Chapitre 1 - La Chute

Notes de l’auteur : Bonjour, bonjour, Je suis une petite nouvelle sur ce site (ainsi que dans l’écriture) qui m’a été chaudement conseillé. J’ai donc (enfin) sauté le pas et décidé de partager une histoire qui traine depuis fort longtemps dans les méandres de mon imagination. *souffle sur la poussière* Je la poste ici, sans prétention aucune, en espérant tout de même qu’elle vous plaise. J’ai hâte de pouvoir lire vos retours afin de m’améliorer grâce à vos commentaires !

Le crépuscule embrasait le ciel de cette même teinte née des flammes ravageant la capitale du royaume d’Argenterre, Anthémis. Cœur des Trois Plaines, cette riche et paisible cité faisait aujourd’hui face aux heures les plus sombres de son histoire. Après trois jours et deux nuits, le siège arrivait bientôt à son terme et avec lui, la fin d’un monde prospère.

Le sang et les cadavres souillaient le sol pavé des rues autrefois prisées pour leur raffinement. La cendre et les émanations de fumées s’élevant des nombreux incendies noircissaient la pierre blanche si caractéristique de ses murs. Les ruelles étaient saccagées par la foule en panique qui cherchait à échapper aux brasiers et aux assauts de l’envahisseur. Tel un troupeau de bétails apeurés, tous se ruaient dans la même direction, engorgeant l’unique moyen de fuir cet enfer.

Dissimulée sous la capuche de son manteau, elle se frayait tant bien que mal un chemin au travers de cette ville qui lui fallait à tout prix quitter. Elle se faisait bousculer par cette populace qui la piétinait et s’écrasait contre elle. Mais qu’importe la douleur si elle réussissait à rejoindre les souterrains où avaient été affrétés en urgence des barques sur les canaux des égouts. Ceux-ci se jetaient dans la mer et offraient une échappatoire à l’abri des flèches et des catapultes. On entendait les projectiles s’abattre sur les remparts dont les brèches de plus en plus fragilisées par les charges répétées s’élargissaient, offrant une ouverture à l’ennemis.

Une fois de plus comprimée par la cohue, elle trébucha lorsque le sol se mit à trembler après qu’une détonation ait résonné. S’en suivit un silence oppressant, plus aucun cri ni pleurs n’osait le rompre. Chacun retenait religieusement sa respiration. La femme leva ses yeux sur la voute au-dessus d’eux et vit des nuages de poussières ainsi que des gravats en tomber.  Le mur principal venait de tomber. Elle déglutit, figée par la peur, puis reprit ses esprits au moment où l’un des gardes qui l’escortait la pressa d’avancer.

L’effervescence reprit presqu’aussitôt mais elle avait déjà gagné l’une des embarcations dans laquelle elle s’installa. Plusieurs autres passagers montèrent avec elle, parmi lesquels se trouvait sa dame de compagnie. Elle était jeune, son regard effrayé balayait les alentours avant de croiser celui de sa maitresse. Celle-ci desserra son étreinte autour du petit ballot de linge entre ses bras pour poser une main rassurante sur les doigts tremblant de sa servante.

- Tout va bien se passer, sourit-elle malgré sa propre terreur.

Bientôt la gondole se mit à bouger, quittant la rive pour suivre le courant qui allait les mener jusqu’à la liberté. L’atmosphère était remplie des émanations putrides des canalisations et de vase qui se mêlaient à l’odeur saline des embruns. Le bruit des vagues frappant contre la roche leur parvenait crescendo à mesure qu’ils se rapprochaient de l’embouchure. Plusieurs mètres devant elles, les premiers canots dépassèrent la trouée pour rejoindre enfin l’air libre.

Pourtant la femme ne voulait s’autoriser à relâcher la pression. Quelque chose en elle lui criait de rester en alerte. Tout ceci était presque trop facile.

Son instinct ne l’avait pas trompé. À peine eut-elle le temps de remarquer un point noir se profiler dans l’horizon et se rapprocher de leur position, qu’une puissante secousse se fit à nouveau ressentir. Cette fois-ci, la structure ne tint pas le choc et entraina dans sa chute plusieurs pauvres âmes qui se retrouvèrent prises au piège sous les blocs de pierre. L’effondrement provoqua un terrible reflux qui déstabilisa les bateaux dont la plupart, emportés par les flots, chavirèrent.

Brinquebalée par les violents remous, leur coque se heurta contre la berge. Le choc fut si intense qu’il endommagea la chaloupe et celle-ci commença à se remplir rapidement d’eau saumâtre. Aidée par ses soldats, elle et sa compagne d’infortune s’empressèrent aussitôt de regagner la rive. Enfin sur la terre ferme, elles contemplèrent avec désespoir leur échappatoire désormais condamnée.

Devant cette funeste constatation, les hurlements resurgirent et la folie s’insuffla au sein de la population. La panique forçait certain à vouloir escalader les débris pour passer de l’autre côté. Beaucoup périrent, tombant à l’eau après avoir glissé sur les parois mouillées et tranchantes des amas de pierre. Quand ils ne se fracassaient pas le crâne contre cette dernière, ils finissaient noyés, épuisés par l’effort et transis de froid.

Les larmes se mirent alors à perler le long des joues de la suivante qui s’accrocha inconsciemment à un pan du manteau de son ainée comme pour ne pas défaillir.

- Que les dieux nous viennent en aide, toutes les issues sont dorénavant bloquées ! s’angoissa l’un des soldats.

- Non, pas toutes. Je connais un autre passage mais pour y accéder, il va falloir rebrousser chemin, expliqua leur protégée.

- Bien alors allons-y sans plus attendre.

Retournant sur leurs pas, ils remontèrent avec hâte les canaux, faisant attention de ne pas tomber dans l’eau à cause des pavés humides et accidentés. Ils se frayèrent ensuite un chemin au travers de la foule restée agglutinée au bord des quais. Non sans difficultés, la petite troupe arpenta les kilomètres de souterrain sinueux pour arriver au pied d’une grille rongée par la rouille et les années. Celle-ci donnait sur la place principale de la capitale. Elle n’était plus qu’une ruine où s’amassaient les cadavres au milieu des décombres de ce qui avaient été autrefois fontaines, jardins et bassins d’agrément.

D’un coup sec, les soldats descellèrent les barreaux puis deux d’entre eux sortirent, arme au poing, d’afin d’évaluer la situation. Durant cette attente, la femme encapuchonnée ne put empêcher de voir rejaillir les tragiques réminiscences dans son esprit. Se rejoua ainsi devant son regard vide, l’assassinat de son époux tant aimé qui avait conduit à sa fuite forcée pour sauver ce qui lui restait de plus précieux. Face à ces visions d’horreur, son corps chancela et elle dut se rattraper à l’épaule de l’un de ses hommes.

- Majesté, tout va bien ?

- Ce n’est rien, juste … un petit étourdissement.

- Vous devriez vous reposer quelques instants.

- Je me reposerai qu’une fois à l’abri et loin d’ici.

À peine eut-elle prononcé ces mots, que les gardes revinrent, estimant que la voie était libre. Tous restaient sur le qui-vive et avançaient jusqu’au seul vestige encore intact qui se dressait au milieu de ce chaos. La statue était là, droite, en un seul bloc, comme si la déesse représentée leur offrait une dernière porte de sortie. Falba, divinité protectrice d’Argenterre, ses doigts caressaient la tête de son tigre aussi féroce que majestueux. Son visage de marbre blanc leur adressait un air doux et compatissant tandis qu’elle tendait sa main vers eux, les invitant à la lui prendre.

- C’est ici, dit-elle en époussetant le socle, espérons seulement qu’il fonctionne toujours.

Elle retira aussitôt le pendentif de son cou et l’inséra dans l’interstice dont les contours épousèrent parfaitement les formes du médaillon. Une légère pression dessus et un raclement tonitruant s’éleva depuis la base de la sculpture dont le mécanisme s’activa péniblement en raison des siècles d’oublis. Mais alors que les premiers centimètres de liberté se dévoilaient devant eux, des pas métalliques résonnèrent derrière eux.

Une vingtaine d’hommes affublée d’armure écarlate les encerclèrent tandis que surgissait depuis les entrailles de la crypte, un colosse à la démarche lourde et nonchalante. Son sourire malsain les menaçait tout en se délectant de la surprise mêlée de terreur qu’il pouvait lire chez chacune de ses proies.

Les soldats d’Anthémis se regroupèrent autour de leur reine afin de la protéger face à cet ennemi d’une toute autre envergure. Leurs opposants voulurent intervenir mais leur chef leva la main, ce qui les stoppa net. Il voulait jouer encore un peu et riva son attention sur celle qu’il traquait depuis tout ce temps. Un frisson s’empara du corps de celle-ci qui se cramponna et entortilla un peu plus l’amas de lange tenu contre sa poitrine. Elle sentit alors remuer et entendit un léger sanglot.

Délicatement, elle se pencha vers le petit être emmailloté dans des couvertures et sourit. Une larme perla le long de sa joue et finit sa course sur celle de son fils.

- Chut mon amour, tout va bien. Tout va bien se passer, je ne le laisserai pas te faire du mal, tenta-t-elle de le rassurer avec une voix tendre.

- Ne fais pas de promesse que tu ne pourrais tenir !

À ces mots, le capitaine Anthémisien dégaina son épée et l’abattit sur celui qui venait de les prononcer, imité par la suite de ses subalternes.

- Fuyez, votre Majesté ! hurla-t-il.

Sans plus attendre, la souveraine attrapa le poignet de sa nourrice, trop tétanisée pour bouger, et courut aussi vite que ses jambes fatiguées le lui permettaient. Au loin, elles percevaient le son des lames qui s’entrechoquaient ainsi que les gémissements d’agonie. Se dirigeant au hasard au gré des ruelles, elles débouchèrent sur ce qu’il subsistait d’un balcon surplombant l’océan. La lune, étrangère au massacre qui se livrait entre ces murs, se reflétait, éclatante, sur cet horizon aqueux et indolent.

Essoufflées et désespérées, elles se jetèrent sur la rambarde qui les séparait du vide. La souveraine lança alors un regard en arrière puis le reposa vers la silhouette lointaine et timide d’une montagne qui se dessinait dans la nuit. Il ne lui restait plus beaucoup de temps pour prendre une décision. Une décision qui allait lui fendre le cœur mais qui s’avérait nécessaire si elle souhaitait qu’un jour le monde ait une chance de revoir la paix régner sur ses terres. En proie au plus grand des chagrins, elle ferma les paupières et embrassa le front du nouveau-né.

Non sans tituber, elle se tourna et s’avança, munie d’un air grave, jusqu’à sa suivante à qui elle tendit le nourrisson.

- Prends-le !

- Qu-quoi ?

- Prends-le et envole-toi loin d’ici ! ordonna-t-elle.

- Non, je refuse de vous abandonner !

- Iris, je t’en prie ! Toi seule peut l’emmener et le mettre à l’abris de Tragen … Tu es la seule à qui je puisse confier une telle mission.

- Mais …

- Dans les montagnes du royaume Opalpe se trouve un sanctuaire nommé Perce-Neige, la coupa-t-elle. Rends-toi là-bas. Il est habité par des sages qui se font appeler les Disciples de Soven. Ils … Ils sauront prendre soin de lui.

- Mais … Et vous ? Tragen … il va vous tuer …

- Je sais et je suis prête à faire face à la mort qui m’attend si je sais que mon enfant est en sécurité loin d’ici. Mon sacrifice ne nécessite pas le tien, Iris. Tu dois vivre pour que tu puisses prendre soin de mon fils à ma place. Un jour … un jour, j’en suis sûre, il ramènera la paix au sein du royaume. Maintenant pars !

- Majesté …

- Pars Iris. Je t’en supplie.

D’abord hésitante, la jeune nourrice finit par saisir l’enfant dans ses bras tremblants en s’éloignant sous les larmes de sa maitresse. Cette dernière regarda la lumière émaner du corps de son obligée tandis qu’elle revêtait sa forme animale. Deux ailes sortirent du halo en se déployant devant elle pour dévoiler un faucon. Il agrippait entre ses serres acérées le ballot de linge renfermant le prince. L’oiseau dut s’y reprendre à plusieurs reprises pour le retenir, transperçant l’étoffe qui glissait entre ses pattes trop petites pour un tel fardeau.

Quand le rapace trouva enfin son équilibre, il s’éleva dans les airs pour s’envoler aussi vite qu’il lui était possible, arrachant un ultime sanglot à cette mère qui ne reverrait jamais plus son enfant. Cependant, dans son cœur ne souffrait aucune tristesse car, même s’il ne grandirait pas à ses côtés, elle le laissait partir, confiante, sachant qu’il allait vivre.

Bientôt, leur présence se perdit au milieu des étoiles de la voute céleste. La reine se retint alors à la balustrade, étouffant ses pleurs dans la paume de sa main. Mais elle devait taire son chagrin car elle distinguait déjà la démarche si identifiable de Tragen. Malgré l’effroi qui la rongeait, elle se refusa d’y succomber.

Elle ne doutait pas de la fin de sa propre histoire, la mort étant une fatalité à laquelle chacun devait se résoudre dès qu’il naissait. Cependant, elle possédait encore cet ultime pouvoir que celui de choisir la façon dont elle allait l’écrire. Savourant ses derniers instants de libre arbitre, elle se redressa et se retourna pour accuser son bourreau d’une expression digne et fière, celle de la Suzeraine des Trois Plaines.

D’un pas en arrière, elle disparut, plongeant dans les abysses glacées et sombres de l’océan, témoin silencieux de la chute d’Argenterre.

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Jinane
Posté le 02/06/2020
Hello :)

Eh bien, ça commence fort… au début, ça m'a vaguement fait penser au Witcher (une capitale mise à sac, une reine qui tente de mettre son enfant à l'abri… et qui finit par mourir) : les images étaient claires dans ma tête, c'était très bien décrit, je visualisais parfaitement cette ville en feu et le peur qui pouvait y régner. Braco pour ça !

Il y a juste un moment qui m'a un peu perdue : quand le petit groupe de la reine est acculé près de la statue et qu'elle murmure à son fils que tout ira bien… qui est-ce qui lui répond qu'elle ne devrait pas faire de promesse qu'elle ne pourrait tenir ? Sans doute quelqu'un du groupe, mais je t'avoue que j'ai un tout petit peu bloqué là-dessus et relu ce passage pour bien comprendre :)

Aussi, j'ai relevé quelques petites fautes (loin de moi l'idée de faire la relou à corriger tout ce que je vois, haha !). Je te les mets et si ça t'ennuie, je comprendrai ;)

Offrant une ouverture à l’ennemis --> ennemi (sans s)

S’en suivit --> s’ensuivit

Plus aucun cri ni pleurs --> pleur (puisque tu as mis "cri" au singulier, je pense que ça serait plus logique de faire pareil pour "pleur") :)

Son instinct ne l’avait pas trompé --> trompée

Entraina dans sa chute --> entraîna

La panique forçait certain --> certains

d’afin d’évaluer la situation --> afin

Ne put empêcher de voir rejaillir --> s’empêcher

je me reposerai qu’une fois à l’abri et loin d’ici --> ne me reposerai (ou alors, "je me reposerai une fois à l'abri")

Des siècles d’oublis --> d’oubli

Affublée d’armure écarlate --> d’une armure écarlate ou d’armures écarlates, je dirais :)

D’une toute autre envergure --> tout autre (dans ce genre de cas, il me semble que si "tout" peut être enlevé d'une phrase sans que ça n'en change le sens, il ne prendra pas de "e" même si le mot qui suit "autre" est un nom féminin)

Le mettre à l’abris --> abri

Même s’il ne grandirait pas à ses côtés --> s’il n’allait pas grandir (comme on dit, les "si" n'aiment pas les "ré" : pas de conditionnel après "si" ;)

Autrement, c'est tout pour moi ! Ton style fluide donne envie de lire la suite, ce que je vais faire de ce pas ^^

A tout de suite !
Ouroboros
Posté le 02/06/2020
Et coucou !
Merci de ton passage et de ton commentaire.
Pour ce qui est de la ressemblance avec The Witcher, elle n'est vraiment pas faite exprès ! Du pur hasard mais, avec le recul, c'est vrai qu'il y a un peu de ça.
Je retravaillerai le passage qui t'a perdu pour le rendre compréhensible et que le lecteur sache qu'il s'agit de Tragen.
Et oui ces fameuses fautes ... après une centaine de relecture je ne parviens plus à les voir T^T mais pas de panique je les ai déjà corrigé.
À plus tard j'espère dans de nouveaux commentaires !
Jinane
Posté le 02/06/2020
Hihi, pas de souci pour The Witcher, ce n'était pas du tout une critique au contraire ;)

Aaaaaaaaaaaaaaah, les fautes ! On a beau tout relire 100 fois, faut croire qu'on passera toujours à côté de certaines x)
annececile
Posté le 18/04/2020
Impressionnant et dramatique, cette entree en scene! Une ouverture qui pourrait etre une histoire a elle toute seule. Ca donne envie de lire la suite...
Ouroboros
Posté le 21/04/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire encourageant.
Marhiel
Posté le 24/03/2020
Et me voilà enfin !!

Alors déjà, j'adore l'ambiance de ce premier chapitre ! Je trouve que les descriptions sont très bien faites et on a aucun mal à s'imaginer les scènes, c'est très fluide.

Je n'ai pas grand chose à dire si ce n'est qu'à un moment tu parles d'une brèche qui se fragilise ? Je ne sais pas si une brèche se fragilise, je crois que c'est plutôt le rempart qui se fragilise au fur et à mesure la brèche s'étend ?
Enfin ce n'est qu'un détail et le seul point "négatif" que j'ai trouvé dans ce chapitre !

Hâte de lire la suite :)
Mymy M.
Posté le 03/03/2020
Très beau prologue et si triste à la fois ! Hâte de lire la suite. Je trouve qu'il est plus fluide tout étant complet. J'ai de la peine pour cette mère qui ne reverra plus son fils et son sacrifice était nécessaire pour qu'il puisse vivre. Allez va écrire ma grande !
Ouroboros
Posté le 03/03/2020
Merci beaucoup ma belle pour ce commentaire ! Je suis contente qu'il ait plu ^^ La suite arrive bientôt !
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