Chapitre 1 : La dernière fouille

Notes de l’auteur : (première partie)

 

Planète : Terre    

Date : 15 mai 2094.

Localisation : Province de Mongolie inférieure : Désert de Gobi.

Ancienne République populaire de Chine.

Expédition de reconnaissance géologique.

But : analyse dans cette région des ressources naturelles restantes.

Taux de radioactivité : faible à nul par rapport aux mesures prétroisième guerre mondiale.

 

 

Depuis l’aube, dans l’immense désert minéral, un homme s’agite étrangement. Tout d’abord, il compte une trentaine de pas, puis s’assied en tailleur. L’homme, ramasse alors une pierre, en analyse toutes les faces et la rejette. Il en ramasse une autre qu’il examine avec le même soin. Parfois, le rituel des gestes est entrecoupé d’une variante. S’emparant d’une loupe posée sur sa cuisse droite, il scrute attentivement le caillou, puis le dépose précieusement dans un sac de toile épaisse. Lorsqu’il a examiné tous les blocs autour de lui, il se relève, refait trente pas et se rassied, pour recommencer son examen patient de chaque caillou qui l’entoure.

Mais, à cette heure où le soleil approche de son zénith, l’ardeur de l’homme semble faiblir. Le froid de la nuit a depuis longtemps cédé la place à une chaleur suffocante. Une nouvelle fois, il se relève, fait quelques mouvements d’étirement, lève une main cuivrée par le bronzage, pour se protéger du soleil, saisit sa gourde ; y puise une gorgée d’eau tiède ; la recrache et en avale une autre. Puis, se retournant, il porte son regard vers le campement situé à une trentaine de mètres en contrebas, perdu au milieu de la steppe désertique.

Les cinq tentes individuelles et celle dévolue au réfectoire-cuisine sont des dons généreux de l’armée. De celle d’avant l’armée spatiale ! La seule bâtisse en dur du camp est un ancien container aménagé en labo ; le seul endroit du lieu comportant un chauffage et une climatisation. Il convient de chouchouter le matériel informatique. Il remarque alors deux choses : qu’il est vrai que les voix portent loin dans le désert, surtout celle de baryton d’Ewald, et que ce dernier, au mépris des consignes, à laisser ouverte la porte du labo. Qu’une soudaine bourrasque chargée de poussières et de sable fin pénètre dans le labo et bonjour les dégâts !

L’homme s’exclame en direction du camp et plus particulièrement du labo :

« Ewald, tu te rends compte que cette zone n’a subi aucun bouleversement géologique depuis la dernière E.L.E et ce malgré l’orogénèse alpine ! … Ewald, tu m’entends ?

-Bien sûr, John que je t’entends, mais cela n’est pas le plus étrange coin que nous connaissions.  Il y a sur cette planète, bien d’autres zones où les bouleversements géologiques sont mineurs ou inexistants depuis des millions d’années. Le plus étrange est le fait que l’érosion ne semble même pas exister dans cette partie de désert, comme si tout s’était figé depuis la dernière grande limite géol. De plus ... »

Un bref tremblement accompagné d'un bruit sourd lui coupe la parole et le fait vaciller.

Une petite colonne de sable et de poussières marque l’endroit, à une trentaine de mètres du campement, où la décharge a explosé.

« Bordel, Ewald, tu ne pourrais pas faire un peu attention avec les charges sismiques que tu amorce depuis le labo, j'ai failli me casser la gueule.

- Ne crie pas comme ça, je ne suis pas sourd et descends de tes cailloux. J'ai les premiers rapports des relevés et j'aimerais avoir la confirmation que je n'ai pas complètement perdu la tête !

-OK j’arrive ! »

Tout en bougonnant, John entame la descente en pente douce du tertre.

 « Si tu n’as pas perdu la tête ? Comme si tu ne l’avais jamais eu !...  Dis voir, tu viens de voir apparaitre un E.T. sur ton diagramme de relevés, ou quoi ? Que t'arrive-t-il ? Je te parie mon cher Ewald que ces maudits logiciels déconnent encore !

-J'aimerais bien que cela soit ça.  Regarde ce que les radars de sol nous renvoient comme images. »

Ewald lui tend la tablette où les résultats s'affichent.

Au fur et à mesure qu’il prend connaissance des données, l’expression de John se transforme : tout d’abord l’intérêt, puis l’étonnement et enfin la stupeur.

« Nom de dieu ! Tes instruments déconnent ! Tu n’as pas fait de vérification du matériel ? 

-Si ! et R.A.S !  Je pense qu'il va falloir trouver un prix Nobel dans toutes nos disciplines pour une telle découverte !

- Mais Bon Dieu ! Tu as vu l'échelle ? la taille et la profondeur de ces grottes ? C'est impossible ! Attends, je ne suis pas physicien, mais normalement les ondes ne peuvent faire apparaitre des cavités que si elles rencontrent des zones à faible valeur de réfraction non ? ! 

- Honnêtement, j'en doute. Les cartes montrent qu’il n’y a pas ici de couches à faible valeur réfractive… Mais, à mon avis, il faut avoir l'avis des autres avant d’établir une communication avec les autorités.  Pas envie de griller ma carrière pour un mirage !

-Tout à fait d'accord !

 - Bon, qui fait le contact radio avec le reste de l’équipe ? Car ils vont certainement adorer revenir au camp de base pour se rendre compte qu'ils ont perdu une demi-journée de travail en se déplaçant pour un mirage. »

                                                           ***

 

L'air de la grande tente où se réunissait l'expédition était saturé de fumée. Depuis le retour de leurs trois collègues, les cinq membres de l'équipe débattaient de la pertinence des données relevées par le radar de sol.

« Bon si je résume bien nos points de vue, on est face à deux possibilités : soit on a affaire à un bug monstrueux de l'ordinateur d'analyse ; soit, on est en face d'une base militaire de la troisième guerre mondiale, non encore inscrite au répertoire.  Dans ce cas, il faut prévenir de toute urgence l'armée spatiale. Après tout c'est leur boulot depuis qu'ils ont pris le pouvoir !

- Jack, franchement, tu t'imagines : ces Messieurs se pointent avec tout le matériel et finalement ils ne trouvent rien, car ce n'était qu'un bug de l'ordi...  On aurait l'air fin et on pourrait dire adieu au budget de la prochaine fouille. Tu sais comme moi qu’ils sont assez pingres sur les ressources restantes.

- Heu, les gars, on a peut-être oublié une piste, on part tous du principe que cette base est humaine, mais ...

- Louis, tu ne vas pas encore nous ressortir ta théorie des anciens astronautes ! Franchement, elle commence à être éculée, celle-là ! On n’a jamais trouvé une seule preuve solide pour l'étayer.

- Je suis d’accord avec toi, Viviane, mais franchement on ne peut pas dire que le coin soit super pour construire une base. De plus, vous avez vu la taille de cette chose ? Vous imaginez vous seulement le matériel qu'il a fallu pour la construire ? Réfléchissez deux secondes… On aurait au moins eu des images satellites des travaux !

- Si elles n'ont pas été détruites ! remarque un homme grisonnant en train de regarder les images fraichement sorties sur papier.

- Pour ma part, je soutiens que nous ne sommes pas les premiers. Les preuves existent, mais soit elles ont été perdues, soit oubliées au fond d'une caisse.

Sans lever le nez des relevés qu’il consultait, l’homme grisonnant raille :

-Une grande caisse anonyme, dans un grand hangar anonyme, au fin fond d’une mine anonyme dans un désert tout aussi anonyme.

- D’accord, moquez-vous de Louis pour sa théorie, mais…  Que dis-tu John ?

- Rien, Vivianne, je me souvenais juste d'une phrase que j'ai lue dans un livre sur l'évolution comparée du père de Liame. Dieu qu'on aurait besoin de lui sur ce coup, il a toujours eu un instinct pour déterminer si un site valait la peine.

- C'est clair ! Mais il a toujours quelques tonnes de fossiles à dégager afin d’avoir seulement une place pour en ramener d’autres.

- Oui bon, mais ça ne résout pas notre problème ! Que fait-on de ces données ?

-J'ai peut-être la solution !

- Ewald, dis-nous vite ton idée, avant que nous soyons tous bons pour le tube d'aspirine !

-Premièrement : l’un de nous repasse le radar de sol à l’endroit où on l’a passé avant-hier, sur l’ex-ruisseau souterrain. On le repasse également sur les zones cinq et sept. Dans ces deux endroits, on est certain qu’il n’y a rien. On verra bien, alors, si c’est le radar en lui-même qui cafouille ou pas.

Deuxièmement : je refais un tir, disons à trente mètres de l’endroit où j’ai posé la charge hier. Puis un second trente mètres plus loin et un dernier à la même distance. On verra bien ce que cela va nous raconter.

Troisièmement : la surface de l’anomalie est sur le sommet du tertre, à environ quarante mètres de nous et doit être à environ deux mètres de profondeur. Donc on creuse !  Si c'est artificiel, on prévient les autorités ; sinon on aura juste creusé deux mètres pour en avoir le cœur net. Qui sait, ça peut en valoir le coup, si vous voyez ce que je veux dire ! 

- OK ! bonnes idées. Si c'est bien une base, on peut toujours récupérer du matos performant avant les militaires. Ça ne fera pas de mal à notre budget pour les prochaines expéditions. Pour ce qui est de les rapatrier, une ou deux caisses de pierre en plus ou en moins, qui verra la différence ?

- Bien, on commence à creuser demain ?

- Oui ! Plus tôt ce sera fait, mieux cela vaudra !

                                                                 ***

Le soleil couchant étendait ses ombres dans une petite dépression toute nouvelle. Un silence profond régnait sur le campement.  Silence uniquement dû à la fatigue d’une journée très chaude passée à creuser, à extraire terre et cailloux de la nouvelle excavation.

« Bon, je vous propose que l'on installe les lampes pour reprendre les fouilles demain très tôt et qu'après on arrête pour aujourd'hui… Mais je me demande ce que c’est que ce terrain ? Il est noir comme du charbon et dur comme de l'acier.

- Bonne idée John pour arrêter maintenant, je suis éreinté ! Pourtant, je suis comme toi, le terrain m'intrigue. Je vais en prélever un peu pour l'examiner sous microscope, car j'ai l'impression que l'on est sur une couche d'éjecta.

- Tu en es sûr ? Dans l'ex-région Parisienne, je comprendrais, mais ici il n'y a ni cratère ni volcan, à ce que je sache !  

- Non, justement c'est pour cela que je veux le voir au microscope, car ...

- J'ai quelque chose, hurla Viviane. Bon sang, on dirait du basalte !

- Quoi ? Attend on arrive ! »

D'un seul mouvement, tous se retrouvent aux côtés de Viviane et se mettent à gratter fébrilement la terre autour d’une surface noire comme la nuit.

Quelques minutes passent, dans un silence seulement ponctué de grattements puis d’un coup de marteau. Soudain, John, se relevant, s’exclame :

« Bon sang ! C’est quoi ce matériau ? J’ai voulu prendre un échantillon avec mon marteau… Résultat, j'ai la pointe qui s’est écrasée et cela n'a pas fait une seule égratignure à cette ‘’ roche ‘’ ! Sans compter la secousse dans ma main !  Je n’ai pourtant pas tapé très fort.

- Pardon ? ! Tu as abimé TON MARTEAU ! Celui-là même dont tu nous vantes tout le temps la solidité ? dis Vivianne en riant

- Oui, mais je te signale que le tungstène n’est pas connu pour sa malléabilité et j'ai déjà vérifié lors de son achat qu'il y en avait en bonne proportion. Donc j'aimerais bien comprendre !

- Bon ! Moi aussi !  Je n'ai jamais vu ça ! On dirait un mélange de basalte et d'obsidiennes. Mais étant donné l'heure, je propose que l'on arrête pour ce soir et que l'on finisse de dégager la surface demain.

- Tu plaisantes, Ewald, c'est soit l'un soit l'autre, pas les deux en même temps ! Ou alors, du basalte au centre et de l’obsi à la marge. Or, je ne vois pas de différence de structure sur cette chose !

Viens voir le binoculaire portable, si tu ne me crois pas ! Pas un seul microcristal, ni macro, non plus, d'ailleurs et à ce que j'ai vu, aucun plan de clivage. De plus aucune sorte de microfissure. Mais cela restera à vérifier au labo, avec le microscope à balayage si on arrive a prélevé un échantillon vu l’état de mon marteau. » Soupire John.

 « Au fait, John, avant de taper bêtement dessus tu aurais pu demander si quelqu'un avait fait un test de Moch sur ce truc. Tu aurais ainsi épargné ton super marteau. Ce truc a une dureté de 11 minimum. C'est le microdiamant qui a été rayé, pas la roche ! Ou quelle que soit cette chose ! Personnellement, je penche pour un composite bien artificiel, sauf si Dame Nature nous cache encore des choses. Et comme je n'ai pas de super diamant ni de microscope à balayage sous la main ...

Il soupire et regarde le ciel :

La nuit ne va pas tarder, je vous propose de rentrer, je suis fatigué et j’ai faim !

- Idem pour moi, je te suis. Vous venez, vous autres ? 

 

 

                                                                   ***

 

Depuis quelques heures, le jour a cédé la place à la nuit. Son voile noir enveloppe le campement et celui-ci n'était plus rythmé que par les respirations des membres de l'expédition. Ceux-ci dormaient d'un sommeil de plus en plus profond de plus en plus lourd. Le grand silence du désert n’était troublé que par l’antienne plainte du vent jouant avec les roches et les buissons et le chant des pierres fendu, déjà raconté par Marco Polo. De temps à autre, un bruit furtif indique la chasse d’un petit prédateur.

Partiellement dégagé, l’objet de tant de questions, bien que d'un noir plus profond que la nuit, s’irise de reflets, bien plus, que la pâle clarté des étoiles de cette nuit sans lune ne peut lui en offrir.

Sans signe avant-coureur, soudain, la pénombre est entaillée par la lueur aveuglante d'un éclair silencieux, accompagné d'une brusque bourrasque. La lueur semble se condenser sur elle-même, et une forme apparemment humaine se matérialise. Elle tient dans sa main un boitier qui se met à projeter une faible lueur, avec laquelle il balaye l’étendue récemment dégagée.

Au bout de quelques instants, la surface visée s'illumine de la même lueur que celle projetée. Elle brille intensément un instant, avant de redevenir inerte et de retrouver son noir profond parcouru d’irisation.

Alors la forme stoppe la lueur provenant du boitier. Il regarde le campement, puis murmure d’une voix triste :

« Navré ! »

Son apparence s’estompe progressivement et de la même manière qu’il est apparu, il rend sa place à la nuit.

 Les ténèbres reprennent leurs droits.  La chasse du petit prédateur se poursuit au travers des broussailles bercées par le vent.

 Les humains du campement poursuivent ce lourd sommeil sans rêves que seule l’accumulation de fatigue peut procurer.

 

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