Les années avaient passé et la jeune femme était maintenant à l’aube de ses dix-huit ans. Elle qui avait dû lutter pour survivre dans les rues aurait bientôt l'occasion de sortir de son taudis insalubre. Depuis l'extermination de son village, elle avait appris à mendier et à voler pour manger. Sur les ruines des maisons avait été construite une nouvelle ville. Les anciennes bicoques de terre et de chaume avaient laissé place à de nouvelles maisons aux toits recourbés de tuiles rouges et aux façades colorées. Les échanges entre la ville et l'extérieur se faisaient plus courant et un immense château avait été érigé sur la colline. Dans ce château allait avoir lieu l'entraînement intensif pour la nouvelle génération de chevaliers à la Knight Academy. La vue de ce commerce florissant lui rappelait sans cesse le passé. Elle se souvenait des voisins souriants et des enfants qui riaient et jouaient. Il n'en restait maintenant plus que de simples souvenirs. Une voix familière la ramena à la réalité :
« - Laria, dépêche-toi. C'est le grand jour, dit un garçon assis sur de vieux caissons mis à l’abandon dans l’étroite ruelle.
- J'arrive, répond-t-elle. »
C'était le fils du chef de la résistance. Après l'arrivée au pouvoir du nouveau tyran, des forces de résistance s'étaient formées à l'intérieur même de la nouvelle cité impériale et Laria les avait rejoints dans l'espoir de se venger.
« - Tu te rappelles ce qu'on a convenu, lui demande le garçon.
- Oui, ne t'en fais pas.
- C'est une mission risquée, tu sais. Si tu ne te sens pas prête à le faire, ça ne fait rien, dit-il d'un ton inquiet.
-Ne t'en fais pas, il suffit de m’infiltrer dans cette nouvelle école de chevaliers pour me rapprocher du roi et des personnes qui lui sont chères et ainsi les assassiner un par un, déclare Laria en esquissant un sourire.
- Tu es sûre d'y arriver, demande le jeune homme. Il faut quand même se déguiser en garçon.
- Ca ne fait rien. Je suis prête à tout pour venger ma famille, répond-t-elle les yeux brûlants de haine.
- Tu es certaine d'être assez douée pour faire partie de l'élite des chevaliers , dit-il en riant. Surtout que tu devras mettre tes capacités d'assassin en pratique. Je ne suis pas sûr que tu sois capable de tuer un homme. Je l'ai déjà fait et ça a été le moment le plus horrible de ma vie. Je me rappelle encore ses yeux implorants ma pitié et l'odeur de son sang se répandant sur mes mains, ajoute-t-il en fixant ses mains tremblantes.
- Je ne m'en fais pas pour ça. J'ai déjà vu tellement de sang et celui de ce bâtard , je rêve de le répandre sur le sol pour laver les vies qu'il a prises. En tout cas, il suffit que je passe les qualifications et je rentrerai à la Knight Academy. Rien de plus facile, répond-t-elle sûre d'elle.
- A mon avis, tu devrais arrêter de faire la maline car les fils des familles nobles participent aussi aux qualifications. Je ne sais pas si l'entraînement de mon père suffira à te hisser assez haut dans le classement pour que tu sois reçue, argue Tim.
- Ne sois pas rabat-joie. Il ne faut jamais s'avouer vaincu sans même avoir essayé , répond-t-elle avec aplomb.
- Je regarderai ta défaite alors.
- Ne me sous-estime pas, déclare Laria les poings serrés. »
A mesure qu'il parlait les deux jeunes gens arrivèrent devant une immense arène où des stands s'étaient installés tout autour. Du lierre poussait le long des murs de l’amphithéâtre tandis que du bruit se faisait entendre provenant de l'intérieur. Devant cette arène de pierre, une queue s'était formée et des jeunes garçons semblaient attendre leur tour pour s'inscrire au tournoi des chevaliers.
« - A mon avis ça va être long, dit Tim en soupirant.
- C'est ce que je vois.
- Je te propose de réviser les bases, conseille-t-il. Tout d’abord, comment tu t'appelles ?
- Je m'appelle Lorens Carter, déclare-t-elle d'une voix faussement grave.
- Je ne sais pas qui t'essaye de tromper avec ta fausse voix grave mais ça ne marchera pas, donc je te conseille de garder ton timbre naturel. Tu n'auras qu'à dire que tu n'as pas encore mué.
- C'est méchant, je m'étais entraînée avec cette voix.
- Bon, passons, cette conversation ne mènera nulle part et il y a du monde à côté donc parle moins fort, chuchote-t-il à Laria qui le fusillait du regard. On te demandera sûrement pourquoi tu voudrais intégrer l'académie. Que répondras-tu ?
- J'ai toujours souhaité devenir chevalier et protéger mon pays. Avec la Knight Academy, j'ai enfin l'occasion de réaliser ce souhait que je croyais pour toujours impossible, répond-t-elle.
-A mon avis tu en fais trop. Supprime la dernière phrase et c'est parfait, déclare Tim d’un ton tranchant.
- Tu as de la chance, ton père voulait que je m'invente littéralement une vie. J'aurais été le pauvre fils d'un palefrenier mort durant la guerre pour servir son pays, rétorque-t-elle en riant. »
C'est alors qu'un raclement de gorge coupa leur conversation. Un homme à la barbe blanche, aux lunettes opaques et de petite taille les regardait.
« -Votre nom, demande d'un ton glacial l'homme qui devait être en charge de l'accueil.
- Lorens Carter, sir.
- Pour les raisons de l'inscription je n'en ai rien à faire de ce que j'ai entendu juste avant, dit le vieil homme.
- Vous écoutiez notre conversation, depuis quand exactement, chuchote Laria anxieuse.
- Depuis votre petit monologue sur la raison de votre entrée à l'académie. De toute façon, vu vos concurrents, je ne suis pas sûr que vous passiez les qualifications. Par contre, les jeunes il y a encore du monde à faire passer donc circulez, ordonne-t-il. »
Les deux comparses se regardèrent avant d'avancer en direction de l'entrée de l’arène. Tim partit dans les gradins tandis que la jeune fée se retrouva dans la partie réservée aux concurrents.