Chapitre 1

Mes yeux s'ouvrent sur un plafond immaculé, mon esprit s'allume sans transition, comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur. Je me lève immédiatement, inutile de regarder ma montre car le lit me réveille toujours à six heures précises.

Il est tout aussi futile de regarder autour de moi, je suis dans la chambre qui m'a été attribuée il y a huit ans déjà, à l'occasion de mon douzième anniversaire et, depuis, rien n'a changé. Les murs et le mobilier sont toujours aussi blancs, le lavabo et la cuvette se trouvent à l'opposé du lit et une armoire murale discrète contenant mes vêtements se tient à côté d'eux. Sur le troisième mur, juste en face de la porte, tout l'espace est occupé par un bureau connecté au réseau de la Ville.

Autrefois, les gens ressentaient le besoin d'avoir un logement plus spacieux, mais désormais, ce sentiment est devenu obsolète. En réalité, tous les sentiments le sont depuis la création de la Ville il y a près de cinq siècles. La seule chose que celle-ci demande en échange de sa protection est de dormir dans des lits spéciaux qui ont pour rôle de réguler le sommeil et d'effacer les émotions.

La Ville a été érigée afin de préserver l'humanité de l'extinction lorsque les pluies sont devenues létales pour l'Homme. Personne ne sait ce qui a provoqué ce changement, ni pourquoi seuls les humains semblent être atteints alors qu'elle épargne les autres animaux et la végétation. Mais ce phénomène est désormais connu comme « la maladie de la pluie ».

Je me dirige vers le lavabo et me déshabille avant de me laver le visage et le corps à l'aide d'une serviette, pas de bain ni de douche dans la Ville, cela consomme trop d'eau. Une fois ma toilette faite, je me regarde dans le miroir au-dessus de l'évier. La glace me renvoie l’image d'une jeune femme, comme chaque matin. Les yeux verts du reflet bougent en même temps que les miens tandis que j’observe les traits de mon visage ainsi que mes cheveux bruns qui frôlent mes épaules afin de vérifier qu’ils sont propres.

Une fois ma toilette terminée et mes cheveux attachés à l’aide d’un élastique, j'ouvre mon armoire qui contient plusieurs exemplaires des mêmes vêtements, des pulls à manches longues et des pantalons, tous de couleur blanche. Je prends un exemplaire de chaque et je m'habille. Dans la Ville, tout le monde porte le même uniforme, seul notre nom imprimé sur le dos et sur la poitrine, au-dessus du cœur, change.

Une fois prête, je sors afin de prendre le petit-déjeuner, mais avant cela, j'effectue ma promenade matinale. La sédentarité était un fléau dans l'ancien monde, une tare qui a été éradiquée dans la Ville. Deux fois par jour, chaque personne doit effectuer une marche d'au moins trente minutes dans un parcours de son choix. Bien qu'aucun citadin ne tente de se déroger, le contrôle des habitants vérifie que chacun se plie à cette règle grâce aux bracelets de contrôle. C'est un outil que chaque personne porte au poignet, il permet à la Ville de monitorer les signes vitaux de son possesseur et de connaître sa localisation en tout temps.

Le trajet de ma promenade ne change jamais, c'est le cas pour tous les Habitants. Traverser les nombreuses rues entourées d'immenses gratte-ciels gris jusqu'à arriver en périphérie de la Ville, passer devant l'école primaire où les citoyens trop jeunes pour avoir leurs sentiments effacés courent et crient à tue-tête dans la cour de récréation. Puis longer le champ de force transparent qui recouvre la Ville comme une coupole et la protège de la pluie mortelle et des attaques de Sauvages jusqu'à arriver à la trappe à bébé. C'est à travers celle-ci que les rares personnes vivant à l'extérieur, appelées les « Sauvages », peuvent laisser leurs enfants afin qu'ils aient un meilleur avenir. Une fois devant la trappe, bifurquer de nouveau vers le centre, passer devant le musée regroupant les vestiges de l'ancien temps avant d'arriver finalement au réfectoire.

Arrivée à la cantine, je pose sur un plateau mon repas qui est le même quel que soit l'heure ou le jour : un bloc gélatineux contenant la moitié des apports en nutriments et calories dont mon corps a besoin dans la journée, le reste sera fourni ce soir, lors du dîner. Chaque assiette est personnalisée pour chaque habitant, les données du bracelet sont envoyées au service de restauration qui calcule avec exactitude les besoins de chacun.

Ma nourriture en main, je me dirige vers ma place habituelle où un jeune homme blond m'attend, comme tous les jours, car il finit sa promenade quatre minutes avant moi.

— Bonjour, Eleanor, belle journée, dit-il en posant ses yeux bleus sur les miens.

— Bonjour, William, belle journée en effet, répondé-je en lui rendant son regard avant de de m'asseoir.

Le reste du repas se passe en silence, sans contact visuel. La population de la Ville est strictement contrôlée. Elle contient un million d'habitants, pas un de plus, pas un de moins. Afin de maintenir ce chiffre, chaque personne a le devoir de donner ses gènes afin que deux enfants soient mis au monde. Si un habitant meurt avant de pouvoir remplir son rôle, ce qui est un cas exceptionnel, il est demandé à deux autres couples de concevoir un enfant de plus. Au contraire, si un Sauvage confie sa progéniture à la Ville, un bébé de moins est mis au monde. Les couples sont désignés à la naissance selon leur code génétique afin d'éviter le risque de mutation délétère. William est mon conjoint, dans cinq ans nous serons chargés d'élever un enfant ensemble, puis trois ans plus tard, un deuxième.

— Au revoir, Eleanor, à ce soir, dit William en me regardant tout en se levant.

— Au revoir, William, à ce soir, répondé-je en maintenant le contact visuel avant de me diriger vers la sortie.

Je retourne dans ma chambre en prenant un chemin plus court. Une fois arrivée, je m'assieds à mon bureau et l'écran de l'interface inséré au mur s'allume. Un projecteur envoie l'image d'un clavier et d'un pavé tactile sur la surface de la table et un capteur de mouvement me permet d'utiliser l'ordinateur.

Je me mets au travail, je suis chargée d'analyser les données des bracelets des Habitants dans le but de détecter des maladies qui seraient passées au travers de l'algorithme de contrôle. Chaque jour, l'interface me désigne au hasard un certain nombre de personnes. Dans quelques années, lorsque j’aurais acquis plus d’expérience, je serais amenée à examiner physiquement ceux qui sont suspectés d’être défectueux.

À dix-huit heures, je sors de nouveau de mon appartement pour faire ma deuxième promenade du jour et manger avec William. Une fois le repas terminé, je retourne dans ma chambre afin de profiter de mon temps personnel. Chaque Habitant dispose d'un moment dans la journée, entre le repas du soir et l'heure du coucher, pour étudier un sujet qu’il estime important pour sa profession. Je passe donc ma soirée à analyser les revues scientifiques dans le but de mieux détecter les variations des paramètres vitaux, même les plus infimes, qui me permettront d'identifier les citoyens à risque.

À vingt-deux heures précises, mon écran s'éteint et mon bracelet émet une sonnerie. Je n'ai pas besoin de le regarder pour savoir qu'il affiche désormais le message « allez dormir ». Après une toilette rapide, je me couche et ferme les yeux. Aussitôt, ma conscience s'éteint comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur.

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Lislee
Posté le 05/08/2020
Coucou !
Je trouve ce début prometteur !
On entre tout de suite dans un univers intriguant et j'ai bien envie de découvrir la suite !
Par contre étrangement, quelque chose m'a un peu dérangé lors de la lecture et je ne sais pas dire quoi exactement. Je trouve qu'il y a beaucoup d'informations et peu de ressentis de manière générale, mais c'est probablement l'effet recherché puisqu'il s'agit de décrire un univers sans émotions et que tu nous dévoiles l'intériorité du personnage, ce qui est plutôt habile ! J'ai aussi un doute sur la forme "répondé-je".
Au plaisir de te relire :)
galōra
Posté le 22/07/2020
Une lecture très fluide, très agréable... et sans aucunes émotions, ce qui pose le décor ! J'adore comment la forme sert le fond de ton histoire. Très prenant. Bien joué !
Evermagic
Posté le 23/07/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire, je suis contente que ce début t'ait intrigué. J'espère que la suite te plaira également ;)
Aude G.Martin
Posté le 17/07/2020
Ma lecture a été fluide et prenante. Ton monde fait froid dans le dos, mais il est intéressant. A voir comment tu vas le développer.
En ce qui concerne la réponse à ton commentaire juste en dessous, j'espère retrouver au fil du récit les éléments que tu donnes en les distillant subtilement pour comprendre cette société.
J'ai plongé directement dans l'histoire, tu as un style immersif intéressant.
Evermagic
Posté le 18/07/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire, je suis ravie que tu aies apprécié ta lecture ^^

Et oui, l'univers de Sans émotions se dévoilera peu à peu au fil des chapitres, mais si je refuse de donner des infos sur l'intrigues à l'avance, je ne refuse jamais de répondre aux questions sur l'univers de l'histoire ;)

J'espère que la suite te plaira !
Déborah Galopin
Posté le 10/07/2020
Hello Evermagic,

Glaçant cet univers que tu decris. La première question qui me vient c'est : pourquoi vivre dans ces cas là ? Quel intérêt de maintenir une population de 1000 habitants a l'abris de la maladie de la pluie, mais incapable d'emotion et donc de but personnel ?

Je trouve le sujet de ton histoire intéressant et intriguant.

Quelques phrases un peu longue qui mériteraient d'etre coupées en 2 mais dans l'ensemble le style est fluide et ça se lit bien.

Et j'adore le début et la fin de ton chapitre qui se font références l'un l'autre ! Très bien trouvé. Effet réussi.

Déborah
Evermagic
Posté le 10/07/2020
Hello !

C'est une très bonne question, les émotions n'ont pas été effacé du jour au lendemain dans toute la population, ça s'est fait graduellement sur plusieurs générations. Par conséquent, la société a continué à fonctionner pendant un bon moment avant d'être totalement déshumanisée et, de nos jours, les citoyens de la Ville continue à la faire fonctionner parce que c'est ce qu'on attends d'eux.

Je vois ça un peu comme une machine qu'on a oublié d'éteindre. Elle n'a aucune raison de continuer à fonctionner, mais puisque personne n'a pensé à la débrancher, elle continue son travail ^^

Et je précise que la Ville compte un million d'habitants, pas mille ^^

En tout cas je te remercie pour tous tes commentaires encourageants et qui me font plaisirs ! Je prends également bonne note du commentaire sur la longueur des phrases. Je sais que c'est un de mes défauts d'écriture et je fais tout pour la combattre, mais par moment ça m'échappe.

J'espère que la suite te plaira également ;)
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