaire, même s'il jetait des regards nerveux par la petite fenêtre, comme s'il s'attendait à ce que quelqu'un le prenne sur le fait et le punisse. Je tentais de cacher ma peine et ma rage comme je le pouvais.

En attendant qu'il finisse son repas, j'étudiais un peu l'endroit qu'il avait investi. De nature, un Dragon vivait comme un animal, aussi était-ce normal qu'il dorme à même le sol, mêlé aux détritus et à la paille, le tout dégageant une odeur prenant les narines. C'était à son Dragonnier que revenait la charge de lui apprendre à vivre comme nous, humains. À manger à table, dormir dans un lit, se tenir correctement – bref, à vivre comme nous le faisions.

Depuis combien de temps était-il ici ? Quelque temps, si j'en jugeais à son état physique et tout ce qui traînait dans la cabane...

La saison froide s'annonçait pour bientôt et bien qu'un Dragon résiste bien aux températures glaciales, ce n'étaient pas des conditions de vie idéales... Surtout s'il ne mangeait pas correctement. Et puis il n'avait qu'un linge sale sur le dos et une sorte de pagne en guise de bas, pour se protéger du froid.

Il me faisait vraiment de la peine, le pauvre. Comme si être livré à lui-même dans un endroit inconnu n'était pas suffisant, il devait affronter le froid et la faim sans personne pour l'aider.

Les restrictions sur le prêt de Dragon par le Dragonum étant strictes, je ne voyais pas comment son Dragonnier pouvait cacher son absence...

– Merci, murmura-t-il une fois son repas terminé.

Cela me ramena un peu sur terre. Au moins, il souriait un peu. Timidement, mais c'était mieux que rien.

– Dis-moi, commençais-je avec douceur, pourquoi est-ce que tu es ici ? Tout seul ?

Son regard me transperça. Je ne saurais dire s'il était plus triste ou plus vindicatif tellement c'était mélangé ! J'en frissonnais.

– Mon Dragonnier a dit qu'il viendrait me chercher. Il l'a promis. Alors je l'attends.

Je ne cachais pas ma perplexité :

– Oui, mais... Quand est-ce qu'il t'a dit ça ?

– Je ne sais pas – il faisait chaud, il y avait des fleurs en bas.

Au printemps ou en été, donc – plusieurs longs mois.

Au fond de moi, je savais très bien que cet irresponsable ne reviendrait pas – soit parce qu'il lui était arrivé quelque chose, soit parce qu'il l'avait définitivement abandonné.

Comment lui annoncer cela sans le heurter ? Lui faire perdre toute confiance en son Dragonnier, en nous, humains, n'était certainement pas une bonne idée. S'il ressentait une émotion trop forte, il délaisserait sa forme humanoïde pour l'originelle, et les Dieux seuls savaient ce qu'il allait se passer... S'il n'était pas apprivoisé, ça serait un véritable carnage – mais de toute façon, même s'il ne faisait que survoler la ville, cela créerait un sacré bazar entre Aereth et le Dragonum.

J'avais donc agi comme si tout ceci était banal et parfaitement normal :

– Est-ce que je peux savoir son nom ?

– Je n'ai pas le droit de le dire. Je m'inquiète pour lui, ça fait longtemps qu'il est parti.

Tu m'étonnes ! Ah, si je le tenais, celui-là, j'en ferais de la pâtée pour Dragon !

Un Dragon ressemblait un peu à un canidé, parfois. C'était fidèle, ça accordait sa confiance facilement, ça devenait vite dépendant et faisait preuve d'une grande naïveté dans ce genre de situation... L'âme humaine était trop sombre pour leur compréhension, parfois.

C'était en partie pour cela que les Dragonniers devaient veiller sur eux, jour après jour. Pour protéger les autres, mais également les Dragons eux-mêmes.

– Je peux t'aider à le retrouver, si tu veux ? Il faudrait que tu viennes avec moi, pour ça.

Son hésitation, je ne la comprenais pas vraiment. S'il s'inquiétait, il aurait dû se jeter sur l'occasion ! Seulement, là, ce n'était pas du tout le cas.

–... Tu veux le retrouver, Eiran ?

Il se reprit soudainement.

– Non, je dois attendre. Il a promis de revenir, dit-il fermement.

– Tu pourrais l'attendre chez moi, qu'est-ce que tu en dis ?

– Non. Il ne saura pas où me chercher si je te suis. J'ai promis d'attendre.

Malin et buté, songeais-je alors. Fernier aussi avait un sale caractère, je savais donc comment agir dans ce genre de situation – faire preuve de patience, de diplomatie, de persévérance.

– Est-ce qu'il y a un moyen de te convaincre ?

Sa réponse fut sans appel, négative. Je n'avais pas insisté ou montré de sentiment négatif... Pour l'apprivoiser, je devais lui inspirer confiance, et cela prendrait plus de temps qu'avec Fernier. Je reviendrais donc le voir plusieurs fois pour le nourrir et le réchauffer, espérant que cela finirait par le convaincre de me suivre. L'hiver arrivant ne serait pas l'idéal pour cela, mais je n'avais pas le choix.

– Je reviendrais te voir, murmurais-je doucement, ça te va ?

Il hocha la tête, intrigué, puis j'entrepris de descendre de la cabane. Au moins ne risquait-il pas d'être découvert et embêté, ici. C'était déjà ça.

Une fois le sol retrouvé, j'avais lancé un dernier regard vers le haut de l'arbre, espérant qu'il ne sorte la tête de là pour m'accompagner – mais il n'en fut rien. Sa méfiance était compréhensible.

A contrario, l'attitude de son Dragonnier, elle, ne l'était pas ! Comment pouvait-il sciemment abandonner un Dragon si jeune comme sans s'inquiéter pour lui ? Il était totalement seul au milieu de la ville, bon sang ! Et je redoutais qu'Eiran soit instable, difficile à apprivoiser – ce qui serait une explication à son abandon – et mettrais toute la ville en danger. Si ce n'était le royaume.

Apprivoiser un·e Dragon·ne était sans doute l'étape la plus délicate dans la vie d'un·e Dragonnier·e ; chaque Dragon·ne avait son vécu, ses rites, ses croyances, son caractère, donc il était impossible de suivre un mode d'emploi quelconque. Ce n'était qu'à l'instinct, parfois à l'expérience, que l'on pouvait parvenir à inspirer confiance à saon Dragon·ne.

Ce laps de temps, plus ou moins long, était celui où un·e Dragon·ne représentait le plus de danger pour les autres, que ce soit saon Dragonnier·e ou les personnes gravitant autour de lui, comme les soigneur·euses ou ses congénères.

Bien heureusement, seul un fort sentiment leur permettait de prendre leur forme Originelle – peur, douleur, mais aussi joie, excitation – c'était à nous d'éviter ce genre de choses en les apprivoisant le plus efficacement possible.

Et un Dragon comme Eiran, ni apprivoisé ni surveillé, pourrait faire de sérieux dégâts s'il se transformait.

 

⚡🐉⚡

 

De retour chez moi, je m'étais enfermé dans ma chambre, soucieux. Un orage menaçait depuis le milieu de l'après-midi et je m'inquiétais pour Eiran. Les Dragonn·nes avaient aussi leurs peurs, j'avais un mauvais pressentiment qui ne me quittait pas concernant Eiran et cet orage de malheur...

Si jamais il prenait peur et se transformait, nous allions tous passer un sale quart d'heure ! Et s'il était blessé par un coup de foudre, le vent ou une chute d'objet, je m'en voudrais toute ma vie... J'étais déjà responsable de la disparition de Fernier, imaginer que je le sois également pour Eiran, ça me rendait malade.

– Monsieur, appela-t-on derrière la porte.

– Entre, c'est bon, Artur.

Inquiet, il me présenta un plateau avec du thé et une part de tarte aux pommes :

– Tout va bien ? Vous aviez l'air soucieux.

Seul un soupir lui répondit. J'avais une totale confiance en mes domestiques. Avant de travailler pour moi, ils partageaient ma vie comme des amis ou une famille adoptive.

– Ce n'est pas vraiment moi qui ai un problème, confiais-je pendant qu'il servait le thé. Ça va le devenir rapidement – avant tout, c'est le royaume qui va en avoir un.

Il ne comprit strictement rien, mais ne posa pas plus de questions pour autant. En croisant son regard gris, je me surpris à voir les yeux d'Eiran à la place des siens... Je déraillais. Le Dragon abandonné était dans la même situation qu'Artur il y a quelques années, sauf que l'humain n'avait pas attendu que je finisse ma phrase pour me suivre... Si seulement Eiran avait pu faire pareil !

– Qu'est-ce qui était le plus dur à vivre quand tu... Vivais dehors ?

Sa mâchoire se contracta et son regard trahit la blessure que j'avais rouverte. Je tentais de dissiper le mal :

– Excuse-moi, je n'aurais pas dû dire ça.

– C'était... Quand je voyais les autres enfants avec leurs parents, être heureux, manger, boire – vivre ensemble. C'est dur de savoir que personne n'est là, à s'inquiéter, surtout quand ça devient compliqué... Est-ce que vous avez besoin d'aide pour quelque chose ?

Eiran était seul, lui aussi. Était-il aussi triste qu'Artur ? Dire que je l'avais aussi abandonné, dans un sens, me donnait la nausée... Je me sentais responsable de lui, même si je n'étais pas son Dragonnier.

J'aurais dû plus insister pour qu'il me suive, qu'au moins il dorme au chaud, mange à sa faim et sois à l'abri des dangers – même quelques jours, le temps de trouver son irresponsable Dragonnier.

– On doit aller à la Cité, j'ai une chose urgente à faire.

Sans explication supplémentaire, il s'exécuta. Moi, j'avais attrapé une couverture, quelques vêtements chauds, des vivres. Si Eiran ne voulait pas me suivre jusqu'ici, je viendrais à lui – pas pour ma conscience, mais parce que c'était mon devoir ; j'étais un Dragonnier, c'était à moi de le protéger.

 

⚡🐉⚡

 

À peine le temps de rejoindre la grande route que l'orage battait son plein ; des trombes d'eau s'abattaient sur nous, des éclairs fendaient le ciel à tout-va dans un concert assourdissant. Ce spectacle me rappelait les yeux d'Eiran. Sa détresse également.

L'avantage à rouler sous le torrent, c'était que personne n'osait le faire à part nous. Jamais nous n'avions rallié la capitale aussi rapidement.

– Vous avez besoin d'aide ? Cria Artur en me voyant descendre.

– Ça risque de devenir dangereux !

– Je vais chercher des renforts au château.

– Non ! Non, laisse... Reste ici et empêche les gens d'approcher au besoin.

Il tenta vainement de me retenir, mais j'étais déjà parti. Je ressentais un horrible pressentiment qui ne cessait de s'amplifier. Eiran, il allait lui arriver quelque chose de grave, c'était dans mes tripes que je le sentais !

– Eiran ! Appelais-je.

Cela ne devait être qu'un faible murmure dans la tempête. Un éclair fendit le ciel juste au-dessus de nous, heureusement, il frappa le sol un peu plus loin... Il s'en fallut de peu qu'il ne touche l'arbre dans lequel Eiran s'était réfugié.

– Eiran ! Réponds-moi si tu es là !

Aucune réponse. Faisant fi du danger et de la douleur, je m'étais hissé dans l'arbre et n'avait pas tardé à le retrouver. J'aurais pensé qu'un orage aussi déchaîné l'aurait apeuré... Je m'étais royalement trompé. Il semblait serein, fasciné par la force des éléments et totalement inconscient du danger.

– Eiran, appelais-je à nouveau, attirant cette fois-ci son attention.

Son regard semblait encore plus percutant qu'avant :

– Elioth ? Qu'est-ce que tu fais là ?

– Toi, qu'est-ce que tu fais là ! C'est dangereux de rester dans un arbre par une tempête pareille ! Descends avec moi !

Mollement, il s'exécuta.

– Je ne risque rien, cria-t-il pour couvrir la pluie.

– Ne sois pas buté !

Je l'avais couvert pour le protéger de la pluie. Sa froideur m'alarmait. En bonne santé, un Dragon ne souffrait pas des températures fraîches, mais lui si ! Un éclair tomba sur le toit d'une auberge, puis des tuiles tombèrent à un mètre de nous. Là, il commença vraiment à avoir peur. Collé contre moi, je sentais son cœur battre à tout rompre, ses membres trembler.

– Tout va bien, on est à l'abri, le rassurais-je, tant bien que mal.

Sincèrement, je n'étais pas sûr de dire la vérité... Le vent s'intensifiait et les tuiles tombaient de plus en plus. L'arbre vacillait dangereusement, pour ne rien arranger. Rester ici était dangereux, cependant s'aventurer jusqu'à la rue n'était pas beaucoup plus sûr...

– J-J'ai peur, gémit Eiran en s'accrochant à ma veste.

Je sentais bien que ses tremblements n'étaient pas dus au froid ou à la peur ; il retenait sa transformation. Il ne pourrait pas le faire bien longtemps.

– J'aurais dû mettre mon armure, grognais-je alors. Il faut que tu viennes avec moi, c'est trop dangereux ici !

– Mais je... je dois attendre !

Au diable les négociations ! Je m'étais relevé brusquement, tenant fermement son bras pour l'obliger à me suivre. Il se débattit avec vigueur, mais sa petite carrure ne résista pas bien longtemps.

– Elioth ! Arrête ! Supplia-t-il, en larme.

– Tu mets tout le monde en danger ici, le coupais-je avec autorité, je te ramènerais demain, d'accord ?

Il hésita. Moi, je n'avais pas le temps de le convaincre à la manière douce. Si jamais ça dégénérait, ce serait à moi qu'on demanderait des comptes ! Même si, fondamentalement, je n'étais pas responsable d'Eiran, c'était le rôle d'un Dragonnier de gérer les situations délicates.

Il me laissa parcourir dix mètres avant de brutalement s'arrêter, se figer. Un éclair tombait droit sur nous. Aucun de mes réflexes n'aurait pu nous sauver. Mentalement, je m'étais préparé à mourir ainsi ; foudroyé dans mon refuge.

Je regrettais de ne pas avoir parlé d'Eiran à quelqu'un. Si jamais on mourait ici, ce serait un sacré bazar pour trouver une explication et le Dragonum ne prendrait pas vraiment le temps de la réflexion avant de prendre des mesures...

Et moi, je resterais à jamais dans l'histoire comme étant le seul Dragonnier au monde à avoir réussi l'exploit de sacrifier la vie de deux Dragons...


 

Au moment où mon cœur cessa de battre, peu avant que l'éclair ne nous frappe, je vis Eiran se transformer. C'était une réaction normale peu avant la mort... Ses iris s'intensifièrent en luminosité, reflétant l'éclat de la foudre qui allait s'abattre sur nous. Je fermais les yeux pour ne pas assister au spectacle.

Un vent différent de celui de la tempête m'envoya au sol, tandis que le corps humanoïde d'Eiran laissait place à un celui d'un immense lézard. J'étais stupéfait de constater la différence de taille entre l'humanoïde – dans la moyenne – et l'Originelle bien supérieure à ce que j'imaginais possible...

L'endroit exigu était à peine suffisant pour l'accueillir, sa longue queue m'entoura au niveau des hanches et me ramena sous lui, un hurlement trahit ma peur et la douleur que j'avais ressentie alors.

Je rouvris les paupières en entendant un hurlement rauque provenant d'Eiran... Des petites gerbes électriques parcouraient ses écailles, claquant dans l'air dans un bruit qui me glaçait le sang... Mais visiblement, il ne semblait pas avoir mal. Cela dura un long moment.

Puis,  quand je pensais qu'il avait absorbé l'éclair, que tout était fini, que le calme reprenait peu à peu ses droits... son corps entier renvoya une décharge deux ou trois fois plus importante dans toutes les directions : les bâtiments furent explosés par de puissants éclairs, éboulant une bonne partie du quartier sous mes yeux impuissants.

J'entendais des hurlements, la panique gagnant les habitants, des cris alarmés résonnant entre les pierres... C'était l'apocalypse.

Quand enfin le Dragon fut déchargé, il vacilla légèrement. Au-delà du fait qu'il allait m'écraser, je m'inquiétais aussi qu'il ne sorte du parc par les toits en ruines et ne continue à dévaster les environs... N'écoutant que l'instinct et faisant fi de ma jambe boiteuse, je m'étais hissé sur son dos en agrippant ses cornes. Celles-ci, encore chargées d'électricité, m'envoyèrent une bonne châtaigne... Pourtant, cela ne me ralentit pas. J'étais la seule chance pour lui de reprendre le contrôle, bon sang !

Tant bien que mal, je me retrouvai alors sur son dos, maintenant fermement ses cornes pendant qu'il s'agitait pour se débarrasser de moi. Abandonnant la technique rodéo, je sentis son corps trembler, puis aperçu des éclairs parcourir son corps, signe qu'il tentait de se débarrasser de moi. Je ne survivrais pas à une attaque pareille.

– Eiran ! L'appelais-je en désespoir de cause, Eiran, calme-toi ! C'est fini !

Il ne semblait pas m'entendre. J'avais redoublé la voix, en vain. Que faire ? Quand c'était arrivé à Fernier, il s'était repris parce qu'il avait peur de me blesser – voir, me tuer – seulement Eiran ne me connaissait que depuis quelques heures à peine...

Impuissant et attendant la mort par électrocution, je fus sauvé in extremis par l'état lamentable d'Eiran : il se figea brutalement, poussa un gémissement douloureux, puis s'effondra au sol, sans la moindre énergie. Il respirait difficilement, les yeux à demi-clos. Jamais je n'aurais pensé être reconnaissant au Dragonnier qui l'avait abandonné, mais là, je lui devais presque la vie !

Sans attendre, je m'étais approché de sa gueule avec prudence. Il se méfiait de moi et manqua de me bousculer plusieurs fois...

– Eiran, soufflais-je doucement, c'est moi, c'est Elioth... Tu te souviens de moi ? Je suis là pour t'aider... Je te protège, juré...

Dans un râle quasi agonisant, il me laissa m'approcher de lui. Je caressais doucement son museau pour le rassurer. La pluie glacée lui avait fait perdre le peu de chaleur qu'il avait, ce qui n'était pas bon. Après un gémissement douloureux, sa forme Originelle laissa place à l'Humanoïde.

Comment un type si frêle et petit pouvait avoir une forme Originelle si imposante, si puissante ? Ce serait la première question que je me poserais demain. Pour le moment, j'essayais de le protéger de la pluie, de l'empêcher de perdre conscience.

– Elioth ! Appela Artur en débarquant. Vous allez bien ?

Je constatai alors que l'auberge séparant le petit parc de la rue dans laquelle il m'attendait était une ruine... L'arbre était couché au sol, fendu en deux. Je n'avais pas vraiment le choix ; je devais emmener Eiran avec nous. Avec un peu de chance, l'on penserait que les dégâts étaient dus à l'éclair et non pas à lui...

Franchement, je détestais cette situation. Politiquement, ça allait devenir encore plus délicat. Mais pour le moment, ce n'était pas le plus urgent.

– C'est un...

– Plus tard, les explications Artur, coupais-je brusquement, aide-moi à le porter ! Vite, il faut le mettre à l'abri !

Il prit délicatement le corps inerte du Dragon dans ses bras, puis l'installa sur la banquette de la voiture. Heureusement pour nous, dans la panique, personne n'avait fait attention à nous. Je m'étais assis derrière, maintenant la tête d'Eiran tout en essayant de le réchauffer. Artur nous fit quitter la ville rapidement.

 

– Qu'est-ce que c'était que ça ? Demanda-t-il finalement. Il va bien ?

– Je ne sais pas, il respire au moins.

Son cœur battait lentement. Ce n'était pas étonnant, vu son état et l'éclair qu'il avait absorbé, puis renvoyé.

– Je l'ai trouvé cet après-midi, enchaînais-je alors, son Dragonnier l'a abandonné. J'ai essayé de le convaincre de venir avec moi, mais il est buté.

– Et l'éclair ? On aurait dit une explosion électrique ! J'ai cru que vous étiez mort !

– Franchement, moi aussi ! ... Il m'a protégé. Je pense qu'il doit être un Dragon Électrique. Mais je ne sais pas s'il se contente d'absorber ou s'il peut générer, comme Fernier le faisait avec le feu...

Mes iris tombèrent sur le visage pâle d'Eiran. Mon cœur battait à tout rompre et mes tripes se tordaient dans tous les sens... On aurait dit qu'il était mort. Ce que je trouvais intolérable. Injuste. C'était en partie de ma faute. Je sentais des larmes perler sur mes joues, la culpabilité tranchait mon cœur comme aurait pu le faire une lame bien aiguisée... Et j'avais peur.

– Je n'ai pas fait attention, dis-je soudainement, pour dévier mes pensées noires, les dégâts étaient graves ?

Sa réponse tarda, ce qui n'était pas du tout bon signe :

– Un champ de ruines. La panique. Mais vous n'avez rien, c'est le principal... Qu'est-ce qui va lui arriver ?

Honnêtement, je n'en savais rien. Ce qu'il avait fait était grave. Cependant, cela aurait pu être évité si son Dragonnier ne l'avait pas abandonné et l'avait apprivoisé convenablement. J'avais aussi ma responsabilité là-dedans, je ne l'oubliais pas le moins du monde.

 

 

Une fois éloigné de la ville, dans un endroit tranquille, Artur se gara sur le bas-côté de la route et me rejoignit avec des couvertures, qu'il plaça sur Eiran.

Son regard s'attarda sur son visage :

– Il est plutôt mignon, nota-t-il, avant de me lancer un regard incertain : vous allez le dresser ?

– Il a un Dragonnier, Artur. Et puis je ne peux rien faire avec ma jambe.

– Oui, excusez-moi. Je suis trop curieux.

Il s'éloigna un peu, tandis que j'essuyais le visage trempé d'Eiran avec une serviette. Artur avait raison ; il était terriblement mignon... Ses traits étaient encore un peu juvéniles, mais feraient sans doute des cœurs brisés d'ici quelques années ! Tout du moins s'il survivait à cette nuit...

– Accroche-toi, le suppliais-je en le berçant doucement, comment je vais expliquer ta mort sinon ? Tu ne peux pas me faire ça, toi aussi, hein... Tu ne peux pas abandonner maintenant... Pas alors que j'essaye de te sauver.

Il y avait beaucoup trop de souvenirs douloureux qui remontaient dans mon esprit troublé. Eiran poussa un gémissement douloureux en guise de réponse. Ou alors parce qu'il avait mal. Enfin, au moins, il était encore vivant ! Sa main cherchait quelque chose. Indécis, j'y glissai la mienne, ce qui l'apaisa.

Pour le moment, du moins.

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Lily Lilith
Posté le 21/04/2021
Je m'attendais à tout sauf à ça en commençant ma lecture, je suis encore plus fan de l'histoire. Hâte de voir où tout ceci va mener par la suite. Qui est ce petit dragon, son histoire... arggg trop de question en tête !
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