Chapitre 1 : La dernière fouille (deuxième partie)

Notes de l’auteur : Deuxième partie ; n'oubliez pas de commenter

Lentement, le soleil se lève, ses premiers rayons baignent le campement d'une couleur carmin finement nuancé de vert, vestiges atmosphériques de l'éruption cataclysmique de Yellowstone en 2050.  Il y a maintenant quarante-quatre ans, la gigantesque caldeira explosa une nouvelle fois. Une grande partie du territoire des anciens États-Unis d’Amérique a été recouvert d’une épaisse couche de cendre, transformant des milliers de kilomètres carrés en un paysage désertique, digne de l'enfer. Presque un demi-siècle après, bien que l’hiver volcanique consécutif à l’éruption soit terminé depuis longtemps, levés et couchers de soleil témoignent encore de la violence de l’explosion. Ils demeurent aussi somptueux et fantastiques que les peignait Turner au 19s après l’explosion du Tambora, en raison des aérosols encore présents dans l’atmosphère, et ce malgré le temps écoulé.

Une odeur de café chaud commence à se répandre insensiblement et à s’évader lentement de la tente-réfectoire en même temps que les murmures d’une conversation de voix encore endormies.

- Jörg as-tu fait le rapport hebdomadaire ?

-Non, je vais le faire aujourd'hui. Mais pour répondre d'avance à ta question, non, je ne vais pas leur parler de notre petite découverte. Je les contacterais après, quand nous aurons récupéré ce qui nous intéresse. À la condition que nous arrivions à pénétrer dans cette base souterraine, ce dont je commence à douter fortement, étant donné la solidité du matériau qui la protège.

- Oh pour ça, j'ai une idée ! Ewald, il te reste combien de charges sismiques ?

- Environ une dizaine. Mais je te préviens, Jack, qu’au regard de leur prix, j'aimerais autant ne pas les utiliser  !

- T'inquiète ! Vu le matos que l'on va récupérer, on sera plus que remboursé si on doit s’en servir. Pas vrai Louis ?

-Sûr !

À l’énoncé de la proposition, Viviane jusque-là songeuse, lève brusquement la main

-« J’ai quelques objections à formuler !

-Nous sommes tout ouïe chère collègue, toutes les contributions sont les bienvenues, même les objections.

- Même les objections ? Merci, Louis, pour ce grand moment de démocratie participative !

Première objection : vous voulez utiliser des charges explosives, pourquoi pas ? Toutefois, il me semble que vous avez omis quelques menus détails dans ce projet : pour commencer, mon cher Ewald, tes explosifs n’ont pas la puissance, loin de là, de ceux de l’armée. Même en faisant péter tes dix charges à la fois, elles ne feront pas énormément de dégâts…

Seconde objection : pour obtenir l’effet désiré de tes mines, je te rappelle que tu utilises une tarière pour leur faire un nid douillet, avant de les faire sauter. Il semblerait que notre énigmatique matériau soit conçu pour résister aux pires explosions, si j’en crois l’état du marteau de John après sa petite expérience d’hier soir. Alors comment comptes-tu t’y prendre pour faire un trou ?  Avec ta tarière ? Rendez-vous : même lieu, même heure, dans huit-cents ans …

Troisième objection : même si tu arrives à ouvrir une anfractuosité, je te rappelle que l’on ne se sait absolument pas ce qu’il y a dessous. D’après les ordis, on sait juste qu’il y a une cavité, quant à savoir ce qu’elle renferme ? Pour ma part, je n’ai aucune envie, au mieux, de rejouer « la porte de l’enfer du Turkménistan » et, au pire, d’être volatilisé en même temps que la structure que l’on veut ouvrir.

Assis, son coude droit sur le genou gauche, main droite repliée sous menton, Jack regarde dans le vide. Il se relève lentement et son regard se pose sur Viviane.

- Tu as raison, Viviane, disons que nous nous sommes, Louis et moi, quelque peu emballés. En songeant au petit trésor qui nous attend à quelques mètres sous nos pieds, on a, tous les deux, perdu de vue une maxime : réfléchir avant d’agir.

-Cela étant dit, et justement dit, rajouta Louis, la question reste toujours posée, que fait-on ? Je la pose donc à la plus sage du groupe : une idée, Viviane ?

- Merci, Louis, de me refiler la patate chaude ! J’ai bien une petite idée. Je me souviens que lorsque nous sommes arrivés ici j’ai été prise d’une envie pressante. Je me suis éloignée du groupe à la recherche d’un coin tranquille. Tout à ma petite affaire, je remarquais une anomalie du terrain sur lequel j’étais. Certaines pierres n’avaient rien à faire à cet endroit. Il y avait un apport  étranger recouvrant le sol, sur une longueur d’une trentaine de mètres et sur environ trois ou quatre mètres de large. Je me suis dit que l’on verrait cela plus tard, puis cela m’est sorti de la tête.

- Bon, et alors ?

- Dans les cailloux rapportés, il y avait quelques Unionidae fossiles et du galet de rivière, Jack.

- Des moules et des galets ? Probablement les vestiges d’un cours fossile.

- Je n’ai rien contre ton explication Ewald, mais des vestiges qui commencent brusquement, qui sont bien rectilignes avec une largeur constante, et qui sont pile-poil orientés vers la petite colline sous laquelle se trouve la structure, me posent problème.

- Un questionnement qui, selon ta description, vaut la peine d’aller jeter un coup d’œil. Guide-nous !

- D’accord, suis-moi, Louis. Les autres sont également invités. À plusieurs, on pourra se faire une idée plus précise de cette anomalie.

Malgré l’heure matinale, la fraicheur de la nuit avait vite disparu et l’air vibrait déjà de chaleur, signe annonciatrice d’un après-midi torride. Le trajet fut rapide, à peine cent-cinquante mètres à parcourir pour contourner la dune. Viviane qui marchait en tête s’arrêta et désigna de l’index un endroit devant eux :

« Là, à une vingtaine de mètres, entre la saillie rocheuse et la petite doline ! »

À première vue rien de particulier ne pouvait attirer le regard d’un néophyte. À cette distance, seul l’œil exercé d’un géologue pouvait discerner la petite différence de terrain. Arrivés sur place, ils constatèrent que Viviane ne s’était pas trompée ; ce terrain avait été remanié.

Qu’en penses-tu, Jörg ? questionna Viviane.

Machinalement, il se passe la main dans ses cheveux poivre et sel et l’index pointé sur Viviane répond en souriant

- Depuis le temps, tu devrais le savoir Viviane : je n’en pense rien. Jamais d’apriori, c’est le meilleur moyen de fausser une analyse. Passe la consigne : après que l’un de vous ait passé le radar, depuis quelques mètres avant le début de la bande jusqu’au pied du tertre, j’aimerais avoir quelques carottages de cette anomalie. En douceur s’il vous plait, j’ai besoin de voir l’agencement stratigraphique de ce que vous allez ressortir du sol. Maintenant au travail !

                                                                        ***

 Aux alentours de midi, le travail demandé, terminé, après s’être légèrement nourris et surtout désaltérés, tous se retrouvèrent dans la fraicheur du labo.

- Qui commence son rapport ? Ewald ?

- OK. Jack ! Louis et moi avons passé le scan en long en large et en travers. Voici ce que cela nous a donné : Longueur totale : trente-quatre mètres soixante, dont un mètre s’enfonçant sous le tertre. Nous ne sommes pas allés plus loin. Largeur : quatre mètres, espace constant. Épaisseur du remblai : quinze centimètres au début, trois mètres vingt au pied du tertre. Les plus gros morceaux de pierre ne dépassent pas la taille volumétrique de celle de mon sac à dos. Par rapport au volume total de la tranchée, elles sont peu nombreuses. Disons, une pour huit mètres cubes.

- Louis ?

- Viviane et moi avons effectué les carottages, depuis la distance d’un mètre du départ de l’apport, jusqu’au pied du tertre. Seize forages en tout. Nous avons augmenté la profondeur à chaque fois, et quand on tombait sur ton sac à dos, Ewald, on se déplaçait de quelques centimètres vers la droite ou la gauche pour ne pas l’abimer. Comme on s’y attendait, le terrain est assez meuble, donc assez facile à pénétrer. Profondeur de la dernière fouille : Deux mètres vingt, à la base du tertre, c’est-à-dire la profondeur totale que nous permet notre instrument de forage. À toi, Jörg !

- Bien. Mes conclusions : Les éléments lithiques qui furent employés proviennent, et ceci pour la totalité de l’ouvrage, d’un lit de cours d’eau fossilisé. Les divers carottages m’ont appris que : d’une part, il existe une totale homogénéité structurelle, avec toutefois une forte proportion de sable ; d’autre part, l’examen stratigraphique démontre que ce remblayage n’a rien de naturel. Un agent extérieur s’est chargé de l’amener à l’endroit où il se trouve.  J’en conclus donc que les éléments qui le composent ont été déplacés et ne peuvent provenir que d’un seul endroit. Ce lieu n’est pas très loin d’ici. En consultant des photos satellites de la région, j’ai constaté que vers le nord, à moins de sept cents mètres, on pouvait trouver les vestiges d’un cours d’eau.

- Excuse-moi, mais pourquoi aller chercher de la caillasse au loin, alors que l’on peut en extraire directement sur le site ?

Visiblement Jörg ne savait quoi répondre à cette question. Mais Jack prit la parole.

-Question pertinente, Viviane, mais, je pense que la réponse doit être assez simple. Cette base mystère fut conçue pour être la moins repérable possible. Même nous, géologues aguerris, avons campé plusieurs jours au pied de cette butte sans nous douter de rien. Il faut bien reconnaitre que c’est par le plus grand des hasards que nous avons découvert cette anomalie. Pour une raison ou pour un autre, les bâtisseurs ont dû construire une rampe d’accès. Une fois celle-ci terminée, il fallait qu’elle disparaisse. Qu’elle disparaisse, certes, mais qu’elle soit également facilement et rapidement dégageable, et ceci avec très peu de moyens. Ils ont donc utilisé un remblai extrêmement malléable dont, sans jeu de mots, la source n’est pas trop éloignée d’ici. De plus, en utilisant la caillasse autour de la butte pour remblayer, au regard du cubage nécessaire, ils auraient complètement mis à nu, et ce sur une belle surface, toute la zone. Dans cette dernière hypothèse, nul besoin alors d’être géologue pour s’apercevoir que quelque chose cloche dans le paysage. Surtout si l’on recherche une base fantôme… Dernier point : pour parachever le travail de camouflage, ils ont dû recouvrir le remblayage avec une fine couche d’un mélange de terre, de sable et de pierres prélevés ici même. Je pense que la conjugaison des éléments climatiques de cette région, de l’absorption par les couches de substrat moins dense en dessous et de l’érosion naturelle, ont fait, avec le temps, disparaitre cette couche superficielle. Réponse satisfaisante Viviane ?

- C’est bon pour moi. Maintenant, on fait quoi ? On prévient ces Messieurs de l’Armée Spatiale et on attend leur venue les bras croisés ? On commence le travail de déblaiement ? À votre avis, il nous faudra combien de temps pour atteindre la structure en creusant depuis la rampe ?

-Je pense, que si nous creusons une tranchée dans l’axe de la rampe …

-Je t’arrête tout de suite, Louis. Creuser une tranchée qui doit atteindre, à la base du tertre, plus de deux mètres de profondeur sur une largeur de, disons, un mètre soixante, et ceci sur plusieurs mètres de long, dans un terrain meuble donc par définition instable, danger ! J’ai le regret de t’annoncer alors que sans étançonner le tout, on va droit vers la catastrophe !

- C’est certain Ewald, c’est pourquoi j’allais, avant que tu ne me coupes la parole, dire que cette tranchée doit être creusée en V. On débute par une excavation normale et dès qu’elle nous arrive aux hanches on biaise de plus en plus les bords au fur et à mesure que l’on avance. Vous vous rendez compte que les premiers mètres vont être assez vite creusés, mais que dès que l’on commencera la taille en V, cela prendra de plus en plus de temps.  On doit arriver au pied du tertre, c’est-à-dire à plus de deux mètres de profondeur, en toute sécurité. Je n’ai pas d’autre solution à vous soumettre. Si vous avez une autre idée ?

Tous prennent quelques secondes pour réfléchir à la proposition de Louis. Avec un léger sourire, Jörg reprend le premier la parole.

- Pour ma part, je suis d’accord. Reste une question que tu n’as pas soulevée : Et s’il pleut ? Cela va faire une sacrée surface de ruissellement qui va fortement raviner les bords. On risque alors l’effondrement de la tranchée.

Complètement interloqués par cette sortie, tous les regards convergent vers lui.

- Tu rigoles ou quoi ? Il n’a pas plu sur la partie sud de ce désert, et je te le souligne en gras si tu as oublié où nous sommes, c’est-à-dire dans le ‘désert de Gobi’, depuis au moins dix ans.

- Je sais, Louis ! Je sais, mais on ne sait jamais ! ... les deniers mots se terminèrent dans un éclat de rire, repris par le reste du groupe.

 -Bien ; Jörg nous ayant fait part de son hilarant pessimisme, si nous n’avons pas de surprise, l’entrée peut être dégagée en fin de journée. N’oubliez pas que le remblai a été spécialement choisi, afin de pouvoir être retiré rapidement. Sans excavateur, avec nos simples pioches et pelles, à nous cinq cela doit tout de même aller assez vite.

- OK Louis ! cependant, je frissonne en pensant à ce que nous allons trouver là-dedans, il est plus que possible que les corps soient momifiés.

-Bah ! un cadavre reste un cadavre Viviane ! il te faut juste penser que ce sont des morceaux de viande séchée, tout comme ceux qui ont fait tes délices au dernier repas. Bien, je pense qu'il faut y aller, dit John, en regardant avec un petit sourire Viviane devenue blanche.

Devant son désarroi, Jörg vole à son secours

- Allons, Viviane, réfléchis une seconde ! Penses-tu réellement qu’il y ait des cadavres là-dedans ? Que des gens se soient portés volontaires pour être ensevelis vivants afin de garder, pour un temps indéfini, de l’intendance ? Car il n’y a que ça dans cette bâtisse : des armes, des vivres en conserves, des pièces de rechange. Du matériel, rien d’autre que du matériel !

-Merci Jörg ! s’apaisa Viviane.

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