Chapitre 1 : La dernière fouille (troisième partie)

Notes de l’auteur : Dernière partie du chapitre 1

À l’horizon, Phoebus darde ses derniers rayons acérés, dans un ciel écarlate.  Tout au long du jour, une petite butte de terre, de roche et de sable mêlés avait grandi, au fur et à mesure que la tranchée s’approfondissait.  Afin de ménager les forces de l’équipe, tous les quarts d’heure, un échange d’occupation s’effectuait. Malgré cette précaution, le soir tombant, la fatigue se lit sur tous les visages. Un après-midi complet d’effort physique, sous un soleil de plomb, dans une chaleur sèche et accablante, a mis à mal tous les organismes. Pourtant, le plus dur de la tâche est achevé.  Il ne reste plus que quelques coups de pioche et quelques pelletées avant de toucher au but. Si le soir tombant a rafraichi de quelques petits degrés l’air du désert, il n’en est pas de même dans la tranchée. Ils en sont donc, un par un, presque tous sortis pour cueillir un peu de fraicheur relative de ce début de crépuscule. Seule, Viviane qui a trouvé un mince filet d’ombre préfère y demeurer pour terminer l’ouvrage plus rapidement.  

- Je pense que nous sommes arrivés à la porte. Quelques coups de pioche encore et nous devrions en voir un pan. Vous êtes d’accord avec moi ?

Aucun n’a le loisir de répondre, car le bruit caractéristique d’un éboulement rocheux emplit l’air. Un nuage de poussière s’élève de la tranchée à l’endroit où se trouvait Viviane.

La puissante voix d’Ewald retentit ;

« - Viviane, ça va ?

- Pas de mal, ça va, c’est bon ! J’ai donné un coup de pioche et tout le haut du remblai a glissé. Je suis fourbue, j’ai mal au dos, j’ai mal aux bras, aux jambes, je suis couverte de poussières ; une douche, je veux une douche ! J’en ai plein le dos de ce désert de merde et en plus … Les gars, j'ai la porte en visuel, mais il y a un problème !

-Que se passe-t-il ? demande Ewald

-La porte est dans le même style de matériaux que le reste et ….

- Ça, on s'y attendait !

- Nom d’une pipe, Ewald, laisse-moi finir ma phrase ! Connais-tu beaucoup de portes de bases militaires qui sont décorées de plantes entrelacées ?

-Quoi ! attends tu plaisantes ? dirent presque en chœur, les autres membres de l'expédition. 

- Non ! et il n’y a pas que des plantes. Si vous ne me croyez pas, venez voir !

Quelques secondes plus tard, tous ont sauté dans la tranchée et à la vue de la porte les exclamations interrogatives retentissent.

- Mais on est face à quoi ?  Il n’y a pas que des plantes représentées sur cette surface : ici, des hiéroglyphes ; là, des trucs et des machins ! Désolé, mais je n’ai pas d’autres termes pour verbaliser ce que cela représente. Quant aux plantes on dirait des membres de la famille des Cycadales.

- Entièrement d’accord avec toi John, quelqu’un a une idée ? Personne ?

Louis obtient seulement des haussements d’épaules ou des signes de dénégation en guise de réponses.

- Ce travail de gravure semble très fin. Je me demande jusqu’à quel point il l’est. Je vais nettoyer un bout du panneau de sa poussière avec mon mouchoir à tout faire et un peu d’eau de ma gourde, d’accord ?

-Fait comme tu veux Jörg, c’est ton mouchoir et surtout ton eau !

Sans répondre à John, il humecte un bout de tissu de couleur indéfinissable sorti de sa poche et en tamponne un bout du motif floral ;

-Ouais…  Bon. Résultat passable. Cette fichue poussière est tenace. Aux grands maux les grands remèdes ! d’un geste large il asperge le motif avec sa gourde, bon, voilà qui est mieux… voyons cela de plus près… un vrai travail d’orfèvre, digne d’un artiste extrêmement précis. Ce sont des lianes entrelacées avec une écorce squameuse qui se termine par un unique bourgeon en forme de pomme de pin. C’est tellement bien ciselé que l’on a l’impression que c’est en relief. Non, mais ce n’est pas vrai !

 Il se recule brusquement, son index désigne aux autres le motif qu’il était en train d’examiner 

- Ça bouge !

-Mais bien sûr ! le soleil tape très dur dans ce désert et avec la déshydratation, on peut être sujet à des hallucinations …

- Je te jure, Ewald, ça a bougé !

-Si tu n’as pas pris de sel depuis ce matin, je te passe un de mes sachets et dépêche-toi de l’avaler avec ce qu’il te reste de liquide dans ta gourde.

En faisant un semblant de révérence à Viviane, il secoue sa gourde

- Je te remercie, mais comme tu l’entends, je n’ai besoin ni d’eau ni de sel. Je me suis correctement hydraté. Il me semble que vous avez complètement oublié que de nous tous, je suis celui qui a le plus bouteille, je dis bien d’années aux compteurs des ramasseurs de cailloux dans les déserts. J’ai déjà fait l’expérience des effets d’une déshydratation deux fois ! Donc, je me garde bien de renouveler ce genre d’épreuve, une fois de plus… Cela dit, le campement n’est qu’à cent-cinquante mètres, je peux donc sans danger sacrifier le reste de mon eau pour une petite expérience. Quand je vous dis que ça a bougé, c’est que ça a bougé ! Cependant, il ne s’est rien passé avant que je ne mouille le motif. On va bien voir s’il va se passer quelque chose cette fois-ci… »

Unissant le geste à la parole, dans un geste horizontal, il verse lentement la fin de l’eau de sa gourde sur le haut des entrelacs. L’eau ruisselle sur la décoration.

Pendant quelques secondes, il ne se passe rien…puis un léger frémissement venant du pied de la gravure se propage vers le haut.

Les sourires narquois des autres membres du groupe se figent sur les visages

« Qu’est-ce que je vous disais ? Ça bouge non ! Cela remue même de plus en plus, je ne sais pas si vous le voyez, mais cela prend également du relief. »

En moins de deux minutes, le mouvement presque imperceptible qui agitait les lianes se modifie. Une frénésie d’impulsions, de remous, d’oscillations se décale par saccades du bas de la plante jusqu’au sommet du motif.

À la vue de cette porte devenue vivante et dont les mouvements s’accroissent à vue d’œil, tous reculent de quelques pas, à l’exception de Jörg, fasciné par ce qu’il observe.

Une bonne partie de la porte qui semblait en basalte, noire nuit, a maintenant disparu. À sa place est apparu un rideau végétal mouvant de lianes entrelacées, qui oscille lentement du sommet à la base comme un serpent sur le point d’attaquer. Au milieu du tissu vivant de végétation, plusieurs bourgeons nouvellement apparus semblent s’être tournés vers Jörg. À présent, ils s’ouvrent comme des mâchoires, et découvrent une double rangée de ce qui pourrait s’apparenter à des dents.

 L’instinct du danger de Jörg prend le pas sur sa fascination et il recule de quelques pas précipités, alors qu’une des lianes se détend brusquement et que le bourgeon-mâchoire se referme à quelques centimètres de son visage.

 Alors, le géologue, pris d’une peur panique, fuit vers le fond de la tranchée et s’affale sur le sol.

« Jörg ! Jörg ! ça va ? hurle John. »

Toujours à plat ventre, Jörg met quelques secondes avant d’agiter sa main au-dessus de sa tête.

« - Ça va ! Juste la frousse de ma vie ! Cette saleté était partie pour me bouffer tout cru… Je récupère un peu et je vous rejoins. »

Malgré son âge, il bondit hors de la tranchée et rejoint le petit groupe qui, à quelques pas de là, regarde, muet et incrédule, le ballet fantastique des lianes.

Viviane, d’une voix blanche, rompt le silence

« - Il y a une chose qui me gêne dans tout cela : le son.

- Le son, rien que le son ? Il n’y a que cela qui te gêne dans ce spectacle ! Nous sommes devant des gravures qui prennent vie et qui se mettent à gigoter, à prendre du volume, puis à attaquer Jörg et cela ne t’étonne pas ? J’ai, nous avons, le sentiment que gravures et support ne sont vraisemblablement pas le fait de l’homme, et cela ne t’étonne pas plus ? La seule chose qui ait l’air de t’étonner c’est le son, alors explique-toi !

- Écoutez attentivement ! Fermez les yeux un instant, ne pensez à rien, écoutez seulement !

- Effectivement, le son produit par cette ‘chose’ est étrange. Je n’arrive pas à le classifier, c’est un bruit de frottement, cela est certain, mais…

- Hé oui ! il y a un mais… Tu sais que j’ai l’ouïe fine. Dans les frottements de ces ‘lianes’, je discerne nettement deux sons bien distincts : un de pierre frottant contre de la pierre et l’autre nettement métallique, un peu comme le crissement d’une lime douce sur du fer. D’où cette question : qu’est-ce qui provoque cette sonorité bien particulière ? Pierre contre métal ? On n’entendrait pas de son métallique ou du moins pas celui-ci… et comme la porte ne semble pas être en métal, du moins un métal que nous connaissons…Conclusion ?

- Les ‘lianes’! Ce sont les lianes qui crissent !

- Ouais ! Une chose minérale se comportant comme de la matière organique  et ayant des composants métalliques.  Presque certaine que cette chose n’est pas native de notre terre, donc…

Louis, le regard dans le vide, en entendant la conclusion, marmonne pour lui-même

- Extraterrestre ! Entre penser que cela peut exister, formuler des hypothèses plus ou moins bancales, et voir, à moins de cinq mètres de soi, une preuve flagrante de la réalité de ce qui n’était qu’une construction de l’esprit, cela fiche un sacré choc ! On est face à la première preuve indiscutable d'une civilisation exogène sur terre ! 

Jörg, esquissant un semblant de révérence, se tourne alors vers Louis et mi-ironique mi-sérieux répond solennellement au chuchotement :

« - En mon nom, et, je pense, également au nom des autres, mon cher Louis, nous nous excusons de t’avoir si souvent brocardé au sujet de ta marotte. Le fait que tu avais raison est devant nos yeux.   

- Ouais, je vous remercie. Bon on est bon pour appeler l’armée spatiale et leur transmettre le bébé !

- Je suis d'accord avec toi. Mais franchement, leur niveau technologique me fait froid dans le dos, dit Viviane en reculant.

-A moi aussi, rajouta John, car je pense avoir compris comment mon marteau s'est cassé et je peux vous dire qu’heureusement, on n’a pas essayé une sismique dessus

-Explicite, John, je ne te suis pas ?

- En fait, c'est assez simple et terrifiant à la fois. Cette matière, quoique cela soit, n'absorbe pas les vibrations. Elle les renvoie, mais en les amplifiant d'un facteur 100. Ce n'est là qu'une hypothèse que m’a soufflé la pointe de mon marteau et mon poignet encore endolori.

- Tu plaisantes John ?

- Franchement, j'en ai l’air, Ewald ?

-Non ! On appelle les autorités ! Lequel de nous leur annonce ça ?

Un profond silence régna, les visages des membres de l'expédition étaient, pour l’heure décomposés et traduisaient le choc reçu.

- Je m'en occupe ! dit Ewald en soupirant, et en se dirigeant vers la base.

- On n’a plus rien à faire ici et de toute manière on ne peut rien faire face à cette monstruosité. Je rentre avec Ewald.

Quelques minutes plus tard, tous les autres membres de l’équipe leur emboitent le pas, dans un silence songeur, souligné par le bruit du vent qui s’est levé. Au campement, ils sont accueillis par un chapelet d’injures, en provenance de la tente abritant le matériel de communications.

« - Que ce passe-t-il Ewald ? interroge John. 

-Il se passe simplement que la liaison satellite est foutue ! Les composants ont été bouffés par les vents de sable et bien entendu, j’ai déjà utilisé les quelques pièces de rechange auxquelles on a eu droit.  La bureaucratie je l'adore !  Heureusement, il nous reste le tél. par liaison satellite directe, mais il faut attendre 23h30 pour que ce fichu satellite passe, c’est-à-dire dans presque quatre heures. Et pour couronner le tout, la loi nous oblige à signaler IMMÉDIATEMENT au Q.G. de l'armée spatial, des trouvailles de cet ordre. Or, je ne sais pour vous, mais moi je suis crevé, je ne tiendrais jamais debout jusqu’à l’heure du rendez-vous….

-Quelle loi Ewald ? le coupe Carl d’une voix innocente.

- L'article L23 ou L24, je ne sais plus trop, en revanche je me souviens exactement du texte. "Toute découverte sortant du cadre des affaires civiles normales et ayant potentiellement un caractère permettant d’assurer la survie de l'humanité, doivent être rapportées immédiatement au Q.G. des Rocheuses, sous peine de sanctions allant d'une simple peine de prison d’un minimum de trois ans à la peine capitale." Je ne sais si le truc que l’on vient de découvrir peut avoir « un caractère à assurer la survie de l'humanité » ou l’inverse. Donc je ne prends pas de risque, mon intention est d’en référer au plus vite.

Un ange passe sur le campement. Enfin, John brise le silence d’incertitude et d’angoisse et d'une voix presque éteinte, déclare platement :

- Bien, il ne me reste plus qu'à faire un café qui réveillerait des morts. J’espère qu'il nous reste encore assez de café pour ça.

-Je t'accompagne, dit Viviane d'une voix lasse, j'ai besoin d'un remontant qui titre à plus d’un degré.

Un chœur de voix qui ne valait guère mieux que celle de Viviane interpella cette dernière : « Ne nous oublie pas »

 

                                                           ***

 

La nuit est tombée depuis plusieurs heures, mais le campement frémit encore d'une activité languissante de tous les membres de l’équipe. Tous sont épuisés par l’effort physique de l’après-midi et le choc de la découverte, mais tous ont voulu tenir compagnie à Ewald, dans son attente.

« -Combien de temps encore Ewald ?  bâille Viviane.

-Environ une vingtaine de minutes.

- Comme j'aimerais que tout soit déjà fini. Morphée m'appelle, mais je suis trop anxieuse pour lui répondre.

-Comme nous tous, je pense, remarque Carl.

Celui-ci, accoudé à un piquet de l’entrée, scrute la nuit en direction de leur découverte de l’après-midi. Son esprit las ressasse les mêmes questions, sans jamais y trouver de réponse. Soudain, il se redresse en pointant l’index vers le sommet de la petite dune.

Dans la nuit, une lueur bleutée émerge du dôme. La clarté semble s’intensifier imperceptiblement instant après instant.

- C'est quoi encore, ce truc ? interroge, d’une voix éteinte et pourtant anxieuse, Louis qui l’a rejoint. Carl, cela fait longtemps que ça luit comme ça ?

- Non, quelques minutes à peine. Et cela augmente graduellement de luminosité. Au début, je pensais que c’étaient mes yeux qui s’accoutumaient à l'obscurité, mais maintenant ... »

Carl est alors interrompu par une série de bips qui se font entendre dans la tente. Ils semblent de plus en plus rapprochés et oppressant

Ewald, pâle comme un linge, saute de sa chaise, sort de la tente, prend la direction des véhicules de l'expédition en courant et en hurlant aux autres.

« On se barre !  À tout hasard en début de soirée j'avais mis en marche le Geiger et vu ce que l'on entend, la zone commence à être malsaine, et ce, de plus en plus méchamment.

- Pas besoin de le dire on avait reconnu le son ! »  répond Louis, sur ses talons.

 

Dans un fracas indescriptible, tous se ruent dans l’antique hummer militaire de l'expédition et s’y entassent. Le démarreur lance un moteur asthmatique qui commence par tousser et crachoter avant de daigner ronronner, alors même que les bips du Geiger deviennent frénétiques. 

Du côté de la dune, dans un silence total, le sommet brille d'un éclat de plus en plus vif, illuminant le paysage alentour. Le sable commence à se soulever en  tourbillonnant, comme jeté en l'air par une main de géant.

Le hummer, enfin démarré, part en trombe. À l’intérieur règne un silence de mort. Viviane scrutant la dune par la fenêtre arrière se décompose et pousse un cri de terreur. La dune a disparu dans un chaos de roches de sable et de terre formant maintenant une sorte de tornade irréelle, illuminée d’une lueur bleutée sans source apparente.

 « -Carl, écrase le champignon, il se passe quelque chose ! Ça m'a l'air d'être tout, sauf bon, pour nos gueules, hurle Viviane.

-Bordel, qu'est-ce que tu crois que je fais ? rugit-il d'une voix paniquée. C’est alors que le camion commence à trembler et à tanguer, secoué par un fort séisme.

Dans leur dos, la lueur bleutée brille de plus en plus violemment, dissimulant maintenant tout ce qui est en son sein. Devant elle, le sol s'arrache par plaques. La lumière augmente encore et encore d'intensité et rejoint le véhicule surchargé essayant désespérément de s'éloigner de l'épicentre du phénomène. Désert, camion, campement se noient désormais en son sein. Enfin survient le grondement apocalyptique. En une fraction de seconde, tout se fige. Puis la lumière se ramasse sur elle-même formant une sorte de boule de foudre. Celle-ci se met à rapetisser de plus en plus vite, et disparait, ramenant au néant tout ce qu'elle avait enveloppé. 

Le calme de la nuit est revenu. La pâle clarté des étoiles éclaire désormais une zone déserte, nivelée jusqu’au socle de roche. Dune, camion et campement ont disparu, mais à la place de la dune se dresse maintenant un bâtiment assez trapu, une sorte de gros fortin surmonté d'un dôme d’un noir profond.

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